Deoteria
Thibauld n'avait toujours pas répondu aux interrogations de la gamine qu'ils débouchaient déjà dans une clairière occupée par une bicoque de rondins.
Oh! Elle ressemble à la cabane où je m'étais installée, à Vaudemont! Sauf que celle-ci, elle a pas l'air d'être abandonnée, regarde, y'a pas d'herbe devant la porte... Tu crois qu'y a quelqu'un? Tu connais des gens qui habitent ici? Tu crois que c'est...
Alors qu'ils étaient arrivés à quelques coudées de l'entrée, la p'tiote prit peur d'un coup: ben oui, elle savait bien qu'elle n'était de taille à se défendre que contre... un papillon!, juste un exemple, hein... et elle ne savait pas trop si elle pouvait compter sur la protection de l'adolescent "trop beau et trop musclé" à ses côtés... Alors en une seconde, elle imagina le pire qui pouvait passer dans sa cervelle de petite fille.
... des brigands des sorcières des vampires des dresseurs de rats des ogres des bourrels des trolls des dragons des éleveurs de moustiques?...
Un silence. Puis d'une voix plus enthousiaste:
... ou le roi des lutins?!
Abraxes, incarné par Letiti
Tudjeu ! Je sens que je vais m'énerver !
Le nez dans les racines, Abraxes pestait. Et encore plus lorsqu'il vit l'évaporée, la blonde, la minaudière, la qui-se-la-joue, l'alanguie, en train de le dépasser à grandes enjambées !
Non, mais c'est le monde à l'envers !
Quoique, à l'envers justement, tout bien considéré, vue de dos elle était à son avantage. Surtout maintenant que c'était le paysan qui était à terre. Enfin, bref, c'est pas tout ça, il était venu récupérer ses porcs volés, et ce n'était pas en se rinçant l'il dans les broussailles qu'il pourrait les retrouver. Il se releva donc tant bien que mal. Et, faute de meilleure idée, autant suivre la mijaurée, en grommelant.
Quelques chutes plus tard, à se prendre en permanence les pieds dans les racines (cette forêt avait été très mal labourée, preuve que les nobles étaient incapables de bien entretenir leurs terres), il pestait toujours, lorsqu'il sentit que
ça empestait, dans le coin.
Son odorat de cochonnier exercé eut tôt fait de distinguer une odeur de
Titi ? Ça venait de là, dans le taillis. M
ince alors, la trace était toute fraîche. Il se retint d'y plonger le doigt comme font les pisteurs aguerris pour évaluer la chaleur résiduelle et en déduire le temps d'avance de l'animal. Disons qu'à vue de nez, le Titi était passé par là, n'y repasserait certainement pas, et devait être passablement affaibli. Le bougre pouvait donc être rattrapé. Voilà qui était encourageant.
Il se remit en route, le nez au vent. Il était en train de se laisser distancer par Boucles Blondes lorsque son regard fut attiré par un autre éclat doré, un petit truc brillant dans une masse sombre à la fourche d'une branche d'arbre, qui devait être un nid de pie. Cette volaille-là est aussi chapardeuse qu'un Maje saumurois, c'est dire ! Aussi bien elle avait volé un joyau de la couronne, un truc à rendre riche toute la communauté villageoise
Et elle l'avait bêtement planqué dans le domaine d'un nobliau piqueur de cochons, qui garderait tout pour lui
Ou alors c'était encore un de ces kibrille-népador ?
Lluwella, incarné par Letiti
A peine commençait-il à se sentir un peu mieux (la preuve cétait quil avait commencé à lui donner un cours de stratégie) quil fut soudainement attaqué par une grosse boule de plume noire. Enervé le corbeau. On se demande bien pourquoi.
Lulu avait aussitôt sorti son arc et sapprêtait à tirer pour éliminer le teigneux (le corbeau pas Titi), quelle le prit en plein sur la poire. Plus très frais.
Elle regarda Titi dun air étonné. Il avait peut-être des pouvoirs finalement.
