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Info:
Aimbaud rend une visite surprise à Blanche en Bretagne. Débarquement français sur les plages nantaises.

[RP] L'amour est enfant de Bourgogne

--Aimbaud


Citation:

    A vous, Blanche de Walsh Serrant,
    De moi, Aimbaud de Josselinière,

    Pardon.
    Pour vous avoir tiré des larmes et pour avoir rivalisé de bêtise avec le plus sot des hommes y-ci bas. Pardon pour mon silence trop long. Pour mes faiblesses, pour ma couardise envers vous. J'ai été lâche de me voiler la face. Pardon.

    Je dépends de la volonté du Très-Haut et de la santé qu’il m’octroie. Je dépends de l’air que je respire. A cela, je me soumets. Aussi… Je ne sais pourquoi j'ai tant craint de dépendre de vous. Sachez que j’ai soif d’air comme j’ai soif de vous. Et si le poitrail me brûle et que mon sang se meurt quand je cesse mes respirations, la douleur est d’autant plus cuisante aux instants ou vous me faites défaut. Vous m’êtes nécessaire. Je n’en ai rien voulu, mais c’est advenu. Je sais que j’en souffrirai, peut-être pas demain, peut-être pas avant longtemps, mais cela viendra. En vérité peu me chaut d’en pâtir. Je vous aime.
     
    Je vous aime…
     
    Je vous aime et je voudrais ne cesser de l’écrire et de le dire, qu’à la mort de tout ce qui fait vous et moi. Je vous aime. Je vous aime…
     
    Je vous aime.

    Faites-moi grâce, maintenant, de descendre en la cour de votre château. J'ai chevauché quatorze jours pour vous redire ces mots de voix vive, et j'ai quelque impatience de vous serrer dans mes bras.

    A.J.



Et dans la cour de Donges justement, un cavalier poudreux de terre, coiffé d'épis, avait mis pied à terre et gardait les yeux levés vers une fenêtre du domaine, derrière laquelle un page venait de remettre sa lettre entre les mains blanches... de la maîtresse des lieux.

Frappe, frappe.
Mon coeur.

_________________
Blanche_
Une main se saisit de la lettre tendue par le page. L'autre, indifférente, d'une coupe d'alcool de pomme, pour la mener aux lèvres avides. Claquant, cet argent des plateaux et des petites cuillers, comme claque le bruit de l'un contre l'autre, pour abandonner un creux gris couvert de sucre, sur un rond plat et froid.
Elle secoue la main pour renvoyer le page, et repose sa coupe à moitié vide sur une petite table à sa droite. Plongeant dans son fauteuil, qui lui monte aux épaules un peu haut, elle ouvre et lit. D'abord, un pardon.
Elle sourit. Rappelons qu'elle a du mal à lire le français aussi vite que le breton, et qu'elle bute forcément à certaines écritures bien masculines...
D'autant que la signification des mots peine parfois à l'atteindre.
Pardon, c'est compris. Autorisé, attendu. Pardon & merci en juste retour, que pourrait-elle, sinon le pardonner ?
Et puis, la chute. Sur trois mots répétés à outrance. Dans ta tronche. Prends-ça. Tu en veux encore ? Tiens ! As-tu compris, finalement ?


B...
Ouverte, puis refermée, la petite bouche. Ouverte, puis refermée.
Crispant les doigts, elle rapproche le petit papier de ses yeux étonnés, comme pour mieux lire. Douce douleur et surprise, qui résonne dans son corps jusqu'à ses bras. A gauche, d'ailleurs, surtout à gauche elle a mal, mais elle ne fait pas attention.
Juste à cette lettre, l'attention fixée, à ces quelques mots ! Je vous aime, a t'il dit... Quel bonheur, quelle joie !

Une suivante entre. Dépose un plateau nouveau de macarons neufs, en provenance directe de Paris.
Blanche s'en fout. A des kilomètres de là, dans un univers propre et euphorique, la môme s'enfonce et s'extasie, court, vole, Aimbaud l'aime, elle s'envole, s'enfuit, se nargue de tout, Aimbaud l'ai-me !
Hip hip hip ?
Elle serre vite le papier contre elle. Froissé, plissé, abîmé au relief de sa gorge. Il scande même le refrain entrecoupé d'un coeur un peu vif.
Hourra !
Hourra !
Obélisque de rêve & triomphe bienheureux, Hourra à cette délivrance ! Aimbaud l'aime, il l'a dit, c'est décidé, et elle s'en fout des macarons, des conséquences, quand bien même ne seraient personne d'accord, et leur destin qu'un triste échec, Hourra !

