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[RP] De la roulotte à l'hacienda

--Rodrigo




L’alcool généreusement appliqué sur sa plaie lui fait un mal de chien. Il serre les dents, il serre les poings, si fort que ses ongles entament la chair des paumes de ses mains.

Mais il a entière confiance en Malika. Ces soins un peu rudimentaires sont un mal nécessaire. D’ailleurs sa douce infirmière le rassure. L’infection n’a pas gagné sa blessure. Le mieux serait pourtant de rester immobile quelques jours.

Bercé par les caresses et les baisers de son amour de gitane, il s’endort sous une épaisse couverture, entendant à peine les derniers mots prononcés.

Un ou deux siècles plus tard, c’est à nouveau le doux contact des lèvres de Malika sur les siennes qui le tire du sommeil. Il a dormi un jour entier, puis toute la nuit. La belle tamponne délicatement son front avec un bout de tissu humide. Elle a le regard inquiet, mais son sourire est le plus merveilleux des remèdes. Rodrigo se sent beaucoup mieux que la veille, en effet. Le tendre dévouement de Malika l’a remis à neuf, et sa robuste constitution a également contribué à sa résurrection. Le jeune Portugais se tâte. Son ventre et ses hanches sont enveloppés d’un nouveau bandage propre, blanc comme la neige couvrant les montagnes qu’ils viennent de traverser. Aucune tâche de sang ne le souille.

Grimaçant légèrement, il pose un bras sur l’épaule de sa gitane. Aide-moi, amor, je vais essayer de me redresser. Nous touchons au but maintenant, et si ma grande carcasse le permet nous allons reprendre la route. J’ai vraiment hâte d’arriver, et de te présenter à mes parents. Je suis certain qu’ils vont t’adorer. J’aimerais aussi constater comment se porte mon père.

Visiblement, Malika ne l’entendait pas de cette oreille. Rodrigo écoute ses vives protestations, mais sa décision est prise. Il s’attendait à une telle réaction, et, bien sûr, sa compagne a parfaitement raison, ce serait plus prudent de rester sur place encore un jour ou deux, mais, c’est promis, ils vont chevaucher plus lentement. D’ailleurs le sentier semble bien entretenu, il offre peu de pièges ou de dangers. De plus, le temps s’améliore depuis qu’ils ont franchi les Pyrénées. Ca ira …

Malika hoche la tête, résignée. Elle a compris que son amant n’en démordra pas. Soit ! Elle remplit les fontes de sa monture avec les bibelots qui jonchent le sol de la cabane, puis aide son bien-aimé à se hisser en selle. Au petit trop, ils prennent la direction de la lointaine hacienda. Chaque foulée de leurs chevaux les rapproche des parents de Rodrigo, mais les angoisse un peu plus, même s’ils ne se l’avouent pas. Quel accueil leur sera t’il réservé ?

--Malika
J’ai vraiment hâte d’arriver, et de te présenter à mes parents. Je suis certain qu’ils vont t’adorer.
Malika lève le regard sur lui, elle le voulait enjoué mais l’inquiétude la dévore. Comment peut-il penser que sa famille la recevra avec plaisir ? Elle, une étrangère, issue du métissage d’un homme des dunes et d’une fille des steppes. Même si elle a hérité de la blondeur et des yeux clairs de sa mère, elle ne sera pour eux qu’une usurpatrice, une aventurière, une gitano, une fille de rien.

Mais Rodrigo a tellement l’air d’y croire, qu’il lui donne le courage de les affronter. Elle leur fera voir à tous de quoi elle est capable, elle se coulera dans le moule de la noblesse et son élégance naturelle ressortira encore plus quand elle sera richement vêtue. Jusqu’à maintenant elle n’a jamais pensé à ces futilités, se contentant d’être elle, sans artifice.

Elle ne craint personne, sa culture multiple lui permet de se sentir à l’aise dans toutes les situations et dans tous les milieux .
Mais là, ce sont des parents qu’elle va rencontrer et qui, selon la lettre qu’il a reçue à Paris, ont déjà arrangé la vie de leur fils au mieux des intérêts familiaux.
Et Isabella ? Elle sera sûrement blessée dans son orgueil si ce n’est aussi dans son cœur, elle qui est promise à Rodrigo depuis l’enfance. Mille questions se heurtent dans sa tête.
Elle sourit à son amour, ne voulant rien lui montrer de ses inquiétudes.

En chantonnant une mélopée stsigane elle selle les chevaux, Terrra!!viens mon beau !On rrepart !Elle remet les fontes en place, roule les couvertures, et aide Rodrigo à enfourcher sa monture.

Le temps est assorti à l’Océan, d’un gris sourd et profond. L’orage gronde au loin, elle resserre sa cape et talonne Terra. Ils partent au petit trot après avoir échangé un très long baiser où toute la tendresse du désespoir caché se fait sentir.

Il lui répète qu’il l’aime, mais une fois de retour à l’hacienda, en sera t’ il toujours de même ? Soit ! Les dés sont jetés. Ils chevauchent toute la journée, ne s’arrêtant qu’un minimum. Depuis longtemps, les cimes enneigées des Pyrénées ont disparu. Leur route s’écarte à présent de l’Océan, ils sont aux portes de la Galice.
--Rodrigo




Plus tard, deux jours après le malaise de Rodrigo et l’arrivée de dona Isabella chez dona Philippa.

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Douce nuit dans une infâme gargote de pêcheurs hirsutes et débraillés, exhalant d’écœurantes odeurs d’algue et de morue. La petite chambre dont on leur a donné les clefs est située juste au-dessus du comptoir. Elle est encombrée de cageots, de filets, de rouleaux de cordages, qu’ils doivent enjamber pour gagner la couchette. Juste ciel ! A travers les cloisons modestes retentissent les rires et les vociférations des morutiers éméchés. Tant pis ! Ils n’ont pas le choix. De toute façon, les deux amants ne distinguent pas longtemps ces braillements. Seuls au monde, ils s’aiment tendrement, avant de s’endormir, épuisés, enlacés.

C’est le départ des matelots vers les débarcadères du port qui les réveille, et ils reprennent sans tarder la route, après que Malika ait changé les pansements de Rodrigo. Au bout de quelques longs galops, le paysage devient familier pour le jeune officier. Ici, ce ruisseau à l’eau claire et vive, il s’y baignait quand il était gamin. Là, ces arbres et ces talus, il les escaladait sous l’œil inquiet de dona Philippa, sa maman, lors de petites excursions dans la campagne, au printemps. Rodrigo revoit tous ces instants heureux d’un passé si proche encore, et il fait partager tous ses souvenirs à sa douce gitane.

Nous approchons de la propriété de mes parents, amor. Plus que quelques lieues … Ne t’inquiète pas, mon cœur, tout se passera bien.

