Cela faisait maintenant plusieurs jours que Hannibal employait la majorité de son temps éveillé à faire les cents pas dans la tour d'astrologie, bougonnant pour lui-même une litanie incessante. Un bref coup dil à la silhouette du bonhomme suffisait à comprendre à quel point la situation devait être hautement inhabituelle.
De fait, le gros grec était totalement préoccupé. Les évènements des jours passés, ou plus exactement, l'évènement majeur qu'avait constitué la mort de son oncle Odoacre, venait de bouleverser le cours de son existence tranquille.
Le corps du vieux barbu reposait non loin, dans cette tour qui était sienne, entouré de bougies multicolores et d'encens opaques destinés à masquer d'éventuelles odeurs de pourrissement. Hannibal avait ordonné qu'il soit étendu là, sur un lit confortable, et que soit entretenu son corps avec soin. Aussi les domestiques de la tour se relayaient-ils dans la pièce enfumés pour changer les bougies, et apprêter le corps dans la mesure du possible.
Toute la question était de savoir en vue de quoi l'apprêtaient-ils.
Au demeurant, la mort avait été constatée officiellement, Hannibal ne gardant pas porte close à ceux qui voulaient se recueillir devant la dépouille. Mais il préférait le savoir ici, près des siens, à l'abri du tumulte malsain de cette cité grotesque qui, Hannibal en était sûr, avait précipité sa déchéance.
Le soin tout particulier qu'imposait Hannibal au domestiques relativement à la propreté du cadavre pouvait néanmoins surprendre quelque peu.
De fait, la chose devenait d'autant plus étonnante pour celui qui aurait été témoin d'une petite scène d'apparence anodine.
En effet, quelques instants après que l'enturbanné de Corinthe ait lui-même amené le corps de cet oncle qui, bien plutôt, était son père spirituel, alors qu'il présidait à l'agencement de la pièce aménagée au premier étage de la tour en vue de recevoir le corps, Daimones, l'homme bleu, l'homme de main d'Odoacre, était venu le trouver pour lui remettre un ensemble de documents, dont le souhait du défunt avait visiblement été qu'ils lui parviennent.
Ce corpus composait le testament d'Odoacre de Corinthe.
Hannibal n'en lu que quelques mots, le temps d'en identifier la nature, et les ferma aussitôt, les gardant jalousement sur lui et à l'abri des regards depuis lors.
On pouvait, et pour tout dire, on devait même légitimement se demander ce que le gros grec avait en tête relativement à tout ça.
De fait, tout n'était pas très clair, et l'agitation nerveuse que trahissaient les allers et venues obsessionnelles à travers l'enceinte d'une même pièce se comprenait ainsi.
De fait, la résurrection était chose commune à qui comprenait le monde à travers le prisme aristotélicien. Mais une chose était d'accorder foi à un dogme reçu comme abstrait, une autre de préserver la pleine teneur de cette conviction dès lors qu'il se présente à soi dans toute l'étendue de ses conséquences. En somme, Hannibal doutait ferme. La mort de son oncle était chose par trop cruciale, à la foi pour lui, mais aussi pour Rome et pour le monde en général, pour qu'il ne se sente pas moralement tenu de mettre toutes les chances de son côté. Au fond, et si les écritures se trompaient ? Le pauvre Odoacre serait perdu à jamais, et lÉglise de même en son absence.
Hannibal ne pouvait laisser faire cela, et avait choisi de forcer les choses.
Une missive rédigée à la hâte, le soir même du décès, était partie sans attente, confiée à l'homme bleu, lequel avait la charge de la conduire au plus vite à Paris, au cur de la cour des miracles.
Hannibal y parlait de famille, de devoir, d'amour fraternel et de sciences occultes depuis longtemps oubliées.
Depuis lors, le gros grec n'avait cessé de tourner en rond en grignotant les noix comme il comptait les heures.
A l'évidence, il attendait quelque chose.
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« Finalement, peu après la chute officielle de l'Empire romain d'Occident en 476, le pouvoir vandale est reconnu par le nouveau maître de Rome, le barbare Odoacre. »