Les yeux , oui les yeux , voici ce qui s'accroche , se harponne, se fixe , reliant tout le reste l'âme , le corps , et tout ce qui va de l'un à l'autre , les yeux.. ceux de Clarri soudain, dans les siens .Et le monde s'arrête , sa course prend fin, se suspend, tout s'echange à cet instant , les doutes, les peurs , l'espoir , la supplication, la peine , le désir , l'amour.
Clarri, dont le vert des yeux offre tant de teintes diverses , sonde celui d'Alou, d'onyx presque sans pupille , héritage de son père , alors pourtant qu'une lumière presque disparue y renait , une flamme , un petillement .
Et voilà qu'un sourire accompagne ce regard , sourire , deuxième signe , alors que le corps ne bouge pas encore , hormis cette commissure de lèvres qui s'etire , doucement , presque peureusement , comme pour dire : c'est fini, hein? c'est fini toi sans moi?
Doigts brûlés qui finissent dans la bouche d'Alou , apaisant le feu de sa salive , puis entre les siens , se soudant , s'entrelaçant , avant de partir vers leurs chez eux rattrapper un temps d'etreintes et de culbutes , tantôt rageuses , tantôt tendres , souvent acrobatiques , gourmandes , inventives , vertigineuses , amoureuses , toujours .
Puis... la vie reprend doucement son cours , cours arrêté comme lors d'une secheresse , tarissant l'onde , source non tarie , juste amoindrie , n'attendant que la saison à venir et la fonte des neiges pour redescendre la montagne joyeusement .
Zezette , le présent d'Hermine et Scorpon, ânesse de son état , la fâcheuse tendance à connaitre le bienfait du câlin , en abusant fréquemment , sachant aussi que lasses , Clarri ou Alou finissait toujours par lui filer une carotte ou une miche pour pouvoir se débarrasser un instant de ce vampire avide d'affection qu'elle était .
Un pré pour brouter , deux filles tendres à aimer , la vie était belle ... elle grandissait , sans encore se soucier des mâles du coin qui se prenaient pour des cheveux lorsqu'ils humaient son odeur , relevant soudain la tête , la queue en panache , alignant pattes de devant dans un trot royal , piaffant et se cabrant , parade amoureuse qu'elle regardait d'un il encore froid , mais plus pour longtemps .
Puis soudain, un pigeon gris anthracite , presque noir , lesté à sa patte d'un vélin encombrant ,se posta en face d'Alou, messager du diable qu'il était, il stupide de celui qui n'est responsable de rien , qui ne fait que passer l'information, à qui on ne peut pas répondre , qui s'en bat l'aile qui plus est .
Etrange comme lorsqu'il s'agit de quelque chose d'intime , le pressentiment est de mise, Alou n'aimait d'emblée pas cette bête hormis à la broche , sauf celui de Clarri tout doré .
Il fallait pourtant libérer ce piaf stupide , dont le seul talent était le sens de l'orientation , ou sa chair cuite ... puisque le bonheur ne pouvait pas durer , que la joie , cette radasse se faisait la malle à nouveau, elle le sentait bien, arracha presque le message de l'oiseau qui manqua repartir sans réponse , et le déroula en tremblant .. le cachet venait de loin, et ce n'était pas l'écriture d'Hermine :