Une fois son cousin passé et l'ambiance un peu retombée, le jeune garçon avança à son tour, escorté jusqu'à quelques pas de la comtesse régnante par l'un des deux almohades susdits. Quiconque aurait regardé la scène aurait pu avoir deux interprétations possibles: car soit le jeune seigneur craignait attentat contre sa personne (et si c'était possible ou non, l'avenir seul le dirait), ce qui ne manquerait pas de maintenir une atmosphère encore une fois tendue sur l'assistance, alors que la cérémonie touchait à sa fin ; soit il n'avait aucune confiance en les services de sécurité, et la maréchaussée franc-comtoise. Ce qui, pour le fils de l'homme qui avait établi les bases de l'édifice prévôtal, était une marque grave de discrédit et de méfiance vis à vis des autorités régnantes.
Là encore, le jeune Faucon avait marqué la scène d'un sceau politique, montrant à tous que son retour n'était pas par amitié avec les pouvoirs en place, mais bien plutôt par défiance. Il vit s'avancer vers lui le prévôt et un garde, qui légitimement lui demandaient de ne pas s'avancer avec maure à proximité de la Franc-Comtesse. Aussi intima-t-il au Sarrasin de rester à sa place, et de lâcher le fourreau de sa dague. Il leva à cet effet la main, à hauteur de son bassin, en un signe d'apaisement. L'homme se redressant et montrant qu'il restait là, on lui intima malgré tout de reculer: distance de sécurité oblige.
Adrian Fauconnier, à ce moment, inclina la tête en direction du prévôt, en un petit signe que l'on aurait pu penser tout à la fois salut, remerciement, voire simple "Tiens ! J't'avais pas vu, toi!", tout en souriant. Sourire franc, bien sûr: il était peut être noble, mais pas aristocratique. La différence à cet effet mérite peut être d'être soulignée: il se sentait au-dessus du vulgaire. Mais ne se sentait pas en droit de le mépriser.
Sa marque de répugnance à l'égard des gardes à son entrée ne voulait pas montrer le dégoût ou l'irrespect. Car il avait malgré tout un respect de tout l'Ordre Céleste. De l'empereur au mendiant. On pouvait certes, simplement dire qu'à priori, le mendiant aurait plutôt un respect condescendant, paternaliste et hautain qu'un respect "démocratique". En bref, il salua ainsi le prévôt, s'assurant de par son regard qu'il pouvait bien avancer. Une fois qu'il en fût sûr, il s'avança donc jusqu'à la fille du comte de Morteau.
Ennemi juré de son père.
Mais titulaire actuelle des pouvoirs.
Aussi ne serait-il pas aggressif: son entrée suffisait, pour le moment. Il regarda la jeune femme sur son trône, si jeune et fragile. A la vérité, elle lui semblait une jeune biche, seule et sans défense. Et l'escogriffe* à ses côtés, qui fanfaronnait comme tout loup dominant aux côtés de sa belle, contribuait à donner d'elle cette image de pauvre et frêle jeune femme, qui avait besoin de s'entourer d'hommes pour assurer sa survie. Il la plaignait presque. Il n'y avait pas de poste plus épuisant que celui de chef du comté. Il sourit intérieurement en pensant que, assurément, d'ici deux mois, elle aurait certainement perdu 10 kilos. Si en plus elle pouvait tomber enceinte...
Mais son sadisme n'alla pas trop loin. Il ne convenait pas qu'il pensât à des choses qui auraient pues infléchir ses actes. Aussi prit-il sa cape doublée de fourrure par un pan, la releva-t-il pour approcher, et resta-t-il planté devant la comtesse. Pas de genou à terre. Pas d'inclinaison de la tête. Son père l'aurait tué pour cela. Il sourît à la petite souris qui avait sûrement presque le double de son âge, et formula les phrases que l'on lui avait dit de répéter, apprises pendant le voyage:
- " Je, Adrian Fauconnier de Riddermark, Seigneur de Parcey, viens en nom et place de la mater familia Riddermarki, Daresha de Jeneffe-Riddermark. Conformément au serment dressé en d'autres temps et établi par d'autres que nous, Je suis porteur d'allégeance pour les fiefs de Scye, Montbarrey et Saint-Laurent en Grandvaux. Allégeance sise sur parchemin, que l'on me manda de vous remettre. "
Disant cela, il tâcha de sortir de la doublure de sa cape le long vélin frappé du sceau maternel, qu'il eut du mal à extraire. Le prévôt et ses gardes attentifs, il voyait cela à la prise sur les armes, il prit machinalement un peu plus de temps que prévu pour sa tâche: excuse de l'âge. Puis, la sortant, il la tendit à la Franc-Comtesse.
Citation:Nous, Daresha de Jeneffe Riddermark
Pour nos terres comtales de Scye et nos terres baronniales de Saint Laurent en Grandvaux détenues en pleine propriété,
Pour nos terres vicomtales de Montbarrey, détenues en régence selon la volonté de feu nostre premier époux, le Chevalier Hubert Abel Felix Fauconnier dict Bralic, pour nostre fils encore mineur, Adrian Fauconnier de Riddermark, Seigneur de Parcey,
Déclarons par la présente, lue par la voix et transmise par les mains de nostre fils bien aimé,
Renouveller nostre attachement et nostre allégeance à l'Empire, à son Saint Empereur, sa Majesté Long John Silver Ier, à la Franche-Comté, à son Peuple et à son Parlement élu par lui;
Jurer sur nostre vie et nostre foy, de leur apporter, comme il est de nostre devoir, l'obsequium, l'auxilium et le concilium.
Escrit, signé et scellé de nostre main,
Daresha de Jeneffe Riddermark
Comtesse de Scye
Vicomtesse de Marchiennes
Vicomtesse douairière et régente des Vicomtés d'Isles et de Montbarrey
Baronne de Calmont de Plancatge et de Saint Laurent en Grandvaux
Dame de Wavrin
Le jeune Faucon, alors que la comtesse en titre parcourait les lignes, finit ainsi:
- " Elle transmet tout son amour à cette terre et ceux qui y vivent. Et vous souhaite bonne chance, autant que faire se peut... "
Voilà. Phrases neutres. Claires. Interprétables là encore positivement comme négativement. Encore une fois très ambiguës... Le jeune garçon, alors, rougit violemment. Et, se tournant vers son cousin, puis vers la comtesse, puis vers son cousin, et encore vers la comtesse, il demanda à voix basse:
- " Hum...dites...Franche-Duchesse... 'Faut vraiment que j'vous roule une pelle, là? "
Pas que ça le dérangerait, le jeune Faucon. Bien au contraire! D'ici quelques années, il se dirait même sûrement que celle-ci, elle devait être foutrement bien fendue de la cuisse, et qu'il lui collerait même volontiers une bonne pétée...
Mais à 11 ans, mes bons lecteurs...
____________________________________________________________
* : Pensée tenant simplement de la psychologie du personnage, encore une fois. Le pourrissage est amplement conseillé, et même souhaité (on est là pour le fun, s'pas?).
_________________
- Seigneur de Parcey
- Fils de Bralic Fauconnier et de Daresha de Riddermark
- Bannière en attente de réalisation