Beatritz
Saint-Gilles... C'était aux Comtes de Toulouse jadis, mais où était-ce ? La jeune fille n'avait pu tout apprendre, dans ce cloître comtois qui lui avait tenu lieu de pouponnière. Un Comte. C'était bien, c'était même parfait. Cela n'imposerait pas à Béatrice de Castelmaure de renoncer à lui parler, ni ne l'obligerait à trop de déférence.
Il lui raconta Sa Seigneurie son feu père, le Rusé, c'était vrai... Un jour aussi, elle aurait un nom, et tous sauraient, par cette épiclèse seule, qui elle était.
Cette voix l'enjôlait - et ces mots, surtout, rappelèrent à elle d'évanescents nuages de sons, d'interjections, de masques et de capuchons. Une nuée artésienne, une chambre noire. Elle venait de comprendre que si l'épée était à droite, ce n'était pas qu'il était droitier ; mais bien qu'il la tirait de la main gauche.
Hasard ? C'était bien dur à dire. Elle savait où semblable voix avait trouvé le chemin de son oreille ; c'était une nuit bercée par la lune. Mais le visage de cette nuit-là, elle savait l'avoir vu - mais ne se le rappelait plus. C'était, alors, trop rapide, trop ensommeillé.
Une idée avait germé en son esprit. Mais elle aimait l'expectative - surtout lorsqu'elle la provoquait. Ayant suivi le regard du Comte de Saint-Gilles, elle dit alors :
-« Tout cela est très intéressant... » D'un geste de l'index - un index velouté, un index ganté - elle remonta une boucle, celle qu'elle avait héritée de Sa Seigneurie feue sa mère, qui lui tombait sur la tempe. « Mais nous devons vous laisser un instant. Vous nous attendrez, n'est-ce pas ? C'est que nous avons notre devoir à faire... Et l'accalmie présente est propice. »
Petit geste du poignet, et ses suivantes l'accompagnèrent, légèrement en retrait, jusqu'au trône comtal ; en marchant, elles évitèrent les immondices qui jonchaient le sol, et les dames de parage ne manquèrent pas de soulever la lourde robe à tassel bordée de vair de leur maîtresse, afin qu'elle ne se salît point.
Devant le Comte, elle consentit à lever les yeux - elle, la Duchesse, fille des deux Pairs défunts ! et énonça d'une voix gonflée d'une assurance toute feinte :
-« Nous, Béatrice de Castelmaure, fille aînée et légitime de feues Leurs Seigneuries Charles de Castelmaure, dit le Rusé, dit aussi le Chevaleresque par Sa Seigneurie Cardinal de Beaujeu, et Lhise de Tapiolie, dite Lhise aux mains blanches et aux yeux couleur paradis par Sa susdite Seigneurie de Beaujeu, Duchesse de Nevers, Comtesse du Lauragais, Vicomtesse de Chastellux, Baronne de Chablis et de Laignes... »
Elle s'accorda une respiration avant de poursuivre.
-« Prêtons ce jour devant vous, Natale Dario d'Ibelin, Comte de Toulouse, serment d'allégeance pour les terres du Lauragais, aussi appelées terres de Laurac le Grand.
Nous vous devons, comme votre vassale, conseil, aide et fidélité. »
Et elle fit peser sur lui son regard électrique.
_________________
Il lui raconta Sa Seigneurie son feu père, le Rusé, c'était vrai... Un jour aussi, elle aurait un nom, et tous sauraient, par cette épiclèse seule, qui elle était.
Cette voix l'enjôlait - et ces mots, surtout, rappelèrent à elle d'évanescents nuages de sons, d'interjections, de masques et de capuchons. Une nuée artésienne, une chambre noire. Elle venait de comprendre que si l'épée était à droite, ce n'était pas qu'il était droitier ; mais bien qu'il la tirait de la main gauche.
Hasard ? C'était bien dur à dire. Elle savait où semblable voix avait trouvé le chemin de son oreille ; c'était une nuit bercée par la lune. Mais le visage de cette nuit-là, elle savait l'avoir vu - mais ne se le rappelait plus. C'était, alors, trop rapide, trop ensommeillé.
Une idée avait germé en son esprit. Mais elle aimait l'expectative - surtout lorsqu'elle la provoquait. Ayant suivi le regard du Comte de Saint-Gilles, elle dit alors :
-« Tout cela est très intéressant... » D'un geste de l'index - un index velouté, un index ganté - elle remonta une boucle, celle qu'elle avait héritée de Sa Seigneurie feue sa mère, qui lui tombait sur la tempe. « Mais nous devons vous laisser un instant. Vous nous attendrez, n'est-ce pas ? C'est que nous avons notre devoir à faire... Et l'accalmie présente est propice. »
Petit geste du poignet, et ses suivantes l'accompagnèrent, légèrement en retrait, jusqu'au trône comtal ; en marchant, elles évitèrent les immondices qui jonchaient le sol, et les dames de parage ne manquèrent pas de soulever la lourde robe à tassel bordée de vair de leur maîtresse, afin qu'elle ne se salît point.
Devant le Comte, elle consentit à lever les yeux - elle, la Duchesse, fille des deux Pairs défunts ! et énonça d'une voix gonflée d'une assurance toute feinte :
-« Nous, Béatrice de Castelmaure, fille aînée et légitime de feues Leurs Seigneuries Charles de Castelmaure, dit le Rusé, dit aussi le Chevaleresque par Sa Seigneurie Cardinal de Beaujeu, et Lhise de Tapiolie, dite Lhise aux mains blanches et aux yeux couleur paradis par Sa susdite Seigneurie de Beaujeu, Duchesse de Nevers, Comtesse du Lauragais, Vicomtesse de Chastellux, Baronne de Chablis et de Laignes... »
Elle s'accorda une respiration avant de poursuivre.
-« Prêtons ce jour devant vous, Natale Dario d'Ibelin, Comte de Toulouse, serment d'allégeance pour les terres du Lauragais, aussi appelées terres de Laurac le Grand.
Nous vous devons, comme votre vassale, conseil, aide et fidélité. »
Et elle fit peser sur lui son regard électrique.
_________________