--Salana
La tête se renverse en arrière sans prendre garde à la capuche recouvrant ses cheveux roux qui glisse dans un même mouvement. Avec reconnaissance elle ferme les yeux pour recueillir l'eau ruisselant sur son visage au teint laiteux.
La pluie est sans doute la seule chose qu'il y a ait en commun entre Paris et son village. A la seule évocation de cette image furtive, une expression de dégoût crispe ses traits. L'instant de plénitude fut de courte durée. Maugréant Salana rabat sa capuche, essayant de cacher sa rousse chevelure qui lui valut bien des fois de ressentir de trop près le feu ardent d'un bûcher.
.. ça pue ici. Cette ville pue!
Seul les jours de pluie et orageux comme ce jour la faisait sortir avec moins de réticence de sa tanière, parvenant ainsi à supporter les odeurs nauséabondes des ruelles de Paris... et la faim aussi.
La main blanche et fine glissa sur l'étale sous la pluie battante, pour ensuite faire disparaître avec agilité dans sa cape, une tranche de lard fumé et plus loin une pomme.
C'était suffisant, elle n'en demandait pas plus. L'avantage des jours de marché, au delà de l'abondance des denrées, c'était aussi pour elle l'occasion de se fondre dans la foule.
N'est-on pas plus incognito dans le brassage humain d'un jour de foire que dans une taverne sale et puante ?
Pas le temps d'en profiter pleinement qu'elle butte sur un obstacle mouvant.
Méfiante la rousse s'imagine qu'un cul- de- jatte par sa cheville fine veut l'attraper et aussitôt de répliquer en lui assénant un fort coup de pied.
Hey! m' touche pas toi spèce de galeux !
C'est en reculant de ce qu'elle croit être l'emprise d'une main qu'elle découvre dans un sillon de boue une rigole de sang dont elle suit le prolongement, figée. Par terre un homme gît blessé et plutôt même en piteux état.
Erf.. qu'est ce tu fais là ?
Autour d'elle les gens semblent indifférent. Un gars qui crève de plus ou de moins, la belle affaire. Salana ne veut pas s'en mêler, ça sent les ennuis à plein nez mais personne ne semble bouger. En jetant un coup d'oeil de côté elle aperçoit une brune au prise avec une montagne de muscles, se demandant si c'est pas leurs oignons à eux justement.
Elle secoue la tête en baissant les yeux vers l'homme à terre .
Désolée, j'veux pas d'ennui moi.
Puis elle recule et se détourne pour partir brusquement, bousculant des badauds au passage et se fond dans la masse. Quelques pas plus loin elle s'arrête.
Rhaa ! Tu vas l' regretter j'te dis.
Et aussitôt elle fait demi tour pour rejoindre le pauvre type. Plus fort qu'elle ça. Dans son village elle était rebouteuse mais ça fait pas bon ménage de connaître les plantes quand en plus on est rousse. Pour la remercier la moitié de ces bouseux l'avaient poussé vers le bûcher, encouragés par le médicastre..ben voyons.
Salana regarde le gars en poussant légèrement son bras de la pointe de sa chausse.
He! tu peux bouger un peu? Où t'as mal ?
Elle tourne son visage vers le grand machin avec sa face taillée au couteau en se disant que lui il pouvait porter le blessé quelque part. Encore fallait-il savoir ce que l'autre avait. Salana dévisage le petit gars allongé en repoussant les cheveux qui lui mangent le visage. S'il n'avait pas eu la face si arrangée il aurait même pu être beau. Mais là difficile de le voir. Et si en plus il était pas causant, il était pas gâté le pauvre.
Hey ! Faut qu'tu m'dises où t'as mal.
En attendant qu'il réponde elle essaie de voir en vain au moins les blessures visibles. Nez éclaté ça pisse toujours le sang. Par contre la jeune roussette grimace au vu d'un doigt manquant. Là y avait urgence. Désolée d'avance pour la chemise du jeunot, elle lui en arrache un pan d'un coup de lame fine pour l'entortiller serré autour de sa main en appuyant fermement sur son avant bras avant qu'il se vide de son sang comme un porc.