De la découverte dune présumée relique dans les sous-sols de Bruges. par Guy de Dampierre
Je vais par ces lignes vous narrer lhistoire qui marriva au cours des années 1458 et 1459 à Bruges et ailleurs et qui concernent la découverte dune relique qui pourrait être un souvenir du Sang de Christos. Cette chronique concerne la découverte, mais aussi ses prémisses et les tribulations qui la suivirent. Et ce jusquà lheure où jécris, au milieu de mai 1459.
Que ce texte puisse vous éclairer quant aux circonstances et aux faits qui se déroulèrent durant ce laps de temps.
Au milieu du printemps de lAn de Grâce 1458, emménageant en ma propriété de Bruges, sise au 4 rue dAristote, je tombai par le plus grand des hasards sur une découverte des plus curieuses. En effet, explorant le cellier de lhabitation que javais acquise à peine quelques jours plus tôt, à la recherche de quelques objets qui maurait pu être utile, je chus à travers le sol pour me retrouver dans une cave encore inférieure à celle connue de tous. Cette chute aurait bien pu mêtre fatale si une couche deau arrivant jusquà hauteur de mollet namortit le choc. Avec bonheur, je neus à déplorer la moindre blessure de ma brutale descente.
La nature du trou béant que javais au dessus de moi ne laissait pas de doute quant au caractère volontaire de la fragilité de la maçonnerie qui le dissimulait jusqualors. Ce lieu aurait pu se transformer en piège si ce nétait sans laide heureuse de mon serviteur, Piet, qui me sortit de ce mauvais pas grâce à une échelle rapidement amenée.
Cette première découverte, qui nétait que la prémisse de beaucoup dautres, attisa bien entendu ma curiosité, et jentrepris dexplorer succinctement les lieux. De retour dans lantre avec une torche, jen examinai lintérieur et se découvrit à mes yeux une grille de fer qui, bien que vieille, me fermait solidement laccès à un étroit couloir dont je ne pouvais distinguer que les premiers mètres. Après quelques infructueux essais, jarrivai à la conclusion quil me faudrait plus que mes bras et mes pieds pour parvenir à forcer lentrée vers ce nouveau monde.
Demandant à mon fidèle Piet de bien vouloir me trouver quelques solides outils, je me résolus à rechercher dans les bibliothèques et archives la nature de ce souterrain. Mais bien vite, jeus à interrompre mes investigations car la ville de Gand fut victime dun pillage et lost comtal, dans lequel je servais alors, fut envoyé sur place pour reprendre le contrôle de la situation.
Cest à mon retour que laffaire connut un tour nouveau et inquiétant. A lapproche de ma demeure, je fus frappé de voir quelle avait été soigneusement barricadée par de solides volets. Frappant à mon propre huis, mes deux domestiques mouvrirent avec prudence. Armé dun gourdin, le brave Piet sembla bien soulagé de me voir. Lui et son épouse Marijke semblaient désemparés et craintifs. Jignorais de quoi et je les en interrogeai. Ce que jappris et vus alors me glaça le sang. Mexpliquant quil avait été réveillé la veille par de lourds bruits métalliques, Piet memmena dans la cave secrète. La torche quil porta devant moi fit apparaitre à ma vue ce quil avait alors découvert : deux corps affreusement mutilés. Quatre chaînes portant chacune de lourdes boules à la façon de celles que lon retrouve sur les fléaux darme pendaient, maculées de sang, du plafond. Quelques unes de ces boules piquetées de métal, tombées den haut, avaient achevé le travail destructeur et avaient annihilé toute chance de survie des pauvres bougres qui navaient pris aucune précaution avant de saventurer dans létroit boyau.
Remontant à la surface, éclairé par la lumière des flammes, je distinguai une inscription sur une colonne : « IOANNES.DEGROOTIUS.FECIT », Jean De Groot la fait. Ce nom me rappela bien quelque chose, mais sur le moment je jugeai plus urgent décrire à la Bourgmestre de Bruges, Maryse dAssault, ainsi quà son Tribun, le Sieur Gwilherm de Harscouët, alors connu sous le nom de Brezhonneg. Maryse ne tarda pas à arriver.
Prenant connaissance du massacre, elle et moi nous résolûmes à camoufler ces morts en les faisant porter à la fosse commune qui accueillait toutes sortes de corps retrouvés dans les circonstances les plus diverses. Et cette circonstance nous apparut idéale, surtout que cette curieuse effraction de ma demeure invitait à la discrétion et à la prudence.
La Bourgmestre me chargea alors de reprendre mes recherches.
Aiguillé par lindication découverte sur la colonne du souterrain, je réunis sans mal un nombre considérable dinformations concernant mon habitation et son premier occupant, Jan De Groot, dont la résidence fut divisée pour en former trois : la mienne, sa voisine et sa sur-voisine. Rayé des carnets de la ville et de ses annales, certains documents évoquent tout de même ce personnage qui aurait été, au crépuscule du siècle dernier et à laube du nôtre, un influent magistrat de la Commune de Bruges. La période fut trouble, notamment de par les combats incessant entre les monarchies française et anglaise et que nous connaissons sous le vocable de « guerre de cent ans ».
