(Merci. Je l'adore. )
[19 octobre 1459, fin de matinée, bureau privé de la Présidente de la Cour d'Appel :]
Deux jours... Cela faisait deux jours que la lettre reçue de la part d'Aimelin attendait une réponse, et que Terwagne reportait celle-ci. Répondre quoi? Elle se sentait tout sauf d'humeur à lui répondre.
Pour tout dire, elle était bien plus inspirée par une autre missive, celle reçue quelques minutes plus tôt de la part d'un mystérieux inconnu qui signait "Un admirateur". Un masqué dont elle avait rapidement deviné l'identité, et qui la faisait sourire.
Et puis, il fallait bien admettre que par dessus tout, ce dont elle avait envie c'était d'enfin voir se glisser sous la porte la réponse à sa dernière missive envoyée à cet homme dont elle avait fait la connaissance suite à une audience encore en cours... Cet homme dont plusieurs jours plus tôt elle se languissait idiotement de recevoir à nouveau des nouvelles et qui avait fini par lui en donner, de façon toujours aussi étrange et aussi surprenante, faisant leur correspondance ne ressembler à aucune autre.
Repoussant au loin les vélins vierges destinés à recevoir les mots qu'elle se devait d'adresser, au moins par politesse, à Aimelin, elle relut pour la vingtième fois ceux adressés à celui dont tout la séparait.
Citation:"Paris, un soir comme un autre."
Bonsoir, étrange étranger.
Ici, tout est sec, la brume nocturne comme la rosée matinale semblant déserter les alentours de cet imposant édifice où je stagne, n'y pouvant plus évoluer, mais me refusant à décliner. Ainsi donc vous aimez le soleil? J'aime la pluie. Sa mélodie, son odeur, sa caresse sur ma peau, ce fantasme de la voir laver ma mémoire comme elle lave les toits de Paris. J'aime aussi le vent.
Je ne sais si j'ai mérité la place que j'occupe, mais j'ai oeuvré pour, en effet, enfin si on veut... Je n'ai pas donné de mon temps, de mon énergie et de mon âme pour une fonction ni pour une charge. J'ai donné de tout cela sans compter, m'y perdant parfois moi-même, pour une valeur avant tout. Une valeur que j'avais vue bafouer, un combat utopique et égoïste, espérant guérir ainsi par la revanche la douleur d'une sentence que d'autres ont jadis infligée à tord à celui avec qui j'avais découvert le sens du verbe "vivre".
J'ignore pourquoi je vous parle de cela. Personne ne sait mes vraies raisons. Personne n'a le droit de les connaitre. Elles n'appartiennent qu'à moi.
Je ne sais si je mourrai de dépit et avec panache. Je m'en moque. La mort n'a pas voulu de moi lorsque je me suis offerte à elle. Peut-être préfère-t-elle prendre de force que de recevoir? Peut-être fait-elle partie de ces garces qui aiment à se faire désirer? Je vous souhaite en tous cas de l'épouser sous une pluie de pierres et auréolé de lumière, si tel est votre souhait. Moi je préfèrerais des noces funèbres sans témoin.
J'ignore pourquoi je vous écris. Je ne choisis pas. J'obéis sans besoin d'explication. Et cela me surprend. Vos lettres sentent un autre monde et brisent le silence plein du vacarme de mes cris muets.
Si vraiment dans votre tête je suis bien, si j'y souris, si j'y existe et si j'y suis plus qu'un nom, alors gardez-moi donc. Oui, gardez-moi une existence cachée, interdite, peut-être même condamnable, fantasmée, ou que sais-je, mais une existence, un visage, une odeur! Plus qu'un nom! Plus qu'une fonction!
Je n'ai pas mangé, pas prévu de le faire, pas pris de chambre pour cette nuit, juste dégagé un coin de table dans mon bureau pour y poser la tête entre deux lectures de dossiers.
Demain... Un autre jour...
Terwagne
Pourquoi ne répondait-il plus depuis? Elle s'interrogea un long moment, puis finit par répondre à Aimelin, mais le coeur n'y était pas vraiment. Elle avait beau tenir à leur amitié, l'amertume prenait ce jour-là le pas sur tout le reste.
Citation:Paris, le 19 octobre 1459.
