Ce matin
J'ai dormi comme une souche après une infusion de pavot et me réveille comme une fleur. Je vais vers la fenêtre, le soleil se lève à peine mais, en-dessous, on entend la ville qui se remet de sa nuit. Les charrettes font claquer leurs roues sur les pavés de la rue qui mène au marché. Je fais ma toilette rapidement et m'habille tout aussi vite avant de descendre boire un bol d'orge grillé en compagnie de mon amie Louison.
Tout en grignotant une bugne, je lui répète, pour la centième fois :
Tu viendras, Louison! Tu le dois!
De guerre lasse, elle a accepté et j'ai pu quitter La Thébaïde le coeur serein. Nous ne serons pas trop de deux, de trois même si Flore se joint à nous, pour m'aider à affronter les fantômes de mon passé qui, même si je suis tellement heureuse de revoir Iskander, la magnifique Beau Soleil et leurs amis, n'en viendront pas moins, j'en suis certaine, me picorer la nuque par instants...
Sur la route qui mène de l'auberge au relais, j'ai salué maintes connaissances, me suis arrêtée un moment à la mairie, traversé en toute hâte le marché avant de pénétrer enfin au Tri Postal.
Surprise de ne pas voir Minouche, je vais vers les cuisines, frappe à la porte et tente d'entrer, mais la route m'est barrée par mon cuisinier. Je retiens un fou rire qui monte et, prenant ma mine mielleuse, je susurre d'un ton qui n'augure rien de bon de l'avenir :
Très bien, maestro! Comme vous l'entendez!
Je me dirige vers le comptoir, prends un pot de grès et y jette une poignée d'herbes tirées d'un bocal, puis vers la cheminée où des flammes orangées lèchent le cul d'une marmite ou frissonne l'eau de source. J'en prélève une louche, la verse sur le herbes, pose un linge sur le pot et le porte à ma table, avec une tasse et du miel.
Tandis que la tisane infuse, je sors de la taverne et la contourne par la droite pour me rendre au pigeonnier à quelques pas de là, au fond du pré où batifolent des chevaux, sous l'oeil attentif de Darius et Zouyi, tandis qu'Omar change la paille dans les écuries.
Le pigeonnier se dresse devant moi, dans un fond de ciel tendre et j'y entre à pas feutrés, pour ne pas déranger l'équilibre intangible qui naît au centre de cette tour. Mais ma mission veut que je vérifie les arrivants. Pas besoin de regarder le registre, je repère infailliblement le nouveau locataire dans sa niche d'origine. Le tout est d'y accéder et c'est là que j'enrage de ne pas trouver le personnel adéquat...
Je dépose les messages dans une boîte de bois, que j'emporte au relais, afin de les trier et de les faire porter à leurs destinataires. Bon, on verra pour l'organisation un autre jour. Tandis que je sirote ma mélisse en lisant mon courrier, Minouche entre comme si elle avait le diable à ses trousses et pénètre dans la cuisine sans provoquer les foudres de Toth, ce qui me rend suspicieuse. Me voleraient-ils?
Mais elle revient bientôt, me gratifiant d'un vague bonjour.
Je me prépare à lui répondre vertement lorsque retentit une cavalcade qui cesse dans la cour d'accueil, Des hennissements, des voix, une voix que je reconnais entre mille, cet accent indéfinissable... C'est Iskander, le fauteur de paix qui arrive... Je me lève précipitamment, ouvre la porte et m'avance vers leur groupe, les bras tendus pour serrer leurs mains entre les miennes. Je souris à Iskander, je souris à Véro et à l'enfançon qu'elle porte, je souris à la Provence.
Vous êtes les bienvenus à Valence! Entrez, entrez donc! Vous pourrez vous rafraîchir et prendre un peu de repos, peut-être! Omar va s'occuper des chevaux
Je leur indique la meilleure place de la taverne, lieu d'observation idéal :
Prenez place ici, vous avez la fenêtre juste derrière vous, à deux tables à votre droite, vue sur la porte des cuisines, en face le comptoir et sa tavernière, Minouche, qui a ordre de vous servir tout ce que vous désirerez et, à deux tables sur la gauche, l'entrée de la taverne.
Et là-bas, au fond à gauche, un rideau en masque l'entrée, c'est la salle de restauration, réservée à ceux qui préfèrent se tenir à l'écart, désirent se régaler tout autant de leur repas que de la conversation qu'ils auront...
Aaah, Véro, Iskander, je suis si heureuse de vous revoir!
Dites moi tout, que faites-vous ici?
Auriez-vous par hasard rapporté de l'huile d'olive?
Je me proposais d'envoyer Arctor mais... si vous en aviez....
Mon cuisinier se plaint de ne pas trouver les mêmes olives que celles que nous avions à Marseille, et que l'huile qu'on trouve ici n'est pas aussi fruitée...
Mais je parle, je parle, je ne vous laisse même pas arriver.
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- D'un point de vue religieux, idolâtrer le duc c'est un truc qui me fait frémir d'horreur.
- Ou même la Reine...
- Ben moi, j'ai longtemps cru que Christos était un équilibriste!