Mais du souterrain sous sa maison, nulle trace, nul relevé, pas plus dans les archives que dans les cadastres que dans les chroniques dalors. Une seule chose me parvint au hasard de mes recherches : un poème :
« Sous la terre
Nous ne trouverons les enfers
Mais le purgatoire
Nous trouverons dans les couloirs
Prudence mortel
A trois quatre te le rappelle
A douze tels des aspics
Les carreaux piquent
A senestre
Ce ne sera pédestre
Et à Triton
Je ferai don
Même hors de son apanage
Le grand dieu fait ombrage
Et du ciel, la pluie
Peut t'ôter la vie
Mais si tu es vivant
Que tu as risqué ton sang
Il t'offrira le Sien
Alors qu'il l'a déjà fait tien »
La médiocrité de ces vers ne méchappa point, mais ils mintriguèrent tout de même. Pour trois raisons : leur médiocrité justement, qui auraient plutôt engagé son auteur à sen débarrasser ; leur complet manque de sens et la coïncidence de la première strophe avec la disposition des lieux ; mais aussi que je ne découvris aucun autre document manuscrit qui ne fut administratif des mains de cet homme. Je soupçonnai dans ce texte une sorte de guide, de plan, permettant danticiper le danger
un aide-mémoire pour le commanditaire de cet étonnant ouvrage dingénierie. Un calcul rapide me permit de confirmer mon intuition : trois toises séparaient lentrée du couloir des quatre chaînes meurtrières, «
A trois quatre te le rappelle » disait le manuscrit.
Je fis part de toutes mes découvertes à Maryse et au Tribun à peine quelques jours plus tard. Et sur cette base, nous décidâmes de prendre le risque daller de lavant en nous aventurant dans le souterrain.
De la première strophe, nous neurent point de mal à déduire quelle désignait le lieu, et les faits nous avaient cruellement indiqués le sens des deux premiers vers de la deuxième. Des deux vers suivant nous déduisîmes lusage de flèches ou de carreaux projetés vers les intrus. Et nous nous équipâmes en conséquence. En soupçonnant limplication de leau à létape suivante, nous ne savions de quelle façon elle se manifesterait, et javoue sans peine que du reste, nous étions bien peu en mal de deviner ce qui nous attendrait.
Equipé de longs et solides boucliers de bois et de cuir, nous avançâmes à lintérieur du boyau. Préparé à cette éventualité, et suivant la logique précédente, nous redoublâmes de prudence aux alentours de la douzième toise. Accroupis, le bouclier en avant, notre progression étant lente et délicatement opérée. Soudain, comme prévu, un mécanisme activé par notre propre poids, se déclencha, et une volée de flèches siffla à nos oreilles, bientôt suivi dune deuxième, dont nous ne tardâmes pas à sentir une partie se ficher violemment dans nos boucliers. En tout, une cinquantaine de projectiles avaient été envoyés.
Je massurai de la bonne santé de mes compagnons, tout en ne déplorant pour ma part quune simple égratignure, rapidement soignée par les bons soins de Maryse.
Revenu de ce choc entre nous et lhostilité de ces lieux, toujours en faisant preuve de prudence, nous continuâmes à nous avancer dans cet antre, nourris de linquiétude de ce qui nous attendait encore, mais encore plus convaincu de lintérêt de notre quête dont lobjet ne pouvait être négligeable en constatant limportance des moyens déployés pour le soustraire aux hommes.
Continuant notre chemin, le souterrain bifurqua à gauche, et jouant le rôle déclaireur, je chus dans une fosse remplie deau. Voila que Triton, le roi de la Mer, se manifestait à moi. Ce nest que grâce à la dextérité et à la force de Brezhonneg que la cotte de maille qui me protégea si bien des flèches ne mentraina point dans les profondeurs glacées. Forcés de nous défaire de nos trop lourds attributs pour engager la traversée, nous nous plongeâmes dans leau froide, et, à notre grande surprise, nous ne rencontrèrent pas trop de difficulté pour arriver de lautre côté. Aucun piège ne nous attendait là, et nous fûmes heureux de pouvoir traverser. Nous parvinrent même, en ne nageant que dune main, à translater une torche, dont la flamme rassurante éclairerait notre chemin.
Cependant, nous ne perdions rien pour attendre, et le premier pied mis hors de leau nous réservât son lot de péril. A peine arrivé, une hallebarde vint se ficher dans le sol à ma proximité immédiate, produisant ce sinistre bruit de métal vibrant. Reprenant mon souffle, jaidai mes amis à sortir de leau et nous nous mîmes à réfléchir. Regardant le sol, je remarquai que les dalles de pierre étaient chacune marquée dune lettre de lalphabet.
Défichant la lourde pique du sol, je la plantée avec force au hasard dans une des dalles, un « b ». Sans attendre, tombant du ciel, une deuxième hallebarde vint se planter exactement au milieu de cette lettre, laissant bien peu de chance à celui qui se serait trouvé là. Il était temps que nous nous remémorions les vers de léchevin communal De Groot : «
Même hors de son apanage, Le grand dieu fait ombrage, Et du ciel, la pluie, Peut t'ôter la vie » Les hallebardes, par une curieuse facétie et un non moins curieux humour faisaient clairement référence à la pluie qui pouvait ôter la vie. Il restait à déchiffrer la première partie de la strophe.