Les voilà sur la colline, parfumée de mimosas et de muscats en fleurs. En bas, au bout d’un chemin tortueux, la blanche hacienda de la famille do Setubal, imposante, silencieuse, écrasée par le soleil de midi, entourée de vignes et de champs, à perte de vue. Le regard de Rodrigo se repaît de cette image enchanteresse. Il est chez lui, enfin. Comment a t’il pu quitter ce paradis si longtemps ? Il approche sa monture de Terra, et prend la main de Malika, doucement.

Nous sommes arrivés, mon ange. Regarde comme ce domaine est joli. Tu vois, là, au centre, c’est le patio, la cour intérieure …

Et, fièrement, du bout du doigt, il lui désigne toutes les pièces se dissimulant sous les toitures colorées. Puis, plus loin, les remises, les hangars, l’écurie, la chapelle, les jardins soigneusement entretenus. Une des passions de sa maman, qui aime y lire et y écrire dans le calme, assise sous la tonnelle.

Allons-y, amor. Un dernier effort. D’abord mes parents à te présenter, et m’enquérir de la santé de mon père, et ensuite un bon bain chaud. Ce ne sera pas du luxe, je pense.

Les deux cavaliers dévalent le monticule au galop, franchissent les barrières, puis se dirigent plus lentement vers les pièces de vie. Au loin, deux silhouettes descendent les escaliers, bras-dessus, bras-dessous. Le sourire de Rodrigo se fige. Aux côtés de sa mère, la belle Isabella, sa promise! Mais ce n’est pas lui qu’elle dévisage, c’est Malika, crinière au vent, un singe accroché à son cou.

Le jeune officier dégringole de sa monture, saisit délicatement sa gitane par la taille, et la pose à ses côtés, gardant un bras sur son épaule. L’instant est cruellement embarrassant. Comment éviter une prise de bec dès son arrivée ? Le regard de sa mère lui semble glacial. Mal à l’aise, il regarde les deux femmes plantées à trois pas de lui.

Euh … Maman, Isabella, je suis enfin de retour … Je vous présente Malika, mon … ma … mon amie.

--Dona_isabella



Dans sa chambre de poupée de cire, Isabella regarde son reflet, une dernière fois, avant de descendre rejoindre doña Silvia et doña Philippa, déjà toutes les deux prêtes pour l'arrivée du marin, de son époux promis.
Elle a accroché soigneusement la broche en forme de figuier offerte par sa belle-mère sur sa robe non loin de son cœur qu'elle sentait battre de plus en plus fort, battre d'amour pour son Rodrigo.

Et puis, un galop survient, un galop tant attendu, le galop du mois.

La belle Isabella sort de son boudoir, descend les escaliers en compagnie sa belle-mère et sa très belle mère. Son sourire est tellement large, tellement parfait, tellement lumineux qu'il pourrait illuminer toute la terre entière. Ses bras sont prêts à accueillir son tendre amour, ses doigts à le toucher et ses lèvres à l'embrasser ... ou lui parler de beaucoup de choses, de tous ces mois sans lui, de cette attente qui lui a paru interminable, et de ses sentiments qui n'ont fait qu'amplifier.

Pourtant, les pieds d'Isabella s'immobilisent, se stoppent dans leur élan, incontrôlables à l'entrée de la demeure, à la vue des chevaux. Son si joli sourire se transforme en une sorte de grimace -qui n'en est pas moins jolie, d'ailleurs-, ses sourcils se froncent en signe d'incompréhension et de surprise, ses yeux s'écarquillent, sortant presque de leurs orbites, sa bouche s'entrouvre pour laisser échapper un quelconque mot, mais rien n'y fait.
Tous ses plans pour ses retrouvailles avec Rodrigo font faillite, s'évanouissent, s'évaporent. Un nuage de fumée se forme au-dessus de sa tête. Son expression est des plus ébahies, presque comique, mais surtout inattendue en voyant SON marin et la femme à côté.

Toutefois, elle tente de reprendre les rennes de son cerveau en mimant un certain sourire et papillonnant des yeux.
Elle pose une main sur le bras de Philippa, se demandant si c'est qu'un simple cauchemar ou si c'est la triste réalité. Dommage pour toi ma belle, tout est bien vrai.

Ignorant les paroles de Rodrigo, Isabella dévisage hautainement la gitane à ses côtés, avec sa tignasse blonde et son animal étrange au cou. Cette fille n'a même pas sa vingtaine, ne porte visiblement pas de signe de noblesse, est habillée avec des chiffons trouvés dans la rue et des bijoux de misère. Bon sang, mais qu'est ce qu'elle fabrique ici, dans le domaine des Joao Do Setubal do Minho, l'une des plus riches familles du Portugal, dans les bras de son époux promis depuis sa plus tendre enfance ?!

Elle relève légèrement le menton, attrape sa robe pour descendre le palier et se dirige vers Rodrigo tout en s'éclairant la voix.
Cherchant à ce même instant le contact avec son marin, elle prend presque naturellement le bras posé sur l'épaule de Malika pour le remettre sur son épaule à elle, nue et toute à lui. Instinctivement, elle s'enfonce contre son torse, son nez à la recherche de son odeur qu'elle avait pas oubliée depuis son départ.
Puis elle se dégage et le regarde droit dans ses pupilles, sentant le sourire encourageant de sa belle-mère derrière elle et sûrement les yeux pleins d'envie de la gitane. Elle dépose un baiser, doux et plein de promesses sur sa joue.


Oh, Rodrigo, comme je suis heureuse de te revoir ! Oh... tu m'as tellement manqué, et à ta mère aussi ! Mais, tu dois être fatigué, allez, on rentre. Tu dois avoir faim aussi, et puis soif ! Viens, viens...


Elle passe un bras sur sa taille, l'entrainant lentement dans la demeure.
Tout en avançant, elle lui glisse à l'oreille, espérant ainsi qu'il sente son parfum de jasmin, son préféré :


Et... cette jeune fille... d'où vient-elle ? Pourtant, il me semblait que ta mère avait assez de domestiques, rajoute -t-elle on-ne-peut-plus-fort.
--Malika

Le bras protecteur de Rodrigo entoure ses épaules, elle est lasse , fatiguée et rêve d’un baquet d’eau chaude et parfumée, pour se débarrasser de cette poussière collante, redonner du brillant à ses cheveux et enfin sentir son envoûtant parfum de gardénia, au lieu de la puissante odeur de suint de cheval. Un flacon de verre de Venise en renferme toujours une bonne quantité et elle l’emporte toujours avec elle, où qu’elle aille .

Les deux femmes s’approchent, Malika ne s’attendait pas à un accueil des plus chaleureux mais comptait bien sur Rodrigo pour l’introduire en douceur dans sa famille. Un léger sourire se dessine sur ses lèvres entrouvertes, et, le regard inquiet, elle est suspendue aux lèvres de son amour.

Euh … Maman, Isabella, je suis enfin de retour … Je vous présente Malika, mon … ma … mon amie.

