Terwagne_mericourt
Depuis combien de jours, semaines, mois, avait-elle réellement quitté "La Vie"?
Elle ne parvenait pas à s'en souvenir avec exactitude. Pour tout dire, elle ne parvenait même pas à dire avec précision ni à quelle date, ni dans quelles circonstances elle l'avait quittée. Peut-être était-ce parce que ce départ s'était fait petit à petit...
Oui, à bien y réfléchir ce départ n'avait pas été comme une porte claquée avec violence, dans un moment de colère, au fond, et la raison de ce flou dans sa mémoire devait être à chercher là.
Cela avait plutôt été comme une perte de luminosité lorsque le soir tombe. On est attablé, penché sur un écrit, plongé dans ses pensées, et tout à coup, lorsque l'on relève les yeux, on s'aperçoit que la nuit est là et le soleil parti, sans même qu'on en aie eu conscience, sans pouvoir dire avec précision à quelle heure le jour s'est achevé et la nuit née... Oui, voila, c'était exactement cela : son appétit de vivre s'en était allé petit à petit, comme une fleur mourant feuille par feuille, comme une plage de sable fin se faisant engloutir vague après vague, et non par un raz de marée.
Les premières vagues qui avaient emporté son appétit, elle s'en souvenait encore parfaitement, c'était la politique qui les avait amenées, lors de son mandat de Gouverneur... Une tempête qui avait emporté pas mal de grains de sable, mais pas tous pourtant, et qui avait fini par se calmer, sans réussir à emporter tout, loin de là même.
Les vagues suivantes, plus fortes, plus poignantes, portaient en leur sein les visages de ce qu'elle nommait "sa famille", et étaient faites non d'eau salée mais bien de déception. Une déception qui avait pris tellement de place dans son coeur qu'elle avait réussi à lui couper toute envie d'encore sortir, parler, échanger, chercher à avancer.
C'était à cette époque, lui semblait-il, qu'elle avait réellement quitté "La Vie", celle qui est faite de rencontres, de sorties, d'investissement, pour épouser la solitude, celle qu'elle n'avait finit par briser que pour rejoindre Kernos en son domaine, certaine qu'à ses côtés la faim renaitrait en elle.
Et tout le long du chemin qui devait la mener vers lui, au coeur de ces montagnes qu'elle avait traversées pour rejoindre son domaine, au sein de cette neige qui lui avait mordu la peau, elle l'avait sentie la faim, en effet! Elle l'avait sentie renaitre en son ventre, grandir à chaque pas, devenir tiraillante, brûlante, faisant accélérer les battements de son coeur, battre ses tempes, trembler ses jambes... Une faim d'aimer, une faim de lui, une faim d'eux, mais surtout une faim de vivre et ressentir comme jamais encore elle n'en avait connu jusque là.
C'était avant que ses pas ne croisent ceux de ce nourrisson perdu au coeur de l'hiver, cette créature à peine née et qu'elle avait vu comme un don du ciel fait à la femme désespérée d'enfanter un jour qu'elle était alors, avant qu'elle le recueille, avant surtout que le ciel ne lui reprenne ( voir "Quand on coule, il y a deux possibilités")
A cet instant de ses souvenirs, une larme naquit au bord de sa paupière et elle ferma les yeux pour l'empêcher de rouler sur sa joue. La larme ne coula pas, en effet, mais les images affluèrent, les images de cette vie s'en allant contre son sein alors qu'elle même quittait "La vie". Oui, c'était à cet instant précis, qu'elle avait définitivement perdu l'envie, l'appétit, le souffle. A cet instant précis que le fil qui la retenait au monde s'était rompu!
Cela faisait plusieurs mois à présent. De nombreuses semaines faites d'isolement, de fuite, de soins prodigués à son âme dans le silence d'un couvent dont elle n'était sortie que ponctuellement pour rester en contact avec la Cour d'Appel et envoyer quelques missives à Kernos.
Kernos... Lui qui avait été tellement impuissant à cicatriser ses plaies qu'il n'avait trouvé d'autre solution que de la confier aux soins d'un couvent. Lui qu'elle s'était surprise à détester lors de ses crises de larmes, injustement, lui en voulant d'avoir la chance de connaitre les joies de la paternité quand elle-même n'aurait jamais la joie de donner la vie.
Elle l'avait détesté, oui, pour ensuite se détester elle-même de ressentir de tels sentiments à son égard, d'être aussi injuste dans sa peine, aussi monstrueuse dans sa douleur, aussi égoïste dans son naufrage.
Kernos... Qui n'avait répondu à aucune lettre depuis, qui lui manquait, qu'elle aimait de toute son âme, même si celle-ci n'était pas encore totalement guérie.
Kernos... Dont l'absence de nouvelles venait de la pousser à sortir de sa retraite pour de bon, à revenir à "La Vie". Cette "Vie" où il devait encore être, et où elle finirait bien par le retrouver, dusse-t-elle pour cela retourner tout le duché.
