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[RP] Le cimetière des miracles

--Jules_


Il y a un lieu à la Cour où l'on ne vit pas. Un lieu où la mort est une réalité. Un lieu qui réunit parfois dans la douleur des gens qui ne se croisent et ne se parlent jamais. Le cimetière.

Les allées se suivent et ne se ressemblent pas. Les mieux argentés possèdent leur épitaphe, les inconnus partagent leur dernière demeure avec des centaines d'autres dans une fosse qu'on ne cesse de rouvrir. Sous la terre disparaissent ceux qui ont fait la réputation de la Cour des Miracles. Sous la terre s'activent les vers qui dévorent les froides chairs avec avidité, seules traces de vie sédentaire dans ce temple de la mort.

Des passants viennent se recueillir. Parfois des pleurs, des cris. D'autres ne sont que des ombres que l'on ne voit qu'une fois et qui disparaissent à tout jamais après avoir savouré leur forfait devant la tombe de leur victime. Mais la plupart du temps, tout n'est que silence, excepté lorsque l'on amène un nouveau pensionnaire de l'éternel qui fait son entrée au cimetière.

Jules y est fossoyeur. Il est jeune, le teint délicatement pâle avec des yeux perçants. Si ce n'était pas la Cour des Miracles on se demanderait pourquoi il est là, ayant plus sa place aux ordres d'un bourgeois avec une telle mine. Mais la mort est tellement séduisante, elle ne parle pas, elle. Mettre en terre une personne a quelque chose de beau pour lui, quelque chose d'émouvant. La mort n'est pas si sombre qu'on veut nous le faire croire, et à la Cour des Miracles, elle est banale.

Parmi les rangs il passe, nettoyant quelques stèles, arrachant quelques mauvaises herbes. Le soir, il lui arrive de s'asseoir à côté d'une tombe et de parler à celui qui l'occupe. Oh, il sait qu'il ne lui répondra pas, mais Jules aime cette proximité. Les morts sont ses amis, et il en prend soin, leur tient compagnie. Il n'a pas d'ami vivant, lui. Il n'a jamais essayé d'en avoir. Les seules personnes en vie à qui il parle sont les taverniers ou les quelques mendiants qui chantent des chansons paillardes à l'entrée du cimetière. Mais il y a tellement à faire, qu'il ne s'attarde jamais à la conversation, hormis avec les visiteurs qui ne l'intéressent que vaguement mais qu'il se doit de saluer en bon fossoyeur.

Il y a un lieu à la Cour où l'on ne vit pas...en apparence.


_________________
--Mud



Le petit corps niché dans l’ombre attend, il tremble à peine, ne dit rien, frêle oiseau sans avenir.
Enfin passe la peur, le sang croûte déjà à son nez. La beigne ne lui a presque pas fait mal, Mud en a l’habitude, mais la crainte de voir rappliquer une rouée de coup à la suite, avait intimé à ses guiboles de se tailler fissa du coin.
Faut pas déconner, le courage c’est bien… rester en vie c’est mieux.

La silhouette se déroule, toute en guenilles, se redresse, guère plus grande qu’à l’accroupi. Pas encombrant l’animal.
D’elle on ne peut qu’osciller entre féminité ratée et avorton de virilité, l’âge est incertain aussi plus tout à fait enfant, adulte en friche.
Tout n’est que maigreur et crasse sur ce corps là. Ça s’appelle misère, ça colle aux cheveux, aux embruns du regard, ça s’infiltre dans les pores poisseux.
Une créature dégénérée de la Cour. Du 100% pur cru de déchéance et consanguinité.
Bienvenue en enfer.

Le cimetière, ça c’est de la planque !
Normalement.
Les morts ça tape pas…
En général.
La carcasse avance dans une démarche étriquée, inquiète ? Passe les stèles. Frémit.
Les deux billes de charbon glissent sur les lieux, se l’approprient, Mud reste sur ses gardes.
Se faufilent les doigts dans l'épaisse tignasse sombre, alourdie de saleté parasitaire. Les poux, ça gratte toujours.
--Jules_


Et un de plus. Le troisième de la semaine. Les dernières pelletées de terres sont jetées, recouvrent la tombe et enferment à jamais son occupant. L'espace d'une minute, Jules a le regard vague. Comme à chaque fois qu'il met en terre quelqu'un. Celui là il ne le connait pas. Mais enterrer quelqu'un ça fait toujours un petit quelque chose, même quand on est fossoyeur.

