Kernos
Lyon: A la croisée des chemins, un cierge pour une lueur incertaine et lointaine...
Le bruit... dans une ville de la taille et de l'importance de Lyon, le bruit est permanent, omniprésent... le bruit de l'activité humaine, le bourdonnement de milliers de souffles et de vies qui marchent, parlent, crient, rient, pleurent, espèrent, aiment de jour comme de nuit. Kernos n'avait pas l'habitude de cette agitation, à l'opposé de la sérénité du monastère où il s'était réveillé voilà deux mois, du calme du Fort de Mévouillon ou de l'isolement de Glandage, jusqu'alors cela ne l'avait jamais dérangé lors de séjour à la capitale, cela avait quelque chose de grisant, d'exaltant comme si la cité elle-même respirait... c'était comme se retrouver dans le ventre de sa mère, et sa mère s'appelait "Lyon": elle vous nourrissait, elle vous protégeait et vous la sentez vivre tout autour de vous, mieux encore vous faites partie d'elle, vous êtes une des milliers de petites existences qui composent ce grand Tout... elle n'est rien sans vous, vous êtes rien sans elle, c'est une union, une symbiose qui vous dépasse et vous englouti... Un sentiment puissant et indéfinissable, une sensation de liberté et d'achèvement... Mais pas aujourd'hui.
Toute cette agitation, toute cette vie, tous ces gens, ces murs, ces toits... Kernos étouffait, l'oppressait... La grande communion s'était brisée, à présent il se sentait comme étranger à tout cela, à ses semblables... Il se sentait isolé, un grain de sable dans le grand rouage, un ilot de différence et de solitude au milieu de cette grande marée humaine, comme un bateau perdu à la dérive sur cette immensité d'eau grouillante de vie. Il avait perdu l'amarre qui le reliait à la terre, au monde et aux gens ... sa boussole... son étoile du berger... sa Terwagne, et depuis lors, il avait le sentiment de n'être ni entier, ni lui-même, de ne plus être homme mais l'ombre d'un homme, il n'appartenait plus à leur monde... à ce monde, et comme tout corps étranger dans un organisme, Lyon, les hommes, le rejetaient.
Tout en errant à travers le labyrinthe des ruelles moins fréquentées de la capitale, Kernos se disait qu'il aurait sans doute mieux fait de camper hors des murs plutôt que de s'arrêter dans une des auberges lyonnaises, loin de tout et surtout des hommes qui lui rappelaient à quel point il se sentait seul et différent d'eux... Mais comme un papillon de nuit, les lumières de la cité des hommes l'avaient attiré irrésistiblement et à présent le brasier avait commencé à consumer ses ailes. Il avait besoin de trouver un refuge pour panser ses brûlures, un peu de paix ou plutôt d'oubli... quelques instants de répit seulement dans cet enfer qu'était devenu Lyon. Voilà pourquoi il marchait à travers les passages les plus étroits et les moins fréquentés de la capitale, loin des grandes rues et des places, à l'abri de la foule, là où le bruit de la vie florissante des citadins devenait rumeur lointaine qu'un courant d'air lui apportait de temps à autre quand il arrivé à la croisée des ruelles. Là, entre les façades de pierres et de bois des habitations reculées, coupé du reste de la ville, il se sentait presque en paix, mais la quiétude n'était que de courte durée sitôt qu'un volet s'ouvrait, ou que le murmure d'une conversation lui parvenait. Il avait besoin d'un refuge plus sûr que le dédale lyonnais, un sanctuaire où artisans, commerçants, mendiants et passants seraient absents, un endroit retiré hors du monde, hors du siècle, un lieu comme...
Kernos leva les yeux vers le ciel bleu pâle de juillet. Au-dessus des toits de tuile, deux tours blanches se dressaient comme les mats d'un bateau perçant à travers la brume. Deux tours massives, immuables qui émergeaient du tumulte gris, pentu, anguleux et désordonné formé par le faîte des habitations agglutinée tout autour d'elles, comme un phare se dressant dans la tempête pour le guider... la cathédrale! Il avait trouvé ce dont il avait besoin pour l'heure. Résolu, il se détourna des ruelles pour s'enfoncer dans les artères principales de Lyon afin de rejoindre le havre qui lui était apparu, mettant sa souffrance de côté pour se fondre dans la masse des hommes.
Le tribut fut lourd, mais le résultat en valait le coup. Après une longue marche pendant laquelle il dut se frayer un chemin entre les étales, les charrettes et autres joyeusetés symbolisant la prospérité et l'activité locale, Kernos parvint enfin sur le parvis du saint édifice et sans la moindre cérémonie, ni même prendre le temps d'admirer la façade magnifiquement ouvragé, il s'engouffra dans l'antre du Très-Haut.