Elle ferme les yeux. Dieu que c'est ringard, d'aimer.
Fortement clos, enfoncée dans son fauteuil comme une Reyne accrochée à son trône, respirant à peine, le bras qui s'amollit et crispe de douleur, elle ne voit rien, ne sent rien, ne fait qu'entendre les sabots durs d'un cheval à la cour de Donges et les pas -Dieu ! Qu'ils sont parfaits ces bruits de pas !- d'un amant peut être, d'un homme en tous cas, qui monte vers elle.

Bordel de merde !

Abandonnés. Chuchotés.
Les premiers mots de la délivrance.

_________________
--Aimbaud


Quatorze jours de vent et de boue, de peu de sommeil et de modique pitance. Quatorze jours de voyage à grand galop, en somme. En temps normal, cela vous met un Aimbaud sur les rotules. Mais sous les cernes et la crasse, et derrière ce fort parfum "Cuir et Cheval" — ambiance printanière — notre bon bourguignon avait l'âme jeune comme au premier jour. Ça sautait dans son poitrail, ça criait dans ses veines. Ses paupières avaient beau batailler pour tenir ouvertes, un vaillant éclat de détermination s'agitait là dans chacune de ses pupilles. Point de fatigue. De l'envie. Du silence. Aux aguets. Elle allait apparaître...

Elle passerait ce portail, juste là.
Serait-elle vêtue d'une de ces robes tombantes coupées à la bretonne, qui laissaient deviner le modelé de son bassin ? Aurait-elle les cheveux épinglés ou bien déliés ? Accourerait-elle à petits pas dans ses escarpins ? Viendrait-elle à pas lents comme une Reyne, pour lui ouvrir les bras ? Le laisserait-elle lui baiser les mains, les joues ? La bouche ? Serait-elle ravie, effrayée ? En colère...? Ne viendrait-elle pas...? Lui porterait-elle ce coup ?... Ferait-elle ça ?

Il chassa ces pensées en s'essuyant la figure dans ses gants. Le trajet l'aura épuisé au point de n'y plus voir clair ! Blanche, ne pas venir ? Stupide. Doute. Trouille. Il tourna la tête vers son conseiller de trajet Bourgogne-Bretagne, un compagnon à toute épreuve, serviable et pas chiant : Lugh, son destrier.
Ce dernier, une grande bête noire aux yeux profonds comme un poème, avait été son interlocuteur préféré durant le couple de semaine passé : "Lugh, est-ce que Blanche est un bon parti ?" , "Lugh, tu as déjà été accro à une jument ?" , "Lugh, yé bobo co-coeur, fais bisou magique à bibi. Ça c'est mon bon dada. Galope dada !". Mais Lugh, estimant qu'il se contre-foutait royalement des problèmes sentimentaux de son maître, détourna le regard vers un sac d'avoine, laissant Aimbaud dans une solitude extrême.

Un long soupir souffla sur le fin duvet noir qui pointait péniblement son nez au dessus de la lèvre josselinière.
Toujours personne...
Elle ne venait pas. Ni ne viendrait.
C'était amer, ça faisait comme une tombée de grêle. La messe était dite... Il avait attendu plus que de raison.
Tentant de garder la tête froide, il jeta un dernier coup d'oeil à la ronde dans la cour du château, puis saisit la bride de son cheval pour l'engager dans un demi tour. La tête basse, comme Lugh. Il n'allait pas en mourir...?

_________________
Blanche_
Caracole, caracole, lalali, lalalou, elle sautille, de haut en bas, de l'étage au rez-de-chaussée, lalalou, guillette et compagnie, la Baronne décrépite précède les suivantes dans l'escalier, bouche le passage au cuisinier, fait un pied de nez aux gardes, pour ouvrir la porte...
Et ?
Il doit y avoir une erreur dans le script.
Nous disions.
Blanche, devant la porte, scène matinale, vent dans les cheveux, qu'elle a jolis, elle tapote son petit ventre, ronronne une satisfaction personnelle intense et ouvre ses bras à petit Josselinière, qui lui répond d'un sourire charmeur.
Il n'y a pas de sourire. Il n'y a plus de Josselinière. Quel scénario de défection ! Où sont les embrassades, les pleurs, les gémissement plaintifs de retrouvailles tant attendues, les larmoiements, la mort tragique du héros, où sont les moments phares de notre épopée lyrique ?
Rien. Nada. On parlera d'Aimbaud et de Blanche, comme des amants qui n'ont pas su ouvrir la porte à la bonne heure.