C'est l'heure du casse croute. Bosser tout seul, ça creuse. Alors il range négligemment ses outils et commence à parcourir les allées pour rejoindre la rue derrière le cimetière, cette rue où on trouve de tout, à boire, à manger, à se divertir...
Mais au loin, une ombre, fine, fragile, comme image de la mort incarnée. Les étrangers au cimetière qui ne sont même pas des visiteurs, il les reconnaît, il les sent. L'habitude surement.

Il s'avance, lentement, tente de ne pas effrayer la créature qu'il ne peut définir. Sensation étrange de l'inconnu dans un lieu où la surprise n'existe pas. Elle ne doit pas partir, cette silhouette. Peut être peut il être utile. L'utilité pour les morts, c'est tout relatif. Là c'est vivant, du moins, ça le semble, pour combien de temps encore ?

Il est proche, très proche. L'ombre semble agitée. Il est mal à l'aise, parler aux gens sans véritable but, c'est si rare pour lui qui est si opportuniste.


Je peux faire quelque chose pour vous ?

C'est tellement plus simple les morts.
_________________
--Mud



Ploc ! Fait la question qui tombe dans l’oreille et attire le charbon d’iris vers le fossoyer.
Une voix… elle semble velours dans son esgourde déformée par l’orfraie des cris qui l’enveloppent d’accoutume, ça roule délicieusement comme les yeux de la créature qui se pose sur…
Lui…
Instant d’hébétude où la lippe pend. Indécente.

Vous ?
Qui est « Vous » ?
Mud n’a pas l’habitude qu’on emploie un pronom personnel sujet pour lui parler. Et encore moins un « Vous ».
Parfois un « Tu » qui s’égare et encore… c’est un oubli…
Pour l’ombre… les « Dégage ! », les « Casse-toi ! » et autres politesses à l’impératif garnies de points d’exclamations sont légions et lui suffisent.
Alors un « Vous » ça lui en coupe la chique.

Il est beau l’Jules.
Il est beau parce que presque propre et Mud aime ça, « la propreté c’est un peu comme la sainteté, non ? » Veuillez excusez… dans sa tête c’est un peu l’foutoire à connerie… la faute à l’engeance défectueuse.
Les commissures se soulèvent, un sourire, ou ce qui en est le plus approchant –faut pas exagérer c’est de Mud qu’on parle- un peu d’éclat sous la crasse, la jeunesse lui vaut encore des chignoles blanches jetées en vrac dans une bouche aux lèvres sèches.

Voix basse, regard fuyant qu’ont les ombres de la Cour. Une excuse muette à son existence.


On a faim… et les prunelles de dire en se reposant sur lui, bouche scellée « …et on est prêt à faire la catin pour ça.»

Ouais mais pour ça faudrait que l’Jules il ait sacrément la dalle, p’tite chose…
Plus fort bat son palpitant, le carcasse se raidit, se préparant aux coups.
...du sort ?
--Jules_


Crétin. Il n'est qu'un crétin quand il est comme ça. Quand il ne sait pas s'y prendre avec les inconnus. Quand il fait le gars poli alors que la politesse à la Cour des Miracles n'est pas répandue. Il a l'air con quand il entend la voix réclamer à manger.

Il se rapproche, comme pour rassurer. Il ne sait pas quoi répondre. Refuser et se préparer à jeter le squelette ambulant devant lequel il se tient dans la fosse commune dans quelques jours ? Accepter et peut être se retrouver avec un fardeau qui va rompre la solitude dans laquelle il se complait ? Mais il accepte. Il a faim, la silhouette encore plus. Il peut bien faire un effort.


J'ai à manger chez moi. C'est juste à la porte du cimetière, dans la rue là, si y a pas assez à manger pour nous deux j'irais chercher je sais pas quoi à becter en plus. Tu pourras te reposer si tu veux aussi.

Il regarde la créature. Garçon ou fille, il n'arrive pas à le savoir. C'est pas foncièrement important de le savoir, mais il se demande. Pareil, quel âge ? Quel nom ? Il n'en a pas la moindre idée. Il lui demandera si elle accepte de le suivre.

Jules lui tend la main. Il est con encore, à faire ça. Si elle veut le suivre, elle le suit, c'est pas un bébé. Mais il veut que la silhouette lui fasse confiance. Il a pitié. Pourtant des gens avec une allure comme la sienne, y en a plein. Il en a vu, il en voit, il en verra. Mais quelqu'un qui vient se réfugier dans un cimetière, c'était la première fois.

