--Theognis.
Il chemine lentement, à pied, sur un chemin cabossé d'ornières et de flaques grisâtres. Seul sur des toises à la ronde, ou presque. Dame méfiance l'accompagne, souvent il s'arrête, hume l'air comme un chasseur en quête de gibier. Mais n'est-ce pas lui, en proie aux doutes, aux faux-espoirs? Que va-t-il trouver là-bas?
Un ruisseau, alimenté par les récentes pluies, coule en contrebas. Théo tend l'oreille pour écouter son chant, freiné par de jeunes saules blancs. Mais c'est tout le paysage qui est silencieux, plongé dans la brume et l'immobilité. Une véritable atmosphère de recueillement.
Il reprend la route, maussade.La pointure ferrée de ses bottes sur l'herbe fraîche laisse une marque boueuse. Bordant les fossés, mordant le passage, les arbres grandissent, la forêt s'épaissit. Le soleil y perd ses rayons, le ciel se couvre des jeunes frondaisons du printemps. Le chemin rétrécit. Le Déchu entre dans les Terres d'Arquian aux Pierres Noires.
Il reconnaît là un sentier calfeutré par les ronces, ici une borne de distance. Sur la margelle du vieux puits, il se pose un instant, caresse du regard les éboulis, mussés sous des couches de végétation en pagaille. Il songe à ces paysans qui abreuvaient leurs ânes en payant un denier aux sergents, que ces derniers puissent s'envoyer dans le gosier la piquette du châtelain. L'eau changée en vin. C'est un peu le thème de son poème, pense-t-il, rêveur. C'est alors qu'en s'étirant, son genou choque une pierre qui bascule dans le vide....
Plouf!
Le son revient avec une netteté si pure que Théo saute sur ses pieds, saisit le pommeau de son épée, prêt à dégainer, tout les sens en expectative.
Bien vite, il comprend l'inanité de sa réaction, la stupidité de sa crainte, comme un lapin qui détale d'un fourré pour mieux se faire capturer.
Un lapin...Oui, voilà ce qui je suis, un lapin de retour à Arquian....
A gorge déployée, il se met à rire, un rire puissant, un rire sans vergogne, un rire de renaissance.