Elle le vit étalé dans les feuilles mortes, sans chapeau (cétait la première fois quelle le voyait sans chapeau à bien y réfléchir sauf quand elle ne savait plus qui le lui avait piqué. Même à son baptême et à son mariage il lavait gardé). Et surtout il avait une belle blessure à la tête qui saignait pas mal. Il avait pas loupé loiseau, mais loiseau lavait pas loupé non plus.
Malgré ça, il se mit à hurler :
Ahaaaa!
Bon y sont ou ces sanglier?!
Ca va saigner!
j'suis bien chaud maintenant
...
Ma teteee
Et remontant sur sa monture cochonesque après avoir remis son chapeau, il reprit sa route.
Lulu descendit de la sienne et appela Goinfrosaure qui fit immédiatement demi tour. Faut dire que lanimal était un estomac sur patte (un peu comme son cavalier) et que dhabitude quand elle lappelait cétait pour lui donner à manger.
Titi, laisse moi te faire un pansement, tu peux pas repartir comme ça.
Lulu loupait pas une occasion de mettre en pratique ce quelle avait appris à luniversité de Belrupt. Et elle avait toujours sur elle une besace bien équipée (nourriture, premiers secours, bougies
.).
Comme le maje rechignait à se laisser soigner, elle sortit largument choc : Quest-ce que tu penses que Linon en dirait si elle était là ?
Elle désinfecta la plaie avec un peu de lotion de thym et elle lui emmaillota la tête avec un magnifique bandage. Bon, cest sûr, des points de suture ça aurait été mieux, vu que la blessure était quand même assez profonde, mais bon on se contentera de ça.
Elle lui remit le chapeau sur la tête.
Et si on cassait la croûte ? Je commence à avoir un petit creux moi.
Elle sortit une miche de pain et un bon morceau de fromage de sa besace, et en coupa un gros morceau pour chacun. Elle tendit sa part au maje, qui commença à manger voracement.
Tout à coup il tendit un doigt vers elle, et essaya de dire quelque chose quelle ne réussit pas à comprendre.
Humpftentionhumpf apfgnééééeee.
Quoi ?
Le maje continuait à s'agiter de plus belle, cherchant à parler, mais manquant de s'étouffer à chaque instant avec la nourriture qu'il avait dans la bouche. Et il commença à tousser, tout en continuant à pointer le doigt vers Lulu.
Celle ci se retourna vivement, croyant qu'un animal était sur le point de l'attaquer. Mais non. Rien en vue.
Alors qu'elle se retournait vers Letiti, elle ressentit une violente brûlure au cou. Elle se donna aussitôt une grande claque avec sa main libre à lendroit de lattaque et en ramena une araignée bien velue. Et bien écrasée.
Saleté de bestiole.
Aussitôt Titi arrêta de gesticuler et rattaqua son casse croute en haussant les épaules.
Elle commença à farfouiller dans sa besace pour voir si elle avait pensé à emmener quelque chose pour calmer les irritations. Mais non rien. Il allait falloir attendre que ça passe tout seul .
Surtout pas gratter, surtout pas gratter, surtout
.
Deoteria
L'éclat de rire du grand explosa comme un beau soleil du matin, lorsque les rayons passent la cime des arbres de la forêt... La môme en eut un grand sourire béat, ravie de le voir lâcher la bride au naturel!
Il écartait ses craintes une à une sur les possibles habitants de cette cabane et la peur la quittait aussi vite qu'elle était venue. Puis son sourire se figea: le ton avait changé au fur et à mesure de la tirade et, quand il lui demanda si elle voulait savoir, même si elle s'empressa dacquiescer, elle sentit venir la suite...
L'averse, la douche, la rincée, le ciel qui se déversa d'un coup sur sa tête... Elle crut presque entendre le bruit du tonnerre qui se devait d'accompagner un tel changement de temps!
Parce que ça n'existe pas les lutins. D'accord ?
La petite reste bouche bée, tout un tas d'idées contradictoires se bousculant dans son esprit. Lutins or not lutins? luf ou la poule? où part le soleil quand il se couche? et le vent quand il est passé? et pourquoi les girafes?...
