Ambre_
Citation:
14-04-2011 04:14 : Quand vous ouvrez les yeux, tout est noir. Un peu inquiet, vous tentez de vous lever et vous comprenez que vous avez dormi avec une barque sur la tête. "Une barque ?? Mais qu'est-ce que c'est que ce jeu débile où des barques apparaissent pendant la nuit, sur la tête des gens ?" Une seule explication : quelque part ailleurs, une anti-barque a dû se matérialiser sur la tête de quelqu'un d'autre, afin que la quantité totale de barques soit conservée au passage de la nuit.
[Au 3, avenue Sainte Nathan, hébergée par un promis en pause chouchenesque dans la nef de l'église de Rennes]
Mi avril, les pommiers précoces épanouis couvraient la cour du toit de fleurs parfumées en cette matinée là , et semaient incessamment une pluie tournoyante de folioles roses qui tombaient sans fin sur les gens qui passaient au ras de la barrière et sur lherbe avoisinante.
Volets ouverts jusqu'à claquer maladroitement contre les murs, victime d'une vigueur printanière nouvelle chez la rousse échevelée en chemise de nuit légère, Elle avait d'ores et déjà l' envie de s'évader vers ce gazon ras qui borde quelques plages lointaines quitte à y aller à cheval, ses plantes de pieds avaient faim du tapis fin et souple qui pousse au bord de labîme sous le vent salé du large.
Et, chantant à plein gosier, le cheval trottant paisiblement, crinière au vent balayant l'air dans le même sens que la chevelure flambante de la rousse, regardant tantôt la fuite lente et arrondie dune mouette promenant sur le ciel bleu la courbe blanche de ses ailes, tantôt, sur la mer verte, la voile brune dune barque de pêche, où un vieux pêcheur paisiblement assis, fêtait ses noces avec la mer, on aurait cru qu'il la caressait du regard, qu'il adulait ses vaguelettes bienveillantes d'une mer globalement calme qui l'apaisent dans les bras de cette étendue.
Elle crut l'apercevoir attraper un poisson au ventre argenté frétillant puis..il le rendit à la mer. Ce geste de la part d'un homme pour qui le large était un gagne-pain, l'étonna si bien qu'elle voulut en avoir le coeur net, elle attendit la prochaine prise à qui il réserva le même sort, ainsi de suite.
Quelques moment plus tard, s'arrachant à ce spectacle, les pieds nus repus de leur promenade, c'est debout sur la crête d'un coteau, la vue captivée par ce pêcheur, dressée comme un mât pavoisé sa robe en lin flottant bruyamment , c'est là que ses entrailles prirent le relais, et crièrent famine.
Heureusement durant sa balade, un fumet gourmand émanant de quelque chaudron, tel un voile de gaze les avait suivi elle et son cheval et les avait enrubanné sans les toucher, si bien que chevauchant sa monture pieds nus, sans même la diriger quelque part, ils se virent elle et son canasson revenir comme aimantés, vers cette auberge isolée.
On lui mit son couvert devant la porte, et elle dépeça à coups de dents les membres maigres de la poule sous croûte de gros sel en buvant du chouchen clair et en mâchant du gros pain d'orge, vieux de quatre jours mais dieu qu'il était bon.
Les joues rosies par les embruns iodés, quelques pétales de fleurs de pommiers prisonnières de deux mèches rousses enjouées, elle léchait son assiette, les yeux léchant le paysage autour d'elle, et buvait son chouchen quand c'est la liesse qui lui donne l'ivresse..soudain passèrent quelques enfants se gaussant sans discrétion de leur butin de guerre, capturant des crapauds téméraires et frêles de s'être montrés avant l'été, avant d'être assez gros pour qu'on les captive avec moins d'aisance.
Le fait est que l'un des crapauds tenus par deux petites mains potelées et sales, avait la patte pendouillante comme si elle était blessée et la rousse ne s'y méprenant pas, sortit de sa bourse deux écus et s'en va échanger le batracien contre cette petite fortune aux yeux ébahis du gamin qui détala à la poursuite de la bande, craignant sans doute que la dame folle ne revienne à la raison et ne reprenne ses écus.
L'amenant dans la cuvette où elle s'est lavé les mains, elle sortit de son escarcelle un ruban qui servait à attacher ses cheveux, et là crapaud réhydraté à la patte étalée sur la table, elle lui un pansement pour qu'elle guérisse à l'endroit. Le relâchant précautionneusement dans une pièce de trèfle, elle le laissa libre de s'en aller se sustenter, pour revenir à la table laisser près de son assiette vides l'addition.
