Aymeric
[Hiver 1458-1459 ]
Pour ne pas changer, Aymeric fut convoquer dans le bureau du directeur pour une histoire de cailloux dans la soupe de la cantine. Il avait fait le coup avec des amis, dont l'ainé d'un officier royal, mais il avait été le seul à se dénoncer. Inutile qu'il se fasse tous sanctionner, et puis, il avait l'habitude des châtiments corporels de l'austère religieux. Dans ce collège pour progéniture de familles aisées, aucun écart de conduite n'était toléré, ce qui n'empêchait pas l'adolescent de se rebeller contre l'autorité.
Une fois de plus, vous prouvez que votre cas est désespéré.
La voix de l'homme résonne dans la pièce. Il tourne en rond derrière son bureau, vêtu d'une robe noire, les mains croisés dans son dos. Le visage d'une quarantaine d'années rougi par la colère, il semble essayer de garder son calme pour trouver une sanction appropriée, une punition à laquelle il n'avait pas encore pensé pour faire obéir cet esprit dissident.
Devant lui, la tête inclinée, le regard rivé sur le sol, silencieux, Aymeric, qui écoutait les réprimandes, les mêmes que la semaine derrière, et que la semaine avant encore. Il se sentait enfermé dans les salles de classe, il sentait mourir à petit feu lorsque tout le monde mangeait sa soupe au même rythme, sous l'il peu avenant des surveillants, il rêvait de liberté lorsqu'à de rares occasions, il pouvait voir un paysage. Son père l'avait envoyé ici pour apprendre, mais il avait le sentiment qu'il aurait été mieux formé à ses côtés. Il comprenait néanmoins cet homme qui voyait son bâtard comme une erreur de jeunesse.
Votre père a eu la bonté de vous payer une bonne éducation pour faire quelqu'un de vous, mais vous vous comportez comme un mécréant.
L'homme s'arrête, l'observe avec mépris. Le renvoyer aurait été une solution efficace, mais qui priverait l'établissement d'une pension. La maigre main ouvre un tiroir. Les yeux d'Aymeric se lèvent légèrement. Il sait ce qu'il est entrain de faire. Il ne sourcille pas en sachant que ce que ses longs doigts squelettiques tiennent fermement, c'est le manche du fouet.
Cela ne fait jamais plaisir au berger de punir ses brebis, dit-il d'une voix adoucie pour se donner bonne conscience. Un jour, vous me remercierez.
A ces mots, la mâchoire du jeune homme se crispe. Imperceptiblement, il resserre ses poings. Il le déteste. Il le hait pour sa façon de légitimer ses méthodes. L'idée de s'emparer de l'instrument de souffrance pour le retourner contre son maitre lui vient à l'idée, mais jamais il ne le fera. Il est en colère, mais pas assez pour ça.
Un long silence plane dans la pièce. Aymeric sait ce qu'attend l'homme, et il s'exécute. La tête toujours baissée, l'expression sur son visage est grave tandis qu'il retire sa veste aux couleurs de l'école. Il déboutonne ensuite sa chemise blanche, la fait glisser sur ses frêles épaules, la pose sur la veste avec lenteur pour retarder inutilement l'échéance.
Les mains posées sur le rebord du bureau, légèrement courbé pour offrir son dos décharné déjà marqué par d'autres châtiments à la violence de l'autorité. L'homme, satisfait de le voir se plier ainsi à la sanction, contourna le bureau pour se placer derrière le jeune homme. Il déplia la corde de chanvre, leva le bras et attendit que le supplicié commence à réciter l'ode à la foi Aristotélicienne, comme il est de coutume. Il articula chaque mot distinctement, presque avec ferveur, mais son esprit était ailleurs, dans une chambre d'auberge élégamment décorée où il attendait patiemment, presque une décennie auparavant.
Grâce à la pensée et la création du Très-Haut,
Nous pouvons vivre sur ce monde.
Grâce à l'éducation du prophète Aristote,
Nous avons retrouvé la voie Divine.
Grâce à Christos montré en exemple,
Nous savons de qui nous inspirer.