Elle sortit de son aparté mental quand Thibault s'avança dans la clairière. Alors elle chassa ces incertitudes, fronça les sourcils, serra les poings en bougonnant:
Ben non, pas d'accord! Pas de lutins? Quand on sait pas reconnaître du raisin de chien, on sait rien de la forêt, alors le croire...? Pff! Pourquoi pas aussi dire que l'homme peut voler ou qu'il va aller marcher sur la lune...!
Alors, juste pour dire qu'elle ne le suivait pas bien gentiment, comme il allait vers l'entrée, elle se dirigea vers l'appentis à l'arrière de la cabane.
Deoteria
En passant derrière la cabane, la petite Lorraine vit des parterres bien entretenus de plantes qui lui étaient inconnues et un tas de fumier banal à première vue mais... sur lequel traînaient des déchets inattendus, comme des restes de serpent ou des plumes noires, comme celles d'un corbeau!
*Doivent avoir des goûts bizarres, ces gens-là...*
Elle s'avança à pas de souris sur l'appentis qui, lui, était on ne peut plus ordinaire avec un billot, une hache et du petit bois, et trouva une porte entrouverte qui donnait sur une sorte de cellier. Elle aperçut des étagères couvertes de paniers d'osier, de boîtes de bois, de pots divers et de bouteilles de toutes formes et de toutes tailles. Une vraie réserve comme on pouvait en trouver dans n'importe quel habitat un peu éloigné de tout village, quoi, pas de quoi s'alarmer! Sauf que si Déo avait pu jeter un coup dil à ce qui était conservé dans les paniers et autres pots, elle se serait probablement alarmée...
Ne se doutant de rien, la gamine se glissa dans lentrebâillement de la porte et s'avança vers une autre ouverture donnant sur une autre pièce... Mais elle resta bien cachée dans le cellier parce que, de l'autre côté, regardant par la fenêtre et tapie le long du mur pour ne pas être visible de l'extérieur se tenait une silhouette noire avec une tignasse douteuse de cheveux blancs... La petite regardait la vieille qui regardait Thibauld qui lui... ne se doutait de rien!
Se recroquevillant pour ne pas être vue, la p'tiote sentit plus quelle ne vit son coude frôler un pot de terre sur l'étagère... Tout alors se décomposa comme au ralentis: le pot tout au bord de la planche bascula dans le vide..., elle comprit qu'elle allait être découverte par la vieille toute pas belle... et que la vieille toute pas belle serait sûrement pas contente d'avoir une petite fouineuse dans son cellier qui casse des pots... et qu'elle risquait fort de se faire tirer les oreilles... dans le meilleur des cas, parce qu'elle avait pas l'air tellement gentille, la vieille toute pas belle!!...
Alors comme l'était quand-même agile, la gamine, elle rattrapa le pot au vol, z'avez cru quoi?!
Mais là, elle eut la mauvaise idée de regarder dans le pot... Des yeux se braquèrent sur elle! Plein d'yeux, des globes tout ronds, gros comme des mirabelles et qui flottaient dans du vinaigre!!
Et là, par contre, tout alla très vite:
elle poussa un cri étouffé et lâcha le pot qui n'avait eu qu'un court sursis et finit par se fracasser au sol;
en même temps elle eut un bond de recul qui l'envoya cogner contre le montant d'une étagère:
tous les paniers, pots, boîtes et bouteilles subirent bien-sûr la loi de la pesanteur (qui est dure, mais c'est la loi), dans un grand vacarme de verre cassé, de bois éclaté et de fer entrechoqué
pendant que la gamine se retrouvait les quatre fers en l'air,
et qu'on entendait un fort juron fort malpoli en provenance de la pièce principale de la cabane!
Pour ne pas être en reste, le monde extérieur se manifesta aussi:
le ciel entra dans la partie en envoyant un énorme éclair pas bien loin, suivi très vite par un grand coup de tonnerre bien en colère,
et le sol se mit à trembler sous les sabots rageurs d'un grand animal sauvage:
pataclop
pataclop
pataclop
pataclop
pataclop
...
Et elle se demanda dans quoi elle avait mis les pieds...