[RP] Une occasion de se réjouir

[Au Palais des ducs de Bourgogne, la nuit de 8 Mai, dans les cuisines]

La tenue était masculine, des braies, des bottes, une chemise, toujours irrévérencieuse pour sa condition de jeune pucelle noble, mais plus le temps passait, et plus une jolie houppelande devenait un déguisement pour Eilinn.
Sur la table des cuisines du palais de Dijon était étalé un vélin en provenance directe de Rome. A côté, une bouteille de marc de Bourgogne, et un verre. Enfin non, le verre était présentement à portée des lèvres d'Eilinn, qui portait un toast des plus saugrenus. Le taux d'alcoolémie semblait conséquent, surtout vu le gabarit poids plume, 50 kilos tout mouillés, et le manque total d'habitude à boire de l'alcool.

A ta mort, Odoacre de Cro... de Cororo... enfin... j'sais plus. Puisses-tu te g'ler les miches sur la Lune, et préparer ta place pour ton pote Cloclo... Grâce à toi, j'ai une raison de m'faire ma première cuite au marc de Bourgogne !

Le verre fut avalé cul sec, Eilinn s'étrangla à moitié et toussa comme si l'alcool lui brûlait la gorge, ce qui était surement le cas. L'officier royal se rassit avec fracas, posant le verre sans douceur sur la table, et attrapa la bouteille pour tenter de remplir le verre à nouveau.

Aléanore, j'espère que... hips... enfin...

Les idées ne semblaient plus vraiment très claires...

Te voilà vengée. Un peu.

Hips... Reste plus que cet enfoiré de Clodeweck maintenant.

La main vint soutenir la tête qui tournait.
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Toute une nuit à veiller sur les remparts, cela a deux sortes de conséquences : ça fatigue, et ça creuse. Il y avait bien des valets pour le service de nuit, ainsi que du personnel dans les cuisines du palais, mais dans ce palais, Armoria était comme chez elle.

Et chez elle, quand elle avait une petite faim en pleine nuit, elle se rendait tout droit dans les cuisines, sans plus de cérémonie, afin de fureter et dénicher quelque chose à se mettre sous la dent.

Elle entendit une toux âpre en approchant, se dit qu'elle avait été devancée, sans doute, dans sa quête ; puis elle vit la bouteille sur la table, et songea que la recherche, présentement, était autre. L'autre hôte nocturne portait vesture masculine, mais les traits étaient fins pour un garçon, et la voix ne cadrait guère non plus avec le sexe qu'on dit fort. Quant aux mots...

Armoria s'approcha de la table.

On fête quelque chose à cette heure indue ?

Le parchemin la renseigna : quant aux derniers mots, elle les avait entendus.

Diantre, je ne suis donc point la seule à ne point feindre la tristesse pour la mort de ce pendard ?

Cela aurait été un autre clerc, n'importe quel autre, la blonde et presque (?) fanatique altesse aurait mené sa barque en forme d'interrogatoire pour savoir si elle avait affaire à une hérétique plus ou moins prononcée. Mais Odoacre ? Elle pouvait comprendre que sa mort réjouisse. Elle entreprit donc sans façon sa recherche d'un petit quelque chose à grignoter.
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La débutante en matière de beuverie ne s'était pas attendue à ce que quelqu'un déboule. Elle ne connaissait pas la personne qui venait d'entrer, et de toute façon son esprit était un peu embrouillé pour tenter de chercher qui c'était. Déjà, elle se doutait que c'était une bourguignonne.
Eilinn tenta de se lever pour faire bonne figure, mais mauvaise idée. Elle se rassit aussitôt tandis que le monde tanguait dangereusement.

Euh... un peu.