Lentement il fait un pas, puis deux, en direction de la sortie du cimetière. Sa maison est là, pas loin, surplombant le cimetière. Il peut pas s'en séparer de ses morts, il veut les voir. Une maison pas trop moche pour quelqu'un qui est censé gagner si peu. Mais personne ne sait d'où il tire son argent. Et personne ne cherche à le savoir.
Il l'attend. Voir si l'ombre le suit. Peut être qu'elle ne veut pas, qu'elle se méfie. Vu son état ça se comprend. Mais Jules veut l'aider, parce qu'il ne peut pas aider les morts, mais elle, elle est encore vivante, même si à première vue ce n'est pas évident.

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Cerdanne
Près du but…si près…

Epuisée par les chemins parcourus. Epuisée par les traques.
Les faubourgs de Paris ; franchir les portes ; cachée par la cape noire et lourde de crasse… et se fondre dans la foule.
Le seul quartier qui peut la faire disparaitre c’est celui là...

Et le premier endroit auquel elle pense, c’est celui des morts. Les vrais.
Pas bavards eux, et là elle pourrait enfin dormir sur ses deux oreilles.
La Provençale fait le plein de pain et de vin sur le chemin du repos éternel.
Chaparder à la sauvette, encore une fois et s’esquiver comme un ombre.
Fantôme depuis qu’elle a laissé le Béarn derrière elle, elle effleure à peine le sol de ses bottes.

Le cimetière et ses bras tendus vers le ciel.
Elle presse un peu le pas la Brune, et comme une âme en peine elle s’engouffre dans le royaume des morts.
Elle déambule, entre les tombes.
Attend la nuit. Vite, vite qu’elle vienne.

Elle l’a bien vu le fossoyeur…Occupé à son œuvre.
Il lui a même arraché un sourire, tellement elle le trouve précis et méticuleux dans ses gestes.
De loin, oui de loin…il ne doit voir qu’une fine silhouette qui cherche une croix, et qui l’ayant trouvé, prie, agenouillée humblement.

Bénissez-moi carcasse pour tous mes péchés…

De plus près, juste un corps épuisé qui se repose et grignote à la sauvette.
Elle s’est bien gardée d’y tourner le dos à l’enfouisseur de corps.

Un grognement semblable à une plainte s’échappe de ses lèvres pâles.
Le fossoyeur n’est plus seul. Pendant plusieurs minutes, ses yeux ne lâchent plus les deux ombres.
Et entre deux prières à son crouton de pain, elle les voit s’éloigner vers la sortie…
Parfait, elle va pouvoir lever le coude et boire à la santé de celui qu’elle pleure …

Plus que quelques pas pour eux, loin des murs et les pierres vont pouvoir accueillir son dos douloureux.
Plus que quelques heures et la nuit viendra la réveiller…

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Baile
Non, elle n'avait rien à faire à la Cour. C'était évident. Et qui plus est, dans le cimetière des Miracles. Mais il est des moments dans la vie où la raison se doit de renoncer à gouverner un esprit tout sauf rationnalisable, du moins dans la conception traditionnelle de ce mot, et de laisser faire les choses, en allant dans la direction du vent.

Et le vent lui a fait faire un détour. Car Paris revêt pour la jeune capitaine une signification particulière. Paris est à son image, duel. Ou était-ce elle qui se retrouvait dans cette grande cité, où se côtoyaient sans se toucher la noblesse et la lie du Royaume, les chevaliers et les mercenaires, le rouge et blanc qu'elle avait toujours portés en elle?

Peu importait le sens de la ressemblance, le résultat restait le même: elle n'avait concrètement rien à faire dans cette partie de la ville, si ce n'était, au détour d'un passage au Conseil des Ordre Royaux, errer dans les rues de la capitale comme on va en pèlerinage, à la recherche non pas de son passé, mais des sensations perdues volontairement, qu'elle avait retrouvées l'espace de quelques mois au contact d'une brune italienne, mais qui s'étaient délitées lorsque cette dernière avait commencé à perdre contact avec la réalité.

Elle avait sillonné les ruelles, frôlé d'un regard l'enceinte de la Rose Noire, cessé de marcher quelques instants pour se remémorer sa rencontre avec Sad, puis recommencé sa lente progression vers elle ne savait quoi. Ses pas l'avaient délibérément tenue éloignée du quartier du Palazzo. Il valait mieux ne pas remuer certains souvenirs, même lointains, même emmurés.

