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[RP ouvert] Quand le hasard n'est pas de la partie.

Terwagne_mericourt
" Il n'y a pas de hasard.
Il n'y a que ce qui doit arriver et qui, à cause de nous, arrive ou n'arrive pas." (Michel Chevrier, Un bleu éblouissant)


J'y vais?
J'y vais pas?
Je prends la route de Troyes?
Ou alors je retourne sur mes pas?

Depuis son arrivée en Champagne, à l'aube, Terwagne écoutaient ces questions - les mêmes depuis des heures - se croiser, se heurter, dans sa caboche, sans relâche.

Retourner sur ses pas, c'était fuir le futur, retourner vers le passé... C'était aussi et surtout fuir celui auprès de qui elle avait pourtant eu envie de venir chercher un peu de sourires, de légèreté, d'apaisement, et d'oubli.

Retourner sur ses pas, c'était repartir vers Montargis et le fantôme de Zeltraveller, ce fantôme qu'elle était allée déterrer pour se convaincre que celui qu'elle avait abandonné en Lyonnais-Dauphiné avait bien moins compté pour elle que lui.

Retourner sur ses pas, c'était lâche!

Oui, mais aller à Troyes, c'était...

C'était risquer de montrer au seul homme qu'elle considérait encore comme un ami dans ce Royaume qu'elle n'était plus que l'ombre d'elle-même.

C'était prendre le risque de gâcher le souvenir qu'il avait gardé d'elle et de leur tête-à-tête improvisé en salle d'archives quelques mois plus tôt.

C'était prendre le risque de les perdre, lui et son amitié!

Et si jamais elle les avait d'ores et déjà perdus? Et si la lettre qu'elle lui avait écrite la veille sans prendre la peine de la relire, lui livrant ainsi de façon crue et impudique ses états d'âme, avait d'ores et déjà brisé ce lien étrange et surprenant né entre un témoin en salle d'audience et celle qui n'était à l'époque qu'une Juge à l'essai?

Nouvelles interrogations en elle, auxquelles vient se mêler cette angoisse née d'une simple absence de réponse à cette satanée lettre qu'elle regrette bien d'avoir écrite, et à laquelle il n'y avait de toute façon rien à répondre.

Troyes?
Montargis?

Elle ne parvient décidément pas à se décider, celle qui jadis était "Tempête" mais qui pour l'heure a tout d'une girouette affolée. Alors, en désespoir de cause, elle décide soudain de s'en remettre à celui en qui elle n'a jamais cru, mais dont l'existence l'arrangerait bien, sur ce coup-là : le hasard!

Elle arrête sa marche sans but dans les ruelles de Conflans-lès-Sens, s'assoit sur un banc, et sort une pièce de sa bourse.

Pile je vais à Troyes, face je retourne à Montargis.

La pièce s'élève dans les airs, sous l'impulsion de sa main, mais au lieu de retomber dans celle-ci, la voila qui chute sur le sol et se met à rouler.


Norf de norf!
Reviens ici, bougre d'écu!


D'un bond elle s'est relevée, et poursuit déjà la fuyarde, le nez penché vers le sol.
_________________
Aimelin
[Champagne, Troyes]


"Tu t'assoiras d'abord un peu loin de moi,
comme ça, dans l'herbe.
Je te regarderai du coin de l'oeil et tu ne diras rien.
Le langage est source de malentendus.
Mais, chaque jour, tu pourras t'asseoir un peu plus près... "
(Le Petit Prince ~ le renard)




Sourire qui s'affiche à la nouvelle missive qu'il reçoit et dont il prend connaissance assez tard cette soirée du 22 mai. Sourire à nouveau qui le fera sans doute passer pour le ravi de la crèche si on ne le connait pas. Les soirées sont... agréables et arrosées à Troyes où il se trouve depuis les derniers jours de mars.
Le jeune lieutenant prévôté qu'il est encore, profite parfois du calme des journées pour récupérer un peu. Sauf quand il ballade en charmante compagnie aux yeux pervenches. Air de nouveau rêveur avant de reporter son regard sur la missive.

Terwagne. Une femme qu'on ne peut croiser sans remarquer ses yeux, une femme que l'on ne peut croiser en se disant qu'elle va disparaître de sa mémoire aussitôt. Il se remémore leur rencontre lors de la révision du procès de Ptit en cours d'appel, les tout premiers jours de 58, et dont elle était juge. Leur courte discussion pendant une pause, et puis leurs retrouvailles et tête à tête dans cette salle d'archives en janvier 59.*

L'anneau... petit objet qui les avait rapproché, avait titillé la curiosité de la Vicomtesse et Juge. Un simple anneau mais si important pour lui. Mayane sait elle de là haut toute l'importance qu'à pris ce simple anneau depuis ce jour de janvier 56 à Sainte Ménéhould.

Doigts qui frôlent et attrapent la médaille et l'anneau pendus à son cou au bout de cette chaîne. Dancetaria. Elle est là, il la sent et la respire dans tout ce qu'il vit à chaque instant. Pourtant il vit.
Comme ce galet qui ricoche sur l'eau faisant fi du courant et dessinant à chaque saut un cercle qui s'efface aussitôt derrière lui, et qui va se poser sur l'autre rive, il s'est posé lui aussi.

Troyes. Un sourire et des yeux pervenches. Un lien qui le fait revivre. Des confidences du bout des yeux, des mots qui s'échappent sans qu'aucun ne les prononce, des discussions faites de regards, de sourires et de complicité. Il vit l'instant, il croque à pleines dents ce que lui offre la vie dans sa grande générosité, brûlant le fil de cette vie jusqu'à ce qu'il parte en fumée, se délectant du moindre moment. Il s'est juré de ne rien promettre, de vivre ce qu'il avait à vivre jusqu'au dernier frisson.

Les questions se poseront plus tard, un jour peut être... la vie décidera. La vie lui a appris que penser à demain n'est pas bon, que promettre des toujours n'est que le commencement d'une souffrance qui tombe sur nous sans qu'on s'y attende.

Une réponse à celle qu'il considère étrangement comme une amie, une confidente elle aussi. Il sait qu'avec elle les discussions coulent, que ce soit sur parchemin ou par la voix. Elle est de celles qui écoutent et qu'il entend. Elle est de ces femmes dans son entourage, qu'il est fier de connaître.


Citation:
Troyes le 23 mai 1459,

Terwagne,


Je ne voulais vous répondre puisque vous serez là sous peu, mais je le fais, de peur que vous preniez mon silence pour un refus.

Mon épaule, même les deux sont là pour vous et que ce soit pour pleurer ou rire... ne dit on pas que les amis sont là pour soulager peines et partager joies ? ou peut être est ce l'inverse..

Quoi qu'il en soit nous parlerons de tout cela de vive voix et je suis heureux de pouvoir à nouveau vous rencontrer et ailleurs que dans une salle d'archives, même si cette rencontre reste pour un moi un souvenir inoubliable.
Les environs de Troyes et la Champagne en général, sont agréables pour les ballades et vous y respirerez, en espérant que l'ébouriffé que je suis pourra vous faire sourire et peut être saura vous conseiller au mieux.

Je vous attends donc avec plaisir.


Aimelin


Il repense à ce que lui disait Quasi, amour qui a marqué sa vie et son corps à jamais... "regarde devant toi Aime, avance, ne te laisse pas enchaîner par ton passé".
Il avance, elle serait fière de lui. Peut être devrait il lui écrire pour s'enquérir de ses nouvelles. Il le fera.




* RP ici
_________________

Merci aux merveilleuses rpistes avec qui je joue
Terwagne_mericourt
"Le bonheur de demain n'existe pas.
Le bonheur, c'est tout de suite ou jamais".
("Monsieur" René Barjavel, Si j'étais Dieu...)


Pour l'heure, Terwagne était persuadée que le bonheur c'était pour plus jamais! Elle l'avait connu, ne l'avait pas toujours pris à sa juste valeur, l'avait parfois laissé lui échapper, et aujourd'hui il la boudait, comme il la bouderait le restant de ses jours, mais surtout de ses nuits.

Voila pourquoi elle avait fini par oublier son jeu du hasard et la pièce qui avait fuit, puisque qu'elle que soit la réponse que celle-ci aurait pu lui donner, elle ne l'aurait guidée que vers un jour de plus à tenir debout.

Elle avait fini par oublier la pièce, oui, mais cela n'avait pas été aussi rapide qu'il y parait.

Il y avait d'abord eu la séquence "course poursuite" dans la ruelle, la séquence "taverne" où elle était entrée en soupirant et expliquant désespérément aux personnes présentes qu'elle avait perdu son écu, et le fou-rire intérieur qui s'en était suivi, juste au moment où elle s'était rendue compte que la scène devait sembler totalement décalée... Une Vicomtesse Officière royale pleurnichant pour un écu, ça ne devait pas courir les rues...

Après, elle avait fait connaissance avec une ancienne troubadour, dont elle avait déjà oublié le nom, comme elle le faisait malheureusement avec pratiquement tous les noms, à son grand désespoir bien souvent, et avait passé une fort agréable soirée, même si cela ne l'avait pas empêchée de continuer à hésiter sur la route à prendre, ni à s'interroger sur l'absence de réponse de Aimelin.

Il lui fallut attendre d'ouvrir la porte de sa chambre pour obtenir la réponse que la pièce s'était refusée à lui donner...

Il lui avait écrit!
Elle irait donc à Troyes!

Et à Troyes elle arriva donc le lendemain, sans encombre, mais sans joie non plus. Le bonheur n'était pas là. Le bonheur n'existait plus. Le bonheur était pour jamais.

Une très brève lettre, bien moins bavarde que la dernière, avertit de son arrivée celui qui l'attendait.


Citation:
Bien arrivée à Troyes.

Quelques heures de repos, un brin de toilette, quelques minutes d'hésitation sur ma tenue, comme toute femme qui se respecte, et je serai à vous. Enfin, façon de parler...

Je veux bien entendu dire que je serai disponible pour vous y rencontrer et que vous me fassiez découvrir ce que vous aimez dans cette ville.

Terwagne

_________________
Aimelin
[Troyes, le même jour, fin d'apres midi]

"Il n’y avait d’éveillé dans toute la chambre
qu’une grande bande de lumière qui tombait droite et blanche entre les volets clos,
pleine d’étincelles vivantes et de valses microscopiques…"
[A. Daudet - les vieux]



Une brève réponse... tant brève que le jeune lieutenant retourne le parchemin pensant que la suite est écrite au dos. Haussement de sourcils tandis qu'il lève les yeux vers le plafond de sa chambre baignant dans une douce pénombre en cette fin d'apres midi de mai, où la chaleur commence à poindre le bout de son nez. Seuls quelques éclats de voix émanant de la place devant l'auberge, se faufilent entre les volets presque clos et la fenêtre ouverte, pour venir chatouiller l'oreille du jeune homme simplement vêtu de braies, allongé sur le lit où il savoure la tranquilité des lieux et la fraîcheur de sa chambre.

Un petit trait de lumière empli de poussières qui dansent en folle farandole lui tient compagnie et s'amuse sur ses yeux, le faisant grimacer doucement tandis qu'il fixe une mouche qui vient se poser sur l'une des poutres du plafond. Une mouche… petit insecte volant qui se faufile partout, entend, va et vient sans que personne ne se rende vraiment compte de sa présence, sauf lorsque celle-ci devient gênante et qu'un geste de la main la chasse pour l'éloigner, quand ce n'est pas pour mettre fin à ses jours. Combien de temps vit une mouche… sans doute guère. Doit elle en entendre des secrets et des confidences, doit elle en voir des choses.

