Aimbaud, incarné par Blanche_
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J'ai FAAAAIIIIIM !
Les vitraux de Donges vibrèrent.
Qu'est-ce qu'on mange, en Bretagne ?
Moi je veux des crêêêpes !
Les sièges grincèrent.
De part et d'autre d'une grande table, les deux lurons s'assirent. L'une enfoncée dans son siège comme un pacha décadent, avec son petit menton boudeur renfermé dans le col. L'autre avachi sur la table, deux coudes aux antipodes, entamant un petit tam-tam impatient sur le bois. Sous le sable, et le sel séché, sous leurs vêtements fripés qui poquaient le cheval, leurs deux estomacs criaient d'être vides. Une jeune fille en fleur (et en jurons) et un blanc-bec en pleine croissance, ça carbure, voyez-vous. Jérémiades, piou-pious, grognements, mais diable ! Qu'on apporte la BOUFFE.
Le petit dej' c'est important pour bien grandir.
OooOOOoohh.... AaaAAAahh...
Les napperons se déroulèrent, les plateaux d'argent s'acheminèrent, les coupes s'emplirent, les crêpes se plièrent, les quatre-quarts se découpèrent, les bols éclaboussèrent, les fruits se tranchèrent, les compotes s'étalèrent, les deux amants se goinfrèrent, et nananère.
Gnmché goutu.
Vous crouvech ?
Pourgn 'gnchsûr.
Ils s'observèrent entre deux postillons de brioche et goulées de pommes pressées. Lumière du matin sur tableau de maître. Pas encore rassasié, mais déjà la première vague de faim bien enrayée, Aimbaud mâchonna plus lentement, les fossettes creusées, toisant la cible de son béguin. Elle s'empiffrait, encore plus puérile que lui, avec une effronterie ravissante. Jetant un coup d'oeil aux serviteurs postés près de la porte, puis à la confiture qui rougissait la lèvre de Blanche, il écarta sa gamelle pour se pencher sur la table, appuyé sur les coudes entre deux coupelles de chouquettes...
Embrassez-moi, voulez-vous ?
Voix-basse. Regard discret. Pour pas réveiller les crêpes.
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Aimbaud, incarné par Blanche_
Breton ou Bourguignon, les pouls battent à la même vitesse. Tambour, et souffles. Tintements d'argent quand les fourchettes dégringolent. Deux voix à l'unisson, se taisent et s'entremêlent. L'heure du grand chaos a sonné. Maître-amour sur une table perché, tenait en son sein de pauvres fous.
Il ne fallait qu'une étincelle pour faire péter la poudre sur le terrain de la raison. Détonation d'une rencontre. Le destin n'avait qu'à pas jouer au petit chimiste avec ces deux éléments instables. Le Métisse et la Pur-Sang, à mille lieues de distance l'un et l'autre ! C'était sans compter que lui, ferait la route...
Je suis venu de loin.
Je suis venu te voir.
Sans peur de regarder
Ce qui me fait pleurer...
Blanche cruelle, et Reyne. Ne sait-elle pas, que même quand d'un geste il la chavire au milieu des coupelles pour l'aborder maladroitement, il reste son asservit ? À la mort, disent ses dents qui lui dévorent le cou. À la viiie, dit sa bouche qui remonte au front de la sienne. À tout, à toi, à ta guise ! disent ses gestes tout feu tout flamme dans les sévices qu'il cause aux vêtements tachés de lait et de fruits, craquants de sable.
Dans le jargon commun, c'est de la dévotion.
Et autant que je sache
J'ai banni le pouvoir
Que je pouvais sur toi
Si encore je me cache, viens accompagne moi.
Sans peur de t'y trouver... Je serai là pour toi.
Il n'est plus de pudeur qui la blesse. Pour rien au monde.
Il ne fuit plus, ton Aimbaud, vois. Bats, insulte-le. Non plutôt, laisse-lui te faire la paix.
Ils perdent l'équilibre dans une dégringolade, sur le tapis de leur émoi. On pourrait presque croire qu'ils se battent... Mais il n'est rien de plus amoureux. La tendre ronde de deux âmes en armes... en pleine parade de trêve.
Ils roulent et quelques attaches se dégrafent dans des souffles affolés. Les mains empressent perles et broderies.
Frappe ! Frappe, coeur.
Relevez-vous, païens.
