Armand_le_roumi
Figeac était nerveux.
Il y avait déjà plus de dix minutes que l'histrion qu'il payait à prix d'or aurait du arriver : si jamais son précieux paquet était mis à jour aux yeux de tous, il était perdu.
Trouver un faussaire n'avait pas été une chose difficile pour une crapule aussi retorde que Bastinguet, mais être en possession du sceau Malemort avait été une autre paire de manche et c'est lui qui avait du s'en charger.
Aristote soit louée, elle était trop occupée à son tour du Royaume pour pouvoir l'empêcher de faire quoi que ce soit et l'infirme n'y voyait goutte.
Quant à l'autre...l'autre...qui pavanait avec cette tête creuse de baron...
Son poing se resserra à mesure qu'il repensait au petit médaillon dansant sur sa poitrine offert par l'amant nigaud qui lui avait sans doute promis mont et merveille...
Ho qu'il se plairait à faire souffrir et humilier cette petite garce lorsque le moment serait venu.
Les bottes élégantes de fabrication italienne familière à l'oreille de Figeac se firent entendre...Sans se retourner il demanda froidement
- As tu ce que je veux, Bastinguet ?
--Bastinguet
Rue des artisans, une demi heure auparavant
Une vie entière dédiée à la criminalité rendait certains exercices excessivement facile pour quelqu'un comme Bastinguet, mais paradoxalement, c'était précisément le genre de chose pour lesquelles il était le mieux payé, en particulier par les personnes qui évitaient de mettre eux même les mains dans la fange..
Le spadassin arpenta la rue des artisans et s'arrêta devant la petite échoppe du potier.
Therion Franjus, dit "le Copiste" était un des meilleurs faussaire de Limoges et accessoirement un vaisselier et décorateur de talent.
Lorsque la porte de la boutique s'ouvrit, le petit homme lui tournait le dos, recourbé sur une assiette de porcelaine qu'il signait d'un nom qui n'avait absolument rien à voir avec Therion Franjus.
Immédiatement, il glissa l'objet sous une pile de chiffon et articula d'un ton sévère :
- Si c'est pour la "taxe" mensuelle de la garde, dites au Sergent Crillon que je l'ai déjà payé ce mois-ci et que s'il continue à être aussi gourmand, je pourrais bien révéler comment il a obtenu son certificat d'aptitude à la lecture....
Le spadassin émit un petit rire
- Les affaires marchent on dirait, le Copiste....
L'artisan pivota sur son tabouret et redressa le petit monocle vissé à un cerceau de front qui lui servait habituellement pour son travail, puis grimaça à la vue de Bastinguet
- Depuis quand tu t'intéresse à la porcelaine, Bastinguet ?
Le tueur jeta un pli sur l'établis de Franjus
- Je m'intéresse à tes "autres" services Therion.
Le faussaire grommela en déchiffrant l'écriture, ouvrit la bouche, la referma, pâlit et dit
- Un...faux de..la Malemort ? Je...Non, là ça dépasse mes compétences..désolé trouve toi quelqu'un d'autre
Le spadassin jeta deux bourses pleines sur l'établis que le petit homme repoussa furieusement
- Je me fiche te ton argent, bâtard ! Je risque ma peau ici ! Et en plus pour marier un pauvre gosse avec je ne sais quel arriviste ? C'est hors de question ! Prends ton argent et fiche moi le camps, corbeau de malheur !
Le doigt ganté de Bastinguet caressa une assiette de porcelaine exposé sur une large étagère
- C'est vraiment du beau travail...Fin...Délicat...Ca doit se casser comme un rien ça non ?
Le visage déconfit de l'artisan changea à nouveau de couleur....
***********************************************************************
Appartement du Capitaine de la garde, heure actuelle
- Bien sûr, Messire Figeac. L'homme a accepté de bonne grâce devant votre générosité....
La main du capitaine de la garde se tendit sans même qu'il ne se retourne vers Bastinguet.
Enfin... La petite garce n'avait qu'à bien se tenir, car ses heures de joie étaient comptées...
Armand_le_roumi
En temps ordinaire, Figeac aurait accepté l'insulte avec un air digne de circonstance et un sourire pincé qui aurait ravalé une haine froide mais ô combien brûlante.
Mais presque assuré de sa prochaine victoire contre l'arrogante pintade, il s'inclina avec la plus grande déférence et l'air le plus enjoué du monde
- Tout à fait mademoiselle, c'est avec un plaisir non dissimulé que je me joindrais à vous pour ce voyage...
" Et que je te crucifierai sur place ..." songea t'il en repensant à la lettre du faussaire, qui ne laisserait aucune chance à la gamine et à son crétin de prétendant...
- Si Mademoiselle me permet de disposer, j'ai encore quelques préparatifs à faire pour sa sécurité.
" Et celle de mon héritage" termina t'il pour lui même, tandis qu'il descendait les escaliers avec la gaîté du tigre ayant arraché les deux pattes de sa proie et s'apprêtant au festin
Armand_le_roumi
Le capitaine de la garde balaya son impeccable secretaire du regard.
Sa malle était prête pour le dernier voyage qu'il ferait avec Alienaure en tant que femme libre...
Il ouvrit le petit tiroir qui contenait habituellement sa correspondance et tomba pour y ranger l' "ordre " rédigé par le faussaire et tomba sur la missive qu'il destinait a la Comtesse avant de mettre son plan a exécution...