Cher ami,
Je vous remercie de prendre de mes nouvelles, et plus encore de me donner des vôtres. Je n'ai pas réellement suivi le conflit dans lequel vous êtes fort logiquement impliqué, étant comme toujours bien trop plongée dans mes dossiers pour regarder ailleurs, si ce n'est dans mes souvenirs et fantômes, mais je me doutais fort bien que vous faisiez partie de tous ces hommes et toutes ces femmes qui ont pris les armes, forts de leurs convictions et de leurs devoirs, qu'ils soient envers un Duché, un Comté, un Suzerain, un idéal...
De mon côté, point d'arme... Je n'en serais physiquement pas capable depuis mon amaigrissement de l'année écoulée, celui qui sur un champs de bataille ferait de moi un oiseau pour le chat.
Je continue donc de servir le Royaume de France de la seule façon dont j'en sois capable, en oeuvrant pour une de ses institutions, sentant parfois bien fort les effluves du conflit arriver jusqu'aux portes des salles de réunion ou d'audiences parmi lesquelles je déambule. Bien évidemment, cette guerre a des répercussions dans tous les domaines, pas uniquement le militaire, et la justice n'est pas oubliée dans la distribution des dommages collatéraux.
A ce propos, figurez-vous que ces dommages ont conduit il y a quelques jours à présent un Champenois que vous connaissez sans doute, au moins de nom, à faire le déplacement jusque Paris, et ce dans le but de se renseigner sur la possibilité ou non de mettre en procès les Artésiens ayant envahi le territoire champenois. Le hasard est quelque fois bien étrange, puisqu'il aura fallu un voyage à Paris pour que nous nous rencontrions, alors que je séjourne en Champagne depuis des mois et des mois. Enfin bon, je m'égare, et cette rencontre, aussi surprenante et étrange soit-elle, ne vous intéresse sans doute guère.
Je suis touchée de vous entendre dire, ou plutôt de lire, que vous avez laissé un morceau de vous auprès de moi, et je me demande si vous en avez emporté un de moi également... Sans doute, oui.
Quoi qu'il en soit, je suis heureuse - même si cela vous parait étrange - de savoir que vous cheminez toujours aux côtés d'Alienor. J'ai donc bien fait de m'effacer, et n'ai aucun regret à avoir à ce niveau-là. Puissiez-vous déguster longtemps le fruit, sans vous lasser du goût, et sans penser au trognon qui se cache dans chaque pomme.
Pour ma part, je vais bien, rassurez-vous! Je me noie dans le travail, comme toujours, mais la vie et le vent semblent bien décidés à se rappeler à moi par instants, grâce à certaines rencontres, auxquelles je ne m'étais pas attendue, et qui m'ont pris de plein fouet.
L'une d'elle m'a fait repenser à nos échanges écrits de jadis, ceux où nous nous confiions réciproquement à l'inconnu qui était en face, sans crainte d'être jugés ou incompris, sans faux-semblant, sans masque et sans pudeur. Cet inconnu à qui je me livrais en oubliant mes chaînes, jusqu'à ce que le désir et le rêve s'en mêlent. Aujourd'hui, je me surprends à regarder fixement la porte sous laquelle chacune de ses lettres se glisse, et n'en comprends pas vraiment la raison, pas plus que celle qui me pousse à lui répondre... Vous le détesteriez, sans même le connaitre, mais peu importe. J'aime cette relation qui n'en est pas vraiment une, mais dans laquelle je me sens exister, ailleurs...
La seconde de ses rencontres est tout autre, faite de mots échangés à voix haute, de vent et de frisson, de sourires et de murmures, de trouble et de peur, je crois. Une impression de déséquilibre, de fil tendu et prêt à rompre au moindre faux pas. Vous la détesteriez sans doute tout autant, et me diriez que je vaux bien mieux que cela, bien mieux qu'une rencontre improbable dans un lieu rempli de courants d'air...
Je repense à cette salle d'archives, et ce soir cette pensée me rendrait presque cynique... Une salle d'archives.. Si j'étais un ouvrage, je voudrais être un livre de poésie posé sur une table d'auberge, et faire rêver les gens, en les berçant de douceur et de musique, ou encore sentant tournoyer ses pages au gré du vent... Pas un livre d'aventures anciennes posé dans une belle pièce, à l'abri des regards, prenant la poussière mais choyé car précieux, gardé jalousement, et qu'on ressort du placard quand on a besoin de retrouver quelque inspiration.
Je sais, je suis injuste sans doute, à vos yeux...