Ses pensées s'envolent, comme la mouche qui décide de changer d'endroit pour venir se poser sur un coin d'armoire, suivie par les prunelles grises.

Terwagne… Elle semble bien soucieuse, c’est ce qu’il devine à travers ses écrits. Il a suffisamment échangé de missives avec elle, pour arriver à lire ce qu'elle ne dit pas. Un peu comme avec Aliénor, ou parfois, nul besoin de mots pour échanger et se comprendre. Etrange comme un lien peut se faire si fort avec certaines, qu'il permet de lire ses non dits. Froncement de sourcils tandis qu'il pose le parchemin sur son ventre, le gardant entre ses doigts. Va t elle accepter de se livrer davantage lorsqu'elle sera face à lui, comme dans cette salle d'archives où petit à petit les deux s'étaient laissés aller aux confidences, à demi voix, à demi mots.

Leurs échanges de courriers lui reviennent en mémoire. Il se souvient lui avoir écrit que "seul le coeur peut mettre quelqu'un dans un tel état". Le coeur... le sien commence à peine à retrouver son apparence, tant il a volé en éclats lorsque sa blonde sénéchal a rejoint le très haut, le laissant précipité au fond d'un gouffre. Le ciel qui s'était ouvert à nouveau déchiré par des éclairs dans un fracas assourdissant, le monde qui s'était effondré tout autour, le vide, le noir, ne plus rien voir ne plus rien entendre, ne plus comprendre ce qui lui arrivait, et cette vie qui le quittait doucement. Cette folie qui remplaçait l'amour et le faisait s'éloigner des autres comme pour le punir de quelque chose qu'il n'avait pas fait. Pour oublier cette solitude qui lui glaçait le sang et l'empêchait de respirer, il s'était plongé dans son travail, s'était enfermé à nouveau dans son silence et sa souffrance.

Voile qui descend sur le regard gris qui semble scintiller sous le petit rayon de soleil, à moins que ça ne soit une larme qui glisse silencieuse et traitre le long de sa tempe pour venir se poser près de lui... seul le coeur peut mettre quelqu'un dans cet état.

Il espère bien qu'elle lui parlera, ou peut être à la blondinette qui sait écouter et comprendre elle aussi. Il ferme les yeux, il a encore une paire d'heures devant lui avant de descendre se joindre aux vivants.

_________________

Merci aux merveilleuses rpistes avec qui je joue
Terwagne_mericourt
[Ici ou ailleurs, bien des jours plus tard :]

"On rencontre un matin
Quelqu'un qui nous ressemble,
Un qui est étranger,
Parmi ces étrangers,
On échange des mots,
Et quelques verres ensemble,
A cet instant, on croit
Que la vie va changer

Et puis, on s'aperçoit
Que de parler, ça sert à rien,
Et puis, on s'aperçoit
Que de se taire, ça sert à rien,
Alors on dit, alors on dit,
N'importe quoi."

(Serge Lama)

Malgré les états d'âme et les doutes qui avaient été siens au moment de poser les pieds à Troyes, Terwagne s'était réjouie, intérieurement, de revoir Aimelin, de le rencontrer enfin en d'autres lieux qu'une Salle d'Audience ou encore une Salle d'Archives...

Réjouie de le rencontrer en dehors du cadre de son travail, en dehors d'un temps imparti, en dehors de la crainte que quelqu'un ouvre la porte ou encore ne surprenne un échange de missives sans lien aucun avec la Cour d'Appel mais ayant lieu entre deux salles...

Réjouie de retrouver cette complicité faite d'aveux silencieux, de regards qui en disent long sans rien prononcer, de murmures remplis de cris à la vie et au passé, de chuchotements à mi-chemin entre le trouble et la confession...

Sa dernière discussion avec lui, dans cette salle poussiéreuse remplie de verdicts anciens, lui avait laissé l'impression d'une marche sur un fil, comme elle le faisait lors de ses numéros d'équilibristes dans sa jeunesse. Une marche sur un fil, oui, où vous vous sentez à la fois légère et tremblante, défiant le temps et la vie, imperturbable à tout ce qui n'est pas vous et votre détermination à aller toujours plus loin, toujours plus haut, si ce n'est qu'en vous il y a sans arrêt la crainte de voir le fil se rompre, et que pas un instant vous ne voulez franchir la limite de sa résistance, de sa capacité à vous recevoir, offerte à ses caprices.

Oui, dans ses souvenirs, ce tête-à-tête avec Aimelin, c'était exactement à cela qu'elle le comparait. Un moment fait d'intensité, de crainte, de confiance, de folie aussi.... Un moment qu'on quitte à regret, qu'on ne parvient pas à oublier, et qu'on voudrait revivre une fois encore, en se demandant si cette fois on oserait faire quelques pas de plus, ou si au contraire on serait plus prudent.

Ces retrouvailles, donc, elle les attendait, les espérait, était même venue les chercher, malgré ses hésitations... Mais peut-être les avait-elle trop attendues, trop rêvées, trop... tout! Peut-être en avait-elle surtout trop attendu!

C'est en tous cas la réflexion qu'elle se fit quand au bout de deux soirées en taverne avec lui et la jeune Alienor, elle regagna sa chambre d'auberge en soupirant, mais encore plus en se demandant ce qu'il lui avait pris de venir en Champagne, et si c'était elle qui avait changé à ce point ou si c'était lui.

De tout ce qu'elle avait jadis senti passer entre eux sans mot, de cette confiance qu'elle avait ressentie en sa présence, de cette écoute et de ce partage remplis de douceur surtout, elle n'avait pas retrouvé la moindre trace... Elle s'était sentie comme en présence d'un quelconque étranger, poli et souriant, mais juste un étranger, une vague connaissance... Elle qui jadis les avait trouvés, elle et lui, si semblables et si différents à la fois, elle les retrouva surtout très différents, voir très indifférents.

En janvier, elle avait quitté l'Anamour pour Kernos, et Aimelin avait abandonné l'amour pour vivre de libertés et de plaisirs... Et cet été, elle avait retrouvé les chemins de l'Anamour tandis que lui semblait bien parti pour se laisser à nouveau envoûter par les sirènes de l'amour, quand bien même il ne semblait même pas en avoir conscience. Mais peut-être n'était-ce qu'une impression, au fond, peut-être Terwagne interprétait-elle mal certains regards échangés entre lui et la jeune Alienor? Qu'importait, au final!

Alienor était très jolie, et très agréable. Terwagne l'appréciait beaucoup, sans même vraiment la connaitre au fond, et elle les trouvait plutôt bien assortis tous les deux. Après tout, elle avait l'air de rendre Aimelin heureux, et c'était une bonne chose, même si Terwagne en l'état actuel des choses ne parvenait plus à voir les bons côtés de l'amour.

Restait que dans tous les cas, elle-même n'avait plus l'impression de parler la même langue que lui, plus l'impression d'être écoutée autrement qu'une quelconque voyageuse racontant des anecdotes de ses voyages à un inconnu, plus l'impression d'être vraiment en présence de quelqu'un qui vous comprend sans vous juger, et encore moins de quelqu'un qui s'intéresse et a envie de partager.

Le seul intérêt qu'il semblait porter à sa présence, mis à part une oreille qu'elle aurait juré distraite, c'était ses regards... Des regards bien différents de ceux de ses souvenirs, eux aussi... Des regards dont elle avait l'impression qu'ils glissaient d'une à l'autre comme si leur auteur s'adonnait à quelque exercice de comparaison.

Résultat? Leurs entrevues lui faisaient plus de mal que de bien, parce qu'elles creusaient de plus en plus un fossé entre ce qui avait été et ce qui était, aussi décida-t-elle de les éviter, et de ne plus fréquenter les tavernes.

Sa nomination comme Présidente à la Cour d'Appel du Royaume de France tomba donc on ne peut mieux, puisqu'elle la plongea jours et nuits dans le travail, l'empêchant de penser, l'empêchant de se souvenir en quelle ville elle se trouvait, plongée sur des missives, des dossiers, des annonces à faire, des candidatures à étudier.

Pourtant, une lettre finit par la faire lever le nez de tout cela. Une lettre signée Aimelin...

Elle mit trois jours à y répondre, ce qui ne ressemblait pas à ce qu'elle aurait fait jadis, il faut bien l'admettre. Trois jours pour répondre quelques lignes, d'une main étrangère aux mots qu'elle traçait. Une main rendue étrangère pour se protéger.


Citation:
Messire l'ébouriffé,

Je vais bien, rassurez-vous.

Je suis juste surchargée de travail, et c'est fort bien ainsi, puisque cela m'empêche de penser, de ressentir, de regretter, de désirer, et même de rêver, mais me laisse néanmoins le temps nécessaire pour m'alimenter.

Le travail a toujours été ce qui me faisait garder la tête hors de l'eau, vous le savez fort bien, aussi devriez-vous vous réjouir de cette réponse.

J'espère que votre voyage et votre séjour en votre domaine se seront bien passés, et vous promets de goûter aux trésors que vous en avez ramenés, si d'aventure mon emploi du temps me permet de vous croiser en taverne.


Terwagne.

_________________
Aimelin
[Troyes les premiers jours de juin]

"J'ai fait tant de projets qui sont restés en l'air
J'ai fondé tant d'espoirs qui se sont envolés
Que je reste perdu ne sachant où aller
Les yeux cherchant le ciel et le coeur mis en terre"
(Aznavour - Hier encore)



Il a retrouvé Terwagne avec un plaisir réel et un certain intérêt à l'écouter parler de tout. Mais elle semble différente de cette juge de salle d'archives avec laquelle il a échangé tant de choses personnelles. La femme l'a troublé, attiré sans nul doute, la Vicomtesse et la Juge l'ont impressionné au point qu'il se demande s'il ne doit pas garder distances avec elle. Dans cette salle d'archives, il n'a pas parlé de cette attirance, et elle lui a parlé de celui qui fait battre son cœur, hors lui ne s'attache pas, ou plus.
Il lui a avoué être libertin, être libre de ses actes avec les femmes, parce que son cœur a volé en éclats après la mort de celle qui partageait sa vie et dont il porte autour du cou le médaillon et l'anneau, promesses de leur avenir que le destin a brisé encore une fois. Peut être le juge t elle mal ou pense t elle qu'à être trop proche de lui, il va la mettre sur une liste de conquêtes.
Pourtant, cette envie de la découvrir est toujours là, nichée au fond de lui, comme une envie inassouvie, une discussion interrompue par une arrivée intempestive. Se livrera t elle une autre fois ?

Peut être que les tavernes ne sont pas un endroit pour les discussions, ou peut être que la présence d'Aliénor la gêne. La jeune blondinette lui a d'ailleurs dit son ressenti sur le fait que peut être Terwagne souhaite lui parler seul. Il a démenti puis s'est dit qu'elle a sans doute raison, mais il n'a pas revu la Vicomtesse. Terwagne a t elle imaginé la relation entre les deux jeunes gens pendant leurs discussions en taverne au point de penser qu'elle les gênait ou que le jeune ébouriffé était indifférent et se désintéressait d'elle ? Faut il mal le connaitre que de penser qu'il peut changer d'attitude ainsi sans raison. Autant de questions qu'il se pose depuis leur dernière discussion. Les femmes sont toujours un mystère pour lui.

Les tavernes… ce lieu où trop de monde passe, où trop de discussions sur la pluie et le beau temps empêche les vraies discussions, les vrais échanges, ou trop de choses impersonnelles empêchent d'apprécier certaines rencontres ou retrouvailles. Dieu qu'il n'apprécie pas trop ces endroits où seul le superficiel compte bien souvent, et d'ailleurs le jeune homme n'a jamais été un franc amateur de ces lieux. Elle ne lui a pas expliqué non plus, ses dernières lettres ni cet état d'esprit négatif qu'il a deviné dans ses missives.