Citation:
Comtesse,
C'est avec un immense honneur que je viens vous faire une demande solennelle, j'espere que vous prendrez la patience et la reflexion necessaire, vertus qui vous possedez parmi de nombreuses autres, pour lui donner reponse, quelle qu'elle soit.
A votre charge depuis une année déjà, vous savez qu'elle affection je porte a votre nom et aux représentants de votre famille, digne héritière de la tradition aristocratique du Royaume de France.
Vous savez également sans doute que ma lignée est directement liée a celle du Duc d'Arnay par alliance, une des plus prestigieuse famille de Bourgogne.
J'arrive aujourd'hui a l'age ou tout homme qui se respecte se doit de trouver compagne et fonder famille. Par le hasard des choses, il se trouve que votre fille Alienaure vient d'atteindre sa majorité, sans pour autant avoir trouver le moindre prétendant. Sans doute son caractère entier et son esprit audacieux, singulier pour une demoiselle, auront effrayes les nouveaux parvenus et les couard tremblotant de la gentry limousine, mais c'est justement tout ce qui fait le charme de la jeune femme.
La bienséance voudrait que cette énergie soit mise au service de votre nom et je pense sans fausse modestie être le seul a pouvoir lui donner la discipline et l'assurance nécessaire a sa consécration en temps que femme de bien. La tendresse que j'éprouve pour votre fille, couple a la qualité de mon éducation lui permettront de s'épanouir et de jouir d'une position stabilisante au sein de la société aristocratique et de gagner un statut de femme respectable...
C'est la raison pour laquelle, j'ose vous demander officiellement sa main, car je sais que votre sagesse percante et votre experience, mais aussi le coeur aimant d'une mere saura ce qu'il y a de mieux a faire pour le bonheur de sa fille...
Votre devoue
Armand Trieste Louvain de Figeac
Riant interieurement, il ne put toutefois se separer de la missive devenue inutile et la reposa dans le tiroir au cote de sa lettre de victoire.
Le coeur gonfle de l'orgueil du triomphateur, il se dirigea vers les ecuries pour y seller son cheval et s'offrir ce qu'il aimait appeler le "Tour du conquerant".
Armand_le_roumi
La main gantée bloqua la fuite de la jeune fille dans son élan....
Le jeune homme offrit à Alienaure sont sourire le plus cruel et la repoussa légèrement à l'intérieur de la pièce
- Je vois que Mademoiselle s'est vite fait à la nouvelle, que déjà elle vient partager mes appartements...
Repoussant de la main le tiroir légèrement mal fermé, il retourna ses yeux emplis de vice vers la jeune Malemort
- Ce que vous avez pu lire est exact....Que vous le vouliez ou non... Nous serons mari et femme avant même votre départ à Rochechouart.
Inutile de dire que votre idiot de baron n'aura plus l'occasion de vous revoir de sitôt.
Armand_le_roumi
Le triomphant capitaine éclata d'un rire méprisant....
- Ho que non, ma très chère et tendre épouse... Et vous allez subir mille fois ce que vos humeurs de petite fille gâtée m'ont infligé : l'humiliation et le mépris.
Et lorsque j'en aurais assez de vous voir geindre, je daignerais peut-être vous envoyer au couvent pour vous apprendre l'humilité.
Maintenant vous allez être bien sage et écouter votre très chère mère...
Les yeux cruels se posèrent alors sur le petit pendentif représentant la carte du Limousin, que le Baron Trokinas avait offert à la jeune fille quelques temps auparavant.
Les sourcils se froncèrent de rage et sa main tenta de l'arracher avec brutalité, espérant fouler au pied cette dernière insulte...
Armand_le_roumi
La douleur immobilisa quelques temps le capricieux jeune homme, et à mesure qu'elle gagnait son visage tout entier, elle attisa la colère bestiale que ses hommes avaient appris à redouter.
- Petite garce ! Je vais t'apprendre le respect qu'on doit à son futur époux...
Sa main s'appuya quelques instant sur le rebord d'une des chaises de sa chambre et ses doigts s'enroulèrent autours du fouet qu'il utilisait habituellement sur ses jeunes chevaux.
La lanière de cuir se déroula sur le sol et un rictus cruel se dessina sur le visage autrefois angélique du jeune capitaine....
Peu importait qu'elle porte quelques marques que sa robe de mariée couvrirait de toute manière le jour de la cérémonie, la seule chose qui comptait pour lui désormais était l'assouvissement terrible et cruel de sa volonté tyrannique....
Pour un coup donné, mille seraient rendus.
Armand_le_roumi
Voyant la jeune fille fuir, les yeux emplis de terreur, Figeac reprit ses esprits : il ne fallait pas risquer sa victoire trop vite par une erreur malencontreuse. Un domestique aurait tôt fait de parler et de mettre à jour toute l'affaire sonnant la fin de ses espérances.
Il regarda sa main tenant le fouet, et le remit à sa place.
Aliénaure s'était enfermée et ne bougerait sûrement pas de la nuit trop occupée à pleurer sur son sort misérable.
Il passa sa main dans une des barriques d'eau froide pour l'appliquer sur son visage et tenter de masquer la marque de la gifle.
Il était plus que temps désormais de faire les préparatifs de mariage.
La fraîcheur du soir tombant ne semblait pas faire frissonner le jeune homme, qui s'accouda à la fenêtre, un verre de vin fin à la main, les yeux dans le vague, en direction du coucher de soleil automnal, luttant désespérément pour garder sa lueur vivace.