[La fin d'un été... ]
Les clients n'étaient pas rares, ils étaient absents !
Seule à l'auberge, passant d'une pièce à l'autre, la brunette serrait son châle autour de ses épaules. Son regard allait d'un meuble à un autre, sa main caressait par endroit le bois par d'autre la pierre, selon où glissaient ses doigts, alors que son esprit voguait loin de l'auberge.
En cette fin de journée le soleil commençait à descendre à l'horizon, donnant au ciel une couleur orangée comme s'il s'enflammait lentement. Un coup d'il à la cuisine parfaitement rangée, où ne régnait plus aucune odeur alléchante depuis qu'elle avait remisé au fond de ses placards rouleaux, plats et autres ustensiles. La cuisine était un acte d'amour chez elle, et depuis de longues semaines désormais, ce goût là lui faisait cruellement défaut.
Tournant la tête pour ne plus voir la pièce désespérément vide, Mel ouvrit la porte donnant sur le petit jardin clos. Une légère brise un peu fraîche vint caresser sa joue, lui rappelant que l'été touchait à sa fin. L'eau de la fontaine lui parut plus froide que d'habitude quand elle y plongea le bout des doigts, s'amusant quelques minutes telle une gamine quelle était encore par bien des côtés, à éclabousser la petite margelle.
Délaissant la fontaine, elle alla se caler sur le banc qu'encadraient deux magnifiques rosiers grimpants le long du mur d'enceinte. Au cur de l'été ils avaient du porter mille roses aux senteurs enivrantes, mais une saison chassant l'autre, les bourgeons s'étaient raréfiés et seules quelques fleurs plus têtues que les autres, persistaient encore à leurs donner une dernière gloire.
Le châle glissait quelque peu, dévoilant la naissance de sa nuque où jouaient de