Pourquoi ne faisait-elle pas demi-tour, pour aller là où on avait besoin d'elle? Pourquoi laisser le doute, l'amertume et la frustration l'envahir tout doucement? Le vent continuait de souffler fort dans sa tête, elle ne voyait rien de ce qui l'entourait, ni les badauds, ni les commerces, et ce n'est que lorsqu'elle en franchit la grille qu'elle réalisa qu'elle se trouvait dans un cimetière. Le soupir qui s'échappa de ses lèvres témoignait discrètement de la relation fusionnelle qu'elle entretenait avec le hasard, ou le destin.

Fallait-il trouver dans sa balade parisienne une signification philosophico-religieuse? Du genre "toute errance mène à la mort"? Elle transforma mentalement l'affirmation existentielle en interrogation plus facile à gérer, et décida d'y trouver réponse en arpentant, l'air de rien, les allées où s'alignaient des tombes on ne peut plus glauques pour quelqu'un qui débordait de vie.

Nonchalamment, elle dépassa sans le regarder un homme qui semblait attendre une silhouette, sur laquelle ses yeux ne s'attardèrent guère davantage. Elle ne cherchait pas à fuir d'éventuelles rencontrer, mais déjà qu'elle n'était pas spontanément attirée par les hommes, tomber sur un dans un endroit aussi morbide ne l'excitait pas plus que cela...

Les mains dans les poches des braies qu'elle portait en certains rendez-vous officiels, elle tira dans un caillou qui vint finir sa parabole sur une stèle un peu plus loin. Le bruit qu'il fit lui parut énorme dans le silence de cathédrale, à peu de choses près, qui régnait sur le cimetière, mais ce jeu puéril la fit sourire. Elle tenait là un élément de réponse à la question métaphysique posée un peu plus haut. Ragaillardie, elle arma un peu mieux son pied pour le deuxième tir, mais cette fois le bruit ne fut pas le même. Depuis quand les tombes grognaient-elles?

Levant la tête, elle plissa les yeux devant la forme agenouillée, quelques croix plus loin, et qui semblait avoir servi de tarmac à son caillou. S'approchant d'elle d'un pas vif, elle débita comme un bouclier un "oups, désolée, j'ai oublié de calculer la vitesse du vent, j'espère que je ne vous ai pas fait mal", puis plongea les yeux dans l'océan tumultueux qui se tourna lentement vers elle.


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I never saw a wild thing feel sorry for itself. A little bird will fall frozen from a bough without ever having felt sorry for itself.
--Mud


[Grain de poussière et gardien des mânes]

« Allez viens, j't'emmène au vent,
je t'emmène au dessus des gens,* »

…Morts, les gens, hein !
Hésitation. Viendra… Viendra pas…
Pour l’instant l’immobilisme fait état chez Mud. C’est l’heure de la réflexion, statu quo sur le nœud cabochard de l’ombre.
Une main. Cinq doigts qui se tendent vers la créature crasseuse.
Ça lui fait un drôle d’effet cette pogne légèrement terreuse qui l’invite à le suivre.
Une silhouette passe ou deux… mais Mud n’a plus que de l’intérêt pour le fossoyeur.
Liant le charbon à l’hyalin, les ténèbres à la lumière, le poignet famélique s’avance jusqu’à cette invitation… les phalanges toutes maigres se posent dans la paume, effleurent la peau.

Étrange sensation qui happe l’hère.
Velours de la prime étreinte, Jules referme son carcan en douceur.
Il n’use pas de force, n’exerce aucune pression sur la menotte hésitante, juste une légère impulsion.
Ce n’est pas dans les habitudes de Mud, ces choses là, ça l’ébranle jusqu’au fin fond de sa tripaille.
Mud en devient proie dans les rets du fossoyeur, la perspective de se rassasier sa panse douloureuse et l’étrange sensation que lui provoque ce contact agréable l’agrippe.
C’est doux… et là est toute la violence.


On vient… On vous suit...

« Et pour vous, mon âme en offrande pour un bout de pain… on a faim »
La silhouette s’ébranle, endosse le rôle de son ombre.
Mud suivra… quoiqu’il advienne cet inconnu. Un loup sous pelisse d’agneau ? Peut-être…



*Louise Attaque
--Jules_


[ La fuite d'un monde vers un autre, ou presque... ]

L'être accepte. Sa main, sa proposition, de venir avec lui. Jules ne veut pas brusquer cette ombre qu'un simple souffle de vent peut emporter à tout moment. La voix de la créature se fait faible, docile, trop peut être. Et lui, il fonce. Prêt à l'aider sans même se demander si Mud ne se joue pas de sa compassion. Des tours de passe passe, il en a déjà vu, mais cette fois, il se fie à son instinct.