A la fin de la première strophe, le fouet s'abattit sur sa peau fine, y laissant un sillage rougeâtre. Les doigts crispés sur le bois du bureau, Aymeric dut lutter pour desserrer la mâchoire et continuer de réciter la prière car s'il ne le faisait pas, il devrait tout recommencer.
Pour oublier la douleur lancinante, il se concentra sur son souvenir, lorsqu'il était plus jeune, assis sur son lit, les pieds se balançant dans le vide, et qu'il entendit des pas dans l'escalier.
Tout les jours nous en sommes reconnaissant,
De vivre et prospérer pour Sa gloire.
Tout les jours nous en sommes reconnaissant,
de vivre dans la Foi et Sa lumière.
Nouveau coup de fouet. La pointe vient s'abattre sur la chair tendre de son flanc. Il se plie sur le côté, des larmes naissent au coin de ses yeux fermés avec force. Ses lèvres restent closes alors qu'il a envie de gémir, il ne veut pas faire entendre à son bourreau à quel point son travail est bien fait.
Dans sa tête, il voit la poignée tourner, la porte qui lui semblait si grande s'ouvre lentement pour laisser apparaitre une imposante silhouette vêtue d'un mantel sombre.
La Créature sans Nom,
Essaie de nous détourner.
La Créature sans Nom,
Veut qu'on s'égare de la voie divine.
La Créature sans Nom,
Nous trompe avec ses paroles.
Le religieux frappe encore, plus fort, pour ancrer cette strophe dans sa chair labourée. Il sent des gouttes de sang chaud ruisseler dans son dos. Il essaie de ne pas imaginer les larges traits qui s'entrecroisent sur son corps. Ses bras tremblent, tout son corps frémit. Ses lèvres, mordues avec force, laissent échapper un soupire de douleur. Son corps souffre, son esprit s'est replié sur lui-même.
L'immense silhouette retire son mantel et ses bottes, s'installe confortablement dans un large fauteuil et soupire d'aise. Lui, saisit le dessin qu'il avait fait : il y avait trois personnages, lui, plus petit que les deux autres, un homme couronné et une femme avec un tablier. Tous souriant devant un grand château au milieu de plein de verdure. Il s'approche de l'homme et lui donne son cadeau.
Mais grâce à la raison,
Qui nous donne le pouvoir de résister.
Mais grâce à la Foi,
Qui nous aide à passer les tromperies.
Mais grâce à l'amour,
Que Dieu Créateur et Père nous inspire.
Dernier coup donné. Dernière souffrance pour aujourd'hui. Les têtes grimaçantes qui sentent croustiller du gravier sous leurs dents ne valaient pas ce mal, mais c'était le prix à payer pour affirmer sa liberté. Les jambes, faibles, plient sous le poids de son corps qui lui semble si lourd. Les paupières mi closes, il voudrait de l'eau fraiche pour éteindre le feu qui lui brûle le dos ; il voudrait s'asseoir et prendre un repos bien mérité ; mais il se redresse en appuyant sur ses bras amaigris par les privations de nourriture. Il essaie de rester droit autant qu'il peut tandis que l'homme observe, espérant faire couler la discorde à travers les plaies béantes.
Et dans son souvenir, l'ombre sourit en saisissant le vélin, observe un instant le dessin et le chiffonne, agacé, devant les yeux brillants de l'enfant. Son cadeau finit dans l'âtre de la cheminée, rongé par les flammes. A l'époque, il ne comprenait pas.
L'ecclésiastique retourne s'asseoir à son bureau, tandis que l'adolescent entrouvre ses lèvres carminées pour l'ultime provocation, la fin de la prière prononcée comme un reproche envers l'homme qui rangeait l'instrument souillé.
Nous savons nous défendre de la tentation et des péchés...
Il relève la tête, fier d'avoir passé cette épreuve, mais dans ses yeux brillent de la haine. Intimidé par tant de volonté, le directeur le congédia d'un mouvement de la main. Aymeric récupéra ses vêtements et sortit en claquant la porte derrière lui. Ce n'est qu'alors qu'il put se laisser aller, sans le regard de quiconque mis à part du Très-Haut. Il s'appuya contre le mur pour se laisser glisser au sol, le dos encore douloureux. Des larmes perlèrent sur ses joues tandis qu'il marmonna un appel à l'homme de son souvenir.