Le tapis se froisse dans leur fuite. Ils s'échappent en se heurtant, en se retenant. Courant, trébuchant. Leurs têtes parfois, comme des museaux de chats, lutinent, se cherchent. Ils se happent à nouveau. Un éclat de rire langoureux résonne dans l'escalier en colimaçon quand le satin s'y couche en perdant la maîtrise de ses pas. L'on y perd des boutons de pourpoint ! Une manche y est retournée. Ils gravissent le reste, l'un marche à reculons pour ne pas quitter la bouche adverse, sa captive. Sous leurs pas, leurs gestes, les chandelles choient, les meubles se cognent, les portes presque, s'enfoncent ! Ils déboulent, ravageurs, presque déchirés dans leurs habits en pagaille, pour s'échouer au pied d'un couvre-lit. Aveugles à tout.
La vie, entre eux, palpite. Ne sentez-vous pas, ma foi, qu'il se passe en cet instant quelque chose de primordial ?
Une sorte de grande, et d'invisible... Détonation.
Croisement d'éléments instables.
À parler comme ça
À sentir tout de toi
La mort nous fait le beau
Sachant qu'elle n'aura
Jamais mon dernier mot
Je suis venu de loin.
Je suis venu te voir...
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Aimbaud, incarné par Blanche_
La belle marchande de suspens.
Elle l'arrête, apeurée. D'une main qui appuie sur la sienne. Petit coup de sabot, et ruade ! L'animal sauvage. Dans le satin qui fait leur bonheur, il n'entend rien de ses deux oreilles. Tout feu tout flamme, à cheval sur un désir tranchant qui marionnettiste et lui, pantin l'anime jusqu'à plus souffle.
C'est la première fois. Fébrile, hors de lui.
Tant aimant qu'il n'en peut mai. Elle le brûle, Blanche !... Elle l'endiable de toute sa poitrine, sous la fine-laine d'été qui s'élève comme un drapeau au sommet de leurs bras, s'échappant des poignets à la cime d'un oreiller, pour terminer jetée plus loin dans la pagaille, boule blanche et flétrie comme un pétale de marguerite qu'on aura baptisé "Un peu", "Beaucoup" ou "Passionnément"...
Elle l'agrippe. Cela veut dire doucement.
Il sait, mais il ne peut pas...! Tire les rênes d'un cheval fou, ça n'est pas dit que ça l'arrêtera. Tout juste maltraité par le mord il rechignera et s'emballera de plus belle. Mais les rênes insistent. Les mains posées sur son visage le contraignent, fraîches. Ralentis, idiot ! Veux-tu nous tuer tous deux de ta fureur ? Un courant d'air passe dans le charnier de leurs vêtements.
Accalmie dans les braises et leurs gestes suspendus à la tête du lit.
Il faut apprendre à non pas se ruer, mais à cheminer. À non pas se goinfrer, mais à déguster. Aimbaud ! On ne brise pas les jouets précieux en miette, ni ne les jette du haut des remparts pour vérifier s'ils flottent à la surface des douves ! Impatient ! Gaspilleur. Oh mais... Soit... Il courbe l'échine et obtempère pas après pas. Sent-elle bien entre deux respirations affamées, qu'il se fait violence pour mieux lui plaire ?
Tension suspendue. Haleines frémissantes.
Vient l'instant où l'on ne pense qu'à soi, tout environné par l'autre. Au coeur de la cible... Au plus cru de ce qu'ils sont, de ce qu'il est. Ce n'est plus un péché... C'est une vérité qu'ils prononcent de leurs corps, ainsi que les mains de la nature les ont modelé. Qu'elle soit nue, avec lui... La saison est propice à la cueillette de nouveaux idéaux, ils poussent partout aux branches des jeunes années. C'est ce qui se murmure en secret, sur l'humidité de leurs lèvres et dans leur chaleur qui s'entrelace. Tant qu'ils se croiront innocents, ils ne seront pas en faute... C'est écrit sur leurs peaux. Dans leurs peaux. Dans la seule chair qui fait eux deux.
À présent.
Le présent est bien bon.
Alors...
Ils se le partagent.
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Aimbaud, incarné par Blanche_
Les mains s'entrelacent quand les corps se reposent. Peau contre peau, respiration contre peau... Aimbaud ne bougera plus à moins d'un tremblement de terre. C'est la plus grande accalmie qui lui ait été donné de vivre. L'harmonie du silence et de la chaleur, de la lumière et de la femme tout contre lui. Nulle ombre sur le tableau. Plus une seule peine ou souffrance. Il lui semble que son âme est devenue immense, en ce petit matin...
Il y pense en enfouissant le front contre le cou de Blanche, fermant définitivement les paupières qui depuis un instant s'amenuisaient. Dans l'odeur d'elle et l'obscurité qu'elle lui procure, ses lèvres étouffées prononcent :
Je veux devenir breton.