J'ai adoré cette salle d'archives, vraiment, et je la garde précieusement dans mes souvenirs, mais ce soir j'ai envie de regarder devant, de suivre le vent, ne serait-ce que quelques heures, comme un papillon s'envolant vers le soleil en étant conscient que sans doute il s'y brûlera les ailes. Alors je vais prendre le baiser que vous m'envoyez et le poser sur une de ces ailes, espérant qu'il me portera chance jusqu'à la brûlure, ou me poussera à retourner me terrer pour m'enfermer avec lui au milieu de mes dossiers.
Prenez soin de vous, Aimelin, et ne me faites pas regretter de m'être effacée devant une chrysalide bien plus prometteuse.
Terry,
Qui ne vous oublie pas, quelle que soit ses humeurs.
Il détesterait, elle le savait! Mais il ne pourrait pas lui reprocher de n'avoir pas répondu, ou pire encore de l'avoir fait hypocritement. Cette lettre était le reflet de ses pensées du moment, et elle aurait été incapable de faire autrement.
Pourtant, alors qu'elle ouvrait la porte de son bureau pour confier celle-ci à un messager, un sourire naquit sur ses lèvres.... Sous la porte qu'elle venait d'ouvrir dormait une missive signée de la main de l'étrange étranger... Rapidement, nerveuse comme une petite fille, elle décacheta celle-ci et s'usa les yeux à la lire et la relire.
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[20 octobre 1459, fin de soirée, même endroit, mêmes protagonistes :]
La journée avait été longue, entre les diverses audiences à redistribuer en raison des disparitions et retraites de certains officiers, des départs d'autres, sans oublier les nouvelles arrivées... Le jeu des chaises musicales qui se déroulaient depuis quelques temps dans les diverses audiences traitées commençait doucement mais sûrement à la lasser, lui faisant s'arracher les cheveux pour essayer de combler sans cesse de nouveaux "trous" dans les effectifs sans en faire pâtir les témoins et requérants qui - quoi qu'elle fasse - continuaient pour certains à se plaindre et larmoyer, quand ce n'était pas mordre par les mots.
Fermant la porte de son bureau à double tour, elle se servit un verre de calva, un de ses rares plaisirs humains, puis attendit d'être un peu plus calme pour enfin répondre à "l'admirateur pas si bien masqué que cela", puisqu'elle avait parfaitement deviné de qui il s'agissait.
Citation:Il était une fois une jeune femme qui avait tout pour être heureuse : la liberté, le vent, la musique, l'amour. Mais le ciel et les hommes en décidèrent autrement, lui reprenant celui qui était comme le "la" de la partition sur laquelle elle avait cru écrire la mélodie de toute une vie, une mélodie sans fin. Sans le "la", tout n'était plus que requiem et long decrescendo, rempli de silences et de bémols.
Oh bien sûr d'autres clés se posèrent sur la partition, lui permettant d'écrire de nouvelles mesures, parfois même par deux, la faisant s'emmêler les pinceaux... Mais la demoiselle avait décidé d'épouser l'anamour, de fuir le bonheur avant de le voir s'en aller de lui-même. Elle n'écrivit donc plus que des introductions, ne dépassant guère deux ou trois mesures, faites de démesure surtout.
Jusqu'au jour où elle croisa non pas un nouveau "la", oh non, le "la" il n'en existait qu'un, elle le savait, mais un "ut"... Son "tu", la clé de tout selon elle, celui par qui tout recommençait, celui qui lui donnait envie de chanter à nouveau, d'écrire, et surtout de vivre. Mais là aussi, les hommes en décidèrent autrement.... Ou plutôt la poussèrent à cesser de chanter, à le libérer de sa présence et de leur relation, cette relation qui provoquait le chaos dans son existence à lui... depuis l'éloignement de ses enfants qui ne lui pardonnaient pas d'en aimer une autre que leur mère jusqu'à la mise au ban de la société "bien pensante" du Duché pour lequel il avait donné tant d'années.
Elle l'abandonna, sans un au revoir, juste une lettre de quelques lignes... Elle ne voulait pas que leur relation devienne un jour pour lui synonyme de douleur et de deuil, elle ne voulait pas que les autres lui fassent payer si cher le prix de leur amour. Elle quitta tout et alla se réfugier en Champagne, auprès du seul véritable ami qu'elle avait, auprès de cet homme au charme et aux avances muettes duquel elle avait résisté durant des années, par amour pour celui qu'elle abandonnait à présent. Elle arriva trop tard... Son épaule était déjà occupée, et elle refusa son offre de partage en toute discrétion, qui pour tout dire la choqua grandement, ce qu'il ne sembla ni comprendre ni accepter.