Mais peut être s'est il trompé et ne le voit elle que comme une connaissance à qui il n'est pas question de confier plus que cela. Pourtant il a cru dans cette salle d'archives, être un peu plus qu'une simple rencontre.

Parti pour Etampes régler quelques affaires et donner des ordres pour les prochaines joutes auxquelles il participe, il décide de lui écrire une courte missive.

Citation:
Etampes, le 3 juin 1459

Terwagne,

je ne vous ai pas vu depuis quelques jours alors je me permets de vous écrire, afin de savoir si tout va bien.

Vous savez que je suis là si quelques problèmes venaient à vous tracasser. Je ne peux m'empêcher de m'inquiéter pour vous.

Je suis reparti trois jours à mon domaine d'Etampes au dessus de Conflans, pour récupérer quelques affaires, mais serai là dimanche en fin de journée sans doute, si point trop épuisé par ses chevauchées.

Je rapporterai du Domaine quelques calva et vins et espère bien que vous en apprécierez la saveur.

Cordialement


Aimelin
toujours ébouriffé


Mot différent de ceux échangés mais il n'arrive pas à cerner la Vicomtesse qui lui a donné cette impression de distance avec lui. Peut être est elle déçue, peut être ne veut elle pas se confier davantage en présence d'autres personnes que lui. Il repense à leur rencontre, à cette discussion dans cette salle d'archives où il avait ressenti un lien étrange qu'il n'a point ressenti en taverne. Il s'est mis à penser que de toute façon on ne peut aller contre le désir des femmes, et si son désir à elle est de le laisser à distance de sa vie, il ne peut qu'accepter à regrets. Taire des choses, et laisser les apparences mener la danse, il faisait souvent cela, à tort ou raison, il ne savait pas.


[Trois jours après, Troyes]

Retour sur Troyes où il arrive en cette fin de journée. Temps frais, et il ne perd pas de temps à desseller Altaïr, prendre soin de lui et filer directement dans sa chambre d'auberge. Une chambre impersonnelle qui contraste avec le domaine qui est devenu son chez lui depuis juillet. Il y a fait ses marques, il y a ses gens, ceux qui gèrent le domaine en son absence, ceux qu'il considère comme sa famille, la seule qu'il ai, hormis Loïs qui vit vers Alais. Et puis la petite Angelle qui lui manque cruellement. Cette gosse de six ans qui le connait si bien et qui sait en un battement de cils comment il va. Elle l'a questionné, il lui a répondu ce qu'il voulait, comme toujours et elle lui a donné une fleur qu'il a mis entre les lettres qu'il trimbale toujours avec lui. Ne jamais se dévoiler pour ne pas souffrir, comme il laisse Aliénor penser que des non promesses rendent heureux. Elles aident à vivre, oui, mais rendent elles vraiment heureux.

La missive qu'il trouve sous sa porte attire son regard et le temps de poser ses quelques affaires, il s'allonge sur le lit pour en prendre connaissance. Elle lui répond, mais il ne la reconnait pas. Le ton de la lettre ne s'adresse pas à lui, il s'adresse juste à une connaissance...."si d'aventure mon emploi du temps me permet de vous croiser en taverne." Que répondre à telle lettre sinon rien.

Il est persuadé à ce moment là qu'il a fait ou ne pas fait quelque chose, qu'il n'a pas été celui qu'elle comptait rencontrer. A t il été blessant ou n'a t il pas fait assez attention à elle ? Fuir les tavernes ou ne rien laisser paraître de tous ces questionnements qui tournent dans sa tête s'il la croise à nouveau ?

Il se décide quand même à un message qu'elle interprétera comme bon lui semble sans doute.

Citation:
Terwagne,

Ne plus penser, ressentir, regretter, désirer, rêver, ressemble à la mort.

J'ai décidé de vivre, peut être pas de la meilleure façon qu'il soit mais la vie ne m'a pas laissé le choix. Elle s'est chargé de briser mes rêves passés. Vous ne m'avez pas parlé de ce qui vous a empêché de venir à Troyes, et même si je le devine dans vos "non dits", vous n'en avez dit mot. Ne me faites vous donc plus confiance ?

Je conçois aussi qu'une taverne, lieu que je n'aime pas spécialement, n'est pas un endroit pour se confier, mais j'aurais pensé que ma présence vous faisait du bien. Hélas, sans en comprendre vraiment le pourquoi, je ressens le contraire devant votre absence et votre réponse à mes inquiétudes, qui me laisse perplexe quant à ce que je suis pour vous... une connaissance parmi les autres.

J'espère vous revoir afin de continuer nos discussions entamées dans cette salle d'archives, et espère que vous vous confierez à celui qui n'est pas indifférent à ce qui vous arrive. Seuls les étrangers sont indifférents.

Aimelin


Il ne connait pas les réponses aux questions qu'il se pose, mais ce qu'il sait c'est qu'il a grands progrès à faire avec les femmes, des non-dits à avouer, des choses à cacher, des envies à taire ou à dire selon les regards qui se posent sur lui. Vingt et un printemps, et il doit encore apprendre tant de choses.
_________________

Merci aux merveilleuses rpistes avec qui je joue
Terwagne_mericourt
[Le même soir, Troyes]


Je me fous du temps
Je me fous du vent
Qui bousculent mon sommeil
Tant pis si bientôt
Je dois tomber de haut
....
Dis comment tu fais pour voler
Ô je voudrais tant m'évader
De cette peau qui n'est plus rien
Souvent qu'une peau de chagrin

(Gérard Lenorman, Le Funambule)

Une lettre... Quelques lignes à peine, tracées d'une main qu'on voudrait voir se tendre et qu'on craint à la fois, d'une main qu'on voudrait sentir prendre la nôtre, mais dont on sait d'avance qu'on la retirerait, par pudeur, par faiblesse, à moins que ça ne soit dans un dernier élan de force... Une lettre qui aurait pu paraitre bien banale à d'autres, mais qui pour elle représentait beaucoup, et surtout la rassurait.

Comment une lettre remplie de questions peut-elle être rassurante, vous demanderaient certains? Peut-être simplement parce qu'elle vous indique que l'autre se les pose ces questions, que vous n'êtes pas seule à vous interroger... Peut-être parce que l'indifférence ne s'exprime pas par des interrogations... Peut-être parce que coucher sur le vélin ses doutes et ses angoisses, c'est montrer à l'autre que non, il n'est pas faible et vous fort...

Peut-être parce que si le rire est le propre de l'homme selon certains, le doute l'est plus encore. Et que par ces quelques questions Aimelin lui apparut soudain à nouveau comme profondément humain.

Il n'en fallut pas plus pour que l'acharnée de travail qu'elle était devenue depuis près de dix jours fasse glisser sur le sol les candidatures sur lesquelles elle était alors penchée, et leur offre pour compagnie sa robe de Juge, dont elle s'extirpa en moins de deux minutes. Tissus rugueux et parchemins se passeraient bien de sa présence et de ses soupirs durant quelques heures...

Pour ce soir, elle leur préférait la compagnie d'une paire de braies rouges bien confortables, d'une paire de bottes usées mais fidèles, d'une chemise devenue trop large depuis sa perte de poids des derniers mois, et surtout d'un ami dont elle était restée éloignée bien trop longtemps déjà. Tout le reste n'avait plus d'importance.

Sans prendre le temps de vérifier sa coiffure, pas plus que celui de se mettre quelque chose dans l'estomac, elle prit la route de la dernière taverne où elle l'avait croisé, et l'y trouva. Alienor était là, ainsi qu'un homme et une demoiselle qu'elle n'avait encore jamais rencontré. Mais cela non plus n'importait pas, ou si peu. Même si elle leur parla à tous trois, même si elle trouva leur compagnie agréable, même si à aucun moment elle ne se surprit à regretter qu'ils ne soient pas tous deux en tête-à-tête.

Aimelin était là... Et elle aussi... Et c'était tout ce qui importait!

Aimelin tel qu'elle l'avait gardé dans ses souvenirs, Aimelin tel qu'elle avait hâte de le retrouver, Aimelin comme elle avait craint de ne plus jamais le voir. Mais plus encore que cela, durant toute la soirée elle eut l'impression de se retrouver elle... De retrouver la Terwagne parlant de vent et de mer, de poésie et d'images... La Terwagne légère qu'elle avait cessé d'être depuis des mois... La Terwagne qu'il avait rencontrée jadis, celle qui s'ouvrait au monde et au rêve, mais surtout aux sentiments.

Oui, durant cette soirée en taverne avec lui, eux, elle s'était retrouvée! Cela ne durerait peut-être pas, mais ce soir-là elle se sentit à nouveau légère, enivrée par cette sensation de vertige et de liberté qu'elle n'avait plus ressentie depuis trop longtemps.

Et en quittant la taverne, à la nuit tombée, elle se surprit elle-même à chantonner dans les ruelles désertes qui la ramenaient vers sa chambre d'auberge.

Le lendemain, Paris l'attendait... Mais dans un coin de sa tête, nul doute qu'il y aurait l'image d'une falaise et d'un morceau de terre ferme.

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Aimelin
[Troyes, le 17 juin, fin d'apres midi]

"Tout ce vacarme taché de larmes
Jusqu'au bout désarme
Tout n'est pas dit, à peine décrit,
Tirés de l'oubli
Le temps de dire, le temps de taire,
Le temps de faire juste reconnaissance,
Le temps d'entendre juste un peu de silence."
(Calogéro - Juste un peu de silence)



Une brève missive, un peu comme une excuse, un peu comme un appel. Souriante et détendue, et puis si distante et si triste. Dieu qu'il détestait voir celles qu'il aimait si triste ou si colère après elles mêmes. Devant pareille situation il se sentait impuissant. Devait il laisser parler son coeur et dire tout ce qu'il recelait de non dits et de choses qui le faisaient vivre depuis ce maudit jour de juillet où sa raison de vivre était partie, l'entrainant avec elle dans un tourbillon sans fin de nuits blanches et de folles pensées d'où il n'arrivait plus à sortir. Nuits et jours qui se ressemblaient, vides, creux comme ces troncs d'arbres que les saisons ont laissé sans vie et qui meurent lentement le long des sentiers, troncs que l'on voit, que l'on enjambe sans y prêter d'avantage attention, sauf lorsqu'ils nous font chuter.

Sourire fatigué tandis qu'il fermait les yeux, revoyant ce jour d'automne et cette fameuse chute dans la forêt béarnaise dûe à l'un de ces abandonnés.




[retour arrière, automne 57, Béarn]


Cela faisait quelques jours que l’envie d’aller débusquer quelque gibier trottait dans la tête du jeune boulanger. Il avait profité de son petit séjour à Tarbes non loin de ses amies pour arpenter les chemins tout autour de la ville, son arc accroché à la selle d'Altaïr. Ce matin là il fait assez froid quand il quitte l’Auberge pour une ballade. Veste chaude enfilée sur sa chemise, ses gants de cuir pour le protéger du froid, le ceinturon de son épée lui aussi accroché à la selle pour être libre de ses mouvements, il prend la direction du chemin qui part sur Pau, avec pour seule compagnie, le bruit des sabots qui martèlent doucement le sol.

Il s'est arrêté. Regard gris qui fixe droit devant lui. L’étalon renâcle tandis que le jeune gars caresse doucement son encolure en murmurant.


- tout doux Altaïr… regarde moi ça là bas… une belle famille de cochons sauvages… et à portée de mes flèches.

