Vittoria
Les mains jointes et le regard fixé sur les reliques de lautel, seules les lèvres se meuvent pour quelques prières. Elle demande elle se confie elle se mure dans un deuil quelle navait pas vu venir et quelle aurait préféré éviter. Mais Noblesse oblige. Cest une question de dignité, déthique ou de ce que vous voudrez. Pourtant une certaine peine laccompagne : elle lappréciait bien après tout. Il navait pas été le meilleur des maris, ni le pire dailleurs. Tout comme à elle, on lui avait annoncé un beau matin, quil se marierait à la fille dune riche famille italienne parce quil fallait nouer des alliances et que cétait ainsi la vie. Les deux jeunes gens fraichement sortis de cette période charnière entre lenfance et le monde brute des hommes, durent sunir dans lacceptation la plus absolue et sengager à tenir comme il se doit, ce mariage arrangé.
Ledit mari avait été souvent absent, mais cela ne lavait jamais affecté véritablement. Le respect mutuel avait été la base de leur union, et cétait bien suffisant. Alors lorsquelle avait reçu la lettre du médecin de famille des Di Campiglio, annonçant la mort brutale de son époux, elle sétait sentie à la fois bouleversée et abandonnée. Alessandro avait mentionné dans son testament quil désirait être enterré en la demeure familiale du Maine et cest ainsi, que Vittoria sétait rendue en Italie, afin daller y chercher sa dépouille, un mois après le décès.
Alors quelle achevait ses prières, Vittoria tendit loreille lorsquelle perçut des pas derrière elle. Elle se releva doucement de son prie-Dieu et fit face à lhomme qui sétait rapproché delle :
« Mon Père »
La jeune femme sinclina respectueusement puis recouvrit délicatement son visage, de son voile noir légèrement transparent :
« Mon enfant quelle terrible nouvelle ai-je appris. Jaurais préféré que nous nous revoyions dans dautres circonstances. Que le Très-Haut vous vienne en aide et vous épaule dans cette épreuve, chère Vittoria Puis-je vous demander de quoi est-il mort ?... »
« Dysenterie »
Et ce sera tout. Car bien sûr elle nallait pas partir dans les explications diverses. Elle nallait pas exposer les conclusions que le médecin ne lui avait pas épargné. Lui décrire quon ne peut pas transporter un corps qui a succombé à la dysenterie pendant plusieurs jours, de crainte de répandre linfection dans les villes et même de contaminer ceux qui se charge de ramener le corps. Lui décrire qualors, pour transporter la dépouille, on devait préalablement faire bouillir le corps découpé en morceaux dans du vin chaud épicé, dune part pour recouvrir lodeur nauséabonde mais dautre part parce que ce vin à la vertu de détacher la chair infectée du squelette. Lui décrire quenfin, elle devra se contenter de ramener un tas dos en France dans une boite. Oui voilà cest ça être noble et mourir de dysenterie : cest finir cuit comme un bout de viande et être ramené à larrière dune charrette parmi les malles de la jeune veuve.
Le prêtre lavait regardé longuement en comprenant tout le courage dont Vittoria faisait preuve. Ils se dirigèrent tous les deux vers la porte de léglise :
« Jai entendu dire que la jeune sur dAlessandro, allait vous accompagner durant votre retour. »
« Cest exact. Mon cher beau-frère est prêt à laccueillir et moi impatiente de la connaitre. »
Lhomme déglise sourit doucement et prit les mains de la jeune femme :
« Je vous vois encore toute petite mon enfant. Vous avez bien grandi, et vous êtes une femme exemplaire et digne de votre rang. Que le Très-Haut vous bénisse. »
Elle sinclina de nouveau pour lui témoigner toute sa gratitude et suivit du regard lhomme séloigner delle. Elle resta un instant sur le parvis de léglise à observer autour delle : ses pensées devenaient soudainement confuses. Elle devait rejoindre sur le champ la famille di Campiglio en leur villa. Quelques affaires à régler, de la paperasse, la « boite » à récupérer. Pour la première fois, son ventre se nouait. Pour la première fois, elle aurait voulu crier. Hurler un peu. Vous voyez, les trucs quon na pas le droit de faire dans ce genre de familles. Crier un peu comme ces épouses trompées lorsque le mari a fait un truc moche avec une autre et que le père passe derrière parce quon naime pas ça dans les bonnes familles.
"Jusquà ce que les liens sacrés du mariage vous séparent "
Ces mots résonnent encore dans sa tête et on pourrait croire dès lors que tout sarrête lorsque la mort décide dintervenir. Mais non, un mariage cest aussi épouser la famille de lautre et en loccurrence, elle était chargé de ramener la jeune Di Campiglio en France. Vittoria navait plus quà espérer que le retour soit plus agréable que laller