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[RP]Retour à "La Vie"... Retour au "Vent" ...

Terwagne_mericourt
Depuis combien de jours, semaines, mois, avait-elle réellement quitté "La Vie"?

Elle ne parvenait pas à s'en souvenir avec exactitude. Pour tout dire, elle ne parvenait même pas à dire avec précision ni à quelle date, ni dans quelles circonstances elle l'avait quittée. Peut-être était-ce parce que ce départ s'était fait petit à petit...

Oui, à bien y réfléchir ce départ n'avait pas été comme une porte claquée avec violence, dans un moment de colère, au fond, et la raison de ce flou dans sa mémoire devait être à chercher là.

Cela avait plutôt été comme une perte de luminosité lorsque le soir tombe. On est attablé, penché sur un écrit, plongé dans ses pensées, et tout à coup, lorsque l'on relève les yeux, on s'aperçoit que la nuit est là et le soleil parti, sans même qu'on en aie eu conscience, sans pouvoir dire avec précision à quelle heure le jour s'est achevé et la nuit née... Oui, voila, c'était exactement cela : son appétit de vivre s'en était allé petit à petit, comme une fleur mourant feuille par feuille, comme une plage de sable fin se faisant engloutir vague après vague, et non par un raz de marée.

Les premières vagues qui avaient emporté son appétit, elle s'en souvenait encore parfaitement, c'était la politique qui les avait amenées, lors de son mandat de Gouverneur... Une tempête qui avait emporté pas mal de grains de sable, mais pas tous pourtant, et qui avait fini par se calmer, sans réussir à emporter tout, loin de là même.

Les vagues suivantes, plus fortes, plus poignantes, portaient en leur sein les visages de ce qu'elle nommait "sa famille", et étaient faites non d'eau salée mais bien de déception. Une déception qui avait pris tellement de place dans son coeur qu'elle avait réussi à lui couper toute envie d'encore sortir, parler, échanger, chercher à avancer.

C'était à cette époque, lui semblait-il, qu'elle avait réellement quitté "La Vie", celle qui est faite de rencontres, de sorties, d'investissement, pour épouser la solitude, celle qu'elle n'avait finit par briser que pour rejoindre Kernos en son domaine, certaine qu'à ses côtés la faim renaitrait en elle.

Et tout le long du chemin qui devait la mener vers lui, au coeur de ces montagnes qu'elle avait traversées pour rejoindre son domaine, au sein de cette neige qui lui avait mordu la peau, elle l'avait sentie la faim, en effet! Elle l'avait sentie renaitre en son ventre, grandir à chaque pas, devenir tiraillante, brûlante, faisant accélérer les battements de son coeur, battre ses tempes, trembler ses jambes... Une faim d'aimer, une faim de lui, une faim d'eux, mais surtout une faim de vivre et ressentir comme jamais encore elle n'en avait connu jusque là.

C'était avant que ses pas ne croisent ceux de ce nourrisson perdu au coeur de l'hiver, cette créature à peine née et qu'elle avait vu comme un don du ciel fait à la femme désespérée d'enfanter un jour qu'elle était alors, avant qu'elle le recueille, avant surtout que le ciel ne lui reprenne ( voir "Quand on coule, il y a deux possibilités")

A cet instant de ses souvenirs, une larme naquit au bord de sa paupière et elle ferma les yeux pour l'empêcher de rouler sur sa joue. La larme ne coula pas, en effet, mais les images affluèrent, les images de cette vie s'en allant contre son sein alors qu'elle même quittait "La vie". Oui, c'était à cet instant précis, qu'elle avait définitivement perdu l'envie, l'appétit, le souffle. A cet instant précis que le fil qui la retenait au monde s'était rompu!

Cela faisait plusieurs mois à présent. De nombreuses semaines faites d'isolement, de fuite, de soins prodigués à son âme dans le silence d'un couvent dont elle n'était sortie que ponctuellement pour rester en contact avec la Cour d'Appel et envoyer quelques missives à Kernos.

Kernos... Lui qui avait été tellement impuissant à cicatriser ses plaies qu'il n'avait trouvé d'autre solution que de la confier aux soins d'un couvent. Lui qu'elle s'était surprise à détester lors de ses crises de larmes, injustement, lui en voulant d'avoir la chance de connaitre les joies de la paternité quand elle-même n'aurait jamais la joie de donner la vie.

Elle l'avait détesté, oui, pour ensuite se détester elle-même de ressentir de tels sentiments à son égard, d'être aussi injuste dans sa peine, aussi monstrueuse dans sa douleur, aussi égoïste dans son naufrage.

Kernos... Qui n'avait répondu à aucune lettre depuis, qui lui manquait, qu'elle aimait de toute son âme, même si celle-ci n'était pas encore totalement guérie.

Kernos... Dont l'absence de nouvelles venait de la pousser à sortir de sa retraite pour de bon, à revenir à "La Vie". Cette "Vie" où il devait encore être, et où elle finirait bien par le retrouver, dusse-t-elle pour cela retourner tout le duché.

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Terwagne_mericourt
Retrouver Kernos... Voila ce qui avait motivé chacun de ses pas dès son propre retour à "La Vie".

Chacun de ses pas, mais aussi chacune de ses inspirations, chacune de ses expirations, chacun de ses écrits, chacune des portes de tavernes poussées en espérant - à défaut de le trouver derrière - dénicher celui ou celle qui pourrait lui donner de ses nouvelles, la rassurer, lui indiquer l'endroit où il se trouvait... Oui, chacun des mots qu'elle avait prononcés depuis n'avait été qu'interrogation dans le but de le retrouver, lui sans qui son existence ne pouvait ressembler à rien d'autre qu'une symphonie en la mineur, le souffle au ras du sol.

Mais au fil des jours et des rencontres, son espérance ne fit rien d'autre que devenir de plus en plus désespérée... Certains lui parlaient d'un long séjour chez les moines, qu'il aurait entrepris quelques jours à peine après son départ à elle, d'autres - au nombre desquels on trouvait la jolie Musartine et Ghell - lui disaient ne plus jamais avoir entendu parler de lui depuis l'époque où elle-même avait disparu, sans compter ceux qui tombaient des nues, le pensant mort depuis des lustres.

Elle s'était alors rendue au lieu de réunion des Gones, mais là non plus, aucun indice n'était venu éclairer ses pas. On le savait parti chez les moines, mais rien de plus.

En désespoir de cause, elle s'était décidée à l'attendre en priant le ciel de le motiver à revenir à "La Vie" lui aussi et en occupant ses journées à tenter de s'informer sur tout ce qui s'était passé d'important en Lyonnais-Dauphiné durant sa longue absence...

C'est d'ailleurs dans ce but bien précis qu'elle s'était rendue en place publique afin d'y lire les dernières annonces affichées aux yeux de tous, ces annonces où elle avait appris que le Conseil ducal précédent, celui qui avait pourtant eu comme chef d'équipage son amie Pénélope, avait démis Kernos de ses fonctions d'Intendant aux collections ducales, au simple motif de son absence depuis plusieurs semaines.

Elle avait mis longtemps à digérer la nouvelle, était allée relire la Charte des Collections ducales, usant ses yeux sur le passage précis où l'on expliquait que seul le Gouverneur pouvait demander la démission de l'Intendant, et uniquement à condition que les deux tiers des Conseillers ducaux soient également pour, et en était arrivée à la conclusion que Pénélope avait donc du ouvrir ce vote, demander à ce qu'on démette de son poste celui qui par le passé l'avait pourtant tant soutenue, tant aidée, tant servie dans l'ombre... Pourquoi? Cela lui échappait totalement! Et à quoi bon aller chercher la réponse quand elle savait d'avance que cette dernière contiendrait des explications du genre "pression trop forte", "pas le choix",... ? Ce genre d'excuses qui la faisait hausser les épaules à l'avance.

Le lendemain, elle apprenait qu'il avait également été démis de ses fonctions de Conseiller militaire, là aussi en raison de son absence...

Perplexe, elle passa plusieurs jours à se demander si le Lyonnais-Dauphiné avait donc tellement changé en quelques semaines? Qu'avait-il bien pu se passer pour que dans ce duché où l'on avait gardé un Chancelier de l'Ordre de Saint George à son poste malgré des mois d'absence, où l'on avait gardé bien au chaud leurs fonctions à certains Conseillers militaires tels ce bon vieux Dede ou encore Samarel durant des semaines et des semaines de repos de leur part, on se débarrasse aujourd'hui d'un homme parce qu'il était malade et parti chez les moines? Ce n'était pas qu'elle aie jamais pensé qu'il faille démettre le sieur Demons ou encore ses anciens amis APDiens, mais la différence de traitement en face de Kernos la frappait au plus haut point.

Qu'avait-il fait pour mériter cela? Elle avait beau chercher, elle ne comprenait pas...

Il lui fallut tomber sur le nom de son fils, Léandre Rouvray, sur une affiche pour que tout s'éclaire en elle, brutalement.

Léandre... Son unique fils! Son sang!

Son nom apparaissait sur les dernières listes électorales, sous la bannière des... LSD!!!!! Affichant ainsi, en quelque sorte, son désaccord avec celui qui à défaut de lui avoir donné lui-même la vie avait permis à une femme de le faire. Sans doute n'était-ce pas cela qui avait motivé le jeune Rouvray à rejoindre ce parti, mais dans l'état d'esprit et d'angoisse où elle se trouvait Terwagne ne chercha pas plus loin et l'analysa ainsi.

Chacun le sait, une femme amoureuse et angoissée en arrive très vite à des conclusions farfelues et bien trop rapides. Terwagne n'était sur ce point-là pas très différente des autres femmes... Elle était sans doute même pire! Pour elle, l'explication à tout cela était très simple : le Lyonnais-Dauphiné dans son entièreté en voulait à Kernos pour l'unique raison qu'il l'avait aimée et soutenue, elle qu'ils avaient surnommée "L'Opportuniste"!

Si aujourd'hui Kernos Rouvray était devenu l'homme qu'on renie, jusque dans sa propre famille, l'homme qu'on éjecte, jusque dans son propre parti, c'était uniquement à cause de leur relation, et donc à cause d'elle! Elle avait ruiné sa vie à lui, sa carrière, et même ses liens avec son fils!

Alors, comme une pierre tombant à l'eau atteint rapidement le fond de l'étang où elle a chut, la Dame Méricourt ne tarda pas à en arriver à la conclusion aussi simpliste que cruelle que disparaitre de l'existence de Kernos était la meilleure chose à faire. Pas pour elle, non! Elle ne savait que trop bien que sans lui sa vie ressemblerait à une partition sans clé! Mais pour lui... Si elle l'aimait vraiment, si elle voulait son bonheur, elle devait le libérer de cette entrave à son avenir en Lyonnais-Dauphiné qu'était devenue leur relation!

C'est persuadée de cela qu'elle s'enferma durant plusieurs jours dans une chambre d'auberge, avec pour seule compagnie les objets nécessaires à la rédaction de ce qui serait sans doute la lettre la plus compliquée qu'elle aie jamais eu à écrire, celle qu'elle lui laisserait comme adieu.

Elle y était depuis quatre jours, un vélin toujours vierge posé devant ses yeux, lorsqu'une missive glissa sous sa porte. Une missive signée Léane...

Pourquoi la jeune femme lui écrivait-elle à elle? Là aussi, la conclusion à son interrogation fut bien hâtive... Il ne pouvait s'agir que d'une mauvaise nouvelle! Il était arrivé quelque chose de grave à Kernos!

Les mains tremblantes, elle serra la missive cachetée contre son coeur, incapable de trouver le courage de l'ouvrir...

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Terwagne_mericourt
Deux jours plus tard, rien n'avait bougé... Pas plus la feuille vierge qui attendait encore et toujours ses mots d'adieu que le pli scellé qui attendait de se dévoiler. Seules les joues de celle que ces deux lettres attendaient semblaient avoir subi quelques modifications, se creusant d'avantage, perdant encore un peu de leur couleur pour devenir aussi ternes que pâles.