Sans quitter le gibier des yeux il saisit son arc et attrape un trait dans son carquois accroché à sa selle. La flèche encochée, sa main tient l’arc avec souplesse mais sûreté, ses doigts ramènent doucement la corde vers sa joue. Concentration de quelques secondes avant qu’un bruit sec accompagne la course du trait vers l’animal le plus petit lorsqu’il lâche la flèche.
Panique dans la famille des cochons qui prend la poudre d’escampette. Mais le dernier traîne, il l’a touché. D’un geste rapide sa main replace l’arc, pour le remplacer par les rênes qu’il maintient un instant le temps de suivre des yeux la direction que prend le petit troupeau affolé.

Un petit sourire, sa main relâche enfin les rênes, ses jambes se serrent à peine… l’étalon bondit et se lance au galop. La battue et les premières foulées arrachent du sol de petits cailloux qui volètent de chaque côté.


- YYEEAAARRRR…Allez mon beau…Va !

Le rythme des sabots qui frappent le sol encore froid s’accélère sans arrêt. Tel une arme secrète, l’animal déploie tout son pouvoir ; ses foulées sont incroyablement longues et rapides. Grand galop, vent dans le visage et dans les cheveux, sourire insatiable de plaisir, sans quitter les fugitifs des yeux. Ils disparaissent au virage que fait le chemin au devant d’eux.

Aime se redresse légèrement, tire doucement les rênes vers lui pour faire ralentir sa monture qui ne semble pas spécialement d’accord après avoir goûté à ces quelques minutes de liberté. Devant, le chemin... sur la droite, une sente qui serpente entre les arbres pour rejoindre le chemin un peu plus loin en contrebas. Altaïr pivote sur lui-même, sent son cavalier prêt à repartir et piaffe. Les yeux rivés sur la sente, un petit sourire qui s’affiche… à nouveau un tour sur place. Une fraction de seconde avant de lâcher sa monture qui bondit de plus belle et fonce vers le sous bois.
Il faut accélérer. Tout en laissant Altaïr exploser d’énergie, le jeune gars gère sa trajectoire. Il le retient un instant pour contourner quelques troncs d’arbres avant de le laisser bondir à nouveau. Il ne fait qu’un avec son cheval, malgré les branches basses, les tours, les détours, il semble collé à sa selle et ne se fait obéir que des mains et des jambes par l’étalon. Voila qu'il commence à pleuvoir, une petite pluie fine et froide qui n'arrête pas la course de l'animal.

Jubilation du cavalier quand il aperçoit le chemin à quelques dizaines de pas en dessous… et le petit troupeau qui continue sa course folle droit devant.


- yep yep !!! allez Altaïr plus vite plus vite !!!

Sourire triomphant quand ils déboulent sur le chemin à quelques enjambées du dernier animal. Sourire qui s’efface un instant. Droit devant eux à bonne portée de course un arbre est tombé et barre le passage.

Il se penche en avant, lâche pratiquement les rennes et laisse libre court à la folie de son étalon. Une battue et celui ci bondit, le cavalier décolle avec lui pour se réceptionner de l’autre côté où il reprend les rênes un sourire victorieux sur les lèvres. Petit regard en arrière avant de reporter son regard au-devant et d’écarquiller les yeux.

Il n’a pas le temps d’anticiper le saut pour un autre arbre couché en travers du chemin… il est trop assis alors qu’il devrait être penché en avant…

L’étalon saute, la réception est terrible. Aimelin perd l’équilibre et ses pieds quittent les étriers que la pluie a rendu glissants, il tombe en arrière, sa monture se dérobe sous lui, et il roule sur le chemin pour atterrir à plat ventre dans l’herbe. L’étalon surpris de ne plus sentir le poids de son cavalier calme son galop avant de s’arrêter, pour revenir à côté du jeune gars allongé, les yeux fermés, la face contre terre.




[Troyes, retour dans le présent]

"Rien d'important que l'essentiel,
Une mesure absente.
Un rien laissé à la portée
D'une vie impuissante"
Le temps d'écrire le temps d'entendre
Le temps de faire juste reconnaissance
Le temps d'entendre
Juste un peu de silence."



Ce tronc d'arbre il en souriait maintenant, et l'avait oublié, comme il avait oublié ce vide qui avait empli sa vie après la disparition de Dance. Combien de fois avait il souhaité mourir, combien de fois avait il rêvé de vivre.
Son envie de vivre avait pris le dessus avec cette décision que plus jamais aucune ne lui dicterait le chemin que doit suivre son coeur. Aimer, souffrir, détester. Combien de fois avait il résisté, combien de fois s'était il laissé emporté par le tourbillon du plaisir et des histoires sans lendemain. Certaines n'étaient plus là, d'autres l'étaient encore, faisaient parties de sa vie ou de ses amies, n'attendant rien d'autre que des moments fugaces où l'on ne pense plus à rien si ce n'est au moment qui passe à portée de nos yeux.

L'une d'elles prenait doucement le dessus sur les autres. Il luttait et se laissait aller, il pestait et adorait. Il savourait chaque moment, chaque seconde où le présent le rappelait à l'ordre. Fais attention, protèges toi, rappelles toi ta promesse de ne plus te laisser détruire par la vie qui se joue de toi. Il savourait chaque moment où leurs rires et leurs regards leur rappelaient leur non promesse. Une non demande en mariage : et ils ne se marièrent pas et n'eurent donc point d'enfants, du moins ensemble, mais ils vécurent heureux à vivre leur passion, à se mélanger et se fondre, pour ne pas que la vie les rende tristes et vides de sentiments. Ils étaient heureux dévorant le présent, les envies et le bonheur de lire tous ces non dits dans les yeux de l'autre.

Pourquoi n'arrivait elle pas à faire comme lui, à le voir ainsi et non comme un gars qu'elle respecte trop pour quoi que ce soit. Savait elle l'importance qu'elle avait pour lui. N'était il pas assez libre pour qu'elle se confie à lui. Combien de mots silencieux avait il laissé échapper ce jour là dans cette salle d'archives alors qu'elle lui parlait de cet amour qu'elle vivait, alors qu'il parlait de cet amour qu'il avait perdu. Il l'avait observé pendant qu'elle regardait dehors, au dela des toits. Il s'était approché jusqu'à la frôler de son souffle, entrouvrant pour elle la porte de sa vie qu'il avait pourtant fermée à double tour durant des mois.

Sans doute un jour voudrait il à nouveau rêver, sans doute un jour voudrait il à nouveau voir au loin et promettre, et ce jour là, il aurait sûrement peur, peur que celle qui lirait dans ses silences à ce moment là, ne voit aussi loin que lui.

Alors il vivait aujourd'hui, il prenait, il donnait, et si elle le voyait de là haut, elle devait sourire.. "souris comme j’aurais aimé te voir sourire, aimes comme j’aurais aimé pouvoir t’aimer..". Il aimait outrageusement, dévorant la vie de peur qu'elle ne le laisse à nouveau vide et creux comme ces troncs d'arbres sans vie sur le bord des chemins. Il devait elle aussi la convaincre de vivre, et elle devait l'écouter.

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Merci aux merveilleuses rpistes avec qui je joue
Terwagne_mericourt
[En pleine tempête, le 19 juin 1459 :]

Vite, je tombe!
Est-ce que tu seras en bas ?
Est-ce que tu m'attendras ?
Pour m'emmener là où je n' sais pas,
Pour me ramener vers toi ?
Alors, vite, je tombe
Comme un pantin sans fil
Notre histoire qui défile
Je cherche ta main dans les nuages
Pour pas tourner la page...

(P. Bruel," J'te mentirais")



A Troyes elle était arrivée en quête d'oubli, de Troyes elle s'en allait en quête d'un oubli encore plus grand.

Elle était arrivée en espérant trouver auprès d'Aimelin l'oubli, elle s'en allait sans l'avoir trouvé, mais pire encore en souhaitant à présent oublier et ce qui l'avait conduite ici et ce qu'elle y avait trouvé.

Le hasard.... Jamais elle n'y avait cru! Et aujourd'hui pourtant elle se surprenait à se dire que si il existait il devait bien s'amuser à se jouer ainsi d'eux... Combien de fois les avait-il fait se croiser dans de mauvais moments? Trop!

Tout en chevauchant sur la route qui l'éloignait de lui, elle se remémora chacune de ces rencontres...

La première fois, le lieu et leurs rôles respectifs avaient empêché bien des choses, puisqu'il était témoin et elle Juge. Mais c'était néanmoins là-bas qu'ils avaient fait connaissance, en cours d'audience, par l'intermédiaire de leurs yeux se croisant, de son regard à elle se posant sur sa main à lui enserrant étrangement un anneau. Une audience que jamais elle n'oublierait...

Ensuite il y avait eu ces lettres... Toutes ces lettres qu'ils avaient échangées en attendant de pouvoir se croiser un jour, au détour des chemins que la vie leur avait fait prendre à chacun.

Après, il était venu en Lyonnais-Dauphiné, là où elle-même vivait, mais elle ne s'y trouvait pas... Elle qui y était restée attachée par des obligations ducales durant des mois venait tout juste de prendre la route vers le Berry, en compagnie de Kernos, Kernos qui faisait battre son coeur. Rendez-vous raté, plaisanterie du hasard peut-être...

Et puis, il y avait eu la Salle d'archives de la Cour d'Appel... Cette salle où elle l'avait emmené en riant, comme on le fait avec un ami, et où tout avait réellement basculé en elle.

Quelques heures avant encore elle était persuadée que le seul homme qui compterait jamais à ses yeux était Kernos Rouvray, qu'ils avaient partagé et combattu tant de choses ensemble que leur amour ne craignait rien ni personne, qu'il était plus fort que les hommes, plus fort que la vie elle-même. Et pourtant... Pourtant elle était ressortie de cette salle d'archives remplie de chagrin, de tristesse, de remords, de culpabilité.

Il ne s'était rien passé de condamnable par la morale, loin de là, juste dans son coeur à elle, mais plus encore dans son sang, ce sang qui s'était mis à bouillir au moment où elle l'avait senti si proche d'elle, dans son dos, son souffle caressant la peau tiède de sa nuque... Pour la première fois depuis des mois elle avait oublié durant quelques minutes l'existence de Kernos, ne pensant plus à rien d'autre qu'au trouble qu'Aimelin venait de faire naître en elle.

Alors elle avait mis fin au tête-à-tête, juste au moment où elle aurait juré que de son côté Aimelin n'aurait pas tardé à l'embrasser si elle n'avait pas soudainement parlé de son amour pour un autre.

Elle était rentrée en Lyonnais-Dauphiné, avait poussé au fond de sa tête le souvenir de ce souffle la caressant, la troublant, le souvenir de la vue des toits de Paris dont la vision avait été voilée par la fièvre aussi subite qu'incontrôlable qu'elle avait ressentie dans cette salle d'archives, et avait mis tout cela sur le compte de la fatigue, de la chaleur, d'un égarement passager mais pour lequel elle demanda chaque jour au Très-Haut de la pardonner.

Rien d'étonnant donc dans le fait qu'après avoir quitté Kernos, dans sa tentative de l'oublier au plus vite pour ne plus saigner, ce fut vers Aimelin qu'elle eut envie de courir... Courir se jeter dans ses bras pour oublier, certaine que le trouble serait de nouveau là, que la fièvre emporterait tout, au moins pour quelques jours, quelques semaines, ou même quelques heures seulement. Qu'importait? Il avait eu envie d'elle dans cette salle d'archives, elle en était certaine, ce désir elle l'avait elle aussi ressenti, et il n'y avait qu'à y succomber pour oublier la douleur.

Sauf que ce satané hasard qui n'existait pas, ou peut-être que si, en avait décidé autrement... Cette rencontre-ci non plus ne tomberait pas au bon moment!