Elle pâlit, son homme, son Capitaine se comporte comme un enfant pris en faute, il baisse les yeux, rougit même, elle à du mal à refouler les larmes qui montent à ses yeux, son sourire s’efface, son visage se ferme.

La plus jeune d’entre elles se rapproche, une lueur de haine dans son regard sombre, les lèvres figées dans un rictus qui se veut enjôleur.
Elle ignore Malika, se précipitant sur Rodrigo, l’embrassant, le détachant de sa gitane, l’entraînant, un bras entourant sa taille en signe de possession, vers le perron de la magnifique demeure .
Elle est pétrifiée et songeuse, des questions se heurtent dans sa tête.
« Comment se fait-il que ce soit Isabella qui les a réceptionnés, elle n’est pas chez elle ici, c’est la maîtresse de maison qui aurait dû le faire. La jeune femme aurait elle tant d’importance ? Son beau marin lui aurait-il menti ? »

Le groupe commence à s’éloigner, elle reste là, seule désemparée,appuyée contre Terra pour ne pas tomber, Rolio sur une épaule et Igor lui prend le poignet dans sa gueule, il sait, il sait qu’elle va défaillir….

Et... cette jeune fille... d'où vient-elle ? Pourtant, il me semblait que ta mère avait assez de domestiques.Dans un brouillard elle entend les dernières paroles prononcées perfidement par Isabella.

Sous l’affront son sang noir de gitane bondit dans ses veines, son regard devient aussi glacial qu’un torrent de montagne. Elle enfourche Terra, serre plus fort dans sa main la cravache de cuir.
Un appel sec « Parancsnok ! ( Capitaine) »
Happé par les deux femmes, Rodrigo se retourne pour la voir, fière, étriers aux pieds, ses cheveux fous entourant son visage d’un halo de lumière. Glaciale et lumineuse, elle se rapproche du groupe, un regard de dédain posé sur lui » Sais tu au moins ce que tu veux ? Parancnock ? »
Elle détourne la tête vers Dona Philippa, un sourire irrésistible » Senhorra, j’ose espérrrer que le retour de votrre fils rendrrra la santé au Seigneurr Joachim. »

Puis se rapprochant encore à toucher de ses bottes Isabella, ses yeux plantés dans les siens.
Chez nous Senhorrita, malgré votre fortune, mais par votre manque d’ éducation, et votrre ignorrance des lois de l’hospitalité,vous n’arriverrriez pas à la hauteurr de la cheville de n’imporrte quel domestique !

Son regard se porte alors sur Rodrigo
Capitan ! Il faut savoirr choisirr, tu as deux jourrrs, je reviendrrai dans deux jourrrs.

Pour la première fois elle éperonne Terra, qui se cabre, et ils s’éloignent sur le chemin soulevant derrière eux un nuage de poussière. Curieux équipage que cette jeune femme, accompagnée d’un grand chien noir et d’un petit singe, qui se dirige vers la ville la plus proche.










--Rodrigo



Le voilà mal embarqué. Comme d’habitude, il se dégonfle comme un soufflé au fromage devant le regard de sa mère. Non, il n’a jamais été un fils révolté ou contrariant, en aucune circonstance. L’enfant gâté ne deviendra jamais un rebelle. Sa volonté s’effiloche un fois de plus. Et ses piètres explications n’ont pas été bien transparentes quant à la présence de Malika à ses côtés. Ni très franches, ce qui n’est pas en son honneur. Elles laissent la porte ouverte à toutes les interprétations. Et même si Isabella, au fond d’elle, a sans doute tout compris, elle ne se laisse pas déstabiliser. Elle se précipite dans la faille. Elle va s’accrocher bec et ongles à son Rodrigo, et à tous les projets d’avenir qu’elle a bâtis autour de leur union future.

Le baiser qu’elle lui donne le prend au dépourvu. Et déjà elle l’entraîne vers la demeure, le laissant pantois.

Quoi qu’il en soit, la situation se complique et risque même de s’envenimer. Il connaît très bien les caractères impulsifs et fiers de sa promise de toujours et de l’adorable gitane dont il est tombé sous le charme, comme ça, de manière totalement inattendue, alors que son propre destin semblait tracé comme une route rectiligne et sans obstacles.

La remarque perfide d’Isabella, prononcée volontairement pour que tout le monde puisse l’entendre, ne pouvait laisser la belle gitane sans réaction. Bien sûr, Malika n’apparaît pas à son avantage pour l’instant, et la gracieuse portugaise aux vêtements raffinés considère sans nul doute cette rivale inattendue comme une simple mendigote, comme une gueuse en guenilles. Oui, c’est exact, elle est couverte de poussière, depuis ses longues boucles blondes jusqu’à la pointe de ses bottes, sales et usagées. Mais elle n’est pas une moins que rien, et les mots de l’élégante et riche Isabella la mettent en rogne. Et toc. La réplique fuse comme ces éclairs qui déchirent le ciel. Aussitôt les doigts de sa promise se crispent sur son bras. Elle non plus n’apprécie pas d’être rabaissée au niveau d’une servante, ou plus bas encore. Les yeux des deux jeunes femmes s’enflamment. L’affrontement verbal semble inévitable.

Mais Malika, imprévisible, en décide soudain autrement. C’est à lui qu’elle s’adresse à présent. Deux jours. Elle va disparaître deux jours. C’est le délai qu’elle lui concède pour prendre une décision. Deux jours et rien de plus. Rodrigo est atterré par cet ultimatum. Il retrouvait un zeste de courage, et là voilà qui s’en va pour une destination inconnue. Où diable peut-elle aller ? Elle ne connaît personne dans ce pays. Il en reste muet, le bel officier. Oui, il s’est comporté comme un pleutre, et il le regrette. Mais là, tout au fond de ses entrailles, il n’a pas changé d’avis. Il espère que sa gitane va revenir bien plus vite que ça, et qu’il regagnera sa confiance, s’il l’a perdue. Il a tout gâché par sa seule faute, et son cœur saigne d’une immense douleur silencieuse.

Capitaine ! Ce surnom qu’elle lui donne n’est pas fait pour le rassurer, hélas. Elle ne l’utilise que lorsqu’elle est en colère.

Impuissant, il la regarde s’éloigner, esquissant malgré tout un geste dans sa direction pour la retenir. Geste bien dérisoire. Au galop, Malika disparaît déjà sur le chemin qui serpente à travers les champs, soulevant un épais nuage de poussière grise qui retombe lentement.

Muette jusque là, sa mère parle enfin. Elle va droit à l’essentiel. Cette fille peut revenir ou pas, ça n’a pas d’importance. Elle n’est pas la bienvenue. Elle n’est qu’une quantité négligeable. Une péripétie. Ils n’ont rien en commun. Et dona Philippa invite Isabella et Rodrigo à la suivre dans l’hacienda, plus précisément dans la chambre de son époux. C’est bien pour prendre de ses nouvelles que son fils est revenu, non ? Et ce n’est pas une aventurière surgie d’on ne sait où qui va contrarier ses plans.