Il fallut qu'une seconde nuit s'achève pour qu'enfin celle qui n'était finalement revenue à "La Vie" que pour mieux la fuir se décide à ouvrir le courrier reçu (HRP : autorisation donnée par la joueuse de la publier)


Citation:
Dame,

Je vous salue humblement. Je vous écris pour vous faire de ma profonde inquiétude concernant mon père.

Je lui ai adressé beaucoup de missives ces derniers mois. Toutes sont restées sans réponse. Des rumeurs me sont parvenues pour m'annoncer qu'il effectuait une retraite spirituelle depuis le 25 février. J'ai donc pris ma plume et lui ai écrit. Mais rien n'y a fait. Elles m'ont été retournées.

Vous qui êtes proches de lui, pouvez-vous me donner des nouvelles, je vous en supplie.

Cordialement,

Une petite princesse morte d'inquiétude,
Leane Rouvray


Si quelques traces de vie avaient encore pu se voir sur les traits de son visage, nul doute que ceux-ci auraient respiré le soulagement que ces mots venaient de faire naître en Terwagne. En effet, à défaut de laisser encore voir la moindre expression de ceux-ci au monde, la Dame continuait néanmoins à avoir des sentiments...

Sentiments aussi exacerbés que ce que son coeur était déchiré et son corps devenu asexué par la maigreur qui était sienne depuis la mort de celui qu'elle avait cru pouvoir adopter et élever, puisque dès les premières heures qui avaient suivi le décès, elle s'était mise à se punir elle-même en privant de nourriture ce corps qui - non content de ne pas lui avoir permis de porter un enfant - avait été jusqu'à se montrer incapable de réchauffer celui de l'enfant d'une autre, laissant ainsi la faucheuse et le froid l'emporter.

Quand certains affirmaient vivre d'amour et d'eau fraiche, elle n'avait fait que survivre de larmes et de bouillies infectes qu'on l'avait obligée à avaler et qu'elle n'avait pas toujours réussi à faire quitter son cors en s'enfonçant les doigts dans le fond de sa gorge... Cette gorge où les sanglots et les cris étaient devenus muets à force de résonner contre les murs de sa cellule de repos. De ces soirs où la nourriture avait refusé de quitter son être par l'orifice où elle était entrée, il lui restait quelques marques sur les avant-bras, de longues lignes rouges tracées par ses propres ongles et qu'elle cachait à présent sous de longues manches, prétextant continuer à avoir froid malgré la saison.

Cette lettre, donc, la soulagea, et doublement...

D'abord parce qu'elle était la preuve que ceux qui affirmaient que Kernos était mort se trompaient, il était juste parti chercher du réconfort dans la foi au moment où tous l'avaient abandonné, où elle-même n'avait pas été forte assez pour trouver la guérison dans les regards qu'il lui offrait, dans les bras qu'il lui tendait, dans les mots avec lesquels il la pansait.

Ensuite parce qu'elle voulait dire que malgré tout quelqu'un dans ce duché ne l'avait pas encore oublié ni renié : Sa fille! Son sang! Auprès d'elle "La Vie" de Kernos pourrait reprendre, elle en était certaine! Auprès de sa fille il oublierait les affronts, il oublierait l'abandon, il oublierait même qu'elle-même lui avait tant nui sans le vouloir, et irait jusqu'à oublier un jour qu'il l'avait aimée, elle qui n'était qu'une ébauche de femme, une erreur de la Nature.

Et si cette jeune femme était celle qui sauverait Kernos, celle qui réussirait mieux qu'elle-même à lui faire retrouver "La Vie", alors Terwagne ne pouvait pas la laisser dans l'angoisse où elle était sans au moins tenter de la rassurer, sans répondre à sa lettre où la peur et le chagrin transpiraient derrière chaque mot.

Le vélin qui attendait depuis des jours et des jours sur le panneau de bois terni par les ans et les voyageurs finit donc par se voir enfin caresser par le bout de sa plume, même si ce n'était pas pour se couvrir des mots destinés à Kernos, mais bien à sa fille.


Citation:
A une petite princesse que je voudrais pouvoir rassurer plus encore
A celle qui je l'espère sera le salut et le soutient de son père
A celle qu'au final j'aurais sans doute aimer pouvoir mieux connaitre



Avant toute chose, j'aimerais vous demander pardon pour le temps mis à vous répondre, et qui n'a d'autre excuse que celui que j'ai mis à oser décacheter votre missive. En effet, étant moi-même sans réelle nouvelle de votre père depuis ma sortie du monastère, j'ai craint que votre lettre ne soit l'annonce d'une mauvaise nouvelle le concernant.

Vous l'aurez compris, je n'ai malheureusement pas de réelles nouvelles à son sujet à vous apporter, et Aristote me soit pourtant témoin que j'aurais voulu pouvoir vous rassurer avec du concret.

Malgré cela, je tenais à vous dire qu'ayant moi-même eu les mêmes échos que vous au sujet d'une retraite spirituelle qu'il aurait entrepris quelques jours à peine après m'avoir confiée aux soins d'autres que lui, donc vers le 25ème jour du mois de février en effet, il est fort à parier que ces échos soient fondés et corrects.

A part cela, je n'ai moi non plus reçu aucune réponse à aucune des missives que je lui ai adressées, mais sans doute ces dernières ne lui auront pas été remises en main propre, comme le veut l'usage dans certains monastères.

Quoi qu'il en soit, je crains fort de ne plus être là lorsqu'enfin il reviendra à la vie sociale, pour des raisons qui sans doute vous échapperont, j'en suis bien consciente, mais que j'éprouve le besoin de vous expliquer un minimum.

Pourquoi ce besoin? Peut-être par égoïsme au fond, en me disant qu'au cas où jamais je ne trouve jamais le courage de lui écrire cette lettre d'adieu sur laquelle je suis plongée depuis des jours, et bien il trouvera ainsi certaines réponses auprès de vous.

J'aime votre père, comme jamais je n'ai aimé me semble-t-il, je voudrais que vous le sachiez. Je l'aime au point de le quitter pour mettre fin à tout ce mal que lui a fait dans ce Duché notre relation. Je l'aime au point de le libérer de ce lien qui nous unit et est responsable de sa décadence sociale, amicale, politique, et même familiale.

En effet, en apprenant certaines choses de l'actualité du Lyonnais-Dauphiné, je me suis rendue compte que si tout le monde lui tournait aujourd'hui le dos, le reniait, c'était uniquement en raison de ma présence à ses côtés, uniquement parce qu'il m'avait soutenue et aimée.

Alors oui, j'ai décidé de m'en aller, de l'abandonner, pour qu'enfin il retrouve la place qui était sienne dans le coeur et l'estime de ceux qui peuplent ce Duché, de ceux qui étaient sa famille et ses proches avant notre rencontre.

La mort dans l'âme en attendant qu'elle ne se glisse dans mes veines, je m'en vais, l'aimer de loin, l'aimer en silence, l'aimer au-delà des mots et au-delà de la vie elle-même.

Mais avant cela, je voudrais vous demander une faveur... Promettez-moi de ne jamais le renier, de ne jamais l'abandonner, lui dont je sais à quel point il craint l'abandon, lui aussi qui a la chance d'avoir une fille qui s'inquiète pour lui.


Avec toute mon affection, dont j'imagine fort bien que vous ne devez pas la vouloir.


Terwagne.


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Terwagne_mericourt
Adieu à ce qui fut nous deux, à la passion du verbe aimer :

Décider de s'en aller, c'est une chose, mettre en oeuvre sa décision, c'en est une autre... Et là, au moment de boucler ses malles, celle qui n'avait plus rien d'une "Tempête" se demanda soudain pourquoi elle avait pris cette décision, pourquoi elle en était arrivée à un tel extrême, et surtout si elle ne ferait pas mieux de revenir dessus... C'est à cet instant précis que surgit en elle - de façon abrupte, violente, déconcertante - un souvenir bien lointain, un souvenir surgit d'une vie presqu'oubliée, un souvenir sous forme de phrase.

La voix était celle d'un Sancerrois, et pas n'importe lequel : Bragon! Ce cher Bragon, qui depuis le premier regard l'avait si bien comprise, et pourtant si souvent mise sur les nerfs, avec sa façon de se rendre attachant en vous énervant, de vous soigner le coeur en poussant d'abord le doigt là où ça fait mal, de lire en vous à livre ouvert même quand vous voudriez rabattre sur vous la couverture.

"Le plus difficile, ce n'est pas de faire un choix, c'est de s'y tenir et d'y rester fidèle", lui avait-il dit un jour, pas très longtemps après avoir réussi à lui donner l'envie de s'installer à Sancerre, cette ville où elle avait perdu son fiancé troubadour, cette ville où elle avait voulu le rejoindre par delà la mort....

"Le plus difficile, ce n'est pas de faire un choix, c'est de s'y tenir..." lui avait-il dit quand au terme de jours et de nuits de déchirure où elle avait senti son coeur balancer entre ces deux hommes qui se déchiraient alors son amour : Hugoruth et Maleus, elle avait finit par en faire un, de choix.

Hugoruth... C'était lui qu'elle avait finit par choisir, au grand damne de ce cher vieux Bragon, qui n'avait jamais apprécié ce dernier et lui avait d'ailleurs conseillé de s'en méfier comme de la peste. Elle aurait mieux fait de l'écouter, au fond.... Mieux fait de...

Qu'importait tout cela aujourd'hui? Rien! C'était du passé! Juste du passé! Exactement comme le seraient un jour ses souvenirs du Lyonnais-Dauphiné, comme le serait un jour cette lettre qu'elle ne parvenait toujours pas à écrire et à envoyer à Kernos. Comme tant de choses au fond.

"Le plus difficile, ce n'est pas de faire un choix, c'est de..."


S'y tenir!
Je sais!
Et je vais m'y tenir, oui!


Les mots sortirent de sa gorge, avec colère, alors qu'elle pestait sur elle-même de se sentir soudain si hésitante, si proche du demi-tour, si proche des larmes surtout! Ils sortirent de ses lèvres, juste avant que d'autres ne sortent enfin de sa plume, dans un souffle désespéré, haletant, douloureux.

Citation:
Mon "Tu",
Mon "Ut",


Déteste-moi, je le mérite!

Déteste-moi pour les mots que tu t'apprêtes à lire.
Déteste-moi pour ce qu'ils signifient.
Déteste-moi de les avoir écrit sans avoir le courage de les dire.
Déteste-moi de leur avoir donné vie...

Déteste-moi pour tout le mal qu'ils te feront.
Déteste-moi pour tout le mal que je t'ai fait bien malgré moi en t'aimant.
Déteste-moi pour tout le mal que je te ferrai encore sans doute longtemps en hantant tes souvenirs.
Déteste-moi d'être moi, celle qui t'aimait, celle qui t'aime, celle qui t'aimera encore, mais qui s'en va.

Déteste-moi de choisir aujourd'hui de faire de ma vie un requiem.
Déteste-moi de choisir de laisser s'évanouir la mélodie qui était" Nous".

Déteste-moi de te sauver de moi...


Ta Lune.


Quelques instants plus tard, la lettre était confiée à un messager ayant pour mission de la conduire à Mévouillon où Kernos la trouverait à sa sortie du monastère.

Il ne restait plus à Terwagne qu'à écrire une certaine lettre d'allégeance, faire charger ses malles et prendre la route.... Pour où? Qu'importait, puisque cette route serait de toute façon déserte.


[HRP]Suite sur le forum secondaire, au "Coin des aRPenteurs" sous peu, du coup^^[/HRP]
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Kernos
Retour au Monde et autres tracas... quand le vent souffle une dernière fois.