Pas sûr qu'elle ait entendu. Lui, sa décision est prise. Bourgogne, France, adieu mes amies... Il ne remettra plus le pied ni le sabot sur les terres de Corbigny, il reniera la Reyne s'il le faut. Plus de vignes, plus de vallons giboyeux, plus d'étés secs, plus de terre sous ses pieds... du sable ! Adieu mon père. Le duc sera furieux, mais point trop étonné... L'aîné qu'il est n'a jamais été son favori dans la fratrie. Le plus douloureux sera de ne plus voir Yolanda, mais elle, grande à présent, n'a plus tant besoin de lui pour être heureuse... Adieu Cassian... Adieu Digoine...
Blanche.
Blanche, amour, les vaut tous. Sa seule patrie dorénavant. Sa contrée, sa justice, sa cause. Dès lors il ne brandira les armes pour aucune autre valeur. Elle. Point. Il commande la paix perpétuelle, et que l'instant qu'ils vivent dure toujours. S'il faut pour cela s'arracher de tout dans un monstrueux sacrifice, il le fera et avec le sourire.
Jeune, complètement irresponsable et un peu fêlé. Amoureux, surtout.
Une idée en catapultant une autre, comme des étincelles sous les cheveux bruns, le voilà qui se serre contre sa belle pour l'encercler dans un étau de bras. Le nez contre sa gorge... Quel pot de colle.
Épousez-moi. Épousez-moi. Épousez moi... épousez-moi...!
Flash back narratif...
Je veux la nouvelle cithare-hero.
Fils. Trêve de caprices.
La cithare-hero. La cithare-hero. La cithare-hero... la cithare héro...!
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Aimbaud, incarné par Blanche_
Épousez-moi.
Seul, étalé comme une crêpe au froment au beau milieu du lit tout retourné, sans drap, Aimbaud de Josselinière regardait fixement le plafond du lit à baldaquin et semblait lui adresser un très sérieux discours. Un des avant-bras étendus de part et d'autre se releva avec une immense paresse, pour décrire un mouvement absorbé de la main. Le menton imberbe fut grattouillé. Puis le poing se ferma.
Non... Hm... Épousez-moi !
Le ton était plus enflammé. Le plafond resta de glace. La main continua de s'agiter dans l'air, tantôt décrivant des cercles charmeurs, tantôt se brandissant, parfois saisissant le crâne du Bourguignon dans un élan de colère. Soliloque d'un grand instant de solitude...
Épousez-moi... euh. Épousez-moi. S'il vous plaît...
S'il vous plaît, épousez-moi. Non...
Meeerde !
Voulez-vous m'épouser ? S'il vous plaît. On se marie.
Hé...! Un mariage ?...
Vous voulez, s'il vous plaît ? M'épouser. Épousez-moi. Épousez-moi ? S'il vous p... RAAAAH. Comment j'aurais dû le dire ?... PUTAIN.
Les poings frappèrent dans les édredons de plumes.
Aimbaud cessa de marmonner, l'oeil noir d'exaspération et d'incertitudes. Il bouda le plafond en enfouissant le visage dans son oreiller à elle pour y respirer à pleins poumons, avachi comme une grosse loque sur ce terrain de jeu de lin, de laine et de fourrures qui sentait elle tout entière. La trace de son séant même, était encore creusée dans le mou du matelas, il y abandonna la main.
Mais qu'est-ce qu'elle faisait ?
Pourquoi fallait-il qu'elle prenne autant de centaines de milli-secondes à n'être pas là, à portée de main ? Ne pouvait-elle pas rester, sage, bibelot, tranquillement là, deux minutes ? Deux siècles même plutôt, puisqu'il le commandait. C'était quoi ces velléités d'indépendance ? Non mais, elle avait cru à la journée de la femme ou quoi ?
Il se redressa soudainement sur les coudes, le cheveux en bataille, l'air tout à fait furieux. A-bu-sé.
Ça faisait au moins une minute cinquante-quatre là maintenant il en était certain, il avait égrainé les secondes en pianotant des doigts. Si elle croyait qu'il n'avait rien d'autre à faire qu'à l'attendre...! Il était un type très surchargé d'occupations, il lui ferait dire. Il n'était pas son petit caniche-wah-wah, qu'on abandonne des MINUTES entières, pour aller faire des choses dénuées d'intérêt, extrêmement LONGUES, dans une autre pièce du château. C'était QUOI ce comportement PUÉRILE et ÉGOÏSTE. ÇA COMMENÇAIT À LE TANNER GRAVE.