Si jadis c'était son coeur à elle qui à chaque fois avait été occupé par un autre lorsque Aimelin avait croisé sa route, aujourd'hui c'était l'inverse. Dans le coeur d'Aimelin, il y avait une autre... Une autre que Terwagne appréciait au plus haut point, et qu'elle ne voulait pas faire souffrir... La jolie Alienor.

Bien entendu Aimelin ne comprenait pas pourquoi Terwagne était soudain si distante, si froide, si triste par instant... Bien entendu Alienor ne comprenait pas non plus... Ne comprenaient-ils pas, ou refusaient-ils de comprendre?!?! Terwagne eut soudain la certitude qu'ils refusaient de comprendre! Que lui feintait de ne pas comprendre ce qu'elle ne parvenait pas à lui avouer, que lui...

Oh, lui!

Comme elle se surprenait à l'envoyer au diable par instants, tout en espérant qu'il l'entraine avec lui dans sa chute vers le feu et le néant! Le feu! Le feu qui la brulait!

Alors elle se mit à éprouver de la colère, une colère de "Tempête", qui ne fit que s'accentuer lorsqu'elle comprit que le voyage ensemble qu'Alienor lui avait proposé de faire était en fait un voyage à trois... A trois, comme tous ces moments en taverne qui lui donnaient à elle l'envie de hurler contre elle-même, l'envie de s'en aller loin de lui, loin du trouble, loin de l'envie, loin de la culpabilité, loin de la peur de faire souffrir et de souffrir elle-même qui lui empoisonnait les pensées à chaque instant.

Mais Aimelin ne comprit pas, Aimelin lui parla de sa décision de vivre au jour le jour, sans promesse, et du fait qu'Alienor aussi vivait comme cela... Ne voyait-il pas que même sans promesse il est des liens et des attaches que l'on se doit de respecter? Il est des chaînes qu'on se met sans leur donner de nom mais qu'on ne brisera pas sans faire de mal.

Terwagne eut brutalement la certitude de leur servir à tous deux de garde-fou, de barrière de sécurité, et elle s'en expliqua avec lui autour d'un verre, avec elle dans une longue lettre qu'elle lui adressa, une longue lettre à laquelle la jeune fille ne dut rien comprendre au fond..


Citation:
Chère Alienor,

Avant toute chose je tiens à vous dire que j'espère que vous me pardonnerez le temps mis à vous répondre, mais plus encore ma réponse négative. Ma réponse négative, oui, vous avez bien lu, puisque je ne vous accompagnerai pas lors de ce voyage.

Pourquoi? Sans doute pour la même raison que celle qui fait que j'ai beaucoup de mal à vous répondre : ma déception en lisant votre lettre! Cette impression que l'on se joue de moi! Que l'on me croit trop idiote ou naïve pour avoir compris depuis le premier jour.

Lorsque votre missive m'est parvenue, et que j'ai pris connaissance de son contenu, je dois bien vous avouer que ma première réaction a été la colère et le dégoût. De la colère envers vous, vous que j'apprécie pourtant énormément, sachez-le, et dont je voudrais m'expliquer.

De quoi cette colère est-elle née? D'apprendre que vous aviez déjà un partenaire de voyage, et plus précisément cet homme qui... Cet homme dont je n'ai pas envie de parler, vous m'excuserez.

Je vous en ai voulu, oui, non pas du fait que vous comptiez voyager en sa compagnie, loin de là même, mais bien du fait que lorsque nous avons commencé à parler de voyage vous et moi, lorsque vous m'avez dit être tentée par le fait de voyager ensemble, vous ne m'avez peut-être pas réellement menti, mais en tous cas vous m'avez fort bien tu, caché, consciemment ou inconsciemment, que vous envisagiez de voyager en sa compagnie.

Oui, dès le départ, vu votre silence le concernant, j'ai cru que vous comptiez voyager seule, tout comme moi, et que votre proposition consistait donc en votre compagnie à vous, pas la vôtre à tous deux.

Aussi, en l'apprenant de votre plume hier, juste au lendemain d'une énorme dispute que j'ai eue avec lui, ais-je perçu cela comme un piège! Comme un mensonge depuis le départ!

Si j'avais su dès le premier jour que ce voyage dont vous parliez serait en sa compagnie, je vous aurais de suite dit "non merci". Là j'ai eu l'impression d'un mensonge par omission parfaitement voulu et décidé de votre part et de la sienne.

Je ne veux pas voyager avec vous et Aimelin! Je n'en ai pas la moindre envie, pardonnez-moi ma franchise.

Pourquoi, me direz-vous, avec ce faux air innocent qu'il prend lui aussi... Parce que si je désire quitter cette ville, c'est justement pour quitter cette position qui est mienne en ce moment entre vous deux! Cette impression infernale de vous servir à tous deux de garde-fou, de protection, de bouclier.

Ouvrez les yeux, Alienor! Vous vous servez tous deux de moi pour vous faire croire que vous vivez au jour le jour, que vous n'êtes pas en train de vous attacher, que vous êtes bien libres! Lui se sert de ma présence pour se rassurer, se dire que non, il n'est pas encore réellement amoureux de vous, puisqu'il désire ailleurs... Vous, vous vous servez de ma présence et de la relation trouble qui nous unit lui et moi pour tenter de prouver aussi bien à lui qu'à vous que vous n'êtes pas jalouse, que vous n'êtes pas non plus encore amoureuse au point de craindre la présence d'une autre qui le trouble et le fait rêver par instant.

Et moi?! Moi je me sens comme l'outil de votre refus de voir la vérité! Je me sens comme quelqu'un ou plutôt quelque chose dont vous vous servez en vous imaginant qu'elle ne s'en rend pas compte.

Je vous apprécie beaucoup, vraiment, tout comme j'éprouve de nombreux sentiments à son égard à lui, et je vous souhaite de vivre des tonnes de moments heureux, de profiter ensemble de ce que la vie vous offre, mais je refuse de vous laisser vous servir de moi!

Je m'en vais donc seule, ou en compagnie d'autres, peu importe, mais le plus rapidement possible, et ce afin de fuir cette position, pour oublier que... pour sauvegarder en moi mon amitié pour vous et mon affection pour lui.


Qu'Aristote veille sur vous et que votre route soit remplie de bonheur.

Terwagne



La suite?

Qu'importait pour l'heure la suite? Dans l'immédiat, il n'y avait pas de suite, juste la fuite...

La fuite !
La quête de l'oubli !

La haine du hasard qui une fois de plus avait fait leur route se croiser sur un noeud.
Un noeud à trois voies...

Mais peut-on haïr quelque chose dont on ne croit pas en l'existence?
Bien sur que non, c'est absurde!

Absurde comme d'apprécier celle qu'on se surprend soudain à envier...

Absurde comme de vouloir oublier qu'on a senti la vie nous frôler et nous donner envie de la saisir à bras le corps et le coeur...

Absurde comme de passer sa propre main sur la peau de sa nuque pour y marquer l'emprunte d'un souffle qu'on regrette d'avoir senti et qu'on voudrait tout à la fois sentir à nouveau...

Absurde comme de se mordre la lèvre alors qu'on voudrait y sentir le goût du péché... Encore et encore...

Absurde comme de croire qu'on ne vous oubliera pas...


Kernos l'avait déjà oubliée. Preuve en était que si il l'avait cherchée, il l'aurait trouvée. Il savait depuis toujours que jamais elle ne quitterait la Cour d'Appel, et depuis un mois et demi à présent qu'elle s'en était allée de sa vie il avait largement eu le temps de venir à Paris.

Kernos ne la cherchait pas.
Kernos l'avait oubliée déjà.

Aimelin l'oublierait lui aussi.

Même la mort l'oubliait quand elle descendait sur terre pour se rassasier.




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Alienor_vastel
[Troyes, le 19 juin - Stupeur et incompréhension]

"Qu'est-ce qui te fait
Courir après
Un autre toi-même
Pour que tu t'aimes
Qu'est-ce qui te fait nager
Contre le sens du temps
Pour au fond patauger
Dans le contre courant"
J.L. Aubert - "Juste une illusion"



Non, Aliénor ne la comprenait pas, cette lettre. Sans doute parce qu'il lui manquait des pièces du puzzle, qu'elle n'avait pas tous les éléments en main.

Oh bien sûr, elle avait bien noté les phrases inachevées, les points de suspension, ceux qui justement mettent en suspend les mots qu'on ne veut pas écrire, ceux qu'on ne veut pas exprimer. Mais elle n'avait pas su les déchiffrer. Et ce n'était pas les discussions qu'elle avait pu avoir avec Terwagne qui l'éclairaient. Elles n'avaient jamais eu l'occasion de parler seule à seule, à y bien songer, il y avait toujours eu quelqu'un avec elles. Et quand après quelques soirées avec elle et Aimelin, la petite blonde avait eu l'impression que sa présence les empêchait, consciemment ou non, de se parler naturellement, elle s'était faite discrète, se rendant dans une autre taverne ou tournant les talons pour rentrer chez elle lorsqu'elle les apercevait seuls. Parce qu'elle savait l'affection profonde du jeune homme pour Terwagne, qu'elle le savait peiné de la voir triste, qu'elle appréciait sincèrement la jeune femme et qu'elle pensait qu'à lui peut-être, en tête à tête, elle se confierait.

Etait-ce pour cette raison que Terwagne imaginait que la blonde adolescente tentait de se prouver qu'elle n'était pas jalouse du lien qu'il y avait entre eux ? Alors qu'elle ne faisait que preuve d'effacement afin qu'ils puissent justement se parler à coeur ouvert, sans devoir retenir ce qu'ils avaient envie de se dire, ce qu'ils devaient se dire, du fait de la présence d'une tierce personne. De sa présence à elle. Naïveté et insouciance, surement.
Jalouse... l'idée la faisait sourire. Il faut promettre, imaginer loin devant, rêver un avenir ensemble, pour craindre que quelqu'un ne vienne tout détruire, volontairement ou non. Et justement elle ne construisait rien, pas sur le long terme en tout cas, et elle vivait simplement le présent, intensément, profondément, passionnément, sans rien attendre d'autre sur l'instant que le bonheur des moments qu'ils passaient ensemble.

Alors non, elle ne la comprenait pas, cette lettre.

Quant à penser qu'elle, qu'ils aient sciemment souhaité sa présence avec eux pour ne pas se retrouver seuls tous les deux... Ils avaient déjà parlé de ce voyage qu'ils comptaient entreprendre, la petite blonde avait d'ailleurs proposé à Coline de venir avec eux, et son amie avait accepté. D'autres viendraient peut-être, au gré des rencontres, ils n'avaient pas l'intention de rester dans une bulle, mais au contraire de s'ouvrir aux autres. Ils en avaient même ri, se disant qu'ils trouveraient de toute façon toujours des moments à eux.

Vraiment non, elle avait beau lire et relire, elle ne la comprenait pas, cette lettre.

Mais il lui fallait répondre, non pas se justifier, mais tenter de lui expliquer qu'elle avait tort, qu'elle n'était pas ce garde-fou, cette protection, ce bouclier qu'elle croyait être pour que l'adolescente se refuse à voir ce qui de toute façon était clair pour elle.


Citation:
Chère Terwagne,

Je viens de recevoir votre missive, et je dois avouer que j'ai dû la relire à plusieurs fois, tellement j'en ai été interloquée, stupéfaite. Pas de votre réponse négative, mais des raisons que vous en donnez.

