--Koma
Un médecin ignorant mais sûr de lui est plus rassurant qu'un médecin instruit et indécis.
Jolie phrase d'introduction, me direz-vous. La pièce où se déroulait l'action était sombre, éclairée seulement par quelques bougies à la flamme ondoyante. Des ombres mornes et inquiétantes semblaient danser sur les minces cloisons. Un tatami rugueux dans un coin, un mystérieux coffre sculpté fermé à double tour dans l'autre, une table basse au centre. Un aménagement banal, en somme, si l'on omettait de décrire la grande étagère sur laquelle s'étalait foule de bocaux où flottaient des éléments divers et variés. On pouvait peut-être parfois y reconnaître une grenouille, des langues de dragons ou encore des organes génitaux de tanukis. A côté de ces sinistres trophées étaient soigneusement rangés quelques parchemins ainsi que des instruments dont l'utilité était plutôt incertaine.
Vous avez pénétré dans le cabinet d'un des présumés docteurs les plus célèbres d'Oda. Les Kamis vous en garde, il n'y a plus qu'à espérer que vous sortirez d'ici en bonne santé et sans avoir du avaler de douteux remèdes.
Il était là, assis en tailleur, le dos droit, d'une raideur presque exceptionnelle. Le visage allongé, le nez en pic, les lèvres sèches et pincées, un teint blafard, des yeux vicieux, des rides naissantes. Son kimono était gris pâle, assorti d'une fine ceinture qui semblait avoir était autrefois dans les tons bleus. Ses longs cheveux blancs étaient tirés en arrière, accentuant ainsi le caractère sérieux de l'étrange personnage.
Le paravent s'entrouvrit en un grincement. Une silhouette bouffie y apparue.
"Une demoiselle est là. Elle a besoin de vos connaissances et de vos dons."
Le "médecin", de son maigre doigt, fit signe qu'il pouvait la recevoir. Sa langue violacé vint lécher rapidement ses lèvres, les laissant ainsi luisantes durant quelques secondes.
--Koma
De petits claquements de pas, un bruissement de soie, il releva très légèrement les yeux, examinant la silhouette qui se présentait à lui. Les formes, quoique peu développées, n'en restaient pas moins charmantes et le kimono qui les recouvrait était fin et soyeux. Le toucher du tissu devait être remarquable. Retournant à son écriture, il écouta d'une oreille les maux de la jeune fille.
- Morû no Koma-sama! Je souffre atrocement. Mon envie de namagashi est telle que même moi je ne me reconnais plus! Hier j'ai même du la combler avec des Usagi! Vous imaginez! Des Usagis! C'est d'un laid... Et il y a deux jours, l'Okonomiyaki. Au troisième j'ai gerbé.
Il releva la tête, regardant Ailisha d'un air absent : il réfléchissait.
- Maux de tête ? Bouffées de chaleur ? Teint jaunissant ? Grosseurs inhabituelles ? Jambes flageolantes ? Pertes de cheveux ? Démangeaisons inopinés ? Plaques rouges apparentes ? Boutons purulents ? Vision troublée ? Problème pour déglutir ? Tremblements saccadés ?
Puis il sembla revenir à lui et ajouta d'un air grave :
- Possédez-vous l'un de ces symptômes ?
De nouveau, la langue violacée vint frôler la bouche trop sèche de l'homme.
--Koma
Surdose alimentaire. Vomissements fréquents. Puissantes nausées. Il posa son pinceau, avançant légèrement le buste en direction de son interlocutrice. Ses narines se dilatèrent, il huma doucement le parfum que la nippone dégageait. Une essence de lys plutôt pompeuse qui tentait de couvrir une odeur persistante de fumée probablement indésirable. Koma bascula en arrière, retrouvant sa place initiale. Puis il se leva et avança vers sa patiente. Il s'installa derrière elle, frôlant au passage l'une de ses douces mèches noires.
- Grosse ? Non. Votre taille est gracile.
Une main fut placée dans le dos pendant que la seconde forçait la jeune femme à redresser les épaules. Il déposa alors son oreille contre son dos, fermant les yeux.
- Inspirez.
