Else
Début de soirée de juin, proche Vannes. Un bataillon confus de paysans usés et de charrettes lasses se traîne vers les portes de la ville ; au bord du chemin, deux voyageurs poussiéreux se sont associés à la procession.
Et la blonde, pour changer, est d'humeur massacrante.
- Sem ? Allez donc nous trouver une auberge, je vous rejoindrai.
- Où allez-vous donc ?
- Me promener. B'soin d'air.
- Oh. Je pourrais vous accompagner, si...
- Et qui donc nous trouverait un endroit où dormir ? Puis vous êtes épuisé, ça se voit.
- Mais...
- Pas de mais ! Oust... Je vous retrouverai bien. A tantôt.
Et sans laisser à son interlocuteur une chance de répliquer, Lisabeth tourne les talons et entreprend de remonter le courant.
Aimable, non ?
***
Quelques minutes plus tard, côte du Vannetais. Les derniers rayons du soleil se brisent en mille éclats contre la surface houleuse de locéan. Au bord, sur un lit de roche de moyenne hauteur, la lande à bruyère étend son velours démeraude et de pourpre frémissant sous la caresse du vent du large. La pierraille y perce par endroit, jaunâtre dans le crépuscule. Un sentier presque invisible serpente entre les reflets chatoyants pour venir dérouler son ruban accidenté à flanc de côte.
Depuis la mer, un pêcheur attardé pourrait apercevoir la silhouette brune et nerveuse dune jeune femme. Le gravier de la sente crisse sous ses talons conquérants, le vent balaie ses boucles, sifflant à ses oreilles une complainte froide qui s'engouffre dans son crâne et apaise lincendie qui n'en finissait plus d'y brûler.
Car cest bien là ce quelle est venue chercher. Le délassement. La paix de lesprit. Le baiser du monde sur son front lourd.
Le remède est efficace : lorsquune mèche de cheveux, soulevée par une bourrasque, vient laveugler, elle éclate de rire. Vous savez combien de fois par décennie ça arrive, ça ? Le départ précipité de Lys, la naissance de son neveu, tout est inoffensif pour une seconde...
Mais le rire sétrangle dans sa gorge.
Car soudain, sous ses pieds, la caillasse se dérobe.
Sefface.
Disparue.
Plus rien.
En un instant, son corps se fait plus lourd quil na jamais été, submergé par une force monstrueuse surgie de labîme qui sest ouvert, qui lagrippe, qui la lie, la précipite, elle sent son cur résister vainement, remonter dans sa poitrine jusquau bord des lèvres inutiles, figées, incapables de hurler dhorreur. Ses doigts se tendent convulsifs, comme pour rattraper la seconde déquilibre, envolée déjà, on ne revient pas en arrière, et sous elle le vide qui lappelle, le noir, les flots peut-être, où sengloutir, ou la possible pierre sur laquelle, possiblement, son crâne blond viendra exploser, sur laquelle il explose déjà, douleur fulgurante, limage brûle par les bords
Noir.
Et la blonde, pour changer, est d'humeur massacrante.
- Sem ? Allez donc nous trouver une auberge, je vous rejoindrai.
- Où allez-vous donc ?
- Me promener. B'soin d'air.
- Oh. Je pourrais vous accompagner, si...
- Et qui donc nous trouverait un endroit où dormir ? Puis vous êtes épuisé, ça se voit.
- Mais...
- Pas de mais ! Oust... Je vous retrouverai bien. A tantôt.
Et sans laisser à son interlocuteur une chance de répliquer, Lisabeth tourne les talons et entreprend de remonter le courant.
Aimable, non ?
***
Quelques minutes plus tard, côte du Vannetais. Les derniers rayons du soleil se brisent en mille éclats contre la surface houleuse de locéan. Au bord, sur un lit de roche de moyenne hauteur, la lande à bruyère étend son velours démeraude et de pourpre frémissant sous la caresse du vent du large. La pierraille y perce par endroit, jaunâtre dans le crépuscule. Un sentier presque invisible serpente entre les reflets chatoyants pour venir dérouler son ruban accidenté à flanc de côte.
Depuis la mer, un pêcheur attardé pourrait apercevoir la silhouette brune et nerveuse dune jeune femme. Le gravier de la sente crisse sous ses talons conquérants, le vent balaie ses boucles, sifflant à ses oreilles une complainte froide qui s'engouffre dans son crâne et apaise lincendie qui n'en finissait plus d'y brûler.
Car cest bien là ce quelle est venue chercher. Le délassement. La paix de lesprit. Le baiser du monde sur son front lourd.
Le remède est efficace : lorsquune mèche de cheveux, soulevée par une bourrasque, vient laveugler, elle éclate de rire. Vous savez combien de fois par décennie ça arrive, ça ? Le départ précipité de Lys, la naissance de son neveu, tout est inoffensif pour une seconde...
Mais le rire sétrangle dans sa gorge.
Car soudain, sous ses pieds, la caillasse se dérobe.
Sefface.
Disparue.
Plus rien.
En un instant, son corps se fait plus lourd quil na jamais été, submergé par une force monstrueuse surgie de labîme qui sest ouvert, qui lagrippe, qui la lie, la précipite, elle sent son cur résister vainement, remonter dans sa poitrine jusquau bord des lèvres inutiles, figées, incapables de hurler dhorreur. Ses doigts se tendent convulsifs, comme pour rattraper la seconde déquilibre, envolée déjà, on ne revient pas en arrière, et sous elle le vide qui lappelle, le noir, les flots peut-être, où sengloutir, ou la possible pierre sur laquelle, possiblement, son crâne blond viendra exploser, sur laquelle il explose déjà, douleur fulgurante, limage brûle par les bords
Noir.