Peut-être n'ai-je pas été claire ce soir-là, peut-être ne vous ai-je pas dit que ce voyage, je ne comptais pas l'entreprendre seule, honnêtement je ne m'en souviens plus. Je ne vous ai rien caché, volontairement du moins. J'ai simplement profité du fait que vous aviez annoncé souhaiter partir pour vous proposer que nous voyagions ensemble, spontanément et sans arrière pensée aucune, je puis vous l'assurer.
J'avais déjà demandé peu auparavant à une amie de se joindre à nous également, ce qu'elle avait accepté, je dis "je" en pensant "nous", manque d'habitude de penser au pluriel.

Je ne cherche pas à me justifier, soyez assurée néanmoins que jamais il n'y a eu manigance derrière ma proposition, quelconque piège ou volonté de vous taire quoi que ce soit, que ce soit conscient ou non. Lui ne savait rien de ce que je vous ai proposé, je ne lui ai dit qu'après. Si j'ai été maladroite et vous ai blessée, croyez bien que j'en suis vraiment désolée et que ce n'était nullement mon intention. Sans doute suis-je trop naïve, trop impulsive, et n'ai-je pas compris les raisons qui vous poussaient à partir, à fuir même, je vous remercie de me les avoir expliquées. Il semblerait que je ne sache pas si bien écouter que ça, au final...


Petite moue dépitée de la jeune blonde, Terwagne était une énigme pour elle, légère, enjouée, jusqu'à ce qu'un mot, une phrase prononcée n'éclipse son regard sans que l'on sache pourquoi. Ou ne la fasse comme fuir, laissant Aliénor perplexe quant à ce qu'elle avait pu dire de mal. Là aussi elle ne comprenait pas, et plus cela allait, plus elle regrettait de n'avoir pu parler seule à seule avec elle. Peut-être alors se serait-elle ouverte, aurait-elle laissé derrière elle un peu du mystère qui l'entourait aux yeux de l'adolescente. Ou pas...

Terwagne... ses regards parfois, qui se voilent et dont l'expression alors lui rappellent tellement celui, mordoré, de sa mère. La fuite de cette dernière en Alençon, pour oublier. Et sa fuite ultime, pour un oubli définitif...
L'oubli... était-ce ce que la jeune femme était venue trouver à Troyes ? Elle n'en avait jamais parlé ouvertement devant elle. La jeune blonde avait bien deviné qu'elle n'était pas venue par hasard, qu'il y avait quelque chose qu'elle fuyait, à quoi elle voulait échapper. Mais elle ne l'a jamais exprimé, pas en sa présence tout du moins et Aliénor n'avait pu que conjecturer. Des non-dits qu'elle arrivait à comprendre chez Aimelin parce qu'ils étaient à l'unisson des siens mais qui la laissaient désorientée venant de Terwagne.

La plume continua sa course légère sur le vélin.


Citation:
Je ne chercherai pas à vous faire revenir sur votre position, vous avez déjà votre conviction. Je ferai une bien piètre avocate, voyez !
Permettez-moi simplement de vous dire que vous avez tort. Tort de penser que votre présence me sert d'excuse pour refuser de reconnaître que je suis attachée à lui ; je le suis, je le sais et le savais même avant que vous ne veniez le rejoindre, avant même de connaitre la relation qui vous unit.

Sans doute allez-vous me trouver directe, peut-être allez-vous m'en vouloir encore, mais vous ne savez rien de moi, de ce que j'ai pu vivre jusqu'à présent, des exemples que j'ai eu sous les yeux, vous me jugez, vous croyez savoir ce que je pense sans me connaître vraiment. Pourquoi refuserai-je de reconnaître, de m'avouer que je suis bien avec lui ? Se vouloir libre ne signifie pas ne pas se rapprocher, mais ne rien se promettre, parce que la vie est si fragile et peut reprendre brutalement et violemment ce qu'elle a donné. Est-ce refuser de voir la vérité que de ne pas vouloir envisager demain pour vivre pleinement le présent ? Il y a plus de vie et de bonheur à savourer l'instant qu'à attendre ce qui ne viendra peut-être jamais...

Je vous le dis honnêtement, avec toute l'amitié sincère que j'ai pour vous, des coups j'en ai reçus, certainement davantage que d'autres de mon âge, je m'en suis toujours relevée, riche de ce que j'en ai appris et décidée à ne pas refaire les mêmes erreurs, et je n'ai nul besoin d'un bouclier pour m'en préserver. Je les affronte, "avec honneur et courage" ainsi que me l'avait demandé ma mère dans sa dernière lettre, et je continuerai ainsi. Et les yeux grands ouverts ! Parce que je ne veux pas fermer les yeux et laisser passer des moments de bonheur que je n'aurai pas vus. Des êtres que je chérissais ont fermé leurs yeux, ils en sont morts. Moi je veux vivre.


Plume en suspend... Que lui avait-il fallu pour prendre conscience de ce qu'elle venait de coucher sur ce vélin ? Du temps, de la colère, et surtout, une lettre au fond d'un coffre, qui l'attendait à Compiègne, la dernière d'une mère à sa fille...

Pourquoi Aliénor lui racontait-elle ça d'ailleurs ? S'ouvrir un peu, laisser entrevoir un peu de sa vérité. Si elles étaient face à face, Terwagne lui répondrait peut-être qu'elle cherchait ainsi à se persuader elle-même, à se rassurer. Alors qu'il serait si simple de dire que si demain tout s'arrêtait, au moins en aurait-elle bien profité, au moins n'aurait-elle pas laissé passer sa chance d'être heureuse pour le temps que ça aura duré.

Hésiter à déchirer cette page, puis finalement poursuivre...


Citation:
Pardonnez cette tirade sur les raisons qui me font accepter ce que la vie peut m'offrir, et dans laquelle au demeurant je n'essaie que de vous expliquer qu'en aucun cas vous n'êtes à mes yeux ce que vous ressentez être. Non, je ne me sers pas de vous pour me taire à moi-même ce que je peux éprouver, puisque je le sais déjà. Je vous considère comme une amie, de celles que l'on a envie de connaitre mieux, de celles avec qui l'on a envie de partager, d'échanger, je suis heureuse à vous écouter parler, inquiète lorsque votre regard se voile, et c'est la seule et unique raison qui avait poussé ma proposition.

Puisque vous préférez partir seule, si les mots que je viens de vous écrire ne vous font pas changer votre décision, je ne puis plus que vous dire que je le regrette. Votre amitié m'est précieuse, j'espère qu'elle restera...

Que le Très Haut vous protège et veille sur vous.

Aliénor


Une hésitation, une longue hésitation... Ne s'était-elle pas laissée emporter en voulant répondre aux arguments présentés par la jeune femme, sans essayer de comprendre qu'il pouvait y avoir autre chose derrière ?
L'être humain réagit par analogies, il compare avec des situations qu'il connaît. Et malgré ce qu'elle avait vécu, l'adolescente devait bien se reconnaître désarmée face à la réaction de Terwagne. Elle se sentait d'une certaine façon responsable de son départ, de sa tristesse, de sa colère. De sa fuite.

Et elle doutait. Sa lettre ne serait-elle pas qu'un cautère sur une jambe de bois ? Ou pire encore ?...

Parce qu'il restait ces points de suspension qu'elle n'arrivait pas à déchiffrer...

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Terwagne_mericourt
[Quelque part en Champagne, 23 juin 1459 :]

Et j'apprendrai les souffrances
Et j'apprendrai les brûlures
Pour le miel d'une présence
Le souffle d'un murmure
(...)
Tout mais pas l'indifférence
Tout mais pas ce temps qui meurt
Et les jours qui se ressemblent
Sans saveur et sans couleur

(J.J. Goldman)


Toutes les routes mènent-elles à Paris? Peut-être, oui...

Dans tous les cas, ce qui était certain c'est que dans l'état d'esprit où elle se trouvait Terwagne avait surtout l'impression que toutes les routes se ressemblaient et que toutes menaient à tout sauf à l'oubli.

L'oubli!
Mais où se cachait-il?
Elle aurait donné cher pour le savoir!
Aurait abandonnés écus, titres, fonctions, terres, robe de juge même, si elle avait eu le moindre espoir que cela lui permette de trouver en quel endroit se cachait l'oubli. Mais d'espoir elle n'avait plus, de repos non plus, et d'échappatoire guère plus.

Elle qui quelques jours plus tôt parvenait encore à trouver quelque répit en se noyant dans le travail, voila qu'à présent elle n'y parvenait même plus.

Certes elle lisait les dossiers, écoutait les témoins, menait les débats en table ronde des officiers, donnait ses avis sur les propositions de verdicts, était partout et tout le temps, omniprésente mais pourtant profondément absente... Jamais vraiment là, jamais vraiment concentrée, jamais vraiment elle!

Son corps était là, son cerveau était là, mais son âme...

Avait-elle seulement encore une âme? Elle commençait à se le demander certaines nuits, quand le sommeil l'abandonnait une fois de plus pour laisser la douleur et le vide se la disputer jusqu'au lever du jour.

Indifférente! Voila ce qu'elle devenait!

Indifférente aux lieux, aux heures, aux routes, et même aux gens! Elle se surprenait à écouter les témoignages en fixant ceux qui les faisaient comme si il s'était agi de vulgaires pantins de bois sans vie, sans histoire, sans intérêt... Elle se surprenait à ne plus leur apporter la moindre importance, à ne plus penser qu'ils étaient des hommes, des femmes, des êtres faits de chaire et de sang, mais surtout d'émotions et de vie.

Elle n'avait plus rien de la Terwagne qui fixait les mains ou les yeux des témoins en salle d'audience pour essayer de comprendre qui ils étaient, ce qu'ils ressentaient, ce qu'ils avaient vécu... Elle était devenue une fonction, et plus rien d'autre!

Elle n'avait plus envie de s'intéresser aux gens, plus envie de donner, plus envie de prendre, plus envie de recevoir... Plus non plus envie de comprendre, ni d'être comprise.

C'est dans cet état d'esprit bien précis qu'elle se trouvait lorsque plongeant sa main dans sa besace pour y chercher le substitut de chaleur qu'était devenue pour elle sa fiole de calva, elle tomba sur la lettre d'Alienor, reçue quelques jours plus tôt.

Alienor...
Chère Alienor...

Comment pourriez-vous comprendre ce qui m'échappe à moi-même?
Comprendre cette femme que je suis devenue et que je ne comprends plus moi-même?
Comprendre cet être d'indifférence qui n'est pas moi et gomme celle que j'étais, jusque dans ma colère?

Soyez heureuse, Alienor!
Soyez vivante!

Et qu'importe que celle qui a pris ma place vous comprenne ou pas?
Qu'importe que vous la compreniez?

Décidée à lui répondre dans ce sens, l'ombre de Terwagne entra dans une taverne, n'importe laquelle, et demanda de quoi écrire, ainsi qu'une bouteille de calva.


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Aimelin
[Sainte Ménéhould, Moulin fournil de la Rivière, le 26 juin]

"Sans drame, sans larme
Pauvres et dérisoires armes
Parce qu'il est des douleurs,
qui ne pleurent qu'à l'intérieur
Puisque ta maison, aujourd'hui c'est l'horizon
Dans ton exil, essaie d'apprendre à revenir
Mais pas trop tard…"
(J.J. Goldman - puisque tu pars)




Les yeux gris s'étaient perdus sur le torrent dont le doux clapotis de l'eau contre la roue du moulin, accompagnait la lente ondulation de la frêle embarcation de bois attachée au petit ponton sur lequel il se trouvait.