De peur de finir par succomber, de peur de renier ses valeurs, elle se terra, se cacha, n'échangea plus avec lui que par missives, de plus en plus espacées. Et quoi de mieux pour s'isoler et cesser de penser que le travail? Celui-ci devint sa planche de salut, le radeau auquel elle s'accrocha pour ne pas sombrer, résumant rapidement sa vie à sa fonction.
C'est au coeur de cette fonction que le destin frappa un jour... Une rencontre au détour d'un couloir, un courant d'air qui lui remit en mémoire la douceur du frisson, le bienfait que procure l'entente des battements de son propre coeur quand il s'éveille, cette sensation de vertige qui vous poursuit même lorsque vous quittez la falaise devant laquelle vous l'avez ressenti.
Elle se débattit, retourna à son ouvrage, luttant contre vent et marée pour retrouver le calme et l'oubli... En vainc...
Une femme,
Qui n'a d'autre excuse au temps mis à vous répondre que celle d'avoir été touchée par vos mots.
Si elle s'était attendue le moins du monde à ce qu'il lui répondrait ensuite, elle aurait sans doute déchiré cette missive au lieu de l'envoyer, tant la déception qui l'attendait était grande... Déception qui le lendemain matin lui ferait prendre la route pour la Champagne, à coeur et à corps perdu.
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[22 octobre 1459 en soirée, sur la route entre Paris et la Champagne, dans une petite auberge de fortune :]
Le moins que l'on puisse dire, c'est que chaque personne présente dans cette auberge où elle s'était arrêtée le temps de prendre quelque repos et forces avant de reprendre la route put entendre la nervosité avec laquelle sa plume frottait le vélin sur lequel elle était occupée à répondre à celui dont elle préférait encore qu'il garde son semblant de masque. Si il espérait une réponse comme la première, il allait être bien surpris et retomber vite fait de son petit nuage.
Citation:Messire masqué,
Me pardonnerez-vous d'être franche? Je l'espère, puisque dans tous les cas je suis incapable de ne pas l'être... Si tel n'était pas le cas, alors ne m'écrivez plus, puisque vous n'obtiendriez que réponses franches dont vous ne voudriez pas. Si vous supportez la franchise, alors continuez donc à m'écrire autant que vous le voudrez.
Franche donc, je vais l'être d'entrée de jeu, en vous disant que si votre précédente missive m'avait touchée, troublée, la première ligne de la seconde m'a... hum... déçue, blessée, fait retomber de plein fouet dans la réalité que j'avais quittée en lisant vos précédents mots.
"Ma Dame la Président de la Cour d'Appel, vu que cela est votre titre"... C'est ainsi que vous commencez cette seconde lettre, et à l'heure où je vous cite ces mots, je me surprend encore à grimacer. Certes c'est mon titre, ma fonction, mon rang, mon étiquette. Et dans ma grande naïveté, j'avais cru que dans nos échanges vous vous adressiez à la femme, à cette femme que vous aviez entraperçue derrière le masque, derrière la robe d'Officier royal, à la femme que je suis et que je cache, à cette femme en moi que j'avais réussi à endormir telle la "Belle au bois dormant" et que vous avez en quelque sorte réveillée il y a quelques jours.
Aujourd'hui, vous vous adressez à celle que je suis en surface, et cela me ramène à la réalité... Cette réalité froide et insipide à laquelle je m'étais habituée avant que vous n'en fissuriez le vernis.
Pourtant, la suite de votre missive semble s'adresser à la femme, avec cette sensibilité et cette chaleur qui m'avaient poussée à m'ouvrir un peu à vous, et j'en suis déstabilisée... Perdue... Ne sachant plus de qui vous attendez au juste une réponse. De Terwagne Méricourt, Vicomtesse d'Orpierre, Dame de Taulignan, Présidente de la Cour d'Appel du Royaume de France, ou bien de Terry la "Tempête essoufflée"?
Laquelle des deux trouvez-vous donc désirable? Intelligente? gentille? Tous ces mots tracés par votre plume et dont je ne sais même plus à qui ils s'adressent...
"Elle".
Ensuite? Ensuite elle avala quelques gorgées, ou plutôt verres, de la bouteille de calva qu'elle avait commandée pour accompagner son semblant de repas, et répondit à la dernière lettre qu'elle avait reçue de celui dont la morale aurait voulu qu'elle se méfie, dont sa charge aurait du la faire prendre ses distances, mais qui l'intriguait tout autant que sa plume la charmait, depuis les tous premiers mots qu'il lui avait adressés suite à sa convocation à témoigner.
