L'auberge Arthéos accepta d'une main tremblotante la chemise tendue par Ana.Lise. Il glissa un léger et essoufflé merci avant d'enfiler le vêtement. C'était certain : si quelqu'un entrait dans la pièce, les rumeurs vagabonderaient telle une charge de cavalerie. Imaginons pire scénario : si Ghost pénétrait dans la chambre... Quoi imaginer ? D'horribles souffrances ? La mort immédiate ? Tout seul ? Avec Ana.Lise ? Qui sait... déjà que le duc entendait des voix dans sa tête... si celle-ci le persuadait de les tuer, sa raison s'évaporerait pour cette douce folie... Rien qu'à ces pensées, le jeune homme frémit encore plus. La duchesse se retourna alors et s'approcha de son valet qui tenta un triste sourire malgré tout. Mais il devait avoir l'air d'un chien malade car il n'inspira à la baronne que pathétisme et questionnement. Elle posa même l'une de ses douces mains sur l'épaule recroquevillée du jeune homme... Ce geste lui inspira confiance et une légère gêne. Il était étrange de voir à quel point on se montrait sensible au toucher d'une chose peu ordinaire. Le contact d'un objet par exemple ne surprenait pas. Au contraire, cette main, seulement cinq doigts et quelques phalanges, constituait une gêne... surtout quand c'était le geste d'un noble envers un domestique...
Un léger silence s'installa puis Ana.Lise se leva subitement et quitta la chambre laissant des instructions à Arthéos. Une idée ? Oh cela, elle en avait tout le temps la duchesse. Parfois des bonnes, parfois des mauvaises. L'une de ses meilleures fut de le prendre à son service... les mauvaises... disons qu'il se rappelait d'une en particulier... la folie du mouton et du jardinier... La chasse à l'ovin dans Chaumont. Quel souvenir fabuleux. Arthéos avait su calmer le sang bouillonant de sa maîtresse et sauvé un pauvre mouton presque innocent... Mais le prix fut assez terrible. D'accord il avait secouru la bête d'une sulfureuse tueuse à la lame facile, mais cette dernière lui ordonna qu'en retour, le domestique devait lui ramener sa laine ! Et la bataille commença dans la bergerie... le loup qu'était Arthéos était un très mauvais chasseur. Toutefois après plusieurs cascades, la tonte fut réalisée et c'est un domestique épuisé, sale, poussiéreux et recouvert de paille qui l'emmena à une duchesse qui retint difficilement son rire...
Ana.Lise quitta pour de bon la chambre et Arthéos se retrouva seul. Apeurante perspective pour lui après ce cauchemar. L'armoire qui grinçait toute seule, le plancher craquant, tout terrifiait le jeune homme et cette solitude ne faisait qu'aggraver son état. Seigneur, il fallait qu'il parle, qu'il se confie. Mais de quoi au juste ?! Que redoutait-il ? De quoi avait-il peur ? Ce brigand croisé à Reims l'avait-il terrorisé à ce point ? Ou était-ce toute autre chose ? Il était incapable de le dire... Dès qu'il fermait les yeux, dès qu'il sourcillait, il voyait la dague s'élevant dans les airs. Une scène atroce, une scène qui lui dressait les poils et parcourait son dos d'une sueur perçante et glaciale. Qu'avait-il donc fait pour mériter cela, pauvre qu'il était ? Lui le gentil, le sympathique, l'innocent, l'ange... il éprouvait remords, mépris, culpabilité et décadence... Tant de paradoxes, tant de contradictions, tant de pensées dans une si petite tête... Est-ce que tout cela tournait rond au moins ? N'y avait-il pas d'angles droits ou de virages difficiles à prendre ? Non... Arthéos était bien, nul trouble ne circulait dans son cerveau, merci bien.
Doucement, Arthéos enfila ses chausses et les laça. Il tremblait moins mais la peur était toujours présente. Le vent qui s'infiltrait par les interstices de la fenêtre le fit sursauter et il quitta rapidement sa chambre. Idiot pensait-il, toi qui aimes tant le vent qui s'insinue dans tes cheveux et caresse ton visage d'une douceur sans fin, voilà que tu en as peur ! Hochant la tête il descendit les escaliers vers la pièce de la taverne. Ana.Lise était là, resplendissante, assise à une table. Il se dirigea vers elle, tentant un vain sourire. Une fois assis, il vit devant lui un bol de lait et rien que trois tartines. Il regarde la duchesse et fut très touché de cette attention. S'installant, il ne put que la regarder et l'écouter. A sa question, peut-être était-ce insolent mais le jeune homme ne put se résoudre à lui répondre... Pour le lui faire comprendre, il entama une tartine bien que l'appétit soit absent. La baronne avait dû voir la gêne et les yeux vides du valet, elle enchaîna alors immédiatement sur son idée. Elle se pencha vers lui et il crut revivre cette soirée à Compiègne, où elle l'avait sauvé.