Mais... Mais... Mais Aimbaud ?

Aimbaud part.
Aimbaud n'est plus.
Aimbaud me déteste, c'était une erreur, un vil mensonge, un tissu de fadaises fait pour berner les petites...


...Idioooooote ! soupire l'amourachée en cognant le crâne dans ses deux mains. Idiote, idiote, idiote, tu t'es laissée prendre, là ! Ça n'est pas si terrible, tu n'es pas la première !
La lèvre inférieure tremble. Celle du dessus est mordue pour ne pas défaillir. Et puis, soudain, la salive est très salée. Idiote, idiote...
Froide, et salée, comme ses joues. Bordel de merde. A nouveau. Mais pour désigner un tout autre fatras.


J'suis bien conne de vous avoir cru, N’EMPÊCHE !

Beugle t'elle en faisant un pas vers lui. Rageur. Vengeur. Qui cogne sa semelle contre les cailloux.
Aïe les orteils.
Rageur. Colérique. Meurtri. Elle hurle plus fort.
Aïe le coeur.

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Aimbaud, incarné par Blanche_


Lugh, plus bouger. C'est elle ! La voilà qui vient. Du calme, pas transpirer. Notre pauvre Josselinière fait volte-face, et le cheval de même. Tous deux se questionnent, chacun dans leur langage : "Mais quoi ? Qué ? Hein ? Quelle est la raison de ces cris, ma mie, mon âme, mon amie ? / Pourquoi cette pouliche blonde hennit-elle de la sorte ? L'aura-t'on privée d'avoine ? Ah je vois, elle appelle son chéri-chéri étalon." ... En bref, la réaction bretonne soulève des interrogations, écrites.

Aimbaud abandonne aussitôt brides et cheval, questionnements et hypothèses. Il revient sur ses pas à toutes bottes, il plane. Elle est là, la belle Hermine, toute mouillée de larmes et fumante de fâcherie. Elle est colère, il s'en tape ! Elle le honnit, qu'importe !

Hardi, il tombe à genoux sur la terre battue et fait de ses bras un étau qui encercle l'épaisseur des jupons bretons. Là, lui tenant tant et bien les jambes qu'elle n'a plus loisir de se sauver, le front dans la soie et les brodailles, il s'enfouit le visage dans ce parfum tant attendu. Il la capture, un peu, si elle veut.
Ne braille pas, mon amour ! De grâce.
Ne t'avise pas de me désaimer ou je te broie doucettement.


Ne vous fâchez pas ! Ne vous fâchez pas. .. Je m'en repens !

Se repentir de quoi ? Il n'en a pas la moindre idée. Mais si tant est que la Môme pleure, son tort est grand. Peu lui importe, elle l'accuserait de tout les crimes qu'il dirait oui, et pardon, pardon, pardon bisou.

Lugh lui, suit la scène en pensant que c'est joli le printemps.

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Blanche_
Gueuler. Répondre à d'autres cris. Gueuler en retour. Hurler, même. Finir par se frapper, se gifler, se mordre, tout cela Blanche maîtrise, et ce qu'elle aime, à commencer la bataille, c'est l'armistice entre ses bras. Signer une paix éternelle...
Jusqu'aux prochaines armes.
Ô toi, Josselinière, tu charcutes ses efforts, tu les détruits, n'as tu pas honte, un peu, de sacrifier à l’hôtel de tes louanges une rédemption charnelle ? Son pardon, là, si tu avais continué, tu l'aurais eu entre ses bras.

Je suis bien désolée de vous accueillir dans un lieu si piteux, Monsieur de Josselinière, chuchote la môme en posant une main douce à sa tignasse brune. Elle sait bien, elle redessine dans sa tête, la cour éparse et qui fut abandonnée, aux paillasses de bois et entremêlas de terre et paille, les gueux aux entrées, avec un visage livide et creusé aux joues, qui n'ont d'épaisseur sur le corps que la peau. Même, elle sait, et elle a presque honte, de sa tenue sans élégance si ce n'est la façon qu'elle a de la porter, l'ouvrage taillé pour le quotidien de maison, et pas les visites attendues.
S'il lui avait dit, bien avant, qu'il viendrait, elle aurait couvert son visage de ces perles d'Espagne qui mêlées à l'amidon de blé, vous font la peau pâle et pure, respectueuse des vertus de l'Eglise.
Elle aurait attaché ses cheveux autrement qu'avec ce ruban presque défait, et qui ne tient rien qu'une infime partie de ces mèches blondes. Elle aurait maîtrisé le tout, peint les lèvres en rouge clair, trouvé un parfum de fêtes et pas celui des jours simples.