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Elle ne parvenait pas à s'en souvenir avec exactitude. Pour tout dire, elle ne parvenait même pas à dire avec précision ni à quelle date, ni dans quelles circonstances elle l'avait quittée. Peut-être était-ce parce que ce départ s'était fait petit à petit...
Oui, à bien y réfléchir ce départ n'avait pas été comme une porte claquée avec violence, dans un moment de colère, au fond, et la raison de ce flou dans sa mémoire devait être à chercher là.
Cela avait plutôt été comme une perte de luminosité lorsque le soir tombe. On est attablé, penché sur un écrit, plongé dans ses pensées, et tout à coup, lorsque l'on relève les yeux, on s'aperçoit que la nuit est là et le soleil parti, sans même qu'on en aie eu conscience, sans pouvoir dire avec précision à quelle heure le jour s'est achevé et la nuit née... Oui, voila, c'était exactement cela : son appétit de vivre s'en était allé petit à petit, comme une fleur mourant feuille par feuille, comme une plage de sable fin se faisant engloutir vague après vague, et non par un raz de marée.
Les premières vagues qui avaient emporté son appétit, elle s'en souvenait encore parfaitement, c'était la politique qui les avait amenées, lors de son mandat de Gouverneur... Une tempête qui avait emporté pas mal de grains de sable, mais pas tous pourtant, et qui avait fini par se calmer, sans réussir à emporter tout, loin de là même.
Les vagues suivantes, plus fortes, plus poignantes, portaient en leur sein les visages de ce qu'elle nommait "sa famille", et étaient faites non d'eau salée mais bien de déception. Une déception qui avait pris tellement de place dans son coeur qu'elle avait réussi à lui couper toute envie d'encore sortir, parler, échanger, chercher à avancer.
C'était à cette époque, lui semblait-il, qu'elle avait réellement quitté "La Vie", celle qui est faite de rencontres, de sorties, d'investissement, pour épouser la solitude, celle qu'elle n'avait finit par briser que pour rejoindre Kernos en son domaine, certaine qu'à ses côtés la faim renaitrait en elle.
Et tout le long du chemin qui devait la mener vers lui, au coeur de ces montagnes qu'elle avait traversées pour rejoindre son domaine, au sein de cette neige qui lui avait mordu la peau, elle l'avait sentie la faim, en effet! Elle l'avait sentie renaitre en son ventre, grandir à chaque pas, devenir tiraillante, brûlante, faisant accélérer les battements de son coeur, battre ses tempes, trembler ses jambes... Une faim d'aimer, une faim de lui, une faim d'eux, mais surtout une faim de vivre et ressentir comme jamais encore elle n'en avait connu jusque là.
C'était avant que ses pas ne croisent ceux de ce nourrisson perdu au coeur de l'hiver, cette créature à peine née et qu'elle avait vu comme un don du ciel fait à la femme désespérée d'enfanter un jour qu'elle était alors, avant qu'elle le recueille, avant surtout que le ciel ne lui reprenne ( voir "Quand on coule, il y a deux possibilités")
A cet instant de ses souvenirs, une larme naquit au bord de sa paupière et elle ferma les yeux pour l'empêcher de rouler sur sa joue. La larme ne coula pas, en effet, mais les images affluèrent, les images de cette vie s'en allant contre son sein alors qu'elle même quittait "La vie". Oui, c'était à cet instant précis, qu'elle avait définitivement perdu l'envie, l'appétit, le souffle. A cet instant précis que le fil qui la retenait au monde s'était rompu!
Cela faisait plusieurs mois à présent. De nombreuses semaines faites d'isolement, de fuite, de soins prodigués à son âme dans le silence d'un couvent dont elle n'était sortie que ponctuellement pour rester en contact avec la Cour d'Appel et envoyer quelques missives à Kernos.
Kernos... Lui qui avait été tellement impuissant à cicatriser ses plaies qu'il n'avait trouvé d'autre solution que de la confier aux soins d'un couvent. Lui qu'elle s'était surprise à détester lors de ses crises de larmes, injustement, lui en voulant d'avoir la chance de connaitre les joies de la paternité quand elle-même n'aurait jamais la joie de donner la vie.
Elle l'avait détesté, oui, pour ensuite se détester elle-même de ressentir de tels sentiments à son égard, d'être aussi injuste dans sa peine, aussi monstrueuse dans sa douleur, aussi égoïste dans son naufrage.
Kernos... Qui n'avait répondu à aucune lettre depuis, qui lui manquait, qu'elle aimait de toute son âme, même si celle-ci n'était pas encore totalement guérie.
Kernos... Dont l'absence de nouvelles venait de la pousser à sortir de sa retraite pour de bon, à revenir à "La Vie". Cette "Vie" où il devait encore être, et où elle finirait bien par le retrouver, dusse-t-elle pour cela retourner tout le duché.
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