Adriendesage
L'aube était humide à Escoeuilles. Le jour pointait, gris et trempé par une pluie qui ne cessait pas depuis trois jours. C'était une de ces pluies interminables, qui, accompagnées par des vents froids et capricieux, vous trempent jusqu'aux os et vous font connaître douloureusement des parties inconnues de votre corps. Folie que cette pluie en plein mois de Juillet, c'est ce que pensait rageusement le cavalier qui venait de mettre pied à terre devant la porte d'une vieille batisse du village. Il tenait par la main, une fillette blonde et frêle, aux épaules voûtées par trop d'efforts et cela lui donnait l'aspect d'un épi d'avoine bien mûr. L'enfant n'avait pas l'air autant contrariée par le temps maussade que son viril accompagnateur, qui se pelotonnait sous une capuche d'un tissu épais, gris et grossier. C'était comme si le ciel du Boulonnais avait lui-même enveloppé cet homme là pour lui faire un cafardeux manteau.
L'homme frappa vigoureusement le bois de la porte et, d'une voix puissante, chantante et chaude, lança dans un français à l'accent mal assuré:
"Ohé la chaumière! La fille de la maison est à la porte!"
La porte s'entrouvrit et une grosse figure d'homme hébétée apparu dans l'embrasure. L'homme était grand, large, hirsute. Il avait des traits fins, que le temps et l'âpreté de la vie avaient burrinés, lui donnant l'aspect d'un vieux bouleau à l'automne. Il y eut quelques effusions diverses, la fille retrouva son père et le père retrouva une bouche et un ventre de plus.
On proposa au voyageur un peu de lait chaud et un tabouret au coin du feu, mais il refusa cordialement. Il demanda simplement la route d'Alquines, où il devait se rendre prestemment. On lui indiqua cordialement pendant qu'une grosse dame -sûrement la mère- donnait du grain à son cheval. On ne chercha pas plus à retenir le cavalier, ni ces paysans là, ni aucun autre curieux du village qui avait ouvert sa porte sans se préoccuper de la pluie qui tombait encore bien dru.
Qu'était-ce en fait que cet homme là, qui n'était visiblement pas du pays? Il fallait pour en deviner quelque substance, avoir vu à sa taille le pommeau doré et brillant qui avait dépassé de sous son sale manteau, lorsqu'il s'était hissé en selle. Et il fallait avoir vu sur ce pommeau, sertie dans le métal, la croix qui frappait les armoiries du comté du Languedoc.
Adrien Desage - c'était son nom - tenait cette lame d'Enduril de Noumerchàt, au temps où elle fût comtesse régnante du Languedoc.
Sur ses terres natales, Adrien Desage était l'Hibou du Vivarais, le baron de Crussol, l'ancien général des armées comtales, une épée crainte et respectée.
Que diable venait-il foutre dans cette galère? Adrien avait accompagné Actarius d'Euphor, un languedocien bien plus illustre car Pair de France et jusqu'alors Grand Chambellan de France. Ces deux hommes là étaient des amis comme parfois l'amitié peut se faire fraternité. Ils avaient avec leur compagnie traversé le royaume de France du Sud au Nord, à la recherche d'aventures, mais n'avaient trouvé que débacle. Leurs quelques compagnons avaient soit péris, soit s'étaient arrêtés en route. Et Nanelle d'Euphor, l'épouse du vicomte du Tournel, avait péri suite à une attaque de brigands. Après une longue halte en Normandie, les deux compagnons étaient redescendus au Mans, à l'appel du Maine contre les armées du Ponant. Une guerre s'ouvrait, c'était l'aventure tant cherchée qui débutait. A d'autres, le coeur aurait faillit face à de grands périls annoncés. Mais c'étaient là des coeurs d'Oc et deux parmis les plus vaillants. Il n'y avait guère plus entiers et brûlants que les caractères d'Actarius et d'Adrien. Fiévreux et passionné, Adrien Desage était un digne fils du Languedoc et il transpirait sa terre natale depuis les ongles jusqu'au bout de ses cheveux - qu'il avait d'ailleurs assez longs.
