--Jules_
Il y a un lieu à la Cour où l'on ne vit pas. Un lieu où la mort est une réalité. Un lieu qui réunit parfois dans la douleur des gens qui ne se croisent et ne se parlent jamais. Le cimetière.
Les allées se suivent et ne se ressemblent pas. Les mieux argentés possèdent leur épitaphe, les inconnus partagent leur dernière demeure avec des centaines d'autres dans une fosse qu'on ne cesse de rouvrir. Sous la terre disparaissent ceux qui ont fait la réputation de la Cour des Miracles. Sous la terre s'activent les vers qui dévorent les froides chairs avec avidité, seules traces de vie sédentaire dans ce temple de la mort.
Des passants viennent se recueillir. Parfois des pleurs, des cris. D'autres ne sont que des ombres que l'on ne voit qu'une fois et qui disparaissent à tout jamais après avoir savouré leur forfait devant la tombe de leur victime. Mais la plupart du temps, tout n'est que silence, excepté lorsque l'on amène un nouveau pensionnaire de l'éternel qui fait son entrée au cimetière.
Jules y est fossoyeur. Il est jeune, le teint délicatement pâle avec des yeux perçants. Si ce n'était pas la Cour des Miracles on se demanderait pourquoi il est là, ayant plus sa place aux ordres d'un bourgeois avec une telle mine. Mais la mort est tellement séduisante, elle ne parle pas, elle. Mettre en terre une personne a quelque chose de beau pour lui, quelque chose d'émouvant. La mort n'est pas si sombre qu'on veut nous le faire croire, et à la Cour des Miracles, elle est banale.
Parmi les rangs il passe, nettoyant quelques stèles, arrachant quelques mauvaises herbes. Le soir, il lui arrive de s'asseoir à côté d'une tombe et de parler à celui qui l'occupe. Oh, il sait qu'il ne lui répondra pas, mais Jules aime cette proximité. Les morts sont ses amis, et il en prend soin, leur tient compagnie. Il n'a pas d'ami vivant, lui. Il n'a jamais essayé d'en avoir. Les seules personnes en vie à qui il parle sont les taverniers ou les quelques mendiants qui chantent des chansons paillardes à l'entrée du cimetière. Mais il y a tellement à faire, qu'il ne s'attarde jamais à la conversation, hormis avec les visiteurs qui ne l'intéressent que vaguement mais qu'il se doit de saluer en bon fossoyeur.
Il y a un lieu à la Cour où l'on ne vit pas...en apparence.
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