Mais Aimbaud, à ses pieds agenouillé, ne trouve rien d'une Reine. Il trouve une baronne d'une terre pauvre et malade, fatiguée par son retour en Bretagne, qui n'a de son pétillant du Louvre plus qu'une bouche amusée et des yeux très clairs.
Le vent souffle, sert les jupons et montre l'entrave de ses mains. Elle fait glisser sa main, se penchant un peu, jusqu'à son épaule et demande.


Vous devez être harassé. Entrez vite, mon ami. Il me tarde que nous parlions enfin.

Dans sa voix, une excitation mal contenue. Mais le vent l'efface, ou en tous cas, l'arrivée soudaine d'un valet derrière elle, qui attend à ce qu'on lui attribue ses tâches.
Il faut alors, comme à chaque nouvelle arrivée au Domaine, que Blanche soit patiente et délicate, indiquant sans maladresse ce qu'elle attend d'eux. Très vite, on prend Lugh pour l'emmener aux écuries, rejoindre des chevaux de l'intendance, les seuls qui n'ont pas été volés par les Dongenais qui crevaient de faim.

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Aimbaud, incarné par Blanche_


***

SlpAaCHh !

Le seau se déversa sur le crâne bourguignon, dilua le savon, et passa un coup de propre. Dans la salle d'eau bien modeste du château de Donges, on avait ouvert les lucarnes sur un ciel clair de printemps, laissant passer la lumière et quelques abeilles. Des flaques tombaient du baquet, s'échappaient en rigoles sur les dalles, puis étaient épongées plus loin dans des serpillières.


Qu'y sont sales ces françoys...!

Chuchota une servante dans son patois, les narines retroussées vers une consoeur, tout en dépliant un linge propre, brodé aux armes de la mesnie. Le drap, effilé aux coins, claqua sévèrement. Ne saisissant pas un mot de breton, Aimbaud lui se laissait benoîtement brosser le dos, rincer à grande eau, frotter les oreilles, les yeux quelque peu rougis par le lavement. Il abandonnait sans mot dire la poussière des jours derniers, après s'être désaltéré d'une coupe de vin de pomme, la fin de fin d'une bouteille, et de quelques fruits dont Blanche, démunie mais fort prévenante, avait tenu à le gaver. Le Josselinière, embarrassé de son piteux état, s'était vu ensuite indiquer le chemin du bain.

Avec un peu d'efforts, il serait propre comme un sou neuf pour mieux lui plaire...

Électrisé, nerveux de joie, depuis qu'il était entré dans la demeure, il dressait l'oreille au moindre bruit, faisait preuve d'une maladresse inquiétante avec tout ce qu'il touchait. Pour tout dire, il ne parvenait plus à raisonner correctement, inquiété d'excitation et de fatigue, ce qui le plongeait dans un silence bêta. Blanche le trouverait-elle niais ? Il n'attendait que l'instant de lui presser à nouveau les mains, et cela, par dessus tout, lui causait une appréhension de tous les diables... Belle, Blanche. Il était venu, lui, en Bretagne. Sans prévenir. Le fou. Et dans une minute, encore, il aurait son visage dans l'encart de ses mains. Ses cheveux évadés, là, partout offerts. Sa voix dans ses oreilles, sa gorge aux yeux. Blanche de Walsh Serrant. Bretonne. Ah ah. Quel taré il faisait, et combien il était heureux...

Un autre seau répandit son contenu. L'invité s'ébroua la tête. Linge. Chemise râpée. Pantes de vieille laine et braies modestes. Pourpoint trop large. Ça ! On se serait foutu de sa gueule à la cour de Bourgogne...


C'tout c'qu'on avait d'habits pour homme, en 'ttendant qu'vos votres soyent secs.

Euh... Ça ira, c'est parfait.

S'iou 'oulez bien m'suivre. Madaime vous z'attend.