Apparemment y a du passage dans le cimetière, mais pour le moment Jules s'en fiche, il reviendra voir plus tard si tout est en ordre. Les pas les rapprochent de la grille du cimetière, cette grille que certains franchissent sans possibilité de retour. Le monde extérieur s'offre à eux, un monde qui n'intéresse pas Jules, un monde que semble fuir la silhouette qu'il accompagne. Quelques pas encore, et sa maison se dresse devant eux. C'est étrange cette maison, elle est sombre, mais elle fait bel effet et surtout, on ne dirait pas qu'elle appartient à un fossoyeur. Mais c'est la sienne.

Il ouvre la porte tandis que la frêle silhouette est toujours à ses côtés. Devant eux un intérieur modeste, quelques meubles, beaucoup de bazar. Un logement d'homme, d'homme seul avec quelques ossements à trainer, ses parchemins en tous genres et ses souvenirs. C'est presque triste là-dedans, mais à la limite il ne fait qu'y dormir. Le cimetière est en face, Jules en reste ainsi le gardien jour et nuit. Et il aime ça.


Assieds toi. Je vais te préparer à manger.

Prendre ce qu'il y a de reste, en faire un gamelle assez consistante et finalement le mettre sous le nez de l'être crasseux avant de prendre place en face de lui. Des légumes, de la viande un peu desséchée et un gros morceau de pain, la plâtrée est généreuse, il est dans son bon jour le Jules.

Ne mange pas trop vite. Tu vas t'exploser le ventre.

Il est doux, il en devient presque niais, mielleux. Mais une fois encore, si la chose devant lui venait à mourir ici, il n'en retirerait aucun bénéfice, alors autant la sauver.
Le fossoyeur tente de détailler le visage, l'attitude, savoir qui se cache sous cette couche de saleté. Un mystère qu'il prend plaisir à essayer de percer. Puisqu'on en est aux actes de gentillesse, autant faire connaissance, ça lui arrive tellement peu d'accueillir quelqu'un chez lui. Des yeux il fixe le sang séché sur son nez et se lance.


C'est quoi ton nom ? Qu'est-ce qui s'est passé ?

Comme si on racontait facilement ce genre de choses à un inconnu, comme si ça avait une importance. Mais lui ça l'intéresse. Il est prêt à héberger s'il le faut, mais il veut en savoir plus, au cas où...
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Cerdanne
" Que vous sert, courtisane imparfaite,
De n'avoir pas connu ce que pleurent les morts ? "..(C.B)


A deux doigts de rejoindre l’entre deux monde…
Mais non !
Même ici, au milieu des grands muets, pas de paix pour la brune.
Les plaies qui avaient rabattues du caquet se mirent à taper toutes en même temps et le grognement de la Provençale visait autant le projectile que la douleur que lui causaient ses blessures.

Mais va gueuler auprès d’un corps battu et fatigué…
Autant rabattre sa fureur sur la silhouette qui se découpait devant son ciel.

Les yeux bleus ne se plissèrent même pas tant l’effort pour redresser sa carcasse fut violent.
Une femme...
Le regard la déshabilla lentement.
Brune, pas vilaine mais pas du quartier.
Rien qu’à voir les fringues. Bien mise, sobre mais soignée.

Qu’est ce qu’elle foutait là celle là…

Mais Cerdanne fuyait depuis trop longtemps pour entendre même la plus petite excuse.
Allez savoir, les moinillons avaient peut être encore envie de bruler une parcelle oublier de son dos…
Le caillou prisonnier de sa main n’attendait plus qu’un geste pour repartir d’où il venait.
Mais même ce geste là coutait.
La pierre pesait entre ses doigts nerveux, beaucoup trop…


Ôte-toi de ma tombe…

Si elle avait bien entendu, celle-ci s’excusait de son geste.
En d’autre temps, elle n’aurait même pas relevé et aurait tourné la tête….
En d’autres lieux, elle aurait mordu avant même d’entendre la phrase. Une pensée la traversa.
Au moins elle était au bon endroit pour en finir….
elle laissa échapper un rire, grinçant et rauque..


Soit tu m’aides à la creuser, soit tu m’arraches à elle…
J’ai soif……..