Des yeux qui fixaient la rive opposée, pensant à ces galets quelque part, qui avait ricoché et défié le courant pour aller se poser sans mal sur l'autre berge. Ce moulin que la mère Léonie leur avait cédé pour quelques centaines d'écus et que May avait fait découvrir à Aime ce matin de début septembre 55. Leur moulin, leur maison… là où personne ne viendrait leur chercher problèmes. Cette bâtisse où il avait si souvent parlé, rit, murmuré, aimé.
Un voile descendait lentement sur ses yeux tandis que le petit vent qui soufflait faisait danser ses quelques mèches folles, un peu comme des petites flammes parfois calmes et puis reprenant un peu plus d'ardeur la seconde d’après. Il ferma les yeux quelques secondes pour chasser ce visage dont le sourire oppressait son cœur. Une chevelure brune, des yeux couleur noisette et un sourire permanent, devenu bien trop rares les dernières semaines de cette année 55. La fatigue, la lassitude, les tourments. Bien des personnes s'étaient acharnées sur elle, sur eux, comme s'il dépendait de leurs vies que le jeune couple ne puissent vivre en paix. Comme il les avait haïs de toutes ses forces, de toute son âme.

Après la disparition de Mayane et des jumeaux, et à son retour de ces quelques jours d'une chasse à Torras infructueuse, il était revenu dans ce moulin fournil de la rivière, il avait gardé la taverne de "La Famille" et y passait ses journées, essayant d'oublier le vide qui faisait échos à ses pensées. Comme il était étrange, que des qu'il posait les pieds à Sainte, tout ce passé revenait au galop. En décembre 56 il avait eu du mal à venir au Moulin et n'était resté que deux journées au village. Aujourd'hui, il se sentait la force de faire face à ces fantômes du souvenir. Il était entré dans la bâtisse, était monté à cet étage et avait ouvert en grand les fenêtres pour y laisser entrer la vie. La Léonie et son époux s'occupaient régulièrement de la bâtisse, et tout était en ordre, le temps semblait s'être seulement arrêté.

Il abandonna le ponton et fit demi tour, se dirigea vers l'arbre et vers ce coin d'herbe, où une petite croix de fer gravée de trois étoiles était plantée au milieu de quelques fleurs. Les yeux rivés sur les étoiles, il s'agenouilla, murmurant.


le moulin n'a pas changé tu as vu ? je te promets de toujours le garder et le faire entretenir.
Peut être un jour, résonnera t il de rires et de voix d'enfants.
je vous aime par delà le temps


Aurait il le même courage de retourner sur cette petite tombe dans ce cimetière qui borde le chemin qui mène vers les bois, à la sortie de Pau. Il ferma les yeux quelques instants avant de se relever et de se tourner face à la bâtisse. Il était des endroits où il aimait venir et revenir, où il aimait aller respirer cette odeur du passé qui l'aidait à vivre malgré tout, qui l'aidait à avancer… et ce moulin faisait partie de l'un de ces endroits chers à son cœur.

Un regard vers Altaïr qui avait cherché la fraicheur de l'ombre avant de se diriger vers lui, d'ouvrir une fonte pour en extirper quelques parchemins, de l'encre et sa plume, et de retourner vers le ponton, à cet endroit sous le grand hêtre dont il aimait à profiter de l'ombre.
Il s'adossa contre le tronc et entreprit de rédiger une missive à une jeune femme partie sans mot dire, et qui ne sortait pas de son esprit, comme ces rares personnes chères à son cœur, et qu'il n'avait pas envie de voir s'évanouir dans les méandres d'une vie parfois bien trop compliquée.

Sa plume glissa lentement, hésitante, cherchant les mots justes, ceux qui lui donnerait envie de les lire.


Citation:
Sainte Ménéhould, le 26 juin 1459

Terwagne,

Ma plume me rappelle souvent à l'ordre afin de vous donner nouvelles, mais surtout afin d'en prendre. Depuis ce jour où vous êtes partie je ne cesse de penser à nos discussions, à nos rires et nos confidences, mais je ne vois que vos larmes et votre départ de cette taverne en nous promettant de ne pas oublier l'autre et de penser à lui.

Je tiens mes promesses et ne vous oublie pas, comment le pourrais je. Vous êtes l'une de ces rares personnes à laquelle mon coeur s'est attachée que vous le vouliez ou non. Ne pas vouloir voir les lendemains n'empêche pas le coeur de s'attacher aux personnes, aux lieux, à tout ce qui fait une vie. Aliénor m'a parlé de votre lettre avec un petit voile de tristesse devant les yeux. Nous aurions tant aimé sincèrement, que vous veniez avec nous, que vous puissiez vivre et profiter de ce présent comme nous le faisons, que vous nous fassiez encore rêver par vos mots, dans une course à la vie qui parait toujours bien trop courte.

Je pensais vous faire retrouver le sourire, je n'ai su que faire naître vos pleurs, incapable que j'ai été de vous donner toutes ces choses sans vous faire souffrir. Peut être que la vie me donnera tort un jour, et ce jour là mes larmes noieront l'encre sur mes parchemins. Mais une chose est sûre, je ne veux pas vous perdre, je ne veux pas perdre ce lien indéfinissable qui nous unit depuis cette discussion dans cette salle d'archives.

Il est des moments rares que l'on garde jalousement en soit, des moments que le temps n'efface pas malgré les sales coups qu'il peut nous faire. Je voudrais que vous vous rappeliez nos discussions et que nous puissions les continuer avec cette complicité qui fait que votre présence dans ma vie m'est aussi nécessaire pour vivre et avancer. Comment accepter que vous en sortiez alors que je vous ai ouvert les portes de ce passé qui me fait souvent me replier sur moi même. Le passé, le présent, tout ce qui fait que demain se construit au fil des jours.

Je ne sais si un jour vous me pardonnerez ces larmes que je n'ai pas su empêcher, mais je peux vous assurer que ce lien qui nous relie indubitablement ne cessera jamais d'être là pour moi. Je pense à vous, je m'inquiète de savoir si vous allez bien. Et quoi que vous disiez, quoi que vous fassiez, quels que soient vos silences, vous ne sortirez pas si facilement de ma vie et de mon coeur, où rares sont les personnes à y avoir pris place tranquillement.

Vous savez qu’Étampes vous est ouvert autant que vous le désirez, et si vous regardez au loin ces falaises, vous y verrez un petit bout de terre ferme sur lequel vous pourrez poser les pieds sans crainte de tomber.

Mon messager vous trouvera afin de vous porter ces mots que ma plume a couché pour vous sur ce parchemin.


l'ébouriffé


Ne jamais remettre à demain, ce que l'on a envie de faire dans l'instant. Regard qui parcourut à nouveau les mots et les phrases avant de se poser sur l'eau qui courait elle aussi, descendant chantante vers le lac afin d'y devenir bien plus paisible. Il espérait juste qu'elle lise ses mots écrits avec son coeur, qu'elle sache qu'il pensait à elle et ne l'oubliait pas.

Le messager envolé il repartit vers la bâtisse, avec l'envie de voir tourner à nouveau la roue et d'entendre le chant du grain qui s'écrase sous son passage.

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Merci aux merveilleuses rpistes avec qui je joue
Terwagne_mericourt
[Sainte Menehould, 4 juillet 1459 :]

"Comme un fantôme qui se démène
Dans l'aube abîmée sans épiderme
Et nul n'a compris
Qu'on l'étreint à demi et...
Et nul n'a surpris son cri :
Recommencer sa vie,
Aussi.

Redonne-moi,
Redonne-moi l'autre bout de moi
Débris de rêves, le verre se fêle
Redonne-moi la mémoire de ma...
Peut être sève ? Peut être fièvre ?"

(Mylène Farmer)



Un sol poussiéreux qu'on devine à peine sous les couches de tissus le jonchant, des murs jaunis par les ans et portant les traces des cadres qui jadis ont du les décorer mais ont fini par les quitter, un silence uniquement brisé par le murmure des étoffes remuées dans le coin de la pièce, un air encombré par le mélange d'odeurs où l'on discerne deux notes plus fortes, celle de l'essence de giroflées et celle du calva... C'est à peu de choses près ainsi que l'on pourrait décrire la chambre d'auberge occupée par celle dont le reflet se promenait dans la vitre depuis quelques minutes.

Quittant le carreau, le reflet alla se poser dans la glace trônant sur la vieille commode qui devait avoir vu passer son lot des voyageurs elle aussi.... Reflet d'une silhouette fine, aux formes portant les séquelles des longues périodes de jeûne que sa propriétaire lui avait infligée, persuadée qu'elle était alors que de faire souffrir son corps rendrait moins pénible les douleurs de son âme.

La dite propriétaire s'arrêta et posa son regard sur l'image de ce corps qui était sien, le faisant glisser le long de son cou, parcourir son épaule gauche - qu'elle trouva bien osseuse - commencer à descendre vers sa clavicule, puis s'interrompit brusquement. Descendre vers son sein? Pourquoi faire? Pour se rendre compte qu'il n'avait plus la rondeur de jadis? Que sa peau là aussi était devenue terne, presque transparente? Que même son extrémité autrefois si arrogante semblait vouloir se faire discrète elle aussi? A quoi bon?

Et pourtant, le regard finit par glisser, caresser ce sein qui n'en a plus que le nom selon la femme à qui il appartient, en dessiner le contour, avant de plonger vers le ventre qui se résume à un léger creux barré de deux signatures laissées par des lames du passé... Le passé... Satané passé! Pourquoi diable faut-il encore et toujours qu'il revienne à la charge? Pour la torturer encore et encore? Pour lui rappeler qu'aussi difficile fut-il par moments il était malgré tout la vie, et non juste la survie?

Le reflet disparait... La glace est désertée...

Terwagne se dirige vers la table, attrape la fiole de calva laissée là quelques instants plus tôt et laisse couler entre ses lèvres une bonne partie de ce qu'elle contient encore, en fermant les yeux. Comme si fermer les yeux permettait au poison de mieux vous pénétrer...

Lorsqu'elle les rouvre, elle secoue la tête, dans un geste rageur, une lueur de détermination soudaine sur les lèvres, et se dirige à nouveau vers la glace, posant cette fois non pas simplement son regard sur le reflet mais également ses mains sur l'original, touchant cette peau qu'elle hait d'être devenue si froide, si grise, tentant de se trouver quelque attrait, pivotant sur elle-même, se consolant en se disant que d'autres doivent avoir encore moins de formes qu'elle-même, que sa poitrine n'est pas si menue au final, que ses hanches sont encore bien dessinées, que... Qu'il est encore temps de se vêtir et d'aller se rassurer dans le regard d'inconnus, à défaut de pouvoir le faire dans celui de ceux qui vous ont oubliée alors que vous les aimiez, alors que vous aviez tant besoin d'eux, alors que leur seul regard vous faisait exister, trembler, ressentir, vibrer, désirer, être vivante!

Quelques minutes plus tard, plusieurs robes essayées et jetées à nouveau sur le sol, l'une d'entre elles enfilée et gardée au motif qu'elle est rouge et donne l'illusion de la vie, Terwagne se dirige vers la porte de sa chambre et l'ouvre pour se rendre en taverne.

C'est en descendant l'escalier qu'elle croise le messager mandaté par celui dont elle reconnait immédiatement l'écriture... Aimelin...

Elle ne sait que trop bien que si elle lit cette lettre elle n'ira pas en taverne ensuite, restera enfermée avec son chagrin, se retiendra de courir vers lui pour lui dire tant de choses qu'elle préfère garder secrètes, jalousement, de peur qu'ils ne les comprennent pas à leur juste valeur. Ils... Eux...

Elle pousse la lettre dans sa besace et s'éloigne, ignorant que dans cette taverne elle va le croiser... Elle va les croiser...

