--.beatrice.
La baronne Béatrice de la Chapelle-Taillefer avait déjà atteint un âge respectable pour l'époque, à savoir 36 printemps, et bon nombre d'enfants. Le baron, lui, était mort depuis belle lurette, d'une chute de cheval en lice, le pauvre homme. Lui qui avait guerroyé tout son saoul de par les Royaumes avait eu un accident imbécile à Gueret, lors des fêtes d'été d'on ne savait plus quelle année. En réalité, la daube parfumée au laurier-rose** l'avait tant incommodé qu'il était tombé. Le crime parfait.
Ainsi il ne la violenterait plus, c'était déjà ça de gagné.
Depuis, les enfants avaient grandi (ou étaient morts pour les moins résistants) et Béatrice se retrouvait seule dans son grand domaine vide et sonore. Des tentures seraient du meilleur effet, et des coussins, des coffres, des tables de festin. Au lieu de tout cela, il n'y avait que dalles froides et fuites dans le toit. Seules la cuisine était encore chauffée l'hiver, et la chambre de madame avait encore bonne mine. Le reste était creux et triste.
En passant, elle vida dans la cour un seau qui débordait allègrement sur le sol de la grande salle, puis le replaça sous les plus grosses gouttes. Cela devait passer par le plafond d'une des chambres, il faudrait monter voir. Il faudrait payer un charpentier. Il faudrait ... tant de choses. Mais pour l'instant, il faudrait surtout descendre au village et négocier le blé pour son moulin. Le meunier était parti depuis l'an dernier, faute de paiement. Mais désormais, elle savait faire cela aussi.
Elle accrocha une bourse sous ses jupes, se couvrit d'une épaisse cape de laine bleue, rabattit sa capuche sur ses longues boucles brunes, et affronta la pluie battante, à pieds.
Le temps finirait bien par se lever.
*"N'oublie pas ce qu'a dit le médecin : cinq gouttes. La posologie ça s'appelle. Et de la posologie au veuvage, c'est une question de gouttes." (Audiard)
**toxique