Elle entrouvre silencieusement la porte de la chambre où son mari Joachim se repose. Mais Arminho, convalescent, dort profondément. Son souffle est puissant et régulier. Inutile de le déranger. Quelques heures de sommeil supplémentaires ne pourront que lui faire le plus grand bien, et hâter sa guérison. Le trio gagne les cuisines pour y prendre un rafraîchissement. Mais Rodrigo a les idées ailleurs. Même s’il essaie tant bien que mal de participer à la conversation, un peu laborieuse, seul son corps est présent.

--Ines



Fidèle à ses bonnes habitudes, qui consistent à vouloir tout connaître, tout voir, tout entendre, Inès observait, depuis la fenêtre de sa chambre, les flâneries de sa jeune maîtresse et de dona Philippa entre les parterres en fleurs, et leur amicale conversation. Ces deux-là s’entendent à merveille, cela saute aux yeux, leur estime et leur complicité sont évidentes.

Inès sourit. Elle est en adoration pour l’altière dona Isabella. Les moindres confidences de sa part la réjouissent, l’honorent. Elle vit à travers elle. Elle partage ses émotions. Elle a le sentiment d’appartenir à son monde, à sa noblesse, d’être une personne importante parmi les représentants d'une classe sociale privilégiée, d’être bien plus qu’une modeste dame de compagnie comme il en existe dans toutes les familles bourgeoises.

Elle tend l’oreille lorsque les deux dames passent sous sa fenêtre, qu’elle a discrètement entrouverte. Elle ne distingue, hélas, aucun des petits secrets chuchotés en catimini. Seul le prénom de Rodrigo lui parvient, répété maintes fois, ce qui ne la surprend nullement.

Soudain, dans la cour, les deux bourgeoises s’immobilisent, fixant des yeux l’entrée du domaine. Deux cavaliers approchent, précédés d’un chien. Ah, un peu d’animation dans la tranquille hacienda baignée de soleil. Inès aperçoit enfin leurs traits. Voilà donc le retour du fils tant attendu, du fiancé tant désiré. Le beau Rodrigo. Mais … mais il est accompagné d’une jeune beauté blonde qu’il couve des yeux. Ce regard ne trompe pas Inès, femme d’expérience, d’une immense sagesse, et d’un jugement sans faille. Elle se penche pour ne rien perdre de la scène, dissimulée derrière une magnifique glycine en fleurs épousant étroitement le mur.

Et le ton monte entre dona Isabella et cette fille plutôt jolie mais sans aucune classe et mal fagotée. Cet empoté de Rodrigo semble mal à l’aise. Bon dieu ! Que nous a t’il ramené là ? Pas une catin française, quand même ? Il n’oserait pas. Inès enrage de n’entendre que quelques mots prononcés avec plus d’animosité.

Tiens ! Voici que l’inconnue talonne son cheval et s’éloigne sans tourner la tête. Personne ne la suit. Lui aurait-on promis quelques écus pour qu’elle disparaisse ? Que le diable l’emporte, cette donzelle ! Qu’elle aille donc exercer ses talents ailleurs. Et si jamais elle revient dans le but de ruiner les projets de mariage de dona Isabella, elle comptera en Inès une adversaire de taille, qui ne lui fera aucun cadeau.

--Malika


Les yeux noyés, le souffle coupé, Malika se laisse porter par Terra. Elle ne voit ni les sombres forêts de chênes, ni les champs de vignes aux vertes feuilles naissantes, riches de futures récoltes, ni la chaleur du soleil, maintenant au zénith, qui cependant ne la réchauffe pas.

Elle suit la berge d’un rio. En longeant son cours il l’amènera bien jusqu'à la mer. Elle arrive enfin aux portes de la ville qui étale sa richesse, ses somptueuses maisons portant blason, ses promeneurs richement parés, qui détournent le regard sur son passage.

Ralentissant le pas de Terra, elle traverse des ruelles qui sentent bon la vie, des étals de fruits colorés, de légumes frais cueillis. Du coin de l’œil, elle voit Rolio se servir sans attirer l’attention des maraîchers, un fruit dans chaque main. Elle ne s’inquiète pas, il la rejoindra plus tard et plus loin.
Des échoppes de tisserands attirent son regard. Au travers des vitraux on y voit de beaux atours, des châles, des robes, des pourpoints. Plus loin une boulangerie fleure le bon pain frais. Elle s’y arrête un instant pour acheter une miche à la croute dorée et craquante, elle la partagera avec Igor.
Plusieurs tavernes bruyantes. Des maisons de prêts tenues par des usuriers vénitiens. L’influence maure se fait sentir. Il y a de beaux jardins, des fontaines rafraîchissantes. Au détour d’une venelle elle découvre un Hammam tenu par une matrone sans âge, assise devant sa porte.

Sa monture boite, elle ne l’a pas ménagé son bon vieux Terra, la route a été longue et sans repos. Ils arrivent sur une plage, et, d’un pas tranquille, ils atteignent les bords de l’océan, où les vagues vont et viennent dans un doux murmure, déposant une écume mousseuse vite avalée par le sable blanc .
Sautant à terre, elle desselle Terra, le bouchonne avec une brassée d’algues sèches. Il peut rester libre, elle n’a qu’à l’appeler pour qu’il revienne. Igor fait le fou avec une branche de bois blanchie par les vagues et le sel, Rolio arrive avec ses fruits chapardés.
Elle s’assied au pied d’une dune, les pieds dans le sable et les jambes au soleil. Elle savoure cet instant de bonheur. Rodrigo .... Devant ses yeux, l’image de Rodrigo et d’Isabella se matérialise, une douleur foudroyante la traverse, elle laisse libre court au torrent de larmes qu’elle ne peut plus endiguer.

Il faut qu’elle réfléchisse, deux jours c’est long et c’est court. Heureusement elle n’est pas sans argent, elle farfouille dans le sac de cuir, et sa jupe fleurie est bien là, avec dans l’ourlet les pièces d’or, d’argent et quelques pierres fines. Il y en a bien assez pour faire quelques achats et lui rendre allure humaine.
Perdue dans ses pensées, les heures passent, il faut qu’elle trouve un abri pour la nuit. Elle est méfiante, les tavernes ne sont pas faites pour une jeune femme, les moniales du couvent la regarderaient de travers . « Le hammam, oui, bien sûr, le hammam ». D’abord elle en a grandement besoin, ensuite connaissant l’hospitalité Maure elle y sera sûrement en sécurité. Elle reprend donc le chemin de la ville.

Malika arrive devant la porte de bois sculptée, quelques coups tapés, la vieille femme vient ouvrir, et lui adresse un grand sourire édenté.
« Salam jaddatoun (Bonjour grand-mère), je suis Malika, fille de Bachir El Mahassine El Kabir »
La vieille femme ouvre grands ses bras, serre la jeune fille sur sa poitrine. « Halama ebnati adkhala fi a’manzil » (Bienvenue ma fille entre dans ma maison ).Tu as faim ? Viens te désaltérer, viens prendre un bain.Ma maison est ta maison, entre petite reine.Je m'appelle Fatima.