Eilinn aurait pu se mettre à paniquer si elle n'avait pas été surpassée par l'effet de l'alcool. Mais les mots suivants de l'arrivante impromptue calmèrent un peu son angoisse. Eilinn savait bien que c'était mal de se réjouir de la mort des gens, même si il fallait espérer qu'ils accèdent au Paradis Solaire. L'équilibre universel se remettait, lui, peu à peu d'aplomb. Et attribuons ça à l'ivresse, sensation relativement nouvelle pour la jeune fille, Eilinn proposa :

J'vous sers un verre aussi alors m'dame ?

Ah vi, le protocole il en prenait un coup là.
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L'habitude aidant, elle tiqua légèrement sur l'appellation, et sa bouche s'ouvrit pour répondre, comme toujours : "il convient de me nommer Votre Altesse, vous savez".

Mais l'heure n'était pas ordinaire ; le lieu non plus ; la raison de boire un verre, pas davantage.

Elle s'assit donc à table, ayant trouvé quelques tranches de viande froide, et ayant coupé deux solides tranchoirs de pain.

Ma foi, pourquoi pas. Tenez, il me semble que la viande froide s'impose pour ce genre de circonstance, ajouta-t-elle en poussant entre elles deux la planche à découper où elle avait posé son en-cas. D'autant que ce n'est guère sain de boire sans rien manger.

Ah ben oui, tout de même : les circonstances avaient beau ne pas être ordinaire, on restait soi-même. Avec la manie de donner des conseils de santé.
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Eilinn se saisit d'une timbale vide se trouvant à portée de main, de toute façon se lever aurait été une entreprise bien trop dangereuse, et la déposa devant Armoria.

C'est surtout ... retenant un hoquet ...que j'ai pas l'habitude de boire... Le vin de messe c'est moins traitre quoi qu'on en dise...

Eilinn réussit à ne pas en reverser à côté, et remplit les deux timbales. Avant d'envisager de boire à nouveau, elle avala un morceau de viande froide, ce dont son estomac lui fut reconnaissant. Un mieux-être se fit sentir, et Eilinn envisagea à nouveau de retenter le marc de Bourgogne.

Alors, il vous avait fait quoi pour que vous trinquiez à sa mort au lieu de vous joindre au choeur des pleureuses ?

L'ancien Primat de France avait été assez controversé pour générer quelques rancunes, néanmoins il était singulier de rencontrer quelqu'un l'admettant ouvertement.
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Avant de boire, Armoria humait. Toujours. Elle, donc, humait, quand la question lui fut posée. Son regard se durcit, et son visage itou ; sa réponse fut brève.

Je pense que Dieu en a assez de ce genre de mauvais bergers qui éloignent les croyants de Lui, tout en les rapprochant, par aversion, de l'enfer lunaire. Il leur laisse une chance de se racheter, parce qu'Il est infiniment bon, mais quand Il se lasse...

Sortie du corsage pour couper les tranchoirs, la dague était toujours à portée de main. Les points de suspension à la fin de la phrase furent accompagnés du "schlack !" sec quand la lame affûtée trancha la viande sur la planche.

Et je crois très sincèrement qu'il est déjà en train de payer : quand c'est le berger qui faute, la punition doit être plus lourde.
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Eilinn hocha la tête aux propos de la blonde assise en face d'elle, tout en avalant à petites gorgées le marc, qui passait bien mieux ainsi. L'expérience du cul-sec avait été assez désastreuse pour qu'elle ne décide pas de la réitérer. Il y avait juste à espérer que cela ne la rendrait pas malade comme le chouchen.

Il m'avait une fois expliqué sa conception du... troupeau, et sur le coup, ça m'avait... déplu.

Il avait une vision trop dualiste du clergé, alors que moi j'ai toujours pensé que le séculier et le régulier pouvaient travailler ensemble pour le bien des fidèles.

Elle ne s'attendait pas à parler théologie à cette heure et cette ébriété si avancée. Elle était même surprise de réussir à formuler une pensée cohérente. Eilinn prit un autre morceau de viande froide.

Enfin... il est bien mieux ou il est maintenant... Et nous aussi.
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