Au Mans, Actarius avait trouvé un costume tout neuf, splendide, mais cher... Et il fallait qu'il honore sa dette. Comme il y avait avec eux Mélisende d'Euphor, la fille du vicomte, Adrien s'était proposé pour remonter le prix des vêtements jusqu'en Artois, maudissant secrètement tant de coquetterie. Il avait trouvé en chemin, dans une taverne d'Hesdin, une fillette qui était venu vendre deux boeufs de son attelage, mais qui avait bêtement vendu les trois, restant ainsi avec une charette sans boeufs et nul moyen de retour. C'était cette fillette qu'il venait de remettre à ses parents.
Il est ainsi aisé de comprendre le malaise qui rongeait le baron de Crussol, emprisonné dans la grisaille, le froid, la pluie et l'interminable plaine du Boulonnais. Quand il était habitué au grandes tempêtes ou aux impitoyables sécheresses, il était éprouvé par une pluie ni violente, ni douce. Quand il chevauchait d'ordinaire sur des crêtes accidentées, il trouvait là une plate étendue, qui lui semblait éternelle...
"Mordious, ce pays ressemble à une table de négociations!" maugréait-il en sortant d'un bois touffu pour se trouver dans un vaste champs de blé.
"N'Y A-T-IL RIEN D'AUTRE QUE DU BLE ET DES BOIS DANS CETTE CONTREE?!" cria-t-il en levant le poing vers le ciel.
La pluie redoubla de vigueur...
En milieu de journée, après avoir bivouaqué dans un énième bois, il arriva enfin dans un village aux maisons groupées comme celui d'Escoeuilles. Et lorsqu'un passant lui annonça qu'il se trouvait à Alquines, il se balança en arrière et s'étendit sur la croupe de son cheval, de joie et de soulagement.
"Mercè meu amic! Plan mercè!" s'exclama-t-il, les bras levés au ciel.
Le passant n'entendit rien à son charabiat, mais loucha sur l'hibou d'or qui ornait la tunique verte du cavalier. En se couchant en croupe, ce dernier s'était découvert de son manteau gris et laissait ainsi paraître vêtements et épée.
"Je dois remettre cette cassette à la demoiselle d'Alquines. Mon brave, pourriez-vous me faire annoncer auprès d'elle?"
Le gaillard lui répondit qu'il n'était pas serviteur de la dame, mais qu'il pouvait bien l'emmener jusqu'au manoir où quelqu'un se chargerait bien de l'annoncer. Le portier au manoir demanda, hésitant:
"Mais qui dois-je annoncer?"
"Dites que c'est de la part d'Actarius d'Euphor. Cela devrait suffire."
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L'homme frappa vigoureusement le bois de la porte et, d'une voix puissante, chantante et chaude, lança dans un français à l'accent mal assuré:
"Ohé la chaumière! La fille de la maison est à la porte!"
La porte s'entrouvrit et une grosse figure d'homme hébétée apparu dans l'embrasure. L'homme était grand, large, hirsute. Il avait des traits fins, que le temps et l'âpreté de la vie avaient burrinés, lui donnant l'aspect d'un vieux bouleau à l'automne. Il y eut quelques effusions diverses, la fille retrouva son père et le père retrouva une bouche et un ventre de plus.
On proposa au voyageur un peu de lait chaud et un tabouret au coin du feu, mais il refusa cordialement. Il demanda simplement la route d'Alquines, où il devait se rendre prestemment. On lui indiqua cordialement pendant qu'une grosse dame -sûrement la mère- donnait du grain à son cheval. On ne chercha pas plus à retenir le cavalier, ni ces paysans là, ni aucun autre curieux du village qui avait ouvert sa porte sans se préoccuper de la pluie qui tombait encore bien dru.
Qu'était-ce en fait que cet homme là, qui n'était visiblement pas du pays? Il fallait pour en deviner quelque substance, avoir vu à sa taille le pommeau doré et brillant qui avait dépassé de sous son sale manteau, lorsqu'il s'était hissé en selle. Et il fallait avoir vu sur ce pommeau, sertie dans le métal, la croix qui frappait les armoiries du comté du Languedoc.
Adrien Desage - c'était son nom - tenait cette lame d'Enduril de Noumerchàt, au temps où elle fût comtesse régnante du Languedoc.