Un autre monde s'ouvrit à lui. Dès que la lourde porte se referma dans son dos dans un léger claquement, le bourdonnement cessa immédiatement, noyé sous le déferlement du silence serein qui régnait en ces lieux. La lumière aveuglante s'était fondue en une obscurité étincelante d'un millier de lucioles dansant au milieu des ombres grandioses s'élevant vers la voûte céleste constellée de pierres, enveloppées d'une fraîcheur apaisante où flottait un parfum envoûtant, mystique, de terre humide, d'encens et de cire brûlée. Kernos ferma les yeux un instant, autant pour s'imprégner de l'atmosphère que pour habituer sa vue à la pénombre, puis s'avança à travers la nef. Les bancs étaient déserts, le prochain office n'avait lieu que dans deux heures, cela offrait un répit suffisant pour lui, il continua donc sa progression jusqu'à l'une des chapelles secondaires où il alla s'assoir.
Attendre... lui qui était d'un naturel patient pourtant, c'était devenu une torture à présent... Attendre... Attendre, encore et encore alors qu'il était à sa recherche, que chaque minute, chaque heure qui passait était un risque supplémentaire qu'elle s'éloigne d'avantage de lui... mais avait-il le choix? Il avait déjà suffisamment pressé l'artisan pour que sa commande soit traitée le plus rapidement possible, le pauvre homme malgré la meilleure volonté du monde ne pouvait travailler plus vite. Il fallait donc ronger son frein et supporter encore Lyon quelques heures, le temps de se rendre à la boutique dans une heure puis de retourner à l'auberge pour récupérer ses effets et sa monture. Après, ce serait de nouveau la liberté d'être seul et d'accomplir sa quête... chevaucher au gré des chemins vers l'inconnu, vers la réussite ou bien l'échec. Le Rouvray se rendait bien compte que cela n'était pas entre ses mains, ni même le fruit de sa volonté propre, cela appartenait à la Fortune, au hasard, au sort, au destin mais aussi à elle. Après tout, même s'il parvenait à la retrouver, peut être que Terwagne le repousserait, que savait-il de ce qu'elle avait vécu depuis son départ? Rien... strictement rien... Tout dans son acte puisait dans l'espérance, mais il n'avait plus que ça en poche de toute manière, l'espoir, aussi infime soit il, c'était ça où attendre en vain, se résigner et mourir à petit feu. Alors il agissait, "alea jacta est", sauf que ce n'était pas le Rubicon mais la Saône qu'il franchirait, et non en conquérant mais en pèlerin jeté sur les sentiers de l'amour. Peut être devrait-il demander le concours et l'approbation du Très Haut pour son oeuvre? Vu les chances de parvenir à ses fins un peu d'aide, même spirituelle, serait la bienvenue. Il s'agenouilla les mains en prière.
Seigneur, voilà bien longtemps que je ne me suis pas tourné vers Toi et que je ne T'ai honoré par la prière,
Dieu je m'en accuse et demande Ton Pardon.
Seigneur, ce n'est pas par manque de foi, ni par reniement que je me suis éloigné de Tes églises et de leurs servants,
Dieu, Tu le sais Toi qui sais lire en nos coeurs et nos âmes.
Seigneur, aujourd'hui je suis agenouillé devant Toi pour demander l'absolution de mes fautes et Ta Divine Providence,
Dieu, parce que j'ai foi en Ton infini Amour envers Tes enfants.
Seigneur, je ne Te demande qu'à pouvoir vivre à nouveau dans l'espérance et la vertu, en compagnie de la femme que j'aime,
Dieu, je T'en supplie accorde-moi de conduire Terwagne à l'autel pour nous unir devant Toi.
Amen!
Peut être n'était-ce pas très pieu, et sans doute peu orthodoxe comme prière, mais il n'avait plus que celle-ci à soumettre. Il paraissait d'ailleurs que ce n'était point la forme, mais la sincérité que l'on y mettait qui rendait la prière efficace, d'autres arguaient que c'était le nombre d'écus que l'on glissait dans la poche du curé mais Kernos n'était pas de ceux là. Il se redressa et alla allumer un cierge, agrandissant ainsi la grande farandole des flammèches illuminant les panneaux et les sculptures ornant la chapelle. Un étincelle parmi tant d'autres, une prière parmi tant d'autres, un homme en quête d'espoir et de réponses parmi tant d'autres... il s'assit de nouveau pour patienter, rêvant de routes, d'une paire d'yeux noirs étoilés, d'avenir peut être.