Il flottait dans l'air comme un parfum de vacances...
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Blanche_
...et de cardamome, en petits bouts bruns, que Blanche avait pris l'habitude de mâcher après ses collations. Il suffisait d'une petite écorce pour donner à sa bouche le parfum des arbres, ce qu'elle trouvait rafraîchissant et salvateur. Bonne âme nettoyée jusqu'aux confins de ses gencives... Elle jeta l'écorce vidée de parfum, trouva son haleine satisfaisante, cessa de s'occuper plus de son apparence.
Des bruits d'eau venaient depuis le bain ; cela l'agaçait. Si elle avait pu être servante, elle l'aurait fait elle-même, le laver et frotter, pour ne couvrir aucune jalousie à savoir sa peau profanée par une autre. Même ! Cela, voyez, la plus ultime des indignations, elle aurait caressé sa crasse et toute cette poussière, si dans son obstination impie l'Eden de sa peau lui était assuré.

Sassenach !

Tête tournée vers la fenêtre, ses bras croisés dans son dos entremêlaient doigts d'une façon agacée et inquiète. Elle pensait Aimbaud, elle imaginait Aimbaud, jusqu'à son visage et l'image de lui dans ce bain, nu, sous les yeux si païens de ses suivantes ! C'était horriblement frustrant, que cette attente.
Elle serra les dents, se força à regarder. Au dehors, elle adressa un petit geste, minime, en hochement de tête à la nourrice de Thibaut, le bâtard, qui traversait le jardin pour détacher les langes qui séchait au vent. Cette arrivée, impromptue et agaçante, du dernier né de la famille, avait trouvé Blanche au pire moment. Mais, depuis, accommodée par la présence rassurante du petit fils, et ses cris témoignant de sa grande forme, elle n'aspirait plus qu'à lui trouver bon couvent d'accueil, et surveiller sa nourrice aux grosses formes, pour qu'elle le nourrisse bien. Elle suivit, donc, d'un regard attentif et sévère, les mains larges se saisir des pièces de tissus accrochées au fil, et les ramener toutes jusqu'au bâtiment où l'on avait caché le môme. Puis, rassurée, imaginant les mêmes calleuses et affectueuses paumes cajoler son enfant, elle soupira et tourna les yeux plus au loin, vers le village de Donges et ses gens.

D'où une voix polie l'en extirpa.
Sassenach !


Votre visiteur.

Bras décroisés. Sourire attendri.
Elle ramène les mains en avant, épaules entourées de deux gros tas de cheveux blonds, qu'on a visiblement coiffé un peu plus. Rosies, les lèvres, aux mains une triade de bagues très simples, car le reste tarde à venir de Pannecé.
Et puis, naturelle exclamation.


Ciel ! Quel accoutrement !
Elle marche vers lui à grands pas. Excuse de cette livrée pauvre pour tâter l’étoffe et frôler le cou.
Mon Seigneur, c'est affreux ! Si vous vous voyiez seulement...
Lambeau par-ci, lambeau par-là. L'excusée s'en donne à coeur joie.
...Demain, ce soir ! On remédiera à cela.
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Aimbaud, incarné par Blanche_


C'est affreux ? Le blanc-bec, ayant justement retrouvé sous la suie et la terre, ce que ses joues avaient de blanc, passe aussitôt à un rouge cuisant tandis qu'il voit les mains d'hermine papillonner sur la laine et le satin dont on l'a accoutré. Il en a le bec, blanc, rouge, parfaitement cloué.
Béat, sonné d'aise après son passage à l'eau, le voilà tel un bon matou noir et docile, abaissant les paupières sur un sentiment de sieste profonde, entouré des caresses tièdes d'une fillette aux cheveux blonds. Ci à son cou. Ci à son poitrail. Cajolé par elle... Tout au plus lèverait-il un peu la patte en réflexe, langui, pour répondre à ses gestes doux. Surtout... Il la boit, très gentiment, des yeux.

Quand elle a finit de parler, que ses doigts cessent de triturer les ourlets râpés du vêtement, que ses yeux achèvent leur course agitée, qu'enfin, avec un sourire bêta, il peut placer son silence à lui, il se passe un moment...

Rien de plus simple... Ils se voient. Ils respirent.