Citation:"De Paris à Reims, ou Etampes..."
Cher étranger mystérieux,
Je crois, non je suis certaine, que vous êtes le premier à trouver que je sens apocalyptiquement bon. Je ne sais comment prendre ce compliment, mais je mentirais si je disais qu'il m'a laissée indifférente, et j'en suis profondément incapable.
Pour répondre à votre interrogation voilée concernant l'éventuelle "drôlerie" de mon visage et de mon corps, disons que je pense avoir un visage on ne peut plus commun, entouré d'une chevelure noire qui est tout sauf domptée, et où jadis devaient briller deux yeux sombres qui aujourd'hui semblent éteints comme une nuit sans étoile. Mon corps n'a rien de drôle, non plus, sauf si bien entendu la maigreur et les empruntes de lames vous font sourire et vous amusent. Moi je m'y suis habituée, du moins j'essaie de m'en convaincre. Ce corps incapable de donner la vie ne m'importe plus, puisqu'il ne sert que de pupitre à une fonction.
Mais qu'importe tout cela? Rien, au fond, puisque nous ne nous rencontrerons sans doute jamais, nos existences étant par trop opposées, nos mondes à mille lieues l'un de l'autre.
En lisant votre dernière lettre, je me suis surprise à me dire que cette femme à laquelle vous faites allusion, cette femme inanimée sur le bord de la route et dont vous vous demandiez après l'avoir dépouillée si elle avait le goût du poulet... Cette femme aurait pu être moi, au fond, et vous n'en auriez rien su, vous qui ne connaissez de moi que le nom. Etrangement, cette pensée ne m'a pas effrayée. Je me suis même surprise à ne rien ressentir. Comme si tout cela ne m'importait pas, ou plus.
Pourquoi m'écrivez-vous au juste?
Pas pour tenter de m'influencer dans la révision de l'affaire où vous êtes impliqué, puisque jamais vous n'y faites allusion, et que dans vos missives vous faites tout sauf tenter de vous faire passer pour un agneau, que du contraire... Pour tout dire vos lettres auraient plutôt tendance à plaider en votre défaveur, et je sais que vous en êtes conscient.
Est-ce pour libérer votre conscience?
Pour tester mes valeurs à moi?
Pour briser votre solitude?
Ou réellement parce que vous me trouvez incroyablement humaine, de cette trop grande humanité qui me fait tant souffrir certains soirs?
Je ne sais même pas si j'ai envie de connaitre la réponse à ces interrogations... Que changerait-elle? Rien, au fond.
J'ai souri en lisant vos derniers mots, ceux où vous dites que je semble être faite pour une autre existence. Sans doute, oui. Mais laquelle? Ce soir, alors que bientôt sonnera l'heure de clore l'audience qui nous lie indirectement, et dont vous ne parlez jamais, pas plus que moi, j'ai plus que jamais l'envie de fuir, de tout abandonner, et de me jeter dans les bras de l'oubli. De prendre la tangente, comme vous dites, pour rejoindre une inéquation à deux inconnues, dont vous ne faites pas partie... L'oubli, le néant, l'apocalypse...
J'ai donc quitté Paris et pris la route pour la Champagne, là où un autre loup m'attend selon ses lettres. Je ne sais si j'irai jusqu'au bout, mais j'ai besoin d'oubli, d'endormir ma tête en écoutant mon corps.
Gardez-moi cette place apaisante et souriante que vous me donnez dans vos pensées, elles me rendent sans doute plus belle que ce que je ne suis. Et donnez-moi de vos nouvelles, si vous en avez l'envie, j'aime à vous lire.
Dangereusement,
Terwagne.
Pourquoi ce titre? Pourquoi parler de Reims ou Etampes? Au fond d'elle, elle savait très bien que c'était vers Etampes qu'elle crevait d'envie de courir, ne serait-ce que pour y déverser de vive voix le cynisme qui coulait dans ses veines et qu'elle détestait. Jamais auparavant elle n'avait éprouvé ce sentiment qu'elle détestait par dessus tout, mais qui plus que tout lui semblait faire d'elle-même une étrangère, une femme dans laquelle elle ne se reconnaissait plus.
Peut-être que de le laisser quitter son être par des mots prononcés face à face le ferait disparaitre?
En tous cas, elle l'espérait...
Follement...
Douloureusement...
Dangereusement....
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