--Dona_isabella


Un nuage de poussière se lève sous les nez des bourgeoises et du marin, la gitane blonde filant au galop en direction du centre de la ville.
Qu'elle s'y perde, cette garce, et qu'elle ne revienne plus jamais mettre ses pieds sales dans ce domaine ou je m'occupe personnellement de son cas, se jure intérieurement Isabella tout en serrant le bras de Rodrigo qui hésite visiblement à la retenir.

Une fois réunis tous les trois, entre famille -enfin!-, la jolie héritière des Gonzales d'Almirante se remet à respirer normalement, relâchant la pression sur l'avant-bras de Rodrigo, se rendant compte que ses ongles s'étaient plantés dans sa chair.
Son visage reprend une expression normale, celle d'une jeune femme heureuse de voir son époux promis en compagnie de sa belle famille. Le regard haineux envers Malika lorsqu'elle lui avait répondu s'est transformé en des yeux de chat, doux et pétillants, on aurait même cru qu'elle était prête à ronronner en se frottant aux jambes de son maître, son amour.

Un fois sa colère redescendue dans le fin fond de sa gorge, elle commence à parler sur un ton assez surpris, tout en suivant doña Philippa, qui les emmène dans la chambre de Joachim, son mari convalescent.


Eh bien, quel caractère ! Vous avez vu comment elle a osé m'insulter ? Elle ne perd rien pour attendre, cette moins que rien. C'est tout toi ça, mon beau Rodrigo. Tu ramènes toujours des souvenirs de tes voyages mais j'avoue que cette fois, tu t'es légèrement trompé sur le cadeau ! Si elle se comporte comme ça dans la ville, elle peut très vite avoir un procès pour trouble à l'ordre public...


Le Seigneur de Joao Do Setubal do Minho, sur sa couche de roy, dort tranquillement. Isabella le regarde un moment, essayant d'éprouver la douleur de Rodrigo à ce même instant, en voyant son père, malade, vivant peut être ses derniers jours sur cette magnifique terre...

Enfin, magnifique. Elle l'aurait été encore plus si cette blonde aux cheveux frisés ne serait pas intervenue dans l'histoire. Maintenant, son tendre marin a l'air pensif, à des milliers de distances d'eux. Il ne parle pas, ne bronche pas, ne participe pas aux conversations. Bon sang, se serait-il attaché à cette gitane ?!


Ils descendent dans les cuisines, entre les gloussements des femmes, bientôt rejointes par la mère d'Isabella, et les silences de Rodrigo, qui ne cesse de soupirer.

Tandis que les deux vieilles femmes papotent, la jolie brune fait un signe de l'œil à Philippa puis entraine son fils dans le grand salon, vide et pourtant meublé de riches canapés et de tables, commodes,...
Elle lui adresse un doux sourire, s'assoit, l'invite à faire de même.


Tu t'en rappelle, c'est ici que nous jouions quand nous étions enfants... je me cachais dans la pièce et toi tu devais me retrouver. Qu'est ce que nous avons pu rigoler, tous les deux ! Je... elle se rapproche doucement de lui, ses genoux contre les siens. Moi je m'en rappelle parfaitement. J'y pense tous les jours, à notre amitié, à nos promesses, à nos rires... elle lève la tête, ses lèvres près de son oreille, lui murmure: tous ces mois sans toi ont été un supplice pour moi, quelques jours de plus et je mourrais de désespoir, finit-elle en rapprochant en posant ses lèvres sur sa joue et posant une main sur sa cuisse, puis, dans un souffle, elle dit : je vous aime tellement, Rodrigo don Setubal, tellement... cette fois, elle s'allonge à moitié dessus, passant ses mains autour de son cou et sa bouche à la recherche de celle de son marin mais...

La porte du salon s'ouvre et la voix de doña Philippa retentit, stridente et à la fois joyeuse, alors Isabella repousse Rodrigo, se remet assise correctement, toute affolée.


Les enfants, le dîner est prêt !
--Rodrigo



Il se laisse entraîner dans le salon, sans comprendre ce qui lui arrive. Serait-il en train de déposer les armes, déjà ? De faire une croix sur Malika, par facilité, par faiblesse ? Ou bien est-il confiant dans l’épaisseur de sa propre carapace, et persuadé qu’il ne succombera pas à la tentation, ni aux efforts d’Isabella pour le reconquérir ? Toutes ces questions se posent à lui, et il en ignore les réponses.

Il la suit donc, et une énorme vague de nostalgie déferle en lui aussitôt qu’il pénètre dans le salon avec elle. Une pièce vide n’est pas toujours vide, non. Au contraire. Là, il entend leurs éclats de rire qui résonnent, jaillissant des quatre coins du salon. Là, il perçoit les odeurs de ces délicieuses pâtisseries au miel dont ils raffolaient tous les deux. Ici, il distingue le vacarme de leurs courses, de leurs jeux, de leurs poursuites. Et les mots d’Isabella réveillent en lui un cortège de souvenirs heureux. Oui, le revoilà, il a dix ans. Le revoilà, mignon bout de chou obéissant et pacifique, caché derrière le canapé où ils sont assis à présent.

Vive et espiègle, narquoise et turbulente, Isabella pénètre en coup de vent dans le salon. C’est à son tour de retrouver son petit compagnon de jeu. Elle a un an de moins, mais elle est diablement futée. En quelques instants, la mignonne a exploré toutes les cachettes possibles. Il ne reste que le divan, où plutôt l’espace minuscule entre le mur et le divan. Et la fillette rieuse escalade le dossier puis se laisse glisser à côté de son camarade. Voilà, je t’ai trouvé, comme d’habitude. J’ai encore gagné ! C’est à moi maintenant. Rodrigo n’a pas le temps de prononcer deux paroles que déjà Isabella est disparue dans une autre pièce, telle un tourbillon insaisissable.

Fin du flash-back. Une main fine glisse le long de sa jambe. Revoilà l’Isabella conquérante et possessive, lui parlant d’amour avec flamme et passion. Le ramenant ainsi aux interrogations du présent. Elle est presque sur ses genoux, cherchant ses lèvres. Et lui ne sait comment réagir à ce contact qui se veut enjôleur et tendre. Il se sent coupable, il se sent lâche, il se sent sale. Il est conscient qu’il va briser les rêves de sa promise. Mais comment le lui annoncer ? Il recule légèrement son visage, juste assez pour éviter sa bouche, sans heurter son amour-propre, sans la blesser dans ses illusions.