Elle le rassura, comme à son habitude. Il avait tant besoin de confiance en soi... Puis elle lui parla de pain sur la planche. Voilà qu'il allait devoir agir. Combien de fois avait-il entendu cette phrase. La suite l'intéressa alors grandement. Ana.Lise regardait si personne n'était autour d'eux. Les secrets recommançaient... oh pourvu qu'il n'ait pas à mentir au duc, il détestait cela. La duchesse exposa alors ses plans. L'entraînement aux joutes ! Cela faisait longtemps qu'ils n'en avaient plus parlé. Amusé, l'appétit revint et le domestique termina sa première tartine. Un terrain, une armure, des armes, des bottes de foin. La chose ne devait pas être sorcier. A la fin de la discussion, les tartines furent englouties, le sourire franc et joyeux revint même sur les lèvres du valet.
"Vous pouvez compter sur moi. Troyes Arthéos avait parcouru tous les forgerons de la ville. Il regardait leurs façons de travailler et surtout leurs têtes. Il fallait qu'ils soient aimables et gentils... Il fallait mieux piocher chez les plus âgés. Un homme à la moustache blanche et au visage rubicond lui parut très abordable. Le domestique s'approcha de sa forge et fit semblant de s'intéresser à quelques expositions, auxquelles il ne connaissait strictement rien.
"Sieur le Forgeron... peut-être pourriez-vous m'aider... L'homme parut d'abord réticent mais il accepta finalement. Le marché conclu par une poignée de main symbolique entre les deux misérables. Arthéos aurait une armure pour femme et deux épées contre des services rendus au forgeron. Il devrait entre autre, livrer des commandes pour lui faire gagner du temps. Quelle aubaine ! Il ne s'était pas trompé sur ce brave homme qu'il salua. Le domestique devait repasser le soir afin que le fabriquant ait le temps de trouver les pièces d'une même armure et d'aiguiser deux lames de bonne misère.
Dans Troyes, Arthéos vagabondait alors vers les écuries. Du foin, il y en avait en pagaille ! Mais toute n'était pas de la même qualité et certaines ne ressemblaient à rien pour tout dire... Seules les bottes d'une maison bourgeoise paraissaient convenir. C'étaient celles-là donc qu'il emprunterait. Quant au terrain d'entraîment, il fut facilement trouvé. A l'écart de la ville, à la lisière de la forêt, là où personne ne mettait jamais les pieds excepté pour se rendre dans cette partie des bois, se trouvait un endroit magnifique. Plat et légèrement en pente, à l'herbe douce et verte, le lieu accueillerait parfaitement les combats. Tout était donc réuni. Et en une seule après-midi ! Fier qu'il était le Arthéos ! Il rentra à l'auberge où il exposa ses découvertes à sa maîtresse. Non sans une certaine réticence, les deux amis arrêtèrent qu'ils emprunteraient donc les bottes de foin de ces bourgeois. Et le valet fut envoyé à la rescousse.
La nuit, après être passé chez le forgeron et que ce dernier lui ait fourni les armes, le jeune homme déposa le matériel au terrain, caché derrière un arbre. Puis, près de ces écuries, après que la maréchaussée ait fait sa première ronde, Arthéos s'engouffra dans le domicile des fiers chevaux. Ils n'émirent aucun dérangement quand ils aperçurent le jeune homme. Il fallait dire qu'il avait acquis une certaine notoriété chez les équidés... Une à une, les bottes furent volées. Le pauvre Arthéos les portait sur son dos jusqu'au terrain d'entraînement. Les maréchaux ne virent rien et il en fut bien content ! La nuit était profonde et obscure. La dernière botte, enfin ! Tout était prêt. L'armure, les armes, les bottes, le terrain... il avait accompli sa mission. Le valet déposa le foin et tomba à genoux sur l'herbe.
"Je... suis... fatigué... Et sans plus un mot, il s'étala par terre. Mi sur le sol, mi sur le foin, il s'endormit ici. Très dangereux le domestique ! Surtout si on le découvrait... mais il n'en avait cure. Sa mission était réussie, la terre pouvait maintenant s'écrouler... il dormait.
La nuit s'écoula, le soleil cmmençait à pointer ses rayons, l'endroit devenait incertain pour le dormeur du val, tranquille.