Le caillou roula entre ses doigts et la Provençale s’écroula contre la croix…
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Baile
[Je vais de chaque chose extraire la quintessence,
Tu me donnes ta boue et j'en ferai de l'or. *]




Les coups de foudre ne s'expliquent pas. Les amoureux le savent, qui répondent "parce que c'est elle, parce que c'est lui", qui ont les yeux qui papillonnent en plein soleil, et le coeur qui s'emballe comme le vainqueur d'un paglio ancestral. Pourtant, le coup de foudre de Baile s'expliquait très clairement, lorsqu'on connaissant sa sensibilité aux premiers mots échangés, ce qui induisait d'une part qu'elle n'était évidemment pas amoureuse, et d'autre part qu'elle devait en être à son soixante-douzième coup de foudre de l'année.

"Ote-toi de ma tombe"… L'esprit en ébullition, le corps sur le point de suivre, la jeune capitaine se laissait étrangement pénétrer par ces quelques mots prononcés d'une voix qui révélait plus que de la lassitude. C'est intéressant comme la mort pouvait avoir parfois un effet aphrodisiaque! Et que c'était jouissif par anticipation de pouvoir clamer à la postérité: j'ai rencontré Cerdanne au détour d'une tombe!

Mais le charme se brisa comme le miroir d'une femme jalouse lorsque claqua le rire à moitié fou. La Baile grimaça en se demandant fugacement si le destin allait toujours la mettre face à des femmes on ne peut plus marginales, mais elle n'eut ni le temps d'approfondir la question, ni celui de répondre à la brune qu'elle n'était ni fossoyeur ni saint-bernard, que cette dernière perdit connaissance.

Oubliant temporairement ses pensées libidinales, la Blanche réagit en femme d'action qu'elle était. Elle tendit les mains avec une fraction de seconde de retard, et ne put éviter à la tête brune de heurter la croix. Eloignant avec quelques précautions le corps inerte de la tombe, elle l'allongea non loin, puis, ôtant la cape aux armes de son Ordre, elle la roula en oreiller sommaire et la glissa sous les cheveux épars.

Pendant quelques instants, elle ne put s'empêcher d'observer ce visage qui semblait dormir. La Baile ne connaissait pas les tourments rencontrés par la jeune femme, mais ils lui avaient visiblement marqué le corps et l'esprit. Soupirant involontairement parce qu'elle aurait préféré ne pas devoir gérer une crise de ce genre dans un cimetière, elle sortit machinalement une flasque à moitié pleine de sa besace.

"J'ai soif", avait dit l'inconnue.

Oui bah je n'ai que ça! Lui rétorqua la capitaine à voix haute.

Se rendant compte qu'elle se parlait à elle-même, elle grogna et ouvrit le flacon qui contenait un reste de calva. Avalant d'abord une gorgée, elle souleva ensuite la tête de la jeune femme et laisse couler entre ses lèvres semi closes un peu de ce liquide. Fascinée par le chemin que traçaient quelques gouttes le long de la joue et jusqu'au cou, elle résista à une terrible envie, presque bestiale, de se pencher et de lécher le calva salvateur.

Consciente in extremis de ce qu'elle allait faire et de l'endroit où elle se trouvait, elle eut peur un instant que la folie ne la guettât à son tour, et se secoua instinctivement pour chasser cette idée. Puis, posant une main qui se voulait chaleureuse sur la joue de la brune mal en point, elle entreprit de la réveiller.

Eh, tu m'entends? Allez, ouvre les yeux! Faut qu'tu reprennes conscience hein? Que j'aille te chercher de l'eau, paske la pomme, mine de rien, ça donne encore plus soif...




* Concordance de temps librement adaptée de deux vers de Baudelaire, avec tout le respect qui lui est dû!
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I never saw a wild thing feel sorry for itself. A little bird will fall frozen from a bough without ever having felt sorry for itself.
Cerdanne
Citation:

[...Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte!
Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe?
Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau! ...
Le voyage. Ch.B.]


La saveur est agréable, tout autant que les perles qui réchauffent ses lèvres glacées.
Elle perçoit des murmures...
Elle ne doit pas être loin du passage…
Instinctivement, espérant que ce geste là retiendrait la chaleur, elle serre le vent chaud qui caresse sa joue …
La pomme…pourquoi elle parle de pomme, la voix ?…Le Styx a des fruits ?…

Pour le coup, elle en tombe de la barque…
Ca tangue en dedans...
Ça tempête même…
Autant se laisser aller au fond …C’est bon. C’est chaud.
Elle en veut encore.