Attends, Isabella, il faut que je te dise que …

Soudain, la porte s’ouvre à la volée, et sa maman apparaît. Un sourire satisfait illumine son regard. Elle ébauche un petit rire complice qui signifie « je vous ai vus, les tourtereaux, et ça me comble de joie ! ». Oui, ses « enfants » partagent le même divan, assis l’un contre l’autre, Isabella manifestant un trouble évident dès son entrée. Aah, quel coquin son Rodrigo, à peine revenu il avait déjà les mains baladeuses. Oui, décidément, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ils pourront bientôt officialiser leur union. Cette maudite aventurière est déjà totalement oubliée.

Isabella et Rodrigo se lèvent, rejoignant leurs mères respectives autour de la table joliment décorée et abondamment garnie. Le pichet de vin rosé passe de mains en mains. Mais la bonne humeur de Rodrigo n’est qu’une façade, à nouveau. Il est urgent de mettre les points sur les i, de donner les explications nécessaires, mais d’abord à la jeune femme, et pas devant tout le monde. Le moment viendra bientôt, après le repas, sans doute, s’il ne tombe pas comme une masse après cette journée épuisante.

Les trois femmes parlent de toilettes, de bijoux, d’une fête en honneur de son retour. Il sourit, il approuve, il hoche la tête. Oui, oui, bonne idée. Mais son esprit n’est pas à la fête. Il écoute à peine. Une vive inquiétude le taraude. Il a les mains moites. Il se maudit de ne pas avoir tenté de suivre sa gitane. Où est-elle en ce moment ? Que sait-elle des dangers qui peuvent la guetter ? Où va t’elle passer la nuit ?

--Malika


Enfin, un visage ouvert et amical ,Malika rentre dans la maison au jardin ombragé ,une écurie jouxte le hammam ,Terra et Igor seront aussi à l’abri. La vieille femme la fait asseoir sous un olivier, lui porte quelques pâtisseries parfumées à la fleur d’oranger et un thé à la menthe des plus revigorant.

Petit à petit la gitane se détend, un sourire revient sur son visage encore poussiéreux. Il émane de Fatima une grande bonté, elles commencent à parler, et la vieille est intarissable. Elle connaît de réputation le père de Malika, l’homme qui vivait dans les étoiles, toujours à essayer de comprendre ce qui ce passait dans le ciel, à passer des nuits entières à étudier les cartes des astres.

Les poèmes qu’il écrivait sont toujours lus dans tous les palais d’orient.
Puis cet homme avait quitté l’Andalousie pour suivre une Tsigane à la crinière blonde comme les blés en été, aux yeux transparents comme des lacs de montagne et qui chantait comme un rossignol. Elle avait eu la sagesse de laisser ce grand savant vivre comme il le voulait et pour les choses qu’il aimait. Il avait trouvé auprès d’elle la paix un épanouissement total, la liberté et un immense amour. Il était devenu une légende. « Tout comme toi, petite Reine. Savais-tu que ton prénom, Malika, signifie « petite reine ». D’ailleurs tu ressembles à ta maman, mais ton cœur est celui de ton père »
Son départ de Hongrie, soutenue par sa grand-mère, pour fuir un mariage imposé, son arrivée à Paris à la cour des miracles à la recherche de son cousin qu’elle n’a jamais trouvé .
Cette immense déception de se retrouver dans une ville sale, malodorante, sans air et sans lumière. Comment, pour gagner sa vie, elle chantait dans les tavernes et les bordels, et aussi l’agression qu’elle avait subie de la part de trois soudards ivres.
Puis sa rencontre avec Rodrigo,Officier de marine, un coup de foudre réciproque. Elle l’avait suivi jusqu’ici parce qu’il l’avait voulu ainsi, pour voir son père mourant. Mais……….Mais…… « Voilà grand-mère tu sais tout »

La vieille Fatima la regarde avec une ombre de tristesse.

Ne crains rien ma fille, c’est l’histoire qui s’écrit à l’envers, mais si cet homme t’aime, toute les richesses apportées par Dona Isabella Gonzales d’Almirante, ni même sa beauté, ni l’amour qu’elle peut lui porter, ne pèseront bien lourd face à toi, petite Reine.

Après un long silence. « Si c’est l’inverse, tu n’auras rien perdu »

L’imposante Fatima se lève et invite Malika à venir dans la salle humide et chaude du hammam. La jeune gitane descend trois marches et entre dans une piscine d’eau tiède et parfumée, où des pétales de roses flottent à sa surface. L’eau est délicieuse, le bien-être complet. Avec délice elle se laisse couler pour ressortir un peu plus loin en riant, puis Fatima la fait s’allonger sur une table recouverte de mosaïques colorées, commence à recouvrir son corps de terre d’argile, pour poursuivre par de savants massages, lui faisant une peau neuve et douce, l’épilant avec du sucre et du citron mélangés, finissant son travail avec des huiles adoucissantes et parfumées.

Dans une douce béatitude l’esprit de Malika s’envole vers Rodrigo, vers ses bras autour d’elle, ses lèvres douces, ses mains caressantes, les mots qu’il murmure à son oreille…

La voyant partir sur l’autre rive, celle du sommeil, Fatima la sort de son rêve, lui proposant d’aller rejoindre la couche qu’elle a préparée dans l’alcôve de sa maison. Fatima lui porte un dernier gâteau au miel, un bol de thé « Repose toi petite Reine, demain tu auras encore une grosse journée, mais de plaisir cette fois. Nous irons te faire très élégante »

La vieille femme dépose un doux baiser sur son front. Malika se glisse entre les draps frais et doux, épuisée par les émotions, la course folle, et la détente apportée par Fatima, puis elle sombre dans un sommeil profond.
--Joaquim




Une paupière s’ouvre, puis la deuxième, doucement Joao s’éveille. La journée passée au lit a été salvatrice. Entre réalité et imaginaire, les images et les sons se sont succédés ; difficile de faire la part du réel dans un demi-sommeil.
La somnolence mélange tout ; l’irréel devient notre propre univers.
Notre inconscient submerge notre conscience.
Les désirs, les envies, les phobies, les regrets, les projets s’enchevêtrent pour créer leur propre histoire, ils prennent possession de notre esprit.
Cette réalité alternative devient une deuxième vie ; aussi légitime que la première, elle prend corps et le ressenti est aussi fort que notre vie quotidienne. Le subterfuge du cerveau est puissant et nous nous laissons emporter par son flux continu d’images, de sonorités, de reliefs et de douleurs…

Joaquim lentement se défait de ces rêves et cauchemars qui ont habité son esprit.
Il émerge.

Les paupières se sont ouvertes et Joao s’est éveillé !

Le volcan reprend ses effusions de lave, ses volutes de fumées, ses crachats de poussières.
Une santé de fer l’habite…

Un appétit d’ogre le pousse à aller aux cuisines. Avec la faim qui le tenaille, il se sent prêt à avaler un sanglier tout entier.

D’un pas nonchalant, il contemple les pierres de son château.
Il croise un de ses domestiques qui s’incline et salue son seigneur, ce dernier est surpris de voire le maître lui rendre son bonjour d’un air guilleret.