Presque trois mois... Trois mois sans voir le jour, baigné dans la pénombre austère de la cellule où le temps semblait ne plus avoir prise, où matin, midi et soir semblaient s'être mélangés au point de ne pouvoir plus en dessiner les contours. Trois mois rythmé par la fièvre qui vous brouille les sens, où les seules nuances perçues étaient celles entre le froid glacial étreignant ses os et la chaleur étouffante envahissant son corps allongé... Trois mois de silence et de bruit assourdissant, de perdition entre conscience et inconscience, entre cauchemar éveillé et réalité endormie... D'un extrême à un autre, de la vie à la presque mort, voilà à quoi pouvaient être résumés les derniers mois de Kernos Rouvray, isolé en quarantaine dans monastère proche de Montélimar. Lui-même n'en gardait pas de souvenir précis, la fièvre l'avait fait tellement délirer que tout lui paraissait décousu, obscur, fragmentaire au point qu'il se demandait quelle était la part de vérité et celle de folie dans les images et les sensations qu'il gardait en lui.

Des ombres déguisées en hommes, des hommes vêtus d'ombres s'agitant tout autour de sa couche, l'encerclant de toute part, riant, pleurant, chantant, hurlant, dansant sur les pierres grises de sa cellule, secouant leurs membres grotesques et décharnés par-dessus lui dans une cacophonie de cliquetis d'os et de froissement de tissu, tournant et sautant du sol aux murs. Farandole infernale gesticulant à la lumière des torches incandescentes vomissant leur gerbe de flammes qui se répandaient sur les pavés, formant rigoles, puis rivières, puis fleuves et enfin océans de lave fumante et fulminante sur lesquels son lit naviguait, conduit par ce cortège funeste à travers cette abîme rouge sang qui menaçait de l'engloutir à chaque instant... gueule béante dont les vagues telles des crocs brûlants, tentaient de le happer vers le néant.

Après la fournaise, ce fut l'hiver qui tomba soudainement sur lui, l'entourant d'un voile d'une blancheur infiniment silencieuse et immobile. Cerné par la glace qui n'avait rien à envier à l'horreur des flammes, Kernos sentait la morsure du froid déchirer sa peau nue, offerte au blizzard et aux griffes de ses vents dans toute sa faiblesse, sans possibilité de se cacher, de se protéger dans ce désert de jour blanc. S'il y avait des montagnes, elles avaient du être englouties par la neige et demeuraient invisibles dans ce pays où le ciel et la terre se confondaient également. Son corps le brûlait, comme écorché vif par le fouet implacable et glacé du maître de ces lieux, emportant à chaque claquement un lambeau de sa chair. Dans cet enfer immaculé, point de mouvements, point d'ombres valsant autour de lui, ici ne régnait que l'immobilité, la solitude assourdissante de silence... pas de haut, pas de bas, ni début, ni milieu, ni fin, plus aucun repère dans ce royaume du vide absolu, si ce n'est les limites de son propre corps qu'il percevait avec d'avantage d'acuité qu'elles demeuraient la seule frontière visible de cet univers. Du moins pour un temps, car la douleur déchirante de ses membres commençait à s'assourdir et à s'engourdir mais, cela ne signifiait en rien un soulagement bien au contraire, c'était le signe que la neige le dévorait, lentement mais surement, et que bientôt, le blizzard l'aurait englouti sans laisser de trace, à jamais uni à ce néant blanc.

Il ne se souvenait plus quand cela était arrivé, sans doute après qu'il se soit fondu dans la glace, à moins que cela ne soit avant que son corps se soit embrasé au milieu des rires et des chants des damnés, mais il l'avait vu, il en était certain. Ce visage, comment aurait-il pu le confondre ou l'oublier? De grandes obsidiennes aux reflets de mélancolies et de tourments, aux éclats de liberté et des passions, funestes ou éclatantes, qui l'accompagnent toujours, posées sur sur lui, séparées l'une de l'autre par la ligne douce et décidée qu'un artiste mutin avait tracé là par jeu, pour souligné les traits minces et vifs de son tableau. Comme si cela n'était pas suffisant pour y ajouter une pointe d'humanité et de vie, il avait caresser généreusement sa toile de deux courbes rouges, où se mêlaient rires et cris, pleurs et poésies. La Lune le dominait de sa lueur d'argent, entourée d'un écrin satiné fait de milliers de fils couleur de nuit, flottant délicatement au gré des vents balayant les routes de leurs souffles changeant. Kernos les sentit l'envelopper, charriant dans leur giron des odeurs de mousses fraîches paressant dans les sous-bois, de la terre humide et grasse que l'on vient de retourner dans les champs, celle des fleurs au coeur offert aux passants, celle des fruits gorgés de soleil faisant crouler sous leur poids les branches des arbres dans les vergers... Un parfum de giroflée, de citron, celui de l'encens, de la cire, de l'iode, du feu de bois... le parfum des nuits de printemps... l'odeur suave que l'on cueille au creux d'une nuque offerte, à la naissance de la chevelure caressant votre visage penché... le goût salée de la sueur à même la peau récolté dans la fièvre d'un baiser... L'atmosphère chaude et musquée d'une chambre où deux âmes se sont rencontrées et se sont fondues l'une dans l'autre dans un battement d'éternité. Il prononça son nom, à de nombreuses reprises, comme une litanie pieuse adressée à une sainte...


Terwagne...

D'après les moines, quand il fut remis de son mal et qu'ils lui firent le récit de son état durant ces derniers mois, il avait passé son temps à délirer à cause de la fièvre sur son lit de souffrances, brûlant et tremblant de fièvre, parfois calme comme un mort - ils lui confessèrent d'ailleurs que plus d'une fois ils avaient cru le voir passer outre - parfois hurlant et agité comme un possédé. Les frères s'étaient relayés régulièrement à son chevet, que cela soit pour lui appliquer des cataplasmes pour abaisser sa fièvre, changer ses linges, tenter de le nourrir et prier pour son salut. Etant donné qu'à présent il se sentait mieux et que, bien qu'amaigri par ce jeûne forcé, il était vivant, cela signifiait bien que leurs soins avaient fait effet et les en remercia chaudement.

Maintenant qu'il était guéri, Kernos n'avait plus de raisons de rester parmi eux d'avantage et surtout, sans doute le fait d'être resté si longtemps alité joua grandement là dedans, il ne supportait pas l'idée de rester un jour de plus enfermé derrière quatre murs. Le Baron avait également d'autres soucis en tête, coupé du monde comme il l'avait été, il avait besoin de savoir ce qui s'était passé pendant son absence, de rassurer les personnes qui tenaient à lui et s'étaient inquiétées de son long silence, à commencer par celle qui n'avait quitté ses pensées même au plus profond de la maladie, sa Lune, son amour, sa Terwagne, ainsi que sa fille chérie. Puis, il y avait ses charges qui l'attendaient, et bien qu'il avait pris soin d'écrire avant son entrée au monastère au Duc et au Capitaine de l'époque, sans doute aurait-il des comptes à rendre auprès de leurs successeurs... sans oublier les impôts qui devaient l'attendre aux portes de son logis diois. Il lui fallait réfléchir à ce par quoi il allait commencer... un repas digne de ce nom d'abord, la pitance monacale étant maigre et austère, et ayant besoin de recouvrer une partie de ses forces, il allait commencer par là, cela lui permettrait également de se poser pour faire le tour de ses idées.

Le Rouvray rassembla donc ses affaires et alla récupérer sa monture aux écuries du monastère. Le palefroi avait eu meilleur sort que son maître, nourri selon sa faim, mené dehors régulièrement pour se dégourdir les pattes et couchant dans de la paille propre, Grayswandir avait conservé son panache et sa vigueur ibérique. Il accueillit son cavalier d'un coup de museau affectueux dans la poitrine et reçu une caresse en retour. Kernos salua et remercia encore une fois les moines pour leur hospitalité avant de quitter les lieux sur le dos de son cheval. Il avait choisi sa destination, Mévouillon était le plus proche, mais son choix s'était finalement arrêté sur Die. De là-bas, il pourrait ainsi se mettre au clair avec ses dettes, et en apprendre bien plus sur la vie publique que dans son castel isolé aux marches méridionales du Lyonnais-Dauphiné. Il ne conservait pas un bon souvenir de son dernier séjour dans le monde des hommes, loin de là même. Trop d'amertume et de désillusions s'étaient insinuées en lui, les emportant avec lui jusqu'au coeur du monastère et de la maladie, ainsi qu'un profond dégoût mais, comme Aristote l'avait démontré, l'Homme est un animal sociable qui ne peut vivre pleinement et se réaliser hors de la Cité... et après cet isolement et cette solitude, il avait un besoin irrésistible de voir des gens, de les entendre, de les sentir. Se réfugier dans ses terres de Mévouillon n'était donc pas une option envisageable maintenant que sa traversée du désert s'était achevée et, malgré ses appréhensions, il lui fallait à nouveau se retrouver parmi ses semblables pour faire la lumière sur cette période d'ombre. D'autant plus qu'il serait plus aisé de retrouver Terwagne et de prendre de ses nouvelles depuis la ville: il y a toujours son lot de commères et de curieux dans les tavernes.

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Kernos
Vers la fin de l'acte... et le début du vouloir. Scène 1: "Le calme avant la Tempête"

Plusieurs jours s'étaient écoulés depuis le retour au monde de Kernos Rouvray. Après la longue traversée du désert qu'il venait de subir, il n'aspirait qu'à reprendre le cours de sa vie telle qu'il l'avait laissé avant de sombrer dans la maladie, à retrouver ses proches et ses obligations maintenant que la santé lui souriait à nouveau... mais c'était sans compter sur le destin qui, de son côté, lui tirer la gueule profondément.

Arrivé à Die, les choses s'étaient d'abord bien passées. Ses gens l'avaient accueilli, baigné, nourri et un bon lit frais de plumes l'attendait pour lui faire oublier la paillasse empaillée et trempée de sueur du monastère. Une nuit merveilleuse, la meilleure depuis des mois, où son esprit divaguait parmi les nuages et les étoiles en poursuivant la Lune qui riait et lui lançait des oeillades, laissant derrière lui un corps rassasié de viande et de vin, un corps sain et propre qui cherchait à se retrouver, à la retrouver aussi, inconsciemment.

Il se réveilla au chant du coq, son dernier songe rejoignant sa première pensée en ouvrant les yeux sur sa chambre. Celle qui était image nocturne devint pensée diurne, Terwagne, il fallait qu'il la prévienne de son retour, qu'il sache où elle se trouvait et surtout, qu'il la rejoigne. Mais avant cela, il fallait qu'il satisfasse un besoin naturel urgent et impérieux. Le Rouvray enfila en hâte une paire de chausse et une chemise, passa ses bottes et ses gants avant de quitter sa chambre et descendre quatre à quatre les marches menant au rez-de-chaussée. Il attrapa un morceau de pain et un gobelet d'eau laissés aux cuisines et leur fit leur affaire en prenant le chemin des écuries. Il sella son palefroi en quatrième vitesse, grimpa dessus et lui fit prendre la direction des rues dioises.

Kernos ne prêta pas attention à la foule évoluant autour de lui, seul lui importait sa destination qui se dessina quelques rues plus loin, dans l'encadrement des portes de la ville. Elle l'appelait tout en se laissant entrevoir, impatiente tout comme lui, l'incitant à se presser alors qu'il franchissait le poste de garde et lançait sa monture dans un trop qui devint bientôt galop dès qu'il eut fait un écart pour quitter la route pavée: la Nature. Oui, c'était d'elle dont il avait furieusement envie en cet instant, d'elle et de sa liberté qui lui fouettait le visage comme le vent alors qu'il traversait les champs à vive allure, cette liberté qui lui avait tant fait défaut dans la pénombre de pierre du monastère où la fièvre l'avait emprisonné. Il avait besoin de s'affranchir de l'étroitesse de cette cellule, de chasser son obscurité en la faisant éclater sous les rayons du Soleil, de briser ces derniers mois de silence et de délire à grand coup d'air pur. Trop longtemps, son monde n'avait été qu'illusions délirantes, cauchemars éveillés... il fallait qu'il se heurte à la réalité, à la vérité de cette Nature qui l'entourait à présent, caresser l'écorce rude d'un arbre, sentir l'humus et les fleurs mêler leurs parfums pour chasser la puanteur de la maladie, savourer la sensation de l'herbe fraiche sous ses pieds nus... Il fit prendre à sa monture la direction d'un petit bois sur les rives de la Drôme.