Sur ses terres natales, Adrien Desage était l'Hibou du Vivarais, le baron de Crussol, l'ancien général des armées comtales, une épée crainte et respectée.
Que diable venait-il foutre dans cette galère? Adrien avait accompagné Actarius d'Euphor, un languedocien bien plus illustre car Pair de France et jusqu'alors Grand Chambellan de France. Ces deux hommes là étaient des amis comme parfois l'amitié peut se faire fraternité. Ils avaient avec leur compagnie traversé le royaume de France du Sud au Nord, à la recherche d'aventures, mais n'avaient trouvé que débacle. Leurs quelques compagnons avaient soit péris, soit s'étaient arrêtés en route. Et Nanelle d'Euphor, l'épouse du vicomte du Tournel, avait péri suite à une attaque de brigands. Après une longue halte en Normandie, les deux compagnons étaient redescendus au Mans, à l'appel du Maine contre les armées du Ponant. Une guerre s'ouvrait, c'était l'aventure tant cherchée qui débutait. A d'autres, le coeur aurait faillit face à de grands périls annoncés. Mais c'étaient là des coeurs d'Oc et deux parmis les plus vaillants. Il n'y avait guère plus entiers et brûlants que les caractères d'Actarius et d'Adrien. Fiévreux et passionné, Adrien Desage était un digne fils du Languedoc et il transpirait sa terre natale depuis les ongles jusqu'au bout de ses cheveux - qu'il avait d'ailleurs assez longs.
Au Mans, Actarius avait trouvé un costume tout neuf, splendide, mais cher... Et il fallait qu'il honore sa dette. Comme il y avait avec eux Mélisende d'Euphor, la fille du vicomte, Adrien s'était proposé pour remonter le prix des vêtements jusqu'en Artois, maudissant secrètement tant de coquetterie. Il avait trouvé en chemin, dans une taverne d'Hesdin, une fillette qui était venu vendre deux boeufs de son attelage, mais qui avait bêtement vendu les trois, restant ainsi avec une charette sans boeufs et nul moyen de retour. C'était cette fillette qu'il venait de remettre à ses parents.
Il est ainsi aisé de comprendre le malaise qui rongeait le baron de Crussol, emprisonné dans la grisaille, le froid, la pluie et l'interminable plaine du Boulonnais. Quand il était habitué au grandes tempêtes ou aux impitoyables sécheresses, il était éprouvé par une pluie ni violente, ni douce. Quand il chevauchait d'ordinaire sur des crêtes accidentées, il trouvait là une plate étendue, qui lui semblait éternelle...
"Mordious, ce pays ressemble à une table de négociations!" maugréait-il en sortant d'un bois touffu pour se trouver dans un vaste champs de blé.
"N'Y A-T-IL RIEN D'AUTRE QUE DU BLE ET DES BOIS DANS CETTE CONTREE?!" cria-t-il en levant le poing vers le ciel.
La pluie redoubla de vigueur...
En milieu de journée, après avoir bivouaqué dans un énième bois, il arriva enfin dans un village aux maisons groupées comme celui d'Escoeuilles. Et lorsqu'un passant lui annonça qu'il se trouvait à Alquines, il se balança en arrière et s'étendit sur la croupe de son cheval, de joie et de soulagement.
"Mercè meu amic! Plan mercè!" s'exclama-t-il, les bras levés au ciel.
Le passant n'entendit rien à son charabiat, mais loucha sur l'hibou d'or qui ornait la tunique verte du cavalier. En se couchant en croupe, ce dernier s'était découvert de son manteau gris et laissait ainsi paraître vêtements et épée.
"Je dois remettre cette cassette à la demoiselle d'Alquines. Mon brave, pourriez-vous me faire annoncer auprès d'elle?"
Le gaillard lui répondit qu'il n'était pas serviteur de la dame, mais qu'il pouvait bien l'emmener jusqu'au manoir où quelqu'un se chargerait bien de l'annoncer. Le portier au manoir demanda, hésitant:
"Mais qui dois-je annoncer?"
"Dites que c'est de la part d'Actarius d'Euphor. Cela devrait suffire."
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