Au détour d’un long corridor, il aperçoit le régisseur de son domaine tout acquis à la cause d’Arminho. Celui-ci, aussi vieux que son seigneur, avait du servir sous ses ordres pendant ses campagnes de mercenaire, mais nul ne connaissait son passé. Personne n’aurait songé à lui poser la moindre question.
Il accompagnait Joaquim à son retour sur ses terres.
Sous la protection d’Arminho, aucun des habitants du château n’aurait mis en cause la fidélité de ce serviteur aussi malin que costaud. Haut comme un peuplier, fort comme un chêne, ce fidèle des fidèles obéissait à son maitre et lui était dévolu.

Aussitôt la conversation s’engagea entre les deux hommes…

Le géant lui appris que son fils était de retour… qu’il était accompagné d’une magnifique jeune femme… que son fils avait l’air d’être très épris de cette beauté dorée… il lui expliqua comment elle fut accueillie par l’assistance féminine… il répéta toute la scène avec gestes et imitations…
Au fur et à mesure du récit et sans trop savoir pourquoi la colère montait en Arminho…

Tout d’abord elle fut dirigée contre son fils, elle effaçait la joie de son retour… puis sa colère se détourna de son enfant pour se diriger contre Isabella et dona Philippa… une multitude de sentiments, de questions l’assaillaient… Comment son fils avait-il pu trahir sa confiance et ramener une soubrette… il avait trahit ses parents, sa promise…
Puis son incompréhension s’effaça et il se fit protecteur…
Comment pouvait-on s’en prendre à son fils…
Qu’est ce cette mégère et cette pimbêche avaient fait… Humilié son fils en public, expulsée la jeune dulcinée de Rodrigo…

Joao s’était promis de faire le bonheur de son fils, ce serait son ultime cadeau…

Même si son fils n’avait pas respecté ses plans et dieu sait qu’il détestait qu’on remette en cause ses projets. Il se rappela la promesse qu’il s’était faite : le bonheur de son fils…

Comme son fils, Joaquim a sillonné les routes, bourlingué. Il connaît la valeur des rencontres que l’on peut faire sur les chemins et au fil des aventures. C’est dans de telles circonstances que l’on reconnait la valeur des hommes et des femmes que l’on côtoie.
Si Rodrigo s’est amouraché de cette jeune donzelle, alors c’est que son choix est le meilleur.
Les réflexions de Joao défilent à une vitesse folle, elles se contredisent, se croisent, se confirment.
A la fin, il voit clair, il se rangera du côté de son fils…
Il appela son régisseur à la peau mate…

- Alif (ami) sais–tu ou est allée cette « beauté dorée » ?
- Elle est partie en direction de la ville.
- Bien, je te charge te la retrouver et de me la ramener. Bien sur dans la discrétion la plus complète.
VA !


Le gigantesque maure s’exécute, son maître ordonne, il obéit.
Ce qui les unit ne date pas d’hier : les combats, les massacres, les geôles, la faim, les maladies, la gloire, les butins…
Ils ont connu tout ça dans leur jeunesse commune.

Avant de courir l’aventure, il servait un tout autre personnage, là bas en Andalousie, un sage, un poète. Pourtant il n’avait pas hésité à lui dérober quelques biens avant de s’enfuir. Il lui restait un gout amer de cet acte.
Depuis son enfance tout le monde l’appelait Kahdim, un nom qu’il avait voulu effacer… Qui pourrait vouloir porter le nom de Khadim (serviteur)…
Non il partirait vers le nord, vers les richesses, il se ferait un nom. Peut être deviendrait-il pirate ou chef de bande, le plus grand des bandits…

Enfin de compte, il croisa sur la route de la gloire Joaquim, qui le prit sous son aile, lui, le maure gaussé de tous… Sous la protection de Joaquim, il reçut le nom de Sajara (arbre)…
Sa masse imposante, son physique aura finalement choisi son nom. Il en était fier. Sajara le fort, le puissant… Sa compagnie était rassurante dans les batailles. Arminho et Sajara était devenu un binôme invincible.
Puis de fil en aiguille les deux hommes étaient devenus inséparables, Sajara s’était promis de servir le seigneur portugais jusqu’à la mort.


Sajara déambulait dans les rues et ruelles de la ville, posant questions, ratissant le moindre coin, n’oubliant aucune taverne, ni auberge. Las de ne rien trouver, il décida de s’octroyer un moment de détente, il prit la direction du Hammam. Son amie Fatima, le recevrait avec plaisir. Ils deviseront dans leur langue. Le maure lui récitera les poèmes de son ancien maître. Tout cela lui avait mis l’eau à la bouche…
Il frappa à la porte de bois sculptée, une vieille femme vint ouvrir, et lui adressa un grand sourire.

Les deux complices traversèrent un jardin ombragé, passèrent devant une écurie jouxtant le hammam. La vieille femme le fit asseoir sous un olivier, lui apporta quelques pâtisseries parfumées à la fleur d’oranger et un thé à la menthe.

- Comment te portes-tu mon amie ? lança Sajara.
- Très bien…
Sajara bu son thé à la menthe et soupira.
- Que se passe t-il ? s’enquit Fatima.
- Je n’arrive pas à remplir ma mission. C’est peut être la plus importante, la plus noble. Il leva la tête vers le ciel. Et je suis en train d’échouer.
Sans brusquer le vieux régisseur, Fatima, lui demanda de tout lui raconter…
--Fatima



Le regard doux et protecteur de Fatima ,se pose sur Malika elle surveille encore durant quelques instants le sommeil de son invitée imprévue.
Emue par ses confidences, touchée par son désarroi. Ecœurée à jamais par la cruauté des hommes, et surtout par celle de ces trois soldats en goguette qui ont pris de force cette jeune enfant blonde. Trop blonde, trop belle …
Dans son pays de sable et de vent, au-delà de la mer, famille et amis se seraient joyeusement chargés de leur couper les attributs, les laissant ensuite mourir dans d’horribles souffrances, abandonnés dans les dunes de sable, le corps déchiqueté par les vautours. Mais est-ce la bonne solution ? La vengeance est un démon impitoyable. N’est-il pas préférable d’oublier ? Ou d’essayer d’oublier ?

Elle se lève en poussant un long soupir. Et murmure : Dors petite Reine, va rejoindre au galop ton bel officier. Tu le trouveras au détour de tes rêves, sur la colline, tendant les bras vers toi … Et demain tu seras la plus belle. D’ailleurs tu l’es déjà. Je ne sais pas si de luxueux vêtements y changeront quelque chose. Si son amour est sincère, ton Rodrigo ne t’en aimera pas davantage. Mais si tu le fais plutôt pour rabattre le caquet de ces nobles dames prétentieuses et malveillantes, tu as mille fois raison. Puissent leur rage et leur colère les étouffer !Al kalba !( les chiennes)

Et Fatima s’en repart grignoter un gâteau au miel et débarrasser la table en chantonnant. L’épuisement et la révolte ont eu raison de la résistance de Malika, mais il est encore tôt. Le jour décline à peine, sa douce clarté s’éteint lentement. C’est bientôt l’heure de méditer et de prier sous l’olivier, dont l’ombre va peu à peu se mélanger aux ténèbres de la nuit.