Arrivé en vue de la lisière, il fit ralentir la cadence de Grayswandir jusqu'au pas. Peu avant les premiers arbres, il lui fit faire halte et mit pied à terre afin de fouler le premier cette terre paisible et vierge de présence humaine. Que c'était bon de goûter au calme serein des sous-bois où seul le frottement léger des branches et le chant des oiseaux viennent perturber le silence ambiant. Lentement, ils s'avançaient à l'ombre guillerette des feuilles, Kernos en tête, son cheval le suivant au bout de ses rênes. Ils serpentèrent ainsi de longues minutes entre les troncs avant de gagner les bords de la rivière. Là, le Baron laissa son palefroi s'abreuver librement, tandis que lui s'installa sur un rocher pour retirer ses bottes et relever ses chausses avant d'enfoncer ses jambes jusqu'aux chevilles dans l'eau claire et fraîche. Il ferma les yeux. Il entendait le clapotis léger de la Drôme, la respiration régulière de Grayswandir, le bruissement du vent dans les branches, il sentait la caresse du courant sur sa peau, l'odeur de la forêt se mêlant à celle de l'eau... Il se sentait revivre à nouveau.

Il ôta sa chemise et la jeta près de ses affaires, avant de se laisser glisser plus profondément de la rivière, immergeant son corps comme pour le purifier sous le regard interrogateur de son cheval. Il resta quelques minutes à barboter ainsi dans l'eau, se laissant emporter par le courant, le visage vers les cieux avant de regagner la rive pour s'allonger sur un rocher et se laisser sécher au soleil.

Kernos rentra en son logis deux heures après l'avoir quitté, revivifié de son escapade et prêt à régler les affaires urgentes. Sans doute eut-il mieux valu pour lui qui n'en revint jamais ou bien qu'il succombe à la maladie, car ce qu'il attendait allait grandement le bouleverser. Dans quelques minutes, sa vie allait prendre un nouveau tournant... deux annonces et deux lettres qui allaient tout changer.

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Kernos
Vers la fin de l'acte... et le début du vouloir. Scène 2: "Quand le tonnerre gronde avant le naufrage"

C'est les chausses encore humides, sa chemise collant légèrement son buste mis en nage par sa chevauchée et les rayons printaniers du soleil, que Kernos franchit les portes de sa demeure diois où il fut aussitôt accueilli par le doyen de ses domestiques.

Messire, les chevaucheurs sont partis prévenir vos gens de Mévouillon et de Glandage de votre présence ici. Ils devraient revenir dans l'après-midi avec les livres de comptes, les doléances et les autres missives de vos domaines.

Fort bien, faites-moi prévenir dès qu'ils arriveront, je les recevrai dans la grand-salle.

Messire, vous avez également reçu une lettre de Demoiselle Léane, nous l'avons fait porter dans votre chambre.

Je vous en remercie mais, pour l'heure, je songe avant tout à une bonne collation et un bain chaud.

Il serait fait selon votre désir, Messire.

Merci.


Le Rouvray quitta l'homme et fit prendre la direction des écuries à son palefrois. Là, il s'occupa de le desseller, de le panser et de lui apporter du fourrage, avant de quitter les lieux pour rejoindre ses appartements. Il en profita pour se débarrasser de la poussière de la chevauchée et se délasser les muscles dans une chaude - cette fois-ci- avant de s'attaquer à la miche de pain et au fromage qu'on lui avait apporté, déjeuner qu'il arrosa d'un pichet de cidre normand. Le soulagement de la chair achevé, il s'attela alors aux choses de l'esprit, religieuses d'abord, par quelques dévotions pieuses, puis profanes, en s'attelant à régler ses impôts et les arriérés qui s'étaient accumulés lors de son séjour chez les moines montiliens. L'acte à destination de son trésorier rédigé et scellé, il prit en main la lettre de sa fille pour commencer sa lecture.

L'esquisse d'un sourire se posa sur les lèvres du Rouvray, un sourire où se mêlaient à la fois la joie que sa fille pensait à son père mais aussi le regret d'être si distant d'elle au fond, depuis son enfance... L'ost, la maladie, l'amour, il y avait souvent eu quelque chose pour l'éloigner d'elle et de son frère. Mi figue, mi raisin, il prit sa plume et rédigea une réponse.




Ma chère petite fille,

Puisses-tu pardonner ton vieux père qui, une fois encore, a disparu sans donner ni adresse ni nouvelles, non par choix mais par contrainte. En effet, ma chérie, c'est par l'oeuvre d'une vile maladie, qui me saisit voilà plusieurs mois, que je n'ai pu donner nouvelles à ceux qui me sont chers tant la fièvre me rongeait et me força à garder le lit de fortune que les moines montiliens m'offrirent comme refuge.

Mais voilà, je suis à présent guéri, bien qu'un peu amaigri, et de retour à Die afin de combler ces mois de solitudes et d'isolement, et surtout de rattraper mon retard et mon absence auprès des miens.

J'ai grand hâte de te revoir, ma princesse, en espérant que tu pardonneras ce long silence de ma part que j'espère combler quand je te retrouverai.

Ton père qui t'embrasse.


Il roula le parchemin et le cacheta avant de quitter la pièce pour quérir un domestique à qui confier la lettre. Kernos descendit les escaliers en direction des communs. Arrivé à la porte de la salle où ses gens, entre deux tâches, s'arrêtaient pour déguster un petit verre et échanger les potins du jour, il surprit quelques bribes de conversation qui lui firent dresser les sourcils et le rendirent perplexe.

Tu crois qu'il le sait déjà?

En tout cas ça va lui faire tout drôle au Baron Kernos...

Apprendre ça ainsi tout de même...

Apprendre quoi?


La cuisinière et la lavandière sursautèrent comme une seule femme en poussant un cri de surprise. Dans l'encadrement de la porte, les bras croisés sur la poitrine et un regard interrogateur sur elle, se tenait leur maître. Il s'avança vers les deux femmes qui avaient vu plus de cinquante hivers passer et porter enfants et petits-enfants sur leurs genoux usés, sans détacher ses yeux sombres de leurs visages aussi ridés que des pruneaux. Leurs mains rendues sèches par le labeur et le temps avaient quitté la table, où elles se tenaient jusqu'alors, pour se fourrer dans leurs tabliers de travail, tandis que leurs yeux hésitaient entre les observer ou soutenir ceux du Rouvray. Jeunettes, elles étaient toutes les deux noires de cheveux mais, l'âge ayant fait son oeuvre, une foule de fils argentés et blancs étaient venus envahir leur chevelure, si bien que ne savaient plus dire quelle couleur prédominait sur l'autre. L'une sentait bon le pain chaud, le feu de bois et la liqueur de pomme; l'autre le savon, la lavande et le linge propre. Cela faisait plusieurs années qu'elles travaillaient au service des Rouvray, des bonnes paysannes dioises, travailleuses, chaleureuses, commères à leurs heures perdues.

Et bien mes bonnes longardos, qu'est-ce que je devrai apprendre? Parlez.

Les deux vielles se regardèrent en hésitant puis, ce fut la lavandière qui prit la parole la première car, comme le voulait son office, c'était elle la plus bavarde des deux.

C'est que... Messire ... ce n'est point chose à vous dire ainsi... c'est une affaire délicate et je n'suis point la mieux placée pour vous l'dire.

Allons, ma bonne Jeannette, tu sais bien que je ne me fâcherai pas, ni que je te tiendrai rigueur de ce que tu diras. Alors parle franchement, sans craintes ni détours.


La vieille domestique regarda sa comparse qui l'encouragea d'un signe de tête, prit une légère inspiration et osa se lancer en regardant Kernos.

Et bien voilà Messire. J'étais au lavoir c'matin pour nettoyer le linge d'la maison. Comme d'habitude avec les autres, nous parlions d'tout et d'ren autour d' nos lessives, des derniers nés du voisinage, d'la maladie d'une amie, ... Nous échangions d'ailleurs les dernières nouvelles de la ville et j'annonçais qu' vous étiez de retour, quand ma voisine m'dit que l'crieur publique avait borja d'vous dans les annonces ducales. C'est là qu'les rumeurs me virent, comme quoi vous étiez disparu d'puis longtemps, qu'certains vous croyez mort, et qu'on vous avez retiré vos charges... dis lui Marie, dis ce que tu as entendu toi aussi à propos de Messire.

La cuisinière, après quelques secondes de silence, se décida de confesser à son tour ce qu'elle savait, ses doigts tapotant nerveusement son tablier tâché de farine et de sauce.

Messire, je l'ai ouï dire par l'une de mes jeunettes de cuisine que j'avais envoyé au marché c'matin aussi... Elle papotait avec l'un des marchands d'sa connaissance, qui savait ben qu'elle était l'une de vos gens et lui parla donc d'l'annonce à vot' sujet... Comme quoi vous aviez été démis de vot' fonction d'Intendant, et qu'c'est Madame Axel qu'est à vot' place maintenant... et aussi qu'y a des rumeurs aux portes d'la garnison, des choses qui vous concerneraient aussi, mais n'en savons point plus... Messire.


Les deux commères se regardaient tour à tour, une franche inquiétude dans leurs yeux. Le visage de leur maître semblait aussi immobile que celui d'une statue de marbre, tellement fermé qu'on n'aurait su dire quel était son sentiment ni sa pensée quand à son regard, il semblait ne plus être là, comme s'il contemplait des sphères et des temps qui ne sont plus ou pas encore, comme si les deux femmes avaient disparu, comme s'il ne se tenait pas ainsi debout dans cette pièce mais ailleurs, tant ses iris semblaient à présent fait d'un brouillard opaque par une nuit sans Lune.

Dîtes à un valet de se présenter immédiatement dans la Aula, je l'y attendrai pour lui confier une mission de la plus haute importance.

Elles sursautèrent à nouveau quand il brisa le long silence qui avait envahi la salle commune à la suite de leurs commérages, et se levèrent pour lui répondre mais, le Rouvray leur avait déjà tourné le dos et quitté les lieux à pas preste pour gagner la grand-salle.

Seul, il se laissa choir sur son fauteuil et sa tête, encore emplie des propos des deux vielles domestiques, vint se reposer sur l'une de ses mains. Le valet ne tarda point à se présenter, sortant son maître de son silence. C'était un jeune homme de seize ans, le jarret maigrelet et les pommettes saillantes, comme tous ces jouvenceaux dont la taille a pris de l'avance sur les muscles en grandissant. Kernos lui fit signe d'approcher en levant la tête. Il tira de sa veste la lettre pour sa fille et une petite bourse.


Va porter cette lettre à ma fille, et au retour passe par la garnison puis par la grand place et ramène moi les deux annonces qui me concernent. Voilà quelques écus pour ta commission. Va.

Le valet s'inclina et s'exécuta. Quand la silhouette élancée de son messager disparue par la porte, Kernos retourna à ses sombres pensées. Si la rumeur de ses commères se confirmait, il tenait à savoir qui avait pris cette décision et pourquoi avait-on décidé de le démettre de sa charge d'Intendant aux collections ducales qui lui tenait à coeur et surtout, pour laquelle il avait plusieurs ouvrages en cours de préparation. Autre curiosité et soucis, que se passait-il à l'ost? Rien avait filtré à l'extérieur, mais s'il en croyait sa cuisinière, quelque chose s'était passé, et il voulait savoir quoi.