Remarquant in extremis, prêts à plonger dans ce piège, que Triton nétait point dieu des océans, mais quil nen était que le roi, notre pensée se rabattit sur le Très Haut lui-même. Repérant chacune des dalles pour en former le nom : D-E-U-S, nous nous avançâmes avec succès, mais non sans frayeur, vers des lieux plus accueillants, suivant avec confiance le chemin par Lui formé.
Ce nest que quelques mètres plus loin que nous fûmes tout simplement soufflés. Pénétrant dans une large salle, à larchitecture soignée mais aux murs abimés par lhumidité et le temps, nous vîmes au fond dicelle trôner un autel richement ouvragé sur le quel était posé une petite châsse de style gothique. Le coffre avait lui aussi manifestement bénéficié du talent des artisans les plus doués. Nécoutant aucune prévention de mes compagnons, et de façon bien imprudente, je le confesse, je soulevai le couvercle et ce que jy découvris mébahis au plus haut point et mon étonnement ne fit que sagrandir à la lecture de cette légende posée sur le rebord du coffre protecteur : « Sanguis Christi», Le Sang de Christos.
Pressé par je ne sais quel impératif soudain, je refermai le coffre pour que nous puissions le ramener à la surface. Mais à peine soulevé, un bruit sinistre se fit entendre : un puissant mouvement de tuyauterie semblait sêtre mis en marche et bientôt le bruit de lécoulement de cascades deau dans le souterrain se fit sentir. Un dernier piège nous attendait : linondation de la cave.
Reposant aussitôt la châsse, je louvris, et me saisi du cylindre de crystal et dor. Commença alors une course contre leau et contre les pièges qui restaient en activité et que nous devions repasser dans lautre sens. Cest à lissue dune course contre leau qui montait à une vitesse stupéfiante que nous parvinrent à rejoindre, non sans mal et sans effort, le cellier qui sinonda jusquau niveau des canaux voisins.
La consultation immédiate des autorités ecclésiastiques nous apparut indispensable et il ne nous fallut pas plus de quelques jours pour obtenir audience avec feu Monseigneur Thibaud de Leibundguth, Archevêque de Malines. Malheureusement, cest au cours même de notre entrevue quil défaillit dans la maladie qui le ramena vers le Très-Haut. Le prélat assurant lintérim, larchidiacre Petitcabri, agissant avec toute la prudence requise fut malheureusement aussi victime de brigands sur les routes flamandes et fut rappelée au Paradis solaire à son tour.
De fil en aiguille, il fallut attendre la nomination de Monseigneur Tibère dArcis pour que laffaire connaisse une nouvelle évolution. Lui touchant quelques mots de ma découverte, il me demanda de me présenter avec la relique à la cérémonie dordination du Père Luciobello, curé de Bruges. Pensant à une entrevue à lissue de la messe, jétais loin dimaginer ce qui allait suivre. Mordonnant de mapprocher alors que les fidèles étaient déjà réunis autour du nouveau prêtre, larchevêque se saisit de lobjet et le présenta aux Flamands réunis.
Je jugeai cette attitude peu prudente et lavenir me le confirma. Le scepticisme légitime des Flamands se fit rapidement jour. Décidant de faire montre dautorité, larchevêque alla jusquà faire prêter serment à la Comtesse Quiou sur le précieux objet et ce malgré lopposition et lhostilité de plus en plus farouche et décidée dune partie du clergé de larchidiocèse, en particulier de Beeky Maledent de Feytiat, Vicomtesse dAttigny et archidiacre de Malines.
Certes, Monseigneur Tibère ne céda pas complètement mais décida tout de même dutiliser une autre approche. Malheureusement, une maladie soudaine et mystérieuse le frappa à son tour et nul nentendit parler de lui pour une longue période. Encore une fois, un prélat flamand disparaissait et les rumeurs dune malédiction allaient bon train. Certains entendant à demi-mot que la relique pourrait être responsable. Mais respectant le vu de Monseigneur Tibère, je la conservai sous ma garde vigilante.
Cependant, nos pires craintes navaient pas à être fondées, puisque plusieurs mois plus tard, larchevêque fit à nouveau son apparition. Victime dun mystérieux mal, son domestique lavait emmené hors de Flandres pour des forts probables raison de sécurité. Ce qui ne peut manquer de faire penser à une coupable tentative dempoisonnement et donc dassassinat.
Il fut aussitôt à nouveau question de la relique, et le haut prélat me conseilla dentreprendre les démarches nécessaires à Rome pour que notre Sainte Mère lEglise puisse juger de lauthenticité et de la valeur spirituelle de lobjet. Cest dans ce cadre que je fis appel à laide de spécialistes en la personne des frères de lordre de Saint Thomas dAquin, mais aussi au Comté de Flandres, sous le sol duquel la relique fut découverte et que tout indique quil en est donc le propriétaire légitime.
GdD