Il ne fallait pas douter du professionnalisme du médecin. Il avait toujours était droit envers ses clients et ses clientes. Pas une main baladeuse, pas un geste mal placé, seulement, de temps en temps, quelques regards vicieux sur les formes des demoiselles. Ailisha n'était pas de ces femmes que l'on pouvait qualifier de généreuse, ou pulpeuse, mais peu importait à Koma : il la trouvait vraiment séduisante avec son air hautain et désinvolte, avec sa maigreur presque extraordinaire. Ce qui l'attirait le plus, c'était ses mains. En effet, notre homme (un peu dégénéré, je vous l'accorde) portait un intérêt particulier aux mains qu'ils chérissaient tout particulièrement. Il les aimait fines, blanches et de proportions égales.
- Expirez.
Il se redressa, mettant ainsi fin au contact corporel, presque à contre coeur.
- Asseyez-vous.
Une fois fait, il s'assit à côté sdelle puis lui enleva lui-même ses tabis. Le pied droit dans la main, il le souleva délicatement pour le porter à sa hauteur. Il le huma, l'examina, écartant méthodiquement chaque doigt de pied, vérifiant l'état de chaque ongle.
Une fois l'inspection terminée, le pied fut libéré de la leste emprise de la main ridée.
- Je sais ce qu'il vous faut.
Il se leva, allant vers sa grande étagère, y fouillant quelques longues minutes durant lesquelles le silence régna, histoire de faire durer le suspens. Il aimait bien faire ainsi peur à ses clients, les laissant pendant de courtes minutes dans le doute et dans l'imagination d'une potentielle maladie.
Il revint à la table avec un baume ainsi qu'un petit pot qui contenait de la poudre.
- Vous avez un mal assez courant qui touche les demoiselles de votre âge. On appelle cela "la vinoritiquéquole de la plante sous-jacinthe et intrépide du pied vernis" ce qui est plus grave que de vulgaires boursouflures ou qu'une simple mycose. Du baume vous vous masserez les pieds. La poudre sera à verser dans votre bain. Il faudra aussi boire quatre fois par jour une infusion de menthe et de jasmin. Et en attendant, mangez-moi.. Euh moins, de toutes vos grasses nourritures. Si le mal persiste, il ne vous faudra plus que vous nourrir de riz et de lait de cabri. Le mal n'est pas qu'interne et ne touche pas que vos pieds. La cause est plus sombre et vient du creux de la terre. Je prierai pour vous, votre santé se rétablira.
Non, ce n'est pas une boutade. Il est sérieux, là.
Il connait le mal, il connait les maladies.
Elles ont peut-être un nom étrange, mais qu'importe.
Sujet déplacé de la gargote d'Oda à la demande de l'auteur.
{Fuji}
--Koma
- Je suis grosse.
Koma, assis à la table basse, occupé à recopier la liste des plantes et remèdes qui faisaient défaut dans son cabinet, leva les yeux de son ouvrage et les reporta sur la jeune demoiselle, l'examinant de haut en bas.
- En effet. Constata-t-il.
Il replongea le nez dans ses papiers. Le manque de tact était l'un de ses principaux défauts et au vue de son âge, il n'était pas la peine de prier pour que cela s'améliore. Il n'avait jamais été gentil, aimable ou encore doux envers les femmes, cela n'allait pas commencer maintenant. Ses mots ne concordaient pas souvent à ses pensées ce qui lui avait déjà causé quelques embarras par le passé.
Il réfléchit, presque tracassé par le fait que ses remèdes n'aient pas eu l'effet escompté.
- Pourtant, le lait de cabris, la poudre et la tisane que je vous ai prescrite ont déjà prouvé leur effet.
La voix était faible, sans intonation particulière. Puis le silence reprit le dessus et vint de nouveau hanter la pièce.
- A moins que...
Il releva la tête et posa un regard mi-inquisiteur mi-pervers sur la nippone.
- Êtes-vous mariée ?
--Koma
Il ne put s'empêcher de laisser s'échapper une sorte de rire.
Le rire. Une réaction plutôt rare chez lui et qui n'était rien d'autre qu'une suite de brefs saccades mornes et froides. Effrayant à en faire pâlir le plus viril des samouraïs.
- Ce que je vous veux... Oh, mais rien mon enfant.
Le médecin humidifia ses lèvres de sa langue violacée avant de sourire imperceptiblement.
- Seulement que si vous aviez été mariée et donc que vous aviez des relations charnelles, j'aurais pu assurer que vous étiez enceinte. Mais puisque ce n'est pas le cas, il faudra chercher ailleurs.
Il soutint son regard sur le joli minois de la nippone, réfléchissant à ce que pourrait être la maladie de la pauvresse.
- Pourriez-vous me préciser une nouvelle fois vos symptômes ? Cela nous aidera probablement à y voir plus clair.