Il en était encore à ses hypothèses et ses ruminations, quand on vint le prévenir que les chevaucheurs de Mévouillon et de Glandage demandaient audience. Plutôt que de suivre les ordres qu'il avait fait donné dans la matinée, préférant tirer au clair en premier lieu ces histoires d'annonces avant de s'occuper des affaires courantes de ses terres, il ordonna qu'on laisse les cavaliers se restaurer et se reposer un peu avant qu'il ne les reçoivent. Il n'oublia pas non plus leurs montures, donnant la consigne que l'on panse les chevaux et qu'on les nourrisse dans le même temps.

L'office de Sexte avait été sonné à la cathédrale depuis une heure au moins quand le jeune valet revint devant son maître. Il lui tendit les deux annonces qu'il était allé quérir pour lui et se retira. Kernos prit la première en main, celle du Conseil Ducal datant du 23e jour de mars, où il put lire qu'on ne l'avait pas démis, ni qu'aucune personne ne semblait avoir pris cette décision... on avait juste considéré la charge vacante par ce qu'il était absent depuis longtemps... point final. Pas de mention de vote, ni de signature... juste une constatation et une interprétation. Kernos se retint de chiffonner le parchemin pour le jeter aux flammes, à quoi bon après tout? Cette annonce n'en valait pas la peine, et le temps avait passé depuis, quelqu'un occupait à nouveau la place, à quoi cela servirait de s'insurger et de demander des explications sur le non respect de la charte si on s'en tenait à ce que contenait cette annonce? A rien, sinon à s'épuiser encore une fois à combattre des chimères. Il prit la seconde annonce, celle issue de l'ost et qui mentionnait son nom. Il la parcouru du regard une première fois et il fut grandement atterré, plus encore qu'à sa première lecture car ce que contenait cette annonce-ci était encore plus invraisemblable, et mensongère de surcroit... "Absence injustifiée"... "relevé"... Il serra les dents au point de s'en faire mal. Tout cela n'était qu'une vaste fumisterie, à croire que même au sein de l'ost, les serments et la parole donnée à son supérieur, encore moins les années de bons et loyaux services, ne valaient plus rien... à moins que cela ne soit que la sienne? Les idées se bousculaient dans sa tête, tandis que la saveur amer de la colère et de la déception se mêlaient dans sa bouche. Il avait besoin de prendre l'air, ou d'un verre, du calvados ou n'importe quel autre alcool du moment qu'il était fort... mais pas maintenant, ses hommes avaient parcouru de nombreuses lieues sur son ordre, il ne voulait pas les faire patienter trop longtemps et sans doute avaient-ils eux aussi des nouvelles importantes à lui transmettre, cela lui changerait peut être les idées. Il demanda à ce qu'on les fasse venir devant lui.

Quelques minutes plus tard, deux hommes portant la livrée noir et argent frappée du chêne rouvre se présentèrent devant lui et s'agenouillèrent. Ils avaient retiré la poussière du voyage de leurs vêtements, et portaient tous deux une besace de cuir contenant plusieurs parchemins qu'ils remirent au maître des lieux. Quand le chevaucheur de Mévouillon s'approcha pour remettre le contenu de sa sacoche, il tendit une lettre cacheté et adressa quelques mots au Baron.


Messire, une lettre de la Vicomtesse d'Orpierre pour vous. Elle nous a été remise il y a quelques semaines déjà, mais nous ignorions alors que vous étiez non loin de Montélimar, sinon nous vous l'aurions aussitôt fait remettre.

Kernos ouvrit grand les yeux. Une lettre de Terwagne! Ses doigts s'approchèrent fébrilement du vélin, le saisissant avec autant de délicatesse que s'il avait s'agi de la main-même de sa Lune. Son index parcourut lentement la courbe du cylindre, comme une caresse, il n'avait qu'une envie à présent, plus impérieuse que l'amertume, plus important que la recette des récoltes ou les réclamations de ses tenanciers... lire... lire ces lignes qu'elle avait tracé de ses propres doigts... lire ces lignes où elle avait couché un peu d'elle, ses pensées, ses sentiments... lire pour se rapprocher d'elle, capter un peu de son essence et combler ce vide qui n'existait que par son absence auprès de lui...

Il congédia ses gens après les avoir remercié et leur avoir indiqué qu'il les ferait mander quand il aurait besoin de leurs services. Les deux hommes sortis, il quitta à son tour la
aula pour gagner sa chambre afin de prendre connaissance de la missive de Terwagne sans être dérangé. Il s'assit à son bureau, le dos bien caler dans son fauteuil et déroula avec précaution le parchemin. Il commença sa lecture.

Mon "Tu",
Mon "Ut",


Il soupira... depuis sa sortie du cloître, il désirait entendre sa voix prononcer ses mots. Il poursuivit sa lecture.

Déteste-moi, je le mérite!

Déteste-moi pour les mots que tu t'apprêtes à lire.
Déteste-moi pour ce qu'ils signifient.
Déteste-moi de les avoir écrit sans avoir le courage de les dire.
Déteste-moi de leur avoir donné vie...

Déteste-moi pour tout le mal qu'ils te feront.
Déteste-moi pour tout le mal que je t'ai fait bien malgré moi en t'aimant.
Déteste-moi pour tout le mal que je te ferrai encore sans doute longtemps en hantant tes souvenirs.
Déteste-moi d'être moi, celle qui t'aimait, celle qui t'aime, celle qui t'aimera encore, mais qui s'en va.

Déteste-moi de choisir aujourd'hui de faire de ma vie un requiem.
Déteste-moi de choisir de laisser s'évanouir la mélodie qui était" Nous".

Déteste-moi de te sauver de moi...


Ta Lune.


Sonné, il se laissa retomber lourdement sur son dossier. Voilà, le tournant était amorcé... Un tournant bien lourd et sombre à supporter. Il n'avait fallu que quelques heures et quelques lignes pour tout lui retirer, ses fonctions et maintenant la femme qu'il aimait, enfuie sur les routes... enfuie loin de lui, laissant ses nuits à jamais sombres, privées de la lumière de la Lune et des étoiles qu'elle avait emporté avec elle. A quoi bon respirer? Lorsqu'on vous a retiré celle qui était votre souffle, votre air... A quoi bon penser? Lorsqu'on vous a brisé tout espoir de rêve et d'avenir... A quoi bon être? Lorsqu'on vous en supprime la raison, que disparait celle qui vous en avez redonné l'envie, celle qui en animait chaque instant, qui vous faisait sentir que vous viviez et aviez une place dans ce monde... Rien... il ne vous reste rien... Pas même vos yeux pour pleurer, pas même votre coeur pour qu'il rompe, ni votre sang pour couler... Il n'a rien dans le néant, dans le non être où vous êtes plongés.

Kernos redressa la tête. Sur la table, il y avait la lettre funeste posée, une plume et une bouteille de vin... Que restait-il à faire à présent que plus rien n'avait de saveur ni parfum, que rien n'avait plus de sens? A gauche la plume, à droite l'alcool... Son bras se dressa, lentement, hésitant, tremblant. Dans ses yeux, tout n'était plus qu'ombre.

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Leane
Léane préparait ses affaires. Elle allait reprendre la route, direction Briançon. C'est que se trouvait sa mère. Il paraissait qu'il faisait bon y vivre. Léane avait finit par faire boucler sa malle quand on toqua à la porte de demeure familiale dioise. Elle ouvrit. C'était un domestique. Elle le reconnut. C'était celui de son père.

Demoiselle, une lettre pour vous.

Léane décacheta la missive entre joie et crainte. Joie de peut être avoir un signe de vie, une réponse de son père. Crainte d'avoir une mauvaise nouvelle annonçant son décès. Mais ce ne pouvait être le dernier cas. Elle faisait surveiller le prieuré. Elle y payait gracieusement des moines qui lui indiquait l'état de santé de son tendre père. Elle parcouru la lettre des yeux avant de la serrer contre son coeur. Laissant, la porte entrouverte, elle grimpa quatre à quatre les escaliers de la maison qui l'avait vu naitre. Elle s'installa à son bureau et répondit.



Mon père,

Comme je suis heureuse d'avoir de vos nouvelles. Je me morfondais de rester sans nouvelle. Je me suis donc rapprocher de Terwagne. Cela doit vous faire plaisir que votre petite fille sache faire abstraction de certains de ses principes pour le bonheur de son père qu'elle aime tant. Sachez seulement que je ne peux vous en vouloir. Je suis animée d'un amour infinie pour vous. J'aurais grande peine de vous perdre.

Je suis aisée d'apprendre que vous alliez mieux et vous êtes sorti de votre retraite. Malheureusement, j'avais promis à mère de la rejoindre à Briançon. Je ne pense pas y rester longtemps et profiter de vous. Je rentre donc à Dié dès que possible.

Prenez soin de vous.

Votre princesse pour toujours,
Léane


Le domestique était entré dans la pièce de vie. Il avait refermé la porte derrière lui. Léane descendait les escaliers quand elle l'y trouva.

Tenez. Rapportez cette missive au plus vite au baron de Mevouillou. C'est de la plus haute importance.

Léane craignait que son père ne s'envole encore une fois. Elle ouvrit la porte au domestique et le regarda s'éloigner puis disparaitre au coin d'une rue. Elle grimpa dans le coche et fit route vers Briançon.
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Kernos
Vers la fin de l'acte... et le début du vouloir. Scène 3: "Vers un nouvel horizon"

None, Vêpres puis Complies s'étaient évanouies dans les airs. Le soleil avait observé les hommes s'agiter sous son éclat, travailler, courir, chanter, aimer, mourir, manger, pleurer, rire... chacun suivait le cours de son existence. Puis, l'astre diurne avait gagné le ponant, cédant la place à la Lune. Les volets s'étaient refermés, les torches s'étaient allumés tandis que les étoiles prenaient leur place dans la voûte désormais noire du ciel. Lorsque minuit ne sonna pas, car il n'y avait personne pour prier à cette heure là, sauf les sorcières et autres loups-garous si on prêtait oreille aux superstitions, et que le silence répondait au silence, que la porte de la chambre de Kernos s'ouvrit enfin pour laisser passer le Rouvray, un chandelier à la main.

L'oreille tendue, la respiration contenue, il vérifia que personne n'était dans les parages pour continuer son chemin à pas de velours. La maisonnée entière dormait à poing fermé, tandis que Kernos avançait silencieusement, la flammèche de sa bougie dansant sur les murs des couloirs, insolant et capricieux feu follet tricolore qui illuminait discrètement les ténèbres où il s'enfonçait pas à pas. Dehors, tout était calme également, le Rouvray traversa la cour pavée pour se rendre à nouveau aux écuries sous le regard indifférent des étoiles et des chauves-souris qui nichaient dans les charpentes... elles aussi lui étaient indifférentes cette nuit, chacun était dans son monde et vaquait à ses occupations, et à aucun moment celles-ci se croiseraient: entre la contemplation des célestes éternelles, le besoin vital et primaire de nourriture et la quête de soi-même il n'y avait pas de passerelles possibles.

La main gantée de Kernos souleva le loquet qui couina légèrement. Le Rouvray jeta rapidement un coup d'oeil autour de lui, pas de lumière s'allumant derrière les persiennes, aucun bruits de pas se précipitant vers lui ... il se retint de rire de lui-même et de sa crainte: le maître de maison se comportant comme le dernier des cambrioleurs dans sa propre demeure, quel tableau! Il poussa le battant en bois et leva sa chandelle. Les animaux dormaient également, Kernos s'avança en catimini entre eux, prenant garde de ne pas les réveiller, ni de trébucher, pour atteindre la stalle de son palefroi et prendre soin de l'extirper le plus doucement possible du monde des songes équins. Grayswandir l'accueillit d'un soupir surpris, mais son cavalier l'apaisa rapidement d'une caresse et de quelques mots. Avec méthode et silence, il s'appliqua ensuite à l'équiper pour la monte et le fit sortir dans la cour. Personne ne semblait avoir remarqué quoi que ce soit du manège du Rouvray, qui poursuivit son chemin jusqu'au portail donnant sur la rue. Cette fois, les deux mains seraient nécessaires. Il éteignit son chandelier et laissa tomber les rênes de sa monture pour pousser la barre entravant l'ouverture de la porte cochère, s'attaqua ensuite au verrou et tira enfin le lourd battant pour laisser sa passer son cheval.