Encore…

Avides d’un air qu’elle a respiré et qui la réveille, ses lèvres s’entrouvrent et laissent échapper un long soupir.
Elle a rêvé d’un ailleurs encore…
Les ombres au dessus d’elle.
Des croix, toujours les mêmes croix qui barrent sa route.
Ou sont ses enfers. Elle les veut, elle les mérite…


Encore !

Quelques gouttes suffirent, à moins que ce ne soit la caresse des doigts fins, en tout cas les yeux s’ouvrent enfin.
La voix est rauque mais le mot résonne clair et net entre elles.
Elle a soif et elle veut encore.
Mais ce visage qui plonge sur le sien. Ces yeux qui brillent de vie…



Tu veux quoi…

Le regard métallique tente de percer l’éclat qui l’éblouit…
Elle maudit sa faiblesse, elle maudit le monde et son regard devient terne. Les doigts s’accrochent aux boucles qui caressent sa peau.
Et serre la chevelure


J’en ai rien à battre de tes envies…
Donne moi les miennes...

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Baile
[Dans les plateaux de la balance, il y a Jésus d'un côté, et de l'autre, il y a mon corps. *]



Le geste, presque enfantin, de la main qui serre le vide dans une semi inconscience la fait sourire malgré l'éventuelle gravité de la situation. Elle retient le réflexe de caresser les cheveux pour rassurer l'endormie, et se contente de lui relever la tête d'une main ferme.

Le calva fait visiblement de l'effet à la jeune inconnue. La bouche reprend vie progressivement et un souffle, affaibli par la distance, frôle néanmoins la peau du visage de la militaire. Elle ne parle plus, elle attend l'éveil du corps et de l'esprit, et verse de nouvelles gouttes entre les lèvres qui s'entrouvrent.

Qu'importe si l'ombre assombrissait encore le regard qui venait d'accrocher le sien: telle une rumeur qui court et que rien ne peut arrêter, la vie reprenait possession d'un bien qu'elle ne voulait plus lâcher au final, et la Baile, aussi forte que Guillaume, participait de cette reconquête. Le mot "encore" résonnant comme une première victoire, elle déclara la trêve du vainqueur, rengaina la flasque et dégaina l'humour.

Je veux quoi... T'es un génie? Tu réaliseras tous les voeux que je formulerai?

Mais le combat n'était pas fini. La main naufragée qui s'agrippait à ses cheveux lui rappela l'état de grande faiblesse dans lequel se trouvait l'inconnue. Reposant alors la tête sur la cape, elle se saisit doucement du poignet qu'elle posa sur l'herbe, puis fouilla vigoureusement dans le capharnaüm de sa besace, et ne dénicha qu'un morceau de pain sans doute vieux de quelques jours.

L'imbibant d'alcool pour le ramollir, elle revint plonger son regard dans l'azur sombre de la blessée. Un instant décontenancée par l'intensité de ce qu'elle n'y lut pas, qu'elle ne fit qu'entrevoir, elle hésita, le pain caressant involontairement les lèvres à nouveau closes. Je veux prendre ton noir et le fondre dans mon rouge. Je veux te perdre dans mon blanc et t'offrir le pourpre du désir. Tu peux rester ombre si tu me vois lumière, mais je veux goûter à ta folie parce que ma raison est bien terne.

Je veux casser la croûte avec toi, pardi. Ce n'est pas tous les jours qu'on pique-nique au bord d'une tombe hein?

Elle reprit le fragile poignet entre ses doigts, son pouce glissant sur la peau jusqu'à écarter les siens, afin qu'elle pût déposer dans la paume son offrande amidonnée.

C'est certainement moins bon que du pain et du vin, m'enfin mange-le, tu ressusciteras pareil, tu verras…





* Boris Vian.
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--Mud


[Maison dans l’Allée des Allongés]


Une maison c’est un foyer.
Un nom bien doux pour désigner un espace confiné entre quatre murs, supplanté d’un toit parfois fuiteux sous la pluie.
Des fenêtres en balade, incertaines trouées qui laissent apparaître du jour.
Un pan de bois à double tranchant, la porte, qui sert autant à se protéger du dehors, qu’à séquestrer la liberté dedans.
Un petit temps hésitant sur le pas de l’entrée, ne pas savoir le cas de figure qui va s’offrir à Mud.
Sécurité ou claustration ? Qu’est-ce qui t’attends dans l’antre du fossoyeur petit être ?
Mais Mud est loin de se poser ce genre de question, le ventre a faim et le ventre commande.