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Le bruit... dans une ville de la taille et de l'importance de Lyon, le bruit est permanent, omniprésent... le bruit de l'activité humaine, le bourdonnement de milliers de souffles et de vies qui marchent, parlent, crient, rient, pleurent, espèrent, aiment de jour comme de nuit. Kernos n'avait pas l'habitude de cette agitation, à l'opposé de la sérénité du monastère où il s'était réveillé voilà deux mois, du calme du Fort de Mévouillon ou de l'isolement de Glandage, jusqu'alors cela ne l'avait jamais dérangé lors de séjour à la capitale, cela avait quelque chose de grisant, d'exaltant comme si la cité elle-même respirait... c'était comme se retrouver dans le ventre de sa mère, et sa mère s'appelait "Lyon": elle vous nourrissait, elle vous protégeait et vous la sentez vivre tout autour de vous, mieux encore vous faites partie d'elle, vous êtes une des milliers de petites existences qui composent ce grand Tout... elle n'est rien sans vous, vous êtes rien sans elle, c'est une union, une symbiose qui vous dépasse et vous englouti... Un sentiment puissant et indéfinissable, une sensation de liberté et d'achèvement... Mais pas aujourd'hui.
Toute cette agitation, toute cette vie, tous ces gens, ces murs, ces toits... Kernos étouffait, l'oppressait... La grande communion s'était brisée, à présent il se sentait comme étranger à tout cela, à ses semblables... Il se sentait isolé, un grain de sable dans le grand rouage, un ilot de différence et de solitude au milieu de cette grande marée humaine, comme un bateau perdu à la dérive sur cette immensité d'eau grouillante de vie. Il avait perdu l'amarre qui le reliait à la terre, au monde et aux gens ... sa boussole... son étoile du berger... sa Terwagne, et depuis lors, il avait le sentiment de n'être ni entier, ni lui-même, de ne plus être homme mais l'ombre d'un homme, il n'appartenait plus à leur monde... à ce monde, et comme tout corps étranger dans un organisme, Lyon, les hommes, le rejetaient.
Tout en errant à travers le labyrinthe des ruelles moins fréquentées de la capitale, Kernos se disait qu'il aurait sans doute mieux fait de camper hors des murs plutôt que de s'arrêter dans une des auberges lyonnaises, loin de tout et surtout des hommes qui lui rappelaient à quel point il se sentait seul et différent d'eux... Mais comme un papillon de nuit, les lumières de la cité des hommes l'avaient attiré irrésistiblement et à présent le brasier avait commencé à consumer ses ailes. Il avait besoin de trouver un refuge pour panser ses brûlures, un peu de paix ou plutôt d'oubli... quelques instants de répit seulement dans cet enfer qu'était devenu Lyon. Voilà pourquoi il marchait à travers les passages les plus étroits et les moins fréquentés de la capitale, loin des grandes rues et des places, à l'abri de la foule, là où le bruit de la vie florissante des citadins devenait rumeur lointaine qu'un courant d'air lui apportait de temps à autre quand il arrivé à la croisée des ruelles. Là, entre les façades de pierres et de bois des habitations reculées, coupé du reste de la ville, il se sentait presque en paix, mais la quiétude n'était que de courte durée sitôt qu'un volet s'ouvrait, ou que le murmure d'une conversation lui parvenait. Il avait besoin d'un refuge plus sûr que le dédale lyonnais, un sanctuaire où artisans, commerçants, mendiants et passants seraient absents, un endroit retiré hors du monde, hors du siècle, un lieu comme...
Kernos leva les yeux vers le ciel bleu pâle de juillet. Au-dessus des toits de tuile, deux tours blanches se dressaient comme les mats d'un bateau perçant à travers la brume. Deux tours massives, immuables qui émergeaient du tumulte gris, pentu, anguleux et désordonné formé par le faîte des habitations agglutinée tout autour d'elles, comme un phare se dressant dans la tempête pour le guider... la cathédrale! Il avait trouvé ce dont il avait besoin pour l'heure. Résolu, il se détourna des ruelles pour s'enfoncer dans les artères principales de Lyon afin de rejoindre le havre qui lui était apparu, mettant sa souffrance de côté pour se fondre dans la masse des hommes.
Le tribut fut lourd, mais le résultat en valait le coup. Après une longue marche pendant laquelle il dut se frayer un chemin entre les étales, les charrettes et autres joyeusetés symbolisant la prospérité et l'activité locale, Kernos parvint enfin sur le parvis du saint édifice et sans la moindre cérémonie, ni même prendre le temps d'admirer la façade magnifiquement ouvragé, il s'engouffra dans l'antre du Très-Haut.