Une fois dehors, il repoussa la porte et la verrouilla, avant de grimper sur le dos de sa monture. La rue était déserte à cette heure. La maison des Rouvray ne se trouvait pas à proximité des tavernes et de la grand rue, les noctambules n'y étaient donc pas monnaie courante, et cela arrangeait son affaire. Le claquement régulier des sabots de Grayswandir résonnait sur les murs de pierres des maisons alentours, seule musique venant troubler le repos de la ville là où ils passaient tous les deux, mais pas de quoi tirer le voisinage de son sommeil bien mérité après une journée de besogne. Au loin, il distinguait le bruit apporté par le vent du guet patrouillant dans la cité pour assurer la sécurité des bonnes gens contre le vol et les incendies... après une vie passé au milieu des gens d'armes, on reconnait facilement le cliquetis des casques et des armes d'une troupe en marche, et celui caractéristique des bottes d'un homme alourdi par son équipement de bataille. Kernos n'avait nul envie de croiser leur chemin, non pas qu'il avait quelque chose à cacher, mais cela le ralentirait dans son oeuvre, il fit donc prendre à son cheval une autre direction, pour s'enfoncer plus loin dans le coeur de la cité et s'éloigner du guet.

Homme et monture progressèrent ainsi lentement dans la ville, aussi silencieusement qu'ils le pouvait, avant d'atteindre l'une des poternes de Die. Comme il le prévoyait, celle-ci n'était pas gardée, il faut dire que son utilité n'était guère importante depuis plusieurs dizaines d'années avec le développement d'un nouveau faubourg au pied de la muraille, le poste de garde avait été déplacé et la porte juste barrée de l'intérieur... au cas où. Kernos mit pied à terre et s'employa à ouvrir l'accès... ce fut plus facile à dire qu'à faire, la barre était en place depuis fort longtemps et avait souffert des intempéries, il dut donc sortir sa dague pour l'aider un peu à se décoincer et donner de l'épaule pour faire céder l'accès. Il fallu ensuite faire passer son cheval par l'ouverture, ce qui ne fut pas fort aisé non plus, mais à présent, ils étaient dehors et libres d'accomplir leur mission.

Le Baron remonta donc en selle et s'éloigna des murs de Die pour s'enfoncer dans la nuit et la campagne qui lui offraient leurs bras. L'obscurité était le meilleur des couverts, ses habits épousant habilement les ténèbres environnantes, il pouvait allait à sa guise, sans trop craindre d'être suivi ou repéré non par soucis de discrétion, mais de tranquillité: ce qu'il avait affaire ne regardait que lui, et si le hasard plaçait sur son chemin des malandrins, l'épée qui rebondissait à son côté lui servirait d'assurance.

La Lune pour seule guide, il chevaucha donc près d'une heure vers le Nord, sa destination n'était pas fort lointaine, mais le noir n'aidait pas à se repérer et surtout il lui fallait être plus vigilant pour éviter tout accident de parcourt. Les ombres se faisaient de plus en plus dense autour de lui, à mesure qu'il s'éloignait de Die et des hameaux qui l'entouraient, il avait l'impression de baigner dans une mer de silence et de noirceur, pas une âme vivante à la ronde, pas un seul repère si ce n'était l'Ether flottant dans ce monde sans limite et sans fin dans lequel il s'aventurait... au moins, il y avait Grayswandir, sa chaleur, son souffle, ses mouvements, pour lui rappeler que tout ceci n'était pas une divagation, une nouvelle chimère dans son sommeil. Sentir les battements profonds du coeur de sa monture le rassurait, raffermissait sa conviction: ils étaient bien là, ils étaient bien présents et vivants, îlot d'existence et de conscience perdu dans la nature endormie... Les ombres semblaient grandir et s'épaissir devant lui, s'étendre lentement et sûrement comme une vague courant vers le rivage. Une vague immense, qui se dresse face à vous et menace de vous écraser sous la force irrésistible des océans, de vous emporter loin de tout, au plus profond d'elle-même et du monde... une vague qui vous permet de mesurer à quel point vous êtes minuscule, insignifiant face à l'Univers... un grain de sable dans le désert. Oui, il approchait de son but, il s'enfonça d'avantage vers elle, bravant les éléments, prêt à se fondre avec elle, à accueillir la mort en son sein si c'était son destin, il n'y avait de toute manière pas de retour possible, pas de volte-face, on ne peut fuir une vague déferlant sur vous. Elle le dominait, elle l'écrasait de toute sa présence, fendant les cieux pour lui rendre les ténèbres encore plus profondes et totales, elle l'attendait, l'observait, le narguait... à moins qu'elle n'est même pas conscience de sa présence après tout, il était minuscule comparé à elle, insignifiant. Elle, elle était la mer, l'océan, la manifestation d'une volonté permanente et millénaire, d'une puissance primale sans quoi le monde et la vie ne seraient, capable d'engloutir la moindre réalisation de l'Humanité d'un coup, l'eau qui berçait de son chant la terre sur laquelle il vivait lui, l'Homme, le grain de poussière, l'individu seul, unique, faible, éphémère... incomplet. Oui, il n'était rien en comparaison d'elle, c'est lui qui était présomptueux de se tenir sur son chemin. Ce n'est que lorsqu'il sentit le chemin s'élever de plus en plus vers le ciel sous le sabot de Grayswandir, qu'il prit conscience qu'il était arrivé à destination.

Ce n'était pas une vague d'ombres et de nuit qui se dressait face à lui, mais une des collines qui se trouvaient entre la ville et les monts du Vercors. Il poursuivit son ascension, la pente était douce et le chemin large, il redoubla toutefois de vigilance car le moindre faux pas serait aussi dangereux pour lui que pour son cheval, et il tenait pas à finir sa vie dans un ravin au coeur de la nuit. Kernos et son palefroi mirent plusieurs dizaines de minutes à arriver au sommet. Là, le Rouvray descendit de selle et s'avança face au ciel.

Sous ses pieds, s'étendait l'obscurité, au-dessus de lui, la Lune, ronde, lumineuse, argentée, sereine. A la regarder ainsi, il fut ampli d'une profonde tristesse... la plupart des gens n'en avaient qu'après le Soleil. Il était vrai que celui-ci avait de quoi attirer les dévotions. Il réchauffait les corps et les coeurs, il illuminait d'espoir le monde et les Hommes, faisait germer les récoltes et éloignait les ténèbres. Le Tout-Puissant l'avait donné à Ses Enfants pour en faire le symbole de Son Amour parfait et infini, un symbole d'espoir pour les âmes vertueuses qui lui étaient destinée. La Lune, elle, était liée à la crainte, au tourment, au péché... On la regardait avec crainte, appréhension... Elle était la complice des crimes, des passions, du secret. A elle, étaient destinés les âmes damnées, les pécheurs, les démons... Pauvre Lune, sans cesse habitée par les hurlements, où la souffrance durera éternellement... Pauvre Lune... Ce n'était pas de la pitié, mais de la compassion pour tous ces malheureux qui ne pourraient jamais se repentir et connaître le Pardon et la paix, qui fit couler quelques larmes d'argent sur ses joues avant d'accomplir sa mission. Cette Lune qui connaissait mieux que personne la solitude et la peine, elle qui brillait froidement de l'éclat de millions de larmes, il la prit à témoins.


Ô Lune! Toi qui a veillé sur les feux naissants de notre amour... Toi qui a été la gardienne et la complice de nos aveux et de nos rencontre... Toi qui lui ressemble tellement, au point que je retrouve dans ta lumière celle de son sourire, celle de ses regards... Je te prie... Je te supplie... Aide moi! Aide nous! Rappelle lui notre amour! Rappelle lui que je l'aime! Rappelle lui que j'existe!

Ô Lune, va lui souffler notre mélodie! Va lui dire que je ne n'aurai de cesse de la chercher pour que nos deux êtres chantent à nouveau... Dis lui que peu importe le temps que cela prendra, je la retrouverai car il n'y a pas de rédemption ou de bonheur possible sans elle... que jamais je ne pourrai la détester car elle est tout pour moi... Mes jours, mes nuits, mon souffle, mon âme...

Ô Lune, je fais le serment devant toi que je n'aurai ni repos, ni joie tant que Terwagne ne sera pas près de moi... Dussé je traverser la France entière, je la retrouverai!


Ses yeux restèrent à contempler la rondeur parfaite de la Lune quelques instants encore, puis revint à sa monture pour regagner la ville et préparer la quête qui l'attendait pour retrouver celle qu'il aimait d'une passion insatiable. Plusieurs affaires l'attendaient à Die avant de pouvoir régler son voyage, il fallait notamment qu'il réponde à sa fille qui se trouvait à Briançon... Tout cela... Il ferait tout cela après une bonne nuit de sommeil.
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Kernos
En attendant que le vent souffle

Plusieurs jours s'étaient écoulés depuis le serment sous la Lune, et le vent avait soufflé plusieurs fois depuis lors. Kernos avait commencé par rompre les derniers liens qui le retenait au sein de l'ost, amertume? Désillusion? Sans doute, on ne quitte pas ce qui fut sa vie durant des décennies sans y laisser un peu de soi, que cela soit en bon ou en mauvais. Une sortie discrète pouvait-on dire: pas de cérémonie officielle, pas de remerciements ducaux pour ces années de bons et loyaux services... de toute manière, il n'attendait plus rien des autorités à ce sujet, et il ne fut pas déçu de leur absence de réaction. Ce qui comptait vraiment à ses yeux, ce furent les soldats de Die qui lui offrirent, par un dernier hommage. Au fond, n'était-ce pas ça qui importait vraiment? Certainement oui, il est plus facile d'obtenir la reconnaissance de ses supérieurs que le respect de ses hommes même si eux ne décernent pas de médailles pour cela.

Un ultime discours, un ultime salut sous les bannières et devant les hommes en armes réunis par le Seigneur des Lances Madmaxikki, puis il s'était en allé, tournant le dos à la garnison de Die et à cette part de lui-même. Il se sentit alors libre... Libre de prendre un nouveau départ, d'explorer de nouveaux horizons, mais surtout libre de retrouver la femme qu'il aimait. Bien sûr, il avait quelques affaires à régler avant, lui n'était pas Tempête qui pouvait s'envoler en un clin d'oeil pour disparaître vers l'horizon aussi prestement qu'elle était venu... lui était Chêne, un vieux chêne enraciné depuis des décennies en Lyonnais-Dauphiné, il n'avait pas cette légèreté et cette spontanéité, il lui fallait avant de partir prendre des mesures. Et c'est ce qu'il fit, dès qu'il atteignit sa maison dioise.

Kernos avait besoin d'argent avant tout pour financer sa quête, malgré ce qu'en disait les romans courtois, on ne part pas à l'aventure comme on part en piquenique, avec pour seul bagage ses armes et sa bravoure. Lui, ne partait pas dans une quête au nom de la foi et de l'honneur, son Graal à lui était fait de chair et de sang, une quête bien plus humaine que spirituelle mais qui lui apporterait enfin la paix. Il décida donc de se séparer de quelques terres arables qu'il possédait non loin de Die, cela devait lui permettre de se procurer du ravitaillement en suffisance et de quoi se loger lors de son périple. A présent, il devait s'occuper de remonter la piste qu'avait laissé Terwagne derrière elle en quittant le Duché... cela promettait de ne pas être aisé, cela faisait plusieurs semaines qu'elle avait secrètement disparu sur les routes. Par où allait-il pouvoir commencer? Assis à son bureau, il médita quelques instants.