L'a-t'il déjà bien regardée, comme il le fait présentement ? Impudiquement. Il n'en revient pas d'y être à ce point capable. Il suffit, là, de bourlinguer des yeux à la surface de ce visage charmant et de tout ce qu'il incarne, entre deux secondes d'air qui circulent d'un souffle à l'autre... Ces brindilles claires et soyeuses... Il les écarte des joues tendrement avec le revers des doigts, jusque là où sont dissimulées les oreilles auxquelles ne pendent pas d'artifice. Elle, nature. Il tremble un peu bien qu'il se prétende autrement audacieux. C'est toujours plus aisé sur le papier, n'est-ce pas... Ainsi, il rajuste à peine le tableau, les mains qui s'attardent à planer sous cette figure claire, comme celui qui vient de poser la dernière tour au sommet d'un château de cartes, pour saluer la perfection. Et la fragilité.

Belle, tant attendue.


Vous m'avez bien manqué..

Attention. Ne lui parlons pas d'amour, cela risque de la lasser...

Je viens sans rien, mais j'ai une requête. Blanche, ma dame... En votre compagnie, je veux tout découvrir de ce qui fait votre vie. Tout ! J'y ai songé. Je sais si peu de choses de vous, de votre pays ! Cela vous plairait-il de me montrer ?

Et ses mains en son venues à presser doucettement les siennes contre lui, dans l'enthousiasme. Voilà, il a tout abandonné, s'est jeté tête la première dans une Bretagne qu'il n'a jamais vue, sans autre repère que le phare d'un amour animal. Elle. Dès lors sans attache, à elle, il se rattache. Foi de Josselinière, il a toute confiance. Qu'elle lui partage sa Bretagne, il veut bien s'y exiler.
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Blanche_
Une main à droite. L'oreille est découverte.
A gauche...
Le visage est nu.
Il rougit jusqu'aux racines, jusqu'à ce front qui n'est pas épilé alors que c'est la mode de le faire pour qu'il soit bien rond. Non, le sien est plat, et très pâle, quoiqu'il rosit, doucement, pour se garnir d'une chaude couleur de timidité. Et la gorge, aussi, un peu plus rouge, jusqu'aux lambeaux travaillés de bleu clair, un tissu de pauvre noble qui a perdu sa richesse avec le temps. La robe est fermée par des boutons au devant, et cette petite modernité étonnante, qui n'est repérable à aucune autre gorge de Bretagne, satisfait a curiosité commune. C'est Blanche, évidemment, complexée et mal à l'aise avec un homme, dans une tenue bleue, bleue, bleue, à rougir comme une midinette.
Elle déglutit avec peine. Dans sa gorge disparaissent aussi ses mots, elle bafouille, se tait, reprend la parole mais n'y arrive pas, et finit par répandre avec cette bouche à demi-ouverte une vague odeur de ces écorces parfumées.
Juste essayer de respirer...

Mais la tête lui tourne.

Nous devrions faire venir un couturier avant de vous emmener en ville ; votre rang exige de vous plus que ces vêtements miséreux que j'ai honte de vous imposer.

Et cette fois-ci, c'est elle qui tourne la tête. Intimidée.
Honte. Honte. Honte. Lui faire porter ça, lui, un Roy dans une loque de cul-terreux, c'était pour elle la pire des infamies.

Pardonnez ! Si j'avais su...!

Le narrateur n'exprimera pas l'état de décomposition du visage qui blêmit, c'te honte v'la, un fils de Pair dans une tenue si grotesque, ni qu'elle s'est mis à compter dans sa tête le nombre de lattes du parquet, ni qu'elle frottait deux phalanges l'une contre l'autre pour en retenir la sensation de la défroque de paysan de tout à l'heure.
Non, le narrateur se contentera de dire que le tableau était bien vilain, que ça craignait, et que franchement, il était désolé pour vous.


L'heure n'est pas si avancée, continua-t'elle en vidant son esprit. Je pourrais vous montrer ma terre.

Et là au moins, le narrateur est satisfait.
_________________
Aimbaud, incarné par Blanche_


***

Écuries de Donges.
Lugh s'étant littéralement écroulé sous le poids de la digestion, las d'un voyage qui lui avait scié les pattes, il fallut procéder à un nouveau choix de destrier. Aimbaud et la maîtresse des lieux, cheminaient côte à côte sans toute fois s'effleurer la main, du moins pas quand un pas en entraînant un autre, un menu balancement du bras exécutant une trajectoire rectiligne transversalement perpendiculaire à la tangente d'un autre bras, dans un périmètre avoisinant une certaine proximité relative au carré du l'hypoténuse, provoquait un certain rapprochement... mathématique. En gros, ils restaient très corrects.