Père...
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Pour ne pas changer, Aymeric fut convoquer dans le bureau du directeur pour une histoire de cailloux dans la soupe de la cantine. Il avait fait le coup avec des amis, dont l'ainé d'un officier royal, mais il avait été le seul à se dénoncer. Inutile qu'il se fasse tous sanctionner, et puis, il avait l'habitude des châtiments corporels de l'austère religieux. Dans ce collège pour progéniture de familles aisées, aucun écart de conduite n'était toléré, ce qui n'empêchait pas l'adolescent de se rebeller contre l'autorité.
Une fois de plus, vous prouvez que votre cas est désespéré.
La voix de l'homme résonne dans la pièce. Il tourne en rond derrière son bureau, vêtu d'une robe noire, les mains croisés dans son dos. Le visage d'une quarantaine d'années rougi par la colère, il semble essayer de garder son calme pour trouver une sanction appropriée, une punition à laquelle il n'avait pas encore pensé pour faire obéir cet esprit dissident.
Devant lui, la tête inclinée, le regard rivé sur le sol, silencieux, Aymeric, qui écoutait les réprimandes, les mêmes que la semaine derrière, et que la semaine avant encore. Il se sentait enfermé dans les salles de classe, il sentait mourir à petit feu lorsque tout le monde mangeait sa soupe au même rythme, sous l'il peu avenant des surveillants, il rêvait de liberté lorsqu'à de rares occasions, il pouvait voir un paysage. Son père l'avait envoyé ici pour apprendre, mais il avait le sentiment qu'il aurait été mieux formé à ses côtés. Il comprenait néanmoins cet homme qui voyait son bâtard comme une erreur de jeunesse.
Votre père a eu la bonté de vous payer une bonne éducation pour faire quelqu'un de vous, mais vous vous comportez comme un mécréant.
L'homme s'arrête, l'observe avec mépris. Le renvoyer aurait été une solution efficace, mais qui priverait l'établissement d'une pension. La maigre main ouvre un tiroir. Les yeux d'Aymeric se lèvent légèrement. Il sait ce qu'il est entrain de faire. Il ne sourcille pas en sachant que ce que ses longs doigts squelettiques tiennent fermement, c'est le manche du fouet.
Cela ne fait jamais plaisir au berger de punir ses brebis, dit-il d'une voix adoucie pour se donner bonne conscience. Un jour, vous me remercierez.
A ces mots, la mâchoire du jeune homme se crispe. Imperceptiblement, il resserre ses poings. Il le déteste. Il le hait pour sa façon de légitimer ses méthodes. L'idée de s'emparer de l'instrument de souffrance pour le retourner contre son maitre lui vient à l'idée, mais jamais il ne le fera. Il est en colère, mais pas assez pour ça.
Un long silence plane dans la pièce. Aymeric sait ce qu'attend l'homme, et il s'exécute. La tête toujours baissée, l'expression sur son visage est grave tandis qu'il retire sa veste aux couleurs de l'école. Il déboutonne ensuite sa chemise blanche, la fait glisser sur ses frêles épaules, la pose sur la veste avec lenteur pour retarder inutilement l'échéance.
Les mains posées sur le rebord du bureau, légèrement courbé pour offrir son dos décharné déjà marqué par d'autres châtiments à la violence de l'autorité. L'homme, satisfait de le voir se plier ainsi à la sanction, contourna le bureau pour se placer derrière le jeune homme. Il déplia la corde de chanvre, leva le bras et attendit que le supplicié commence à réciter l'ode à la foi Aristotélicienne, comme il est de coutume. Il articula chaque mot distinctement, presque avec ferveur, mais son esprit était ailleurs, dans une chambre d'auberge élégamment décorée où il attendait patiemment, presque une décennie auparavant.
Grâce à la pensée et la création du Très-Haut,
Nous pouvons vivre sur ce monde.
Grâce à l'éducation du prophète Aristote,
Nous avons retrouvé la voie Divine.
Grâce à Christos montré en exemple,
Nous savons de qui nous inspirer.
A la fin de la première strophe, le fouet s'abattit sur sa peau fine, y laissant un sillage rougeâtre. Les doigts crispés sur le bois du bureau, Aymeric dut lutter pour desserrer la mâchoire et continuer de réciter la prière car s'il ne le faisait pas, il devrait tout recommencer.
Pour oublier la douleur lancinante, il se concentra sur son souvenir, lorsqu'il était plus jeune, assis sur son lit, les pieds se balançant dans le vide, et qu'il entendit des pas dans l'escalier.
Tout les jours nous en sommes reconnaissant,
De vivre et prospérer pour Sa gloire.
Tout les jours nous en sommes reconnaissant,
de vivre dans la Foi et Sa lumière.
Nouveau coup de fouet. La pointe vient s'abattre sur la chair tendre de son flanc. Il se plie sur le côté, des larmes naissent au coin de ses yeux fermés avec force. Ses lèvres restent closes alors qu'il a envie de gémir, il ne veut pas faire entendre à son bourreau à quel point son travail est bien fait.
Dans sa tête, il voit la poignée tourner, la porte qui lui semblait si grande s'ouvre lentement pour laisser apparaitre une imposante silhouette vêtue d'un mantel sombre.
La Créature sans Nom,
Essaie de nous détourner.
La Créature sans Nom,
Veut qu'on s'égare de la voie divine.
La Créature sans Nom,
Nous trompe avec ses paroles.
Le religieux frappe encore, plus fort, pour ancrer cette strophe dans sa chair labourée. Il sent des gouttes de sang chaud ruisseler dans son dos. Il essaie de ne pas imaginer les larges traits qui s'entrecroisent sur son corps. Ses bras tremblent, tout son corps frémit. Ses lèvres, mordues avec force, laissent échapper un soupire de douleur. Son corps souffre, son esprit s'est replié sur lui-même.
L'immense silhouette retire son mantel et ses bottes, s'installe confortablement dans un large fauteuil et soupire d'aise. Lui, saisit le dessin qu'il avait fait : il y avait trois personnages, lui, plus petit que les deux autres, un homme couronné et une femme avec un tablier. Tous souriant devant un grand château au milieu de plein de verdure. Il s'approche de l'homme et lui donne son cadeau.
Mais grâce à la raison,
Qui nous donne le pouvoir de résister.
Mais grâce à la Foi,
Qui nous aide à passer les tromperies.
Mais grâce à l'amour,
Que Dieu Créateur et Père nous inspire.
Dernier coup donné. Dernière souffrance pour aujourd'hui. Les têtes grimaçantes qui sentent croustiller du gravier sous leurs dents ne valaient pas ce mal, mais c'était le prix à payer pour affirmer sa liberté. Les jambes, faibles, plient sous le poids de son corps qui lui semble si lourd. Les paupières mi closes, il voudrait de l'eau fraiche pour éteindre le feu qui lui brûle le dos ; il voudrait s'asseoir et prendre un repos bien mérité ; mais il se redresse en appuyant sur ses bras amaigris par les privations de nourriture. Il essaie de rester droit autant qu'il peut tandis que l'homme observe, espérant faire couler la discorde à travers les plaies béantes.
Et dans son souvenir, l'ombre sourit en saisissant le vélin, observe un instant le dessin et le chiffonne, agacé, devant les yeux brillants de l'enfant. Son cadeau finit dans l'âtre de la cheminée, rongé par les flammes. A l'époque, il ne comprenait pas.
L'ecclésiastique retourne s'asseoir à son bureau, tandis que l'adolescent entrouvre ses lèvres carminées pour l'ultime provocation, la fin de la prière prononcée comme un reproche envers l'homme qui rangeait l'instrument souillé.
Nous savons nous défendre de la tentation et des péchés...
Il relève la tête, fier d'avoir passé cette épreuve, mais dans ses yeux brillent de la haine. Intimidé par tant de volonté, le directeur le congédia d'un mouvement de la main. Aymeric récupéra ses vêtements et sortit en claquant la porte derrière lui. Ce n'est qu'alors qu'il put se laisser aller, sans le regard de quiconque mis à part du Très-Haut. Il s'appuya contre le mur pour se laisser glisser au sol, le dos encore douloureux. Des larmes perlèrent sur ses joues tandis qu'il marmonna un appel à l'homme de son souvenir.
Père...
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