La Douane! Voilà qui allait l'aider dans son enquête! Les trois frontières du Lyonnais-Dauphiné étaient contrôlées en permanence, si Terwagne avait franchi les Alpes pour gagner la Savoie et les terres d'Empire - ce dont 'il doutait fort puisqu'elle était officier royal- , ou bien prit l'antique voie d'Aggrippa pour descendre ou remonter le Rhône, les agents de la Douane, la Prévôté et l'Ost, le sauraient. Alors, il pourrait établir son plan de route, décider vers où débuteraient ses recherches et se préparer d'avantage en conséquence. Il prit sa plume et commença à écrire.




Kernos Rouvray, Baron de Mévouillon & Sire de Glandage,
A la Dame Marsaly, Commissaire de la ville de Die, salut et paix!

Commissaire, c'est pour des motifs d'ordre purement privé que je prends la plume pour vous écrire afin de vous soumettre une requête.

A la fin du mois d'avril de cette année, vers le 29e jour de ce mois, la Vicomtesse Terwagne Méricourt a pris la route pour quitter notre Duché sans laisser d'adresse. Il se trouve qu'elle est la femme que j'aime d'une passion dévorante, et que je ne pourrai trouver la moindre paix, ni le moindre repos avant de l'avoir retrouvé.

Ma requête est fort simple: je désirerai savoir s'il vous est possible de consulter les registres où sont compilés les rapports de vos services à la fin de ce mois d'Avril 1459 afin de me dire si vous trouvez trace de son passage par notre cité dioise et si elle a quitté les terres du Lyonnais-Dauphiné pour la Savoie.

J'espère que vous pourrez répondre à ma demande, et joins à ma présente lettre mes remerciements.

Que le Très-Haut vous garde!

Faict à Die, le 19e jour du mois de Juin de l'an MCCCCLIX,




Kernos Rouvray, Baron de Mévouillon & Sire de Glandage,
Au Bourgmestre Hiboupreufen, Maire & Sergent de la ville de Montélimar, salut et paix!

Messire, c'est animé par des intérêts on ne peut plus personnel que je vous écris afin d'obtenir de vous un service.

En effet, vers le 29e jour du mois d'avril, la Vicomtesse Terwagne Méricourt, ancien Gouverneur de notre Duché, a quitté le Lyonnais-Dauphiné pour une destination inconnue.

La Vicomtesse étant mon amante, et souhaitant retrouver sa trace, ma demande est très simple: je souhaiterai savoir s'il vous est possible de consulter les registres où sont compilés les rapports de vos services à la fin de ce mois d'Avril 1459 afin de me dire si c'est par votre cité montilienne qu'elle quitta notre Duché.

J'espère que vous pourrez répondre à ma requête, et joins à ma présente lettre mes remerciements.

Que le Très-Haut vous garde!

Faict à Die, le 19e jour du mois de Juin de l'an MCCCCLIX,




Kernos Rouvray, Baron de Mévouillon & Sire de Glandage,
A la Demoiselle Colombine d'Albon, Lieutenant de la ville de Lyon, salut et paix!

Demoiselle, si je vous écris aujourd'hui c'est pour vous soumettre une affaire des plus personnelles qui requiert votre aide.

Vers le 29e jour du mois d'avril de cette année, la Vicomtesse Terwagne Méricourt a pris la route afin de quitter le Lyonnais-Dauphiné sans donner la moindre information sur sa destination. Sa disparition a eu lieu lorsque je me trouvais entre la vie et la mort dans un monastère voisin de Montélimar et plusieurs jours se sont écoulés avant que je n'apprenne la nouvelle et que je sois en état pour me lancer à sa recherche. A présent, je n'ai qu'un seul désir, la retrouver peu importe le temps que cela prendra.

Si je vous dis tout cela, c'est dans l'espoir que vous puissiez regarder les registres des départs de la capitale durant cette période et me dire si la Vicomtesse a été aperçue sur la route partant de Lyon.

Je vous prie et espère que vous pourrez satisfaire ma requête, et joins à ma présente lettre mes remerciements ainsi que mes prières.

Que le Très-Haut vous garde!

Faict à Die, le 19e jour du mois de Juin de l'an MCCCCLIX,


Kernos relut les trois parchemins et y apposa son scel. Il lui fallait également écrire une quatrième, à sa fille cette fois-ci, il prit un nouveau parchemin.



Ma tendre Léane,

Combien de jours encore devront passer avant qu'un père absent depuis si longtemps puisse s'excuser de donner tant de soucis à sa propre fille? Il semble que le sort ait décidé qu'à chaque fois que nous puissions nous retrouver, l'un de nous doit partir...

Mais soit, je suis tout de même heureux d'apprendre que tu n'en veux pas à ton vieux père et que tu t'inquiètes pour lui - même si, je te rassure, je n'aime point te créer de soucis - au point de passer outre certains principes pour tenter de te rapprocher de moi.

J'avoue avoir été fort surpris d'apprendre que tu avais contacté Terwagne, d'autant plus surpris que je suis à sa recherche depuis ma sortie du monastère, et que je n'ai eu nulles nouvelles d'elle, si ce n'est une lettre m'annonçant son départ du Lyonnais-Dauphiné... je ne parlerai pas d'avantage du contenu de cette dernière lettre, qui m'a fortement bouleversé et fait murir en moi une nécessité, une quête que je me dois de mener dès à présent pour la retrouver, où qu'elle ait pu partir dans le Royaume de France, et même au-delà.

Bientôt, je vais devoir prendre la route pour un très long voyage, mais avant cela, je souhaiterai de revoir, ne serait que pour le plaisir de te serrer dans mes bras, mais aussi parce que j'ai réfléchi à quelques dispositions qu'il me faudra prendre à ton sujet.

J'espère donc que tu quitteras bientôt Briançon, à moins que l'impatience me fasse prendre la route vers toi avant.

Je t'embrasse tendrement, ma petite princesse.

Ton père qui t'aime.


Le Rouvray déposa alors sa plume, et appela un de ses valets afin qu'il aille quérir des chevaucheurs pour porter ses lettres à leurs différents destinataires. Ceci fait, il se mit de nouveau à réfléchir... Cela le fit soupirer, il réfléchissait trop en ce moment... trop de loisirs, trop d'oisiveté... il avait bien fait de s'inscrire aux joutes du trophée Minerve, il avait besoin d'exercices pour se retrouver lui-même en partie, l'autre étant sur les routes aux côtés de sa Lune disparue. Il se leva et se munit de son épée pour descendre dans la cour, l'effort physique permettait durant un temps d'éloigner ses pensées sombres, s'il avait été paysan il serait allé labourer ses terres, mais il ne l'était plus depuis longtemps, il alla donc faire le seul métier qu'il lui était encore autorisé de pratiquer: les armes. Quelques moulinets effaceraient peut être les yeux noirs de Terwagne de son esprit... pour quelques minutes.
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Kernos
Un nouveau départ vers le passé, ou bien une fuite vers l'avenir? Là où tout n'est plus qu'acte

L'Eté s'était levé et, avec lui, un soleil nouveau qui enflammait le Diois depuis les sommets du Vercors et faisait régner une chaleur de plomb sur la vallée. Un air brûlant dévalait des pentes escarpées, submergeant les vignes et les champs de blé pour s'écraser sur les remparts de la cité dioise puis les engloutir pour se répandre à travers ses rues et ruelles, envahissant chaque recoin, se faufilant par le moindre interstice pour faire suffoquer les honnêtes gens, tout comme les malandrins. La ville était en son pouvoir et nul ne pouvait en ignorer le joug, tous devaient ployer sous elle, même les plus résistants, même les plus fiers... tous devez s'incliner et suer à grosse goutte au moindre geste, au moindre souffle.

Dès prime, la fournaise avait commencé son oeuvre, encourageant les gens à rester calfeutrer à l'ombre de leur foyer, étendus immobiles sur leur couche pour profiter encore un peu de la fraîcheur nocturne qui s'enfuyait progressivement , et maintenant que tierce avait sonné, il n'y avait plus aucun linge qui ne demeurait sec. Pourtant, malgré la chaleur qui sévissait, la cour de la demeure dioise des Rouvray était en grande agitation. Vêtu d'une simple chemise qui lui collait déjà au corps, de chausses sombres pour la monte et de sa paire de bottes, le front perlant de sueur, Kernos, adossé à l'un des poteaux de charpente de l'écurie, une main sur le pommeau de son épée, regardait ses gens s'activaient autour de lui. Non pas qu'il était le genre à se la couler douce en se déchargeant sur ses employés, mais il avait d'autres sujets de préoccupation pour l'heure, alors tandis que l'on achevait de préparer sa monture et ses fontes, lui réfléchissait à l'itinéraire qu'il allait emprunté dans sa quête.

Les lettres qu'il avait envoyé aux officiers de la prévôté montilien, dios et lyonnais avaient porté leurs fruits. En effet, grâce à eux, il savait désormais que Terwagne avait quitté le Lyonnais-Dauphiné le premier jour de mai en passant par la route partant de Lyon vers la Bourgogne. Si la route pour la capitale ne se prêtait à aucune question, la route au-delà, elle, demandait réflexion car la piste de la jeune femme s'arrêtait aux portes du Duché. La Bourgogne... c'était grand, et il n'avait aucune idée de l'itinéraire exact qu'elle avait put emprunter une fois Mâcon passée, encore moins qu'elle fut sa destination... il n'avait que des hypothèses à se mettre sous la dent, et c'est ce qu'il faisait sous cette apparence nonchalance au milieu des allées et venues, des souffles et des efforts de ses domestiques.

De Mâcon, on pouvait gagner la Savoie mais il doutait que Terwagne ait quitté le Royaume de France pour se rendre en Empire, elle avait donc du gagner l'antique voie d'Aggripa qui remontait vers Chalon, restait à déterminer si elle avait ensuite pris le tronçon du Rhin ou celui de la Mer du Nord... plus simplement soit vers Dijon, soit vers Auton, il avait éliminé la possibilité qu'elle puisse choisir la route de Poligny qui l'aurait conduit en Franche-Comté. Un choix difficile, la Bourgogne était un immense carrefour, un enchevêtrement de routes et de directions, une marche très différente du Lyonnais-Dauphiné... le lieu parfait pour disparaître dans la nature. Il soupira. En procédant par élimination, il lui restait deux options. Etant donné qu'elle était passée par la Bourgogne, cela excluait donc le Bourbonnais-Auvergne, Duché qu'elle aurait pu atteindre directement depuis Lyon, restait donc la Champagne et le Berry. Le Berry... ce duché occupait un volume important dans le récit de la vie de Terwagne, s'était là que sa première vie avait pris fin et qu'elle en avait trouvé une seconde qui s'était achevée en Lyonnais-Dauphiné. Kernos l'y avait accompagné pour y enterrer son passé, avait-elle choisi de soulever le linceul de pourpre dans lequel ils dormaient? Dans ce cas, elle irait certainement à Sancerre, c'est là que ses anciens amis demeuraient, auprès des fantômes de son existence. Mais, s'il se trompait? Et si sa fuite ne concernait pas que leur "nous", mais aussi "elle", celle qu'elle fut, celle qu'elle est... celle qu'elle serait? Alors elle n'aurait pas gagner le refuge de Sancerre... Connaissait-elle quelqu'un en Champagne? Kernos fouilla sa mémoire, son ami Aimelin, n'était-il pas vassal d'un noble champenois? Elle lui en avait parlé déjà... les souvenirs remontaient lentement à la surface... un nom, il lui fallait juste un petit nom... Oui! C'était ça! Etampes sur quelque chose... Il se rappelait que cela l'avait fait tiquer sur le coup, car cela ressemblait au nom du fief de feu le Prince Morgennes. Le Rouvray réfléchit, il avait toujours éprouvé une certaine jalousie instinctive envers le dénommé Aimelin qui avait capté l'attention de Terwagne lors d'une audience à la Cour d'Appel à cause d'une bague... il savait qu'il correspondait avec elle de temps à autre, et qu'elle avait envie de le revoir... Il serra les dents pour contenir le flot de mauvaises pensées qui grondaient en lui. Si elle avait voulu trouver un peu de réconfort auprès d'un ami, sans doute s'était-elle dirigée vers lui, en tout bien tout honneur? Du moins, il l'espérait... Terwagne lui avait révélé que cet homme était du genre séducteur, souvent entouré de femmes... mais si elle l'aimait encore, peut être que... Il s'interdit de penser à cela d'avantage, il fallait se concentrer sur son objectif... son but... sur elle et elle seulement. Il inspira une grande bouffée d'air chaud au point de presque suffoquer.