Avidement, les billes charbonneuses arpentent le relief intérieur, s’en imprègne de toute sa curiosité. Des maisons, Mud ne connait que la sienne, vague souvenir déjà périmé dans sa tête et il y a bien plusieurs lunes que ses pieds n’y sont allés.
Faut dire que la mère-génitrice-de-déchets-humains n’était pas des plus aimantes. Là-bas ou dehors c’était tout pareil.
Oui maman n’voulait pas d’une tare et l’a chassée à coup de balais.
Ni la carrure et l’habilité à rapiner de ses frères, ni les atours et appas de ses sœurs.
Rien.
Encore une fois, Mud est entre deux eaux, et ne sert à qu’dalle.

La créature fait comme demande le maître des lieux, docile la bête, peu contrariante, à se demander si Mud sait se rebiffer.
Jules a dit de s’assoir… Mud s’assoit.
Jules a dit de ne pas manger trop vite… Mud grimace mais obéit et refreine la cadence d’empiffrage.
Jules a dit : c’est quoi ton nom ? Qu’est ce qui s’est passé ?
Oulà Jules, deux questions c’est trop pour la pauvre caboche ourlée de tifs sombres.
D’ailleurs le regard tout noir se pose sur son amphitryon, et le masticage s’arrête, moue interrogatrice avant de lâcher :



Mud


Ça tient plus du borborygme que du nom.


Ça ? Désigne son pif crouté avec une ses phalanges crasseuses. C’est l’marchant d’pommes… ou celui du pain qui sait !


Ça piaille pas beaucoup c’t’animal là, ça a plus l’habitude de rester coi, pourtant entre deux bouchées, une question tombe :


C’est quoi ça ? Un doigt pointe un des parchemins qui jonchent la pièce. C’est beau.


C’est prouvé, même les spécimens les moins évolués de l’engeance humaine qui se traînent au pavé ont une âme d’artiste perdue au fin fond de l’esprit.
--Jules_


[ Sombre paradis ]

« Mud ». Ce nom résonne étrangement aux oreilles du Jules. Pas féminin, pas masculin. Entre deux eaux. Le mystère continue de planer. Mais il n'insiste pas et fronce les sourcils en écoutant ses explications. La vie dehors est dure, encore plus pour ceux qui n'ont rien. Mud n'a apparemment rien, juste ses mots pour s'exprimer. L'être n'est pas bête. L'être est humain et s'intéresse même à ce qui, pour Jules, relève de l'inintéressant. Il se lève, prend ledit parchemin et lui apporte. La créature ne sait probablement pas lire, mais qu'importe.

C'est une sorte de...rapport. J'en fais à chaque fois que j'enterre quelqu'un, au cas où un jour on vient m'demander si j'aurais pas enterré telle ou telle personne. Ça servira probablement jamais mais bon...

Il s'assoit à côté de Mud,et parcourt les lignes avec son doigt comme pour lui montrer même si c'est surement inutile. De plus près il voit encore mieux toute la crasse que Mud porte comme un fardeau sur ses fines épaules. Alors il se lève, va un peu plus loin en direction d'un seau d'eau propre laissant son triste hôte seul à sa table. L'eau est mise à chauffer tandis que dans un placard il farfouille. Il en sort un vieux linge et une longue chemise qu'il ne porte plus depuis longtemps et les pose sur un bout propre de la table. La bassine d'eau les rejoint deux minutes plus tard et, retournant s'asseoir à côté de Mud, il trempe le linge dans l'eau et s'aventure à le déposer sur le frêle visage pour le nettoyer.

Tiens...ça te fera du bien. Trempe le linge souvent dans l'eau, pour enlever la saleté...

Il lui montre. Comme si Mud n'avait jamais fait ça. Jules sait que ce n'est pas le cas, mais il le fait. Ça lui fait bizarre de s'occuper de quelqu'un, c'est presque agréable. Il n'a pas l'habitude mais il tente de bien faire. Du bout de l'index il désigne la chemise soigneusement pliée, sage sur son bord de table.

Après tu pourras passer ça si tu veux. T'peux rester ici si l'envie t'en dit, ça va pas m'déranger, de toute façon y a personne d'autre que moi et mes parchemins ici.

Et quelques rats parfois, mais ça y en a partout à la Cour des Miracles, lui même est un rat en son genre...
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