--Judas
Tout commence dans un regard. Tout s'exprime dans un regard. Masculin et chaud, pourtant muet et froid, celui dans lequel on ne sait que lire. La prunelle sombre court sur l'abrupt d'une marmoréenne sépulture, elle semble la caresser avec précaution, avec attention. Lèvres closes, poings fermés. Les cloches ne sonnent plus, la cathédrale s'est tue. Les cimes de ses citadelles se découpent sur ce duo mi homme mi roc, sur les visages figés des statues aux lichens bleus dans lesquelles celui de Judas semble se fondre. Mutique et interdit, il se tient trop droit, il se tait trop fort. Mâle jusque dans sa façon de respirer, mal jusque dans ses tempes qui se crispent et se radoucissent au fil de sa contemplation. Il est là. La rangée de crin sombre s'élève aux cieux, coiffant ses yeux d'une auréole étrange.
Sa cape vient balayer le sol et ses feuilles mortes, cette terre où la grande faucheuse a semé ses ouailles, avec ses cloches de malheurs, ses messes et ses glas. L'homme fit volte face, crachant sur le lit de pierres. Inébranlable, il l'était ... Jusqu'à ce qu'elle vienne comme un vers le ronger par dedans. La rancoeur. Etouffée soigneusement sous la carrure, dissimulée sous l'allure, maquillée avec droiture... Il avançait avec la rage des écorchés, l'amertume des volés. Raclure, animal de luxure Marchand d'esclave et de poisons, nul ne savait bien d'où il tirait ce nom d'opprobre ni d'ailleurs si ce n'était qu'un simple sobriquet d'affaires. Caresse d'une main, torture de l'autre, c'était cette inconstance qui le caractérisait le mieux. Judas. Silencieux Judas.
Etre d'apparences, ganté ou chapeauté, toujours le pas sûr et ces airs de ceux qui ne disent pas tout. On parle pour lui, on se l'invente. Lui créer des maitresses, des méfaits et des mots, tel était le passe temps de sa cour étrange. Ni sage, ni de bonne vie. Qui pourrait penser qu'il fut né dans cette cathédrale? Lui qui portait la croix et qui n'avait pour baptême que celui de l'eau de pluie... On le dit déraisonné, on observe ses humeurs lunatiques avec un sourire amusé, on l'évite et pourtant le sert. Judas.
Bon grivois, il se mêle aux gueux et à leurs moeurs dérangeantes, boit aux mamelles des exilées pour rentrer au petit matin, toujours sobre et silencieux dans ses draps de soie, près d'un corps a sculpter de ses lippes volages. Lorsqu'il sourit aux passantes, on le croirait anonyme. Pourtant dans son dos persistent les murmures qui lui arrachent un fin rictus, misogyne. Homme de peu, de pouvoir ou de discorde , finalement qui peut se vanter de connaitre la bête ... Si ce n'est celle qui partage sa couche.
Au passage de sa monture nerveuse, les grilles de sa demeure se sont ouvertes timidement. La pluie d'une fin de journée entre chien et loup s'est abattue sur ses épaules, ruisselant le long de ses cheveux bruns. Cette nuit marque la fin d'une époque; il n'ira plus poser les yeux sur le monument. A trop se remémorer ses erreurs on finit par courber l'échine aux dieux des faibles.