Soudain, la porte d’entrée résonne de quelques coups discrets, retenus. Une visite ? Un client pour le hammam ? C’est bien tard ! A la vue du visiteur, son visage s’éclaire. Son ami Sajara est toujours le bienvenu pour partager quelques friandises et le thé traditionnel, et surtout pour discuter pendant des heures. Cependant, le visage cuivré de cette force de la nature semble particulièrement soucieux. Sajara est confronté à un douloureux problème, à une mission primordiale, lui confie t’il.
Son ami lève les yeux au ciel, comme si la solution était inscrite entre deux nuages de chaleur, et allait se révéler à lui, comme par magie. Puis il soupire, et il parle, d’une voix vibrante d’émotions mal contenues.
--Dona_isabella


La cuisine est immense, brillante, riche, parfaite, impeccable, silencieuse.
Surtout silencieuse et partagée en deux camps invisibles.
A notre droite, il y a les femmes. Clan uni, composé de la fille, de la mère et de la belle-mère. Bourgeoises, coquettes, pestes, et toutes les autres caractéristiques requises pour faire partie de cette classe. Prêtes à tout pour réussir. Prêtes à tout pour avoir ce qu'elles veulent. La plus jeune d'elles, Isabella, l'oiseau aux ailes d'argent, le renard à la fourrure rare, belle et précieuse, c'est la protégée des deux autres doñas. La femme promise, dont chaque homme rêve, dont la réputation atteint les sommets, dont le coeur est épris par un marin déchu.

A notre gauche, le marin en question, le beau Rodrigo, aventurier malheureux à ses heures perdues. Le pauvre, il ne sait plus où se donner la tête ni quoi faire. Trois paires d'yeux fixés sur lui, les oreilles suspendues à ses moindres paroles, prêtes à riposter et contre attaquer.
Bientôt, il est rejoint par son père qui est accueilli par un silence respectueux -comme il se doit pour un guerrier en convalescence, malade et très vieux-. A 2 contre 3 (sans compter la pauvre Inès, qui tend la tête à peine discrètement derrière la porte de la cuisine).

Isabella mâche lentement un morceau de viande, les yeux dans son assiette, toujours aussi gênée par l'intervention de doña Philippa tout à l'heure dans le salon, alors qu'elle était inévitablement en train de grimper sur Rodrigo et essayer ses premières tentatives de séduction. Toutefois, des fois, elle osait lever sa tête pour le regarder en esquissant un sourire, admirant son visage serein, droit et à la fois distant. Sous la table, son pied frôle le sien. Oups alors!

Elle boit une gorgée de vin, repose délicatement le verre.


Alors Rodrigo, raconte nous ton voyage ! Et comment as tu rencontré cette fillette ? Comment s'appelle t-elle déjà ? Ma... Camila ? Makila ?
glousse stupidement la bourgeoise, suivie aussitôt par Silvia et Philippa.
--Rodrigo




L’apparition de son père lui donne l’occasion de s’arracher aux regards inquisiteurs posés sur lui. Le voici pleinement rassuré, Rodrigo. Le patriarche de la famille est décidément invulnérable. La lame qui viendra à bout de sa carapace n’est pas encore forgée.

Avec délicatesse, avec une douceur inattendue, le jeune officier serre don Joachim entre ses bras. Les deux hommes semblent émus. Rodrigo n’a pas la forte personnalité de son père, du moins pas encore, mais leur estime et leur complicité sont évidentes. Elles sautent aux yeux.

Je suis heureux de te voir sur pied, papa. C’est un réel soulagement pour moi. Je me faisais beaucoup de souci bien que je sache que tu as la peau dure ! Il faudra que tu me racontes tes aventures en détail. Mais en attendant …

Rodrigo lâche les épaules de son père et se rassied à la table, devant une assiette copieusement garnie à laquelle il a à peine touché.

En attendant, c’est à moi de vous retracer mon voyage, mais surtout de vous en révéler les derniers épisodes, qui risquent de vous surprendre et de vous déplaire, je le crains. Mais nul n’est maître de son destin, ni de ses sentiments.

Ce préambule, particulièrement prudent et mystérieux, amène pâleur et interrogation sur les visages qui l’entourent. Oui, Rodrigo est conscient qu’il va provoquer l’indignation et la colère, mais il est résolu à tout dévoiler, quoi qu’il arrive. Il dévisage un instant don Joachim, espérant trouver en lui de la compréhension, de l’indulgence. Espérant trouver en lui un allié. Il en aura bien besoin. Puis il poursuit son monologue, fixant son verre de vin qu’il fait tourner distraitement entre ses doigts, sans le voir vraiment. Il poursuit, oui, se retenant de réagir à la boutade d’Isabella qui estropie volontairement le prénom de sa gitane. Inutile de lui chercher noise, se dit-il, la querelle viendra suffisamment tôt. Il est des promesses et des arrangements qu'on n'efface pas ainsi, du revers de la main.

Voilà. Je vous passe ma blessure et les soins que j’ai reçus. A la fin de ma convalescence, je me suis beaucoup promené dans les ruelles de Paris, pour tuer le temps. Aussi bien dans les quartiers luxueux que dans les recoins les plus misérables. J’y ai croisé quelques marins de ma connaissance, et j’ai passé du temps en leur compagnie. Un beau jour, cependant, ils n’étaient point à notre rendez-vous. C’est ainsi que …

Un instant d’intense réflexion. Inutile d’évoquer la cour des miracles, ses mendiants et ses voyous. Laissons plutôt régner le flou sur certains détails. Rodrigo triture nerveusement un coin de la nappe blanche. Bah, allons-y, il n’y a pas mille manières de présenter la chose. Et puis, bon dieu, arrête de prendre cet air coupable. Sois calme, sois digne, mais surtout sois ferme !

C’est ainsi que la jeune personne qui m’accompagnait tout à l’heure, mais que vos sarcasmes ont fait fuir, est entrée dans ma vie. Et son prénom est Malika ! Oui, Malika, retenez le bien ! Et non elle n’est pas de haute noblesse, même si son père est quelqu’un d’important ! Et non elle n’est pas fortunée ! Mais, sachez le, c’est elle que j’ai choisie …

Sans s’en rendre compte, Rodrigo s’est redressé. Son ton est sans réplique. Sa voix est décidée. A cet instant, il est bien le fils de son père. Le jeune homme dévisage les personnes assises autour de lui, attendant les larmes ou la tempête. Ou la résignation générale. Mais il ne croit guère en cette dernière possibilité.

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