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Terwagne_mericourt
[Sainte Menehould, 13 juillet 1459 :]

A deux pas d'ici, j'habite. Peut-être est-ce ailleurs?
Je ne reconnais plus ma vie, parfois je me fais peur.
Je vis dans un monde qui n'existe pas.
Sans toi je ne suis plus tout à fait moi
( ... ... ... )
Les mots doux de velours, je ne les crie plus.
Et le sens de l'humour, je l'ai perdu.
Comment fait-on l'amour? Si j'avais su...
J'ai tout oublié, quand tu m'as oublié.

(Marc Lavoine)



Après la pluie le beau temps...

D'un point de vue extérieur, on aurait certes pu décrire de la sorte la relation "Aimelin-Terwagne", puisqu'après les tensions, les non compréhensions, les excès en tous genres de part et d'autres - surtout de sa part à elle - les sorties-fuites de taverne en présence de l'autre, les regards qui en disent long sur les sentiments teintés de déception ou encore de jalousie lorsque ivre elle batifolait avec n'importe qui - pour ne pas dire n'importe quoi - leurs rencontres étaient à présent faites d'amabilité, de sourires, de simplicité... Terminées les soirées où l'on s'évite, où l'on se lance des regards froids et des mots tout aussi glacés... Retour à une relation calme.

Terwagne, elle, n'aurait pas parlé de beau temps après la pluie...

Elle aurait décrit les choses comme un paysage délavé après un orage, un déluge. Un paysage dont les larmes avaient effacé les couleurs, gommé les reliefs, aplati les contours, égalisé les courbes de niveau. Une plaine au vert bien pâle, au milieu de laquelle chacun revient sur la pointe des pieds, craignant de faire trop de pas, trop de bruit, mais surtout de trop s'exposer.

Certes, c'était mieux que l'orage, mais c'était tellement... plat!

Ce n'était ni triste ni gai, ni froid ni chaud, ni haut ni bas. C'était juste plat, terne, tiède. Entre gris clair et gris foncé? Non, même pas. C'était blanc. Simplement blanc.

Aimelin devait sans doute être ravi que l'orage aie pris fin, être heureux de la voir à nouveau communiquer simplement, ne plus s'enivrer, raconter, parler, sourire, écouter, partager, et elle ne lui gâcherait pas ce semblant de bonheur, lui laisserait croire que tout allait bien, qu'elle avait digéré sa tristesse, ravalé ses dernières larmes tellement loin en elle qu'elle ne les sentait même plus.

Il semblait aimer cette simplicité dont leur relation était à présent faite, semblait ne même pas se rendre compte que leurs échanges étaient devenus incroyablement banals, anodins.

Elle? Elle elle trouvait leur relation totalement dénaturée!
Mais à quoi bon rappeler la pluie et l'orage?
A faire plus de dégâts encore?

Elle décida de ne pas prendre ce risque, persuadée que d'une façon comme d'une autre Aimelin finirait par l'oublier, et que c'était sans doute préférable au fait de le voir la détester.

Il l'oublierait, oui.
Comme kernos l'avait déjà oubliée!

Kernos qui n'avait pas même cherché à la faire revenir vers lui.
Kernos qui ne lui avait pas adressé la moindre lettre, pas même à la Cour d'Appel où il savait pourtant qu'elle travaillait et qu'il était aisé de la trouver.

Kernos avec qui elle s'était sentie plus vivante que jamais et auprès duquel elle avait abandonné une bonne partie de la femme qu'elle était.

Kernos qu'elle avait quitté pour le sauver d'elle-même, du tord que leur relation faisait aux liens l'unissant à ses enfants et à sa carrière militaire.

Kernos dont elle aurait tant voulu se guérir dans d'autres ivresses, mais aucun vin de taverne n'a jamais fait oublié le doux nectar du calva à personne.

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Aimelin
[Sainte Ménéhould, le 14 juillet]

"Les p’tits détails qui ne paient pas de mine
Les petits bouts de gestes qui soudain illuminent
Un souffle entre les mots,
un rire qui culmine

Saurions-nous les retrouver
Voudrais-tu les partager
Ces moments de liberté... "

(Aubert - les petits riens)



Sainte Ménéhould, ville qui avait vu rire et pleurer le jeune champenois de dix sept printemps qu'il était en cet été 55 et ce début 56. Le lac… si paisible et pourtant abritant tant de secrets, tant de peine et de déceptions, tant de bonheurs et d'espoirs, tant de tourments envolés. Pourquoi avait il voulu mourir cet été là en se laissant dériver sur le lac alors que la voix de Sosso l'appelait, l'engueulait en lui demandant de revenir dare dare au bord en menaçant de venir le chercher à coup de pied aux fesses.

L'amour… sans doute.

Seule cette chose qui pouvait rendre infiniment heureux ou infiniment triste avait dû le mettre dans cet état.
Partagé entre deux filles, incapable de choisir il avait dû le faire et n'était pas arrivé à vivre pleinement cet amour qui n'avait duré que quelques semaines pour finir les premiers jours de juillet lorsqu'il avait annoncé être amoureux de Mayane, qui devait disparaître quelques mois plus tard, ce tout premier jour de janvier 56. La vie ne lui avait pas laissé le temps cette fois là.

Ce lac… ces doutes qui revenaient sans cesse. A chaque fois qu'il ne savait plus il y revenait, à chaque fois qu'il y revenait, les souvenirs affluaient en un vacarme assourdissant qui le faisait fermer les yeux de peur de devenir fou.

Respirer, profiter de la vie, aimer sans lendemain, sans promesse, était ce si difficile à comprendre ?

Elle l'avait bien compris elle, cette jeune femme blonde aux yeux pervenches avec qui, profiter de ce présent en y mordant à pleine bouche, le faisait vivre, et revivre. Il avait besoin de ce sentiment d'aujourd'hui, de ce sentiment que rien d'autre n'avait d'importance que ce que l'on faisait à l'instant, de ce sentiment que seuls comptaient ces moments où les mots sont inutiles, où les échanges sont si forts qu'on a l'impression que tout le monde peut les lire comme dans un livre ouvert, de ces échanges où les corps s'emmêlent et s'unissent pour ne former qu'un, comme pour rappeler que ce qui lie certains amis et amants, n'a pas besoin de beaucoup plus pour exister, n'a pas besoin de lendemain, n'a pas besoin de promesses d'éternité et n'a surtout pas besoin de la sécurité d'un anneau glissé à un doigt.

Pour combien de temps ce présent était il là ? il ne le savait pas. Peut être partirait elle et le laisserait elle dans quelques jours ou quelques semaines, ou alors peut être que ça serait lui qui partirait, mais quoi qu'il en soit l'un des deux briserait sans doute le bonheur de l'autre, ce bonheur qu'ils vivaient au jour le jour. Vivre au jour le jour ne veut pas dire ne pas aimer, ne pas s'attacher, ne pas souffrir. Peut être aussi que ce bonheur durerait et les ferait rire et sourire encore longtemps. Ne pas savoir si demain il sera là, permet de le vivre intensément, d'en déguster chaque minutes et de se rassasier des moindres miettes. Qui peut prévoir ce que demain sera ?

Quasi lui avait fait promesse de fidélité et d'amour infini ce jour de fin novembre sous la pluie lorsqu'il lui avait offert cette bague, promesse de prendre soin d'elle toute sa vie. Elle lui avait promis et l'avait trahi peu de mois après pour épouser l'été suivant, celui qu'il haïssait du plus profond de son être, ce type abject qui ne savait parler du jeune ébouriffé autrement qu'en insultes et mensonges. La vie ne lui avait pas laissé le temps cette fois là non plus.

Dance lui avait promis qu'ils partiraient et vivraient loin des calomnies et rumeurs béarnaises que propageaient de pauvres idiots sans cervelle se gaussant de sales histoires et mensonges… elle avait promis. Aujourd'hui, de ce visage d'ange orné de boucles blondes qu'éclairaient de jolis yeux gris, il ne restait qu'une petite croix de fer et de bois gravée d'un soleil, dans ce petit cimetière bordant le chemin qui menait de Pau à ces bois où les deux jeunes gens allaient balader et s’entraîner. La vie ne lui avait pas laissé le temps cette fois encore.

La vie n'était qu'une succession de promesses qui se faisaient et se défaisaient, et que le temps s'évertuait à piétiner.

Pourquoi n'était il pas comme ces hommes qui prenaient maîtresses et amantes, qui voguaient d'un corps à un autre comme s'il était normal de les posséder et qui voyageaient de femmes en femmes sans se poser toutes ces questions. Lui, il fallait qu'il se les pose toutes ces questions, sauf peut être pendant ces rencontres d'un soir en taverne, où seul le moment avait compté, où seul le plaisir donné et reçu importait, visage qu'on oubliait le lendemain ou auquel on repensait en souriant, sans qu'il y ai ce petit quelque chose qui oppresse.

Un léger voile vint se poser sur le regard gris, atténuant cette petite lueur habituelle, à peine éclairé par le soleil qui dansait à l'horizon, semblant parfois vouloir plonger dans le lac.

Aujourd'hui presque une année après la disparition de sa blonde, il arrivait à trouver la sérénité, mais son cœur souffrait encore sans le vouloir, de ne pas toujours savoir donner ce qu'on attendait de lui.

Cette amie, cette tendresse, cette femme désirable et intelligente qu'il avait appris à connaitre, à apprécier, à aimer simplement d'une infinie tendresse, et qui l'avait attirée pendant qu'elle lui parlait de son amour pour un autre, il ne voulait pas la perdre. Il voulait protéger ce lien indubitable, ce lien nécessaire qui les reliait l'un à l'autre, comme un fil d'or qui ne se briserait qu'à la mort. Il espérait qu'elle lise dans ses regards toute l'importance qu'elle a pour lui.
Terwagne, il avait détesté la voir se rabaisser, la voir se détruire doucement alors qu'il était impuissant à l'aider, à lui dire tant de choses. Ces derniers jours, il avait été un peu rassuré de la voir sourire et rire, de la voir rayonner malgré cette lueur qu'il décelait parfois dans son regard. Mais ça ne le rendait pas heureux pour autant.

Peut être que dans cette salle d'archives alors qu'elle lui parlait de cet homme qu'aujourd'hui elle avait quitté pour une raison qui n'avait rien à voir avec lui, elle le lui avait certifié, il aurait dû faire fi de tout ça et l'empêcher de sortir. Lui prouver l'attirance qu'il avait pour elle et se ficher éperdument de celui qu'après tout il ne connaissait pas. Il n'aurait pas jugé la jeune femme parce qu'il aurait pris simplement ce qu'elle lui aurait donné.
Aujourd'hui cette attirance était toujours là, il ne pouvait mentir, mais il y avait cette jeune blondinette avec qui il revivait, quelqu'un à qui il tenait, comme il tenait à Terwagne, même sans parler de toujours, même sans parler de mariage et même sans parler de tout ce que peut être la vie décidera un jour de lui retirer sans crier gare. Alors ce aujourd'hui, il voulait le vivre, s'en remplir l'estomac et la tête à outrance.

Hier soir il avait discuté avec Terwagne, une discussion dure mais enfin une discussion, une vraie, pas de ces discussions sur la pluie et le beau temps, qui se résument à des platitudes qui rassurent ceux qui les prononcent et ceux qui les entendent.
Une discussion comme celles qui les avait rapprochée. Une discussion où ni l'un ni l'autre ne cherchait à faire plaisir à l'autre, mais lui parlait avec son coeur. Une discussion nécessaire pour que ce fil qui les unissait ne cède jamais. Une discussion où il avait vu des sourires sur ses lèvres et des larmes voiler ce regard qu'elle a si beau. Une discussion comme eux seuls pouvaient en avoir, sans que personne autour d'eux n'en comprenne le sens. Eux savaient qu'ils étaient importants l'un pour l'autre, et c'était tout ce qui comptait.

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Merci aux merveilleuses rpistes avec qui je joue
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