Un autre monde s'ouvrit à lui. Dès que la lourde porte se referma dans son dos dans un léger claquement, le bourdonnement cessa immédiatement, noyé sous le déferlement du silence serein qui régnait en ces lieux. La lumière aveuglante s'était fondue en une obscurité étincelante d'un millier de lucioles dansant au milieu des ombres grandioses s'élevant vers la voûte céleste constellée de pierres, enveloppées d'une fraîcheur apaisante où flottait un parfum envoûtant, mystique, de terre humide, d'encens et de cire brûlée. Kernos ferma les yeux un instant, autant pour s'imprégner de l'atmosphère que pour habituer sa vue à la pénombre, puis s'avança à travers la nef. Les bancs étaient déserts, le prochain office n'avait lieu que dans deux heures, cela offrait un répit suffisant pour lui, il continua donc sa progression jusqu'à l'une des chapelles secondaires où il alla s'assoir.
Attendre... lui qui était d'un naturel patient pourtant, c'était devenu une torture à présent... Attendre... Attendre, encore et encore alors qu'il était à sa recherche, que chaque minute, chaque heure qui passait était un risque supplémentaire qu'elle s'éloigne d'avantage de lui... mais avait-il le choix? Il avait déjà suffisamment pressé l'artisan pour que sa commande soit traitée le plus rapidement possible, le pauvre homme malgré la meilleure volonté du monde ne pouvait travailler plus vite. Il fallait donc ronger son frein et supporter encore Lyon quelques heures, le temps de se rendre à la boutique dans une heure puis de retourner à l'auberge pour récupérer ses effets et sa monture. Après, ce serait de nouveau la liberté d'être seul et d'accomplir sa quête... chevaucher au gré des chemins vers l'inconnu, vers la réussite ou bien l'échec. Le Rouvray se rendait bien compte que cela n'était pas entre ses mains, ni même le fruit de sa volonté propre, cela appartenait à la Fortune, au hasard, au sort, au destin mais aussi à elle. Après tout, même s'il parvenait à la retrouver, peut être que Terwagne le repousserait, que savait-il de ce qu'elle avait vécu depuis son départ? Rien... strictement rien... Tout dans son acte puisait dans l'espérance, mais il n'avait plus que ça en poche de toute manière, l'espoir, aussi infime soit il, c'était ça où attendre en vain, se résigner et mourir à petit feu. Alors il agissait, "alea jacta est", sauf que ce n'était pas le Rubicon mais la Saône qu'il franchirait, et non en conquérant mais en pèlerin jeté sur les sentiers de l'amour. Peut être devrait-il demander le concours et l'approbation du Très Haut pour son oeuvre? Vu les chances de parvenir à ses fins un peu d'aide, même spirituelle, serait la bienvenue. Il s'agenouilla les mains en prière.
Seigneur, voilà bien longtemps que je ne me suis pas tourné vers Toi et que je ne T'ai honoré par la prière,
Dieu je m'en accuse et demande Ton Pardon.
Seigneur, ce n'est pas par manque de foi, ni par reniement que je me suis éloigné de Tes églises et de leurs servants,
Dieu, Tu le sais Toi qui sais lire en nos coeurs et nos âmes.
Seigneur, aujourd'hui je suis agenouillé devant Toi pour demander l'absolution de mes fautes et Ta Divine Providence,
Dieu, parce que j'ai foi en Ton infini Amour envers Tes enfants.
Seigneur, je ne Te demande qu'à pouvoir vivre à nouveau dans l'espérance et la vertu, en compagnie de la femme que j'aime,
Dieu, je T'en supplie accorde-moi de conduire Terwagne à l'autel pour nous unir devant Toi.
Amen!
Peut être n'était-ce pas très pieu, et sans doute peu orthodoxe comme prière, mais il n'avait plus que celle-ci à soumettre. Il paraissait d'ailleurs que ce n'était point la forme, mais la sincérité que l'on y mettait qui rendait la prière efficace, d'autres arguaient que c'était le nombre d'écus que l'on glissait dans la poche du curé mais Kernos n'était pas de ceux là. Il se redressa et alla allumer un cierge, agrandissant ainsi la grande farandole des flammèches illuminant les panneaux et les sculptures ornant la chapelle. Un étincelle parmi tant d'autres, une prière parmi tant d'autres, un homme en quête d'espoir et de réponses parmi tant d'autres... il s'assit de nouveau pour patienter, rêvant de routes, d'une paire d'yeux noirs étoilés, d'avenir peut être.
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