De cheminement en gambaderie, de "C'est affreux, c'est affreux ! Pardon vraiment." en "Mais non chère Blanche, au moins là dedans je suis libre de mes mouvements !", de fil en aiguille donc, ils en vinrent à s'arrêter sous le porche des écuries et la Bretonne, d'un geste généreux, ouvrit la main vers les chevaux de campagne qui s'alignaient là.
Robustes et barbares, quoi qu'on distinguait les côtes de certains d'entre eux, ainsi put en juger le Bourguignon dans un coup d'oeil. Vif, l'oeil. Test 1, lâchez Yolanda dans une pâtisserie, test 2, lâchez Aimbaud dans une écurie : tiens donc, un air de famille ? Hors donc si vous avez comprit la métaphore, le Josselinière avait, comme un courant d'air, quitté le flanc de sa chère hôte pour examiner les montures de près.


Oh, le bel engin de course. Les crinières longues, ah ah je me gausse, c'est archaïque. Cestui-là, la vache les cuisseaux de compèt'... Hum, trop lourd. WOah. La pouliche coupée pour la vitesse...! Pas maaal. Oui t'y es joulie toi, vi ! Ouh qui n'est joulie ! ... Hum, Blanche ?... Je peux essayer celui-là ?

Du foin plein les vêtements, ayant déjà décrit un cercle complet autour de chaque bête, le bras déjà passé contre le garrot de son choix du jour et la main presque levée vers un serviteur — réflexe qui lui restait de Corbigny — pour qu'on lui porte les harnachements, il s'arrêta pour adresser à sa toute aimée Blondeur du Finistère, guettant son accord, un regard de bébé phoque en voie d'extinction.
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Blanche_
...ez-vous la bas le hameau pauvre ? C'est Trélagot, une espèce de bourg sous la dépendance de Donges. Je n'y suis encore jamais allée, les gens là-bas sont pire que tout... Pensez, ils vivent comme dans un marais*. Mais il va falloir que je m'y rende sous huitaine, on m'a rapporté qu'ils ne payaient pas le cens du mois dernier**.

Oui, le narrateur vous a propulsé au milieu d'une scène nouvelle, pour passer le désarroi de la pauvresse devant son ami, aux animaux ébahi. Elle était bien coite, à le voir psalmodier des complaintes amoureuses à une jument, se disant qu'elle aurait voulu, pour sa main caresser, une encolure aussi grosse que la poulinière brune.
Passons sur l'humiliation d'une jalousie si précaire.
Blanche, et Aimbaud, ont passé les terres autour de Donges et se trouvent désormais plus loin, au premier hameau. Il a plu, la terre est meuble, mais Blanche à l'aise en amazone émérite, darde le doigt dans toutes sortes de direction, parfois vivement, et ce sans trembler de son assise. A califourchon sur une haquenée docile, qui allait l'amble doucement, la baronne, en la montant ainsi, rajoutait à la pataude démarche un quelque chose de gracile qui la rendait régulière. Chorégraphiée. Comme une Valkyrie montant un kenning de loup, Blanche montait Loki, c'était presque une Óskmær***, une « vierge choisie au désir », c'était la vierge du désir d'Aimbaud.


Là-bas, plus loin, continua-t'elle en pointant à deux heures, il doit y avoir un début d'autre village, mais je ne me souviens plus du nom. Il y en a quinze à retenir...

Et l'excuse était donnée à sa petite mémoire. Quinze, quinze misérables hameaux, attendez-vous réellement d'elle qu'elle retienne le nom de ses gens ?
Déjà, elle aurait voulu rentrer à son Sessrumne, et retrouver la protection de quatre énormes murs qui l'entoureraient, plus les bras adorés de l'enfant, en étau autour d'elle, pour l'empêcher d'exploser de cette joie et s'éparpiller en poussière.


Dites-moi, Corbigny, vos parents sont-ils au courant que vous vous trouvez en Bretagne ?

Les sujets qui fâchent. Sauter dedans à pieds joints.
Blanche, c'te Kaillera.


[* Référence au marais de la Brière ; ** impôt ducal ; *** vierges guerrières de la mythologie nordique ;]
_________________
Aimbaud, incarné par Blanche_


Quel pays bien plat, pensait le Bourguignon, fraîchement échappé des collines du Morvan où Armoria l'avait cantonné sous bonne garde pendant neuf jours. À perte de vue s'étendaient la luzerne et les chardons bleus sur les terres en jachère, qu'ils foulaient dans leur chevauchée, au beau milieu du chant des insectes entrecoupé parfois de celui des hirondelles, qui filaient en piaillant, comme l'ombre d'un couteau à la surface des brindilles.