En bon gros parano qu'il était, Aimbaud de Josselinière sauta donc hors du lit et ramassa son caleçon de petite-laine bouffant (très d'époque), déterminé à l'enfiler à cloche-pied, jusqu'à la porte de la chambrée qu'il ouvrit avec fracas. L'élan qu'il s'apprêtait à prendre pour marcher en direction de sa belle, l'obligea à se stopper net en se tenant aux plinthes. On ne bouscule pas les dames.
Euh ?
Sitting dans le couloir ?
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Aimbaud, incarné par Blanche_
Le scandale éclata dans chaque parcelle du château de Donges, des combles aux mansardes, au gré des cris suraigus que poussait Clémence de l'Épine tandis qu'on l'emmenait / la traînait / la retenait / la remorquait / l'empêchait de s'agripper aux meubles de style néo-gothique / lui refusait une petite dose en rab' d'opium prétendument thérapeutique / lui chantait une berceuse / l'attachait à son lit / lui souhaitait une mort prompte afin d'avoir enfin un peu de calme.
Rayez les mentions que vous jugerez inutiles.
Ce fut un grand ramdam de cris outrés et de paroles suppliantes, d'appels à Dieu et à la raison, d'exhortations théâtrales et de chuchotements hystériques, auxquels Blanche et Aimbaud répondaient en accompagnant le cortège, en perdant l'une son drap, l'autre son sang-froid. Nous passerons rapidement sur les "C'est à moi qu'vous parlez ? C'est à moi qu'vous parlez ?!" (avec un léger accent angloys) et les "Vous voyez bien que vous fatiguez Blanche !" ou les "C'est MOI qui la fatigue ? moi ? MOI ?" ou encore les "Mais faites la taire !" ou bien les "Vous n'aviez aucun droit de la séduire !" ou même les "Je ne l'ai pas séduite ! Espèce d'ignorante !" ou carrément les "Vous insinuez qu'elle s'est d'elle même laissée prendre dans vos filets ? Il faudrait être folle, pour ça !" ou pour terminer, les "Si vous n'étiez pas femme, et si... où est mon fourreau ?... Prenez garde, ma dame !" ou, un petit dernier pour la route, les "Jetez moi donc un gant, je vous le ferai manger !"...
Bref.
Cela ne prit fin que lorsqu'on referma la porte de l'Epine sur le passage d'une servante qui lui portait un bouillon de poule ainsi que des tisanes. Cure de soin pour les grands drogués. Noblesse décadente... Un dernier murmure étouffé par une gorgée de soupe, et l'épaisseur de la porte :
Il faudra bien qu'il t'épouse, maintenant !..
Assis parmi les marches de l'escalier en attendant patiemment que le silence retombe, Aimbaud se rongeait le bout des doigts dans l'agacement. Clémence de l'Épine... Ce sac d'os de marquise, la figurante "Meilleure copine à tout jamais jusqu'à la mort, juré craché sur la vie de mon journal intime !", bref l'emmerdeuse finie qui venait braquer son oeil indiscret par dessus la haie d'un jardin par trop intime... Notre amant énamouré sentait venir l'orage... Car il est déjà malaisé de se fermer les yeux sur sa culpabilité, quand on est pieux bien qu'incapable de résister... Mais comment les fermez quand une autre, elle, en ouvre un, furieux et très attentif ? Dame morale personnifiée ! Il soupira en remontant la crête de ses doigts sur son crâne. La voix blanche parla dans la coursive.
Je ne peux pas épouser Aimbaud, parce que je l'aime et que sa famille n'accepterait jamais.
Froid.
Blanche.
Les pas s'enchaînent sur les dalles en carreaux. Ocre. Noir. Ocre. Noir. Et le bras nu du garçon vient par derrière pour poser une main ferme sur le visage féminin, bavard et blême. Le souffle se coupe dans sa paume. Il la bâillonne d'un geste froid et passionnel ! Mais amoureux, ooooh, amoureux, si elle savait. Silence... Ah, le silence ! On entend bien assez d'inepties dans ce monde qui laisse pulluler les hérétiques et les faiseurs de ragots. Blanche, merveilleugnifiquorable Blanche, amour, aimée, lumière de sa vie, essence de ses nuits, poudre à canon de sa testostérone :
Arrêtez de dire des conneries.
Hé mais c'est qu'il deviendrait vulgaire, à force d'avoir de mauvaises fréquentations...
On fait la paix, et on oublie.
Quelques minutes plus tard dans les dédales de la demeure, après bouderie et réconciliation et un éclat de rire étouffé contre une peau.
N'empêche... Vous avez des amies vraiment, vraiment... Spéciales.
Le mariage... On y reviendrait. Au moment opportun, il saurait bien être assez têtu pour la faire céder. Et mettre tout cela en règle, pour le bien de leurs âmes...