Ils ont quitté la Guyenne sans un regard en arrière, savourant les heures silencieuses dune chevauchée paisible les menant au petit trop vers leur famille, savourant le plaisir infini de se savoir enfin complets. Deux moitiés dun tout, différentes mais indissociables, que le temps maltraite parfois mais réuni toujours. Peu de mots échangés mais de nombreux regards, sans détours. Quelques sourires.
Mais la courte foulée du bidet jaunâtre que monte litalienne depuis que le Gypaète la remise en selle ne saurait rivaliser avec les longues enjambées du cheval de son balafré
- Avanti amore mio ! Je te rejoins dans moins dune journée.
Elle tend vers lui une main brune, aussi tannée que le cuir des brides quelle manie avec laisance que confère lhabitude, pause sa paume tiède sur la joue quelle marqua autrefois de toute la fureur de sa passion, bruyante et dévastatrice. Les ténèbres insondables de son regard se fondent dans la lumière infinie de ses yeux, un doigt léger court le long de la cicatrice comme pour souligner les mots qui sont gravés dans leurs chaires, quils nont jamais prononcé parce quils sont superflus et éculés, bien trop insipide pour ce qui les unis.
- Avanti
Un clappement de langue, une pression des talons dans les flancs de sa monture qui prend un trot enlevé et disparaît bientôt à sa vue, englouti par la pinède. Persistance rétinienne psychosomatique : Elle le regarde longtemps après quil ait disparu.
Ramenée à la réalité par les meuglement impatientés son affreux double dont la teinte approximiteuse vire à lorange par temps humide, litalienne reprend elle aussi son chemin.
Le soir tombe sans bruit sur Mimizan lorsquelle parvient aux abords de la ville côtière. Pas question de dormir à lauberge, elle garde son maigre pécule pour se racheter une lame. La solution la plus simple sans aller jusquà passer la nuit en selle consiste donc à pousser encore un peu en espérant dégoter un taillis accueillant. La Vilaine imprime à Potiron-le-poney-pouilleux une pression de la jambe droite pour lui faire quitter la route et tous deux pénètrent sous le couvert des pins maritimes. Ils avancent ainsi parallèlement à la route durant un bon moment, le bruit de leur progression étouffé par le tapis daiguilles de pin, lorsquun bruit de charrette se fait entendre. Une forte odeur de marée signe la nature du convoi.
Santa Madonna
ya que les mareyeurs pour voyager de nuit
inconscient ! Menfin je suppose quil faut ça pour que la livraison soit à peu près comestible à larrivée
De toute façon, pas mes oignons
Sauf que
ça lui démange à la Vilaine. La faute au faucon barbu.
Nan. Oublies-ça. Tu sors juste de zonzon
et ça schlingue dans leurs bouibouis
Ma ! Qué ?... Cest quoi ces raggazzini ?...
Deux silhouettes sveltes, têtes brunes, capes noires, se sont jetées en travers de la route, effrayant le cheval de trait qui regimbe puis sarrête avec un hennissement paniqué.
- Euhhhhhh
Salut
- Hors de mon chemin sales morveux ! Ou je vous écrase !
Le charretier pas franchement intimidé ne semble pas en être à son premier convoi. Rabelais, la trogne rougeaude et lil étroit, ses avants bras massifs aux mains comme des batoires brandissent déjà la chambrière en direction des apprentis brigands.
Oulà
ça sannonce mal. Pauvres gosses ! Alors ni une, ni deux, elle talonne son Poupou et fonce. Juste le temps de ramener sur son nez son foulard poussiéreux et la voilà itou en travers du chemin. Moment de flottement du côté des bleus, du genre : hééé ! Cest qui celle-là ? Quest-ce quelle vient fiche dans MON racket ! Et puis cest quoi ce machin orange avec des pattes ? Pas mal en fait, le poney orangeasse, comme diversion
Faudra quelle sen souvienne.
- Lâche ta cravache lapache, où jte la fais bouffer. Lance-t-elle dune vois forte et nonchalante. En général ça impressionne.
Et puis comme ça au moins, si jamais le foulard avait laissé un doute, tout le monde sait de quel côté elle se range. Le charretier la lorgne avec amusement, puis change de couleur
Sur sa face rubiconde une question semble inscrite en toutes lettres : Bon Dieu mais combien sont-ils dans ce Bon Dieu dbois ? Cest loccasion parfaite.
Avisant le brigand dont la vois mal assurée trahissait la jeunesse plus encore que linexpérience, elle lance, faussement autoritaire en désignant le sous-bois d'un mouvement du menton :
- Retourne près des autres, *Bon Dieu pourvu qu'ils jouent le jeu...* Môssieur va gentiment nous laisser la boustifaille. Et aussi son cheval et son fouet. En fait
laissez tout et barrez-vous avant que je décide quune flèche dans le dos est la seule chose que vous méritez pour avoir menacer des enfants ! Ouais bon
des enfants prêt à le dépouiller mais bon
Il fronce les sourcils, crispe les mâchoires, on sent dici quil hésite : bluff ou pas bluff
? Battre le faire tant quil est chaud, sans le quitter des yeux litalienne au regard dobsidienne lève un main au ciel, signal factice à un archer imaginaire, ce qui lui donne toute sa force dailleurs. Le convoyeur mastoc décide finalement que le jeu nen vaut pas chandelle. Probable de toute façon que le chargement nest pas à lui
- Holà, on scalme daccord
moi jai rien contre les mômes hein
même que jles adore. Alors on sdétend hein ! Jvous laisse le tout, jmen vais
Ce quil fit en effet. Descendant en ahanant de son siège surélevé il jette sur son épaule un ballot crasseux et prend ses jambes à son cou.
Quelques seconde passent
à peinent troubler par le souffle puissant des montures. Lorsquelle est certaine que le bonhomme est assez loin, elle relâche enfin sa respiration et lance un
Wouhouuu jubilatoire provocant la fuite désordonnée de quelques couples de pigeons et d'un floppée d'écureuils :
- Santa Madonna de @ %°§¤ *$ !!!! Sacré coupe de ramponneau, hein ?! Ciao, Ciao ! Je mappelle Isadora da Vinci. Est-ce que tout le monde va bien ?_________________