Par moments, le vent gonflait leurs vêtements en saccades. Il faisait surtout voler la chevelure de Blanche, le bel oriflamme blond qu'Aimbaud contemplait, c'est certain, avec plus d'estime que pour son propre blason. Ces couleurs là, il les voulait bien porter à toute bataille... En être surtout le suzerain, seul et incontesté. Il ne manquait pour cela qu'un serment.

La question de Blanche manqua de se perdre dans le bruit des sabots sur une roche, alors qu'ils déboulaient sur un chemin de traverse, creusé de sillons boueux par le passage des charrettes. Le Josselinière se renfrogna, l'oeil plissé en raison de la lumière vive qui perçait ce ciel de Donges, traîtreusement nuageux... ou d'un sujet qui l'ennuyait, allez savoir...


Je suis adulte, Blanche.

Ceci dit sur un ton sans réplique.
Irrité, il talonna sa bête pour prendre les devant, la contournant de près dans un écart.
Cette façon qu'elle avait de le traiter comme un enfant, si touchante avait-elle pu lui paraître à la naissance de leur attachement, lui était désormais agaçante... Ne serait-il jamais un homme à ses yeux, en vertu des six années qui les séparaient ? Ou bien était-ce une coutume bretonne que de se soucier de l'autorisation des parents, pour tout invité que l'on recevait chez soi ? Quand saurait-elle entendre qu'il était seigneur et maître de sa volonté, raisonnable, mature, et qu'il ne lui manquait en somme que la barbe et les dents de sagesse ? Bon ! Hein, quoi. Et d'abord de quoi je me mêle...

Faisant aussitôt volte-face — et du même coup table rase des sujets qui fâchent — il la jaugea avec un sourire matois, la main soudainement brandie vers l'horizon
.

Hardi ! Faisons la course jusqu'à ce pierrier. Le dernier arrivé a la peste bubonique !

Fouettement de talons et départ au galop, juché sur les étriers, dans un grand éclat de rire vainqueur par avance.
Mature, quoi.

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Blanche_
Je suis adulte... Gnégnégnégné... ronchonna l'Hermine en le voyant fuir. Et puis, d'un claquement de langue à trois temps, elle fit s'envoler la basanée mulassière, et répandit large pluie de boue autour d'elle. Mains écartées, laissant liberté aux lanières de cuir, elle profitait sans demi-mesure de ces instants de profonde candeur, si peu autorisés aux dames de noblesse.
L'avancée gauche était rapide ; elle vint à la hauteur du Josselinière en riant de presque gagner. Elle avait l'euphorie dans sa gorge, dans ses cheveux, dans tout ce qui affranchi de son bourreau trouvait à s'évader : bombardes, pans de la robe, rire & tignasse, tout y filait. Inconditionnel blanc-seing à ses geôles.


Allons, allons ! On cède sa place aux dames, Josselinière. Auriez-vous oublié que vous êtes mon invité ?

Et c'était dit sur le même ton que le sien, emprunté à sa farouche arrogance, si tu n'es plus un enfant, moi ! Moi je suis ton hôte.
Et l'hôte, on le respecte, on l'adore, on le laisse nous passer devant, pour l'amour de lui et de l'étiquette. La politesse d'un contrat tacite entre deux amis.

Cochon qui s'en dédit !

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Aimbaud, incarné par Blanche_


Et ils coururent flanc à flanc. Ils poussèrent leurs montures avec des éclats de voix et des coups d'oeil survoltés jetés l'un à l'autre. Ils zébrèrent les semailles sous les fers de leurs chevaux, couchèrent les pousses de blé et laminèrent les plants de betteraves. Ils passèrent comme un torrent, un renouveau fougueux, hurlant, sur cette terre en lambeaux. Tout détruire, un peu, comme des enfants terribles...

Galvanisé, le Bourguignon touchait à peine la selle et tendait un bras en travers de la route de sa Blanche adversaire, ce qui faisait claquer sa manche trop large comme une voile. Il allait la contenir, et la mater ! Furie blonde.

Il fendit l'air breton d'un éclat de rire qu'il voulait maléfique.


AH Ah ! Rusée ! En appeler à la courtoisie françoyse, non, ça ! Point de pitié !

Ceci dit son poing s'était presque imperceptiblement resserré sur la bride, pressant le mors en vue de tuer la cadence à petit feu...
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