La Champagne... ou le Berry... il se déciderait une fois en Bourgogne, il parviendrait peut être à glaner quelques informations sur place, mais dans le cas contraire... dans le cas contraire il se dirigerait vers Tonnerre. Cette ville avait toujours attiré Terwagne, normal, que serez une Tempête sans un coup de tonnerre? Avec de la chance, elle serait passée par là et sinon, et bien il serait proche de la marche champenoise et non loin de celle du Berry pour pousser son enquête plus loin. S'il revenait bredouille en Bourgogne, il irait en Champagne pour trouver ce Aimelin, ou bien à Sancerre pour interroger les amis de Terwagne qu'il avait rencontré lors de leur voyage en Berry. L'espoir était mince, mais c'était tout ce qui lui restait, l'espoir... celui de fondre ne serait qu'une seule fois son regard dans le sien comme si il s'immerger dans les eaux sombres d'une mer étoilée... celui d'entendre le son de sa voix ou même juste celui de sa respiration, profonde, chaude, douce... celui de sentir son odeur, ce parfum de giroflée, où se mêlaient des notes sucrées et douces, entêtantes, enivrantes... celui de caresser sa peau hâlée, satinée, frissonnante, palpitante et brûlante... celui de goûter ses lèvres pour y cueillir son souffle... Il ferma les yeux et frémit malgré la chaleur torride.

Mais l'heure n'était plus aux fantasmes, la route l'attendait. Kernos se redressa et quitta son pilier pour s'avancer dans la cour, sous le soleil. Il prit les rênes que lui tendait son palefrenier, Grayswandir souffla bruyament, la chaleur le rendait un peu nerveux, à moins que cela soit plutôt le fait de rester immobile. Le Rouvray lui flatta le museau et lui murmura quelques mots à l'oreille.


Ne t'inquiète pas, vieux compagnon... nous partons.

Il inspecta les fontes que l'on avait accroché à la selle, il détacha la sangle de cuir et vérifia le contenu: de quoi tenir plusieurs jours de voyage sans mourir ni de faim, ni de soif. Il se tourna ensuite vers ses domestiques pour leur donner les dernières instructions pour gérer ses affaires en son absence, puis leur fit ses adieux. Un dernier regard vers ces murs qu'il ne verrait plus avant longtemps et il talonna sa monture pour s'engager dans la rue et vers l'aventure qui l'attendait. Derrière, il y avait tout, devant l'inconnu... il avait fait son choix, maintenant il agissait.

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Kernos
A la croisée des chemins, un cierge pour une lueur incertaine et lointaine...

Le bruit... dans une ville de la taille et de l'importance de Lyon, le bruit est permanent, omniprésent... le bruit de l'activité humaine, le bourdonnement de milliers de souffles et de vies qui marchent, parlent, crient, rient, pleurent, espèrent, aiment de jour comme de nuit. Kernos n'avait pas l'habitude de cette agitation, à l'opposé de la sérénité du monastère où il s'était réveillé voilà deux mois, du calme du Fort de Mévouillon ou de l'isolement de Glandage, jusqu'alors cela ne l'avait jamais dérangé lors de séjour à la capitale, cela avait quelque chose de grisant, d'exaltant comme si la cité elle-même respirait... c'était comme se retrouver dans le ventre de sa mère, et sa mère s'appelait "Lyon": elle vous nourrissait, elle vous protégeait et vous la sentez vivre tout autour de vous, mieux encore vous faites partie d'elle, vous êtes une des milliers de petites existences qui composent ce grand Tout... elle n'est rien sans vous, vous êtes rien sans elle, c'est une union, une symbiose qui vous dépasse et vous englouti... Un sentiment puissant et indéfinissable, une sensation de liberté et d'achèvement... Mais pas aujourd'hui.

Toute cette agitation, toute cette vie, tous ces gens, ces murs, ces toits... Kernos étouffait, l'oppressait... La grande communion s'était brisée, à présent il se sentait comme étranger à tout cela, à ses semblables... Il se sentait isolé, un grain de sable dans le grand rouage, un ilot de différence et de solitude au milieu de cette grande marée humaine, comme un bateau perdu à la dérive sur cette immensité d'eau grouillante de vie. Il avait perdu l'amarre qui le reliait à la terre, au monde et aux gens ... sa boussole... son étoile du berger... sa Terwagne, et depuis lors, il avait le sentiment de n'être ni entier, ni lui-même, de ne plus être homme mais l'ombre d'un homme, il n'appartenait plus à leur monde... à ce monde, et comme tout corps étranger dans un organisme, Lyon, les hommes, le rejetaient.

Tout en errant à travers le labyrinthe des ruelles moins fréquentées de la capitale, Kernos se disait qu'il aurait sans doute mieux fait de camper hors des murs plutôt que de s'arrêter dans une des auberges lyonnaises, loin de tout et surtout des hommes qui lui rappelaient à quel point il se sentait seul et différent d'eux... Mais comme un papillon de nuit, les lumières de la cité des hommes l'avaient attiré irrésistiblement et à présent le brasier avait commencé à consumer ses ailes. Il avait besoin de trouver un refuge pour panser ses brûlures, un peu de paix ou plutôt d'oubli... quelques instants de répit seulement dans cet enfer qu'était devenu Lyon. Voilà pourquoi il marchait à travers les passages les plus étroits et les moins fréquentés de la capitale, loin des grandes rues et des places, à l'abri de la foule, là où le bruit de la vie florissante des citadins devenait rumeur lointaine qu'un courant d'air lui apportait de temps à autre quand il arrivé à la croisée des ruelles. Là, entre les façades de pierres et de bois des habitations reculées, coupé du reste de la ville, il se sentait presque en paix, mais la quiétude n'était que de courte durée sitôt qu'un volet s'ouvrait, ou que le murmure d'une conversation lui parvenait. Il avait besoin d'un refuge plus sûr que le dédale lyonnais, un sanctuaire où artisans, commerçants, mendiants et passants seraient absents, un endroit retiré hors du monde, hors du siècle, un lieu comme...

Kernos leva les yeux vers le ciel bleu pâle de juillet. Au-dessus des toits de tuile, deux tours blanches se dressaient comme les mats d'un bateau perçant à travers la brume. Deux tours massives, immuables qui émergeaient du tumulte gris, pentu, anguleux et désordonné formé par le faîte des habitations agglutinée tout autour d'elles, comme un phare se dressant dans la tempête pour le guider... la cathédrale! Il avait trouvé ce dont il avait besoin pour l'heure. Résolu, il se détourna des ruelles pour s'enfoncer dans les artères principales de Lyon afin de rejoindre le havre qui lui était apparu, mettant sa souffrance de côté pour se fondre dans la masse des hommes.

Le tribut fut lourd, mais le résultat en valait le coup. Après une longue marche pendant laquelle il dut se frayer un chemin entre les étales, les charrettes et autres joyeusetés symbolisant la prospérité et l'activité locale, Kernos parvint enfin sur le parvis du saint édifice et sans la moindre cérémonie, ni même prendre le temps d'admirer la façade magnifiquement ouvragé, il s'engouffra dans l'antre du Très-Haut.

Un autre monde s'ouvrit à lui. Dès que la lourde porte se referma dans son dos dans un léger claquement, le bourdonnement cessa immédiatement, noyé sous le déferlement du silence serein qui régnait en ces lieux. La lumière aveuglante s'était fondue en une obscurité étincelante d'un millier de lucioles dansant au milieu des ombres grandioses s'élevant vers la voûte céleste constellée de pierres, enveloppées d'une fraîcheur apaisante où flottait un parfum envoûtant, mystique, de terre humide, d'encens et de cire brûlée. Kernos ferma les yeux un instant, autant pour s'imprégner de l'atmosphère que pour habituer sa vue à la pénombre, puis s'avança à travers la nef. Les bancs étaient déserts, le prochain office n'avait lieu que dans deux heures, cela offrait un répit suffisant pour lui, il continua donc sa progression jusqu'à l'une des chapelles secondaires où il alla s'assoir.

Attendre... lui qui était d'un naturel patient pourtant, c'était devenu une torture à présent... Attendre... Attendre, encore et encore alors qu'il était à sa recherche, que chaque minute, chaque heure qui passait était un risque supplémentaire qu'elle s'éloigne d'avantage de lui... mais avait-il le choix? Il avait déjà suffisamment pressé l'artisan pour que sa commande soit traitée le plus rapidement possible, le pauvre homme malgré la meilleure volonté du monde ne pouvait travailler plus vite. Il fallait donc ronger son frein et supporter encore Lyon quelques heures, le temps de se rendre à la boutique dans une heure puis de retourner à l'auberge pour récupérer ses effets et sa monture. Après, ce serait de nouveau la liberté d'être seul et d'accomplir sa quête... chevaucher au gré des chemins vers l'inconnu, vers la réussite ou bien l'échec. Le Rouvray se rendait bien compte que cela n'était pas entre ses mains, ni même le fruit de sa volonté propre, cela appartenait à la Fortune, au hasard, au sort, au destin mais aussi à elle. Après tout, même s'il parvenait à la retrouver, peut être que Terwagne le repousserait, que savait-il de ce qu'elle avait vécu depuis son départ? Rien... strictement rien... Tout dans son acte puisait dans l'espérance, mais il n'avait plus que ça en poche de toute manière, l'espoir, aussi infime soit il, c'était ça où attendre en vain, se résigner et mourir à petit feu. Alors il agissait, "alea jacta est", sauf que ce n'était pas le Rubicon mais la Saône qu'il franchirait, et non en conquérant mais en pèlerin jeté sur les sentiers de l'amour. Peut être devrait-il demander le concours et l'approbation du Très Haut pour son oeuvre? Vu les chances de parvenir à ses fins un peu d'aide, même spirituelle, serait la bienvenue. Il s'agenouilla les mains en prière.


Seigneur, voilà bien longtemps que je ne me suis pas tourné vers Toi et que je ne T'ai honoré par la prière,
Dieu je m'en accuse et demande Ton Pardon.
Seigneur, ce n'est pas par manque de foi, ni par reniement que je me suis éloigné de Tes églises et de leurs servants,
Dieu, Tu le sais Toi qui sais lire en nos coeurs et nos âmes.
Seigneur, aujourd'hui je suis agenouillé devant Toi pour demander l'absolution de mes fautes et Ta Divine Providence,
Dieu, parce que j'ai foi en Ton infini Amour envers Tes enfants.
Seigneur, je ne Te demande qu'à pouvoir vivre à nouveau dans l'espérance et la vertu, en compagnie de la femme que j'aime,
Dieu, je T'en supplie accorde-moi de conduire Terwagne à l'autel pour nous unir devant Toi.
Amen!


Peut être n'était-ce pas très pieu, et sans doute peu orthodoxe comme prière, mais il n'avait plus que celle-ci à soumettre. Il paraissait d'ailleurs que ce n'était point la forme, mais la sincérité que l'on y mettait qui rendait la prière efficace, d'autres arguaient que c'était le nombre d'écus que l'on glissait dans la poche du curé mais Kernos n'était pas de ceux là. Il se redressa et alla allumer un cierge, agrandissant ainsi la grande farandole des flammèches illuminant les panneaux et les sculptures ornant la chapelle. Un étincelle parmi tant d'autres, une prière parmi tant d'autres, un homme en quête d'espoir et de réponses parmi tant d'autres... il s'assit de nouveau pour patienter, rêvant de routes, d'une paire d'yeux noirs étoilés, d'avenir peut être.
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