C'est seulement à cet instant en ramassant ses affaires qu'elle remarqua le pêcheur vieux, visage buriné par le soleil, les rides aussi creuses que des lits de rus désertés par l'eau qui les a creusé pourtant, les doigts calleux et épais coupaient un morceau de pain aussi épais que le sien, mais le regard qu'il lui réservait était des plus bienveillants. L'aubergiste qui avait suivi la scène avec des yeux effarés comme ceux du chat-huants surpris en plein jour, se tourna vers le pêcheur qu'elle semblait connaître et de lui chuchoter d'une voix audible
« Croiriez-vous, monsieur, quall a ramassé un crapaud
dont on avait pilé la patte, et quall la porté su table, et
quall la mis dans une cuvette et quall y met un pansage comme
à un homme. Si cest pas une profanation ! »
Nul mot ne fut partagé, nul mot échangé, malgré des visages aux expressions indicibles, quelque chose dans les yeux de la rousse et du vieux pêcheur faisait lien, sans qu'elle n'aie pu la palper, détournant ses mirettes grises de ce visage qui respirait la sagesse, elle s'éloigne le ventre lui aussi repu, après les pieds, vers sa monture, "faire le rapin" comme lui disait son père quand elle partait parcourir les chemins de temps à autre fuyant son emprise, et ses ordres incessants, retrouvant une indépendance vitale pour la rousse, celle là même qu'elle a aimé chez son promis. Si bien qu'elle n'a fait que l'accompagner, vouant une sacralité telle pour ses choix à lui, sa vie, son indépendance, sa liberté.
Un oiseau éjointé, cloué au sol n'est jamais beau à regarder, il a en lui une telle tristesse de ne plus atteindre le firmament que souvent ils se laissent mourir, ainsi était à ses yeux cette liberté pour elle et son futur époux :Essenti-ailes.
Pour ce matin là, elle suivait les sentiers au hasard. Libre, sans entraves daucune sorte, sans soucis, sans préoccupations, sans penser même où elle va pendant cette balade. Elle va par le chemin qui lui plaît, sans autre guide que sa fantaisie, sans autre conseiller que le plaisir des yeux. elle sarrête parce quun ruisseau l'a séduite, parce quelle sentait bon les pêts de nonne frire quelque part devant la porte dun hôtelier. Parfois cest un parfum de clématite qui a décidé son choix, ou lillade naïve dune fille dauberge qui essuie les tables tout en attirant les clients de ses sourires.
Et comme toutes les choses agréables avaient une fin, au coucher du soleil, ses pas l'amènent elle vers l'emplacement même où elle vit le pêcheur, à la recherche de ce lien à peine tangible et insensé qui s'est noué entre eux pour...trois fois rien?
Cest un soir tiède, amolli, un de ces soirs de bien-être où la chair et lesprit sont heureux. Tout est jouissance et tout est charme. Lair tiède, embaumé, plein de senteurs dherbes et de senteurs dalgues, caresse lodorat de son parfum sauvage, caresse le palais de sa saveur marine, caresse lesprit de sa douceur pénétrante. Elle allait maintenant au bord de labîme, au-dessus de la vaste mer qui roulait, à cent mètres sous nous, ses petits flots. Et elle boit, la bouche ouverte et la poitrine dilatée, ce souffle frais qui avait passé lOcéan et qui lui glisse sur la peau, lent et salé par le long baiser des vagues.
Pendant cette attente, l'esprit ne tenant point en place, il continue ses errances et si tous les chemins mènent à Rome, toutes ses élucubrations, toutes ses méditations et ses rêveries mènent irrémédiablement vers l'essentiel..Lui son chevalier. L'instant même où elle l'atteint de ses pensées, son coeur cesse de battre un instant révérencieux du souvenir de sa voix qui l'étreint vive encore au creux de son oreille, ses narines se dilatant avides du parfum chaud et poivré de sa peau qui les envahit..paupières closes assise là sur le sable encore chaud d'un soleil couchant, le corps emmitouflé dans un châle, qui rappelle ses bras, sa présence tellement solide et tellement mâle , comme un tuteur droit contre qui pousser, fleurir, éclore, fleurs lancées en l'air, mais appuyée contre lui, tout contre.
Ouvrant les yeux, le corps consumé par l'absence matérielle de son âme soeur, elle voit le ciel s'embraser, admire lincendie formidable que le soleil couchant allumait sur la mer, elle descend les cent mètres la séparant de la plage de sable et de rochers, mais nulle trace du pêcheur.
Puis se laisse aller, dos contre une dunette de sable, le rejoindre même dans ses songes, bercées par le cri des mouettes qui modèlent le silence et celui rond et rassurant des vagues qui s'émoussent léchant le sable, lui rappelant lui les premiers moments de sa vie, souvenirs utérins quand on est ballotés dans le ventre d'une mer, dans une eau tiède en mouvance.
Mais le bruit devint plus sourd, comme si des centaines de gravats étaient lancés contre un morceau de bois, ou une porte..les paupières closes il faisait sombre, elle s'est endormi, et elle eut toutes les peines du monde à émerger de sa léthargie pour se souvenir où elle était précisément.
La présence du sable aidant, et le rebord arqué laissant passer un peu de clarté bleuâtre d'un ciel 'éclairé' par un voile de nuages, son dos trempé d'eau ruisselante, elle comprit qu'il pleuvait averse et qu'elle était sous une barque renversée au dessus de son corps, sur cette plage bien au nord de Rennes.
Tant bien que mal elle sortit de son cocon, puis remettant la barque à l'endroit elle reconnut le Triskell dessiné sur le ronflant de l'embarcation.
à l'évidence c'était celle de ce vieux pêcheur : Avait il voulu seulement la protéger de la pluie? ou la lui offrait il? l'esprit engourdi par le sommeil s'en trouva vite vivifié par la pluie tandis qu'elle rejoignait son cheval à l'abri d'un chêne..Sans doute ne saura-t-elle jamais, mais elle s'est promis de revenir, coûte que coûte, lever le voile, ou plutôt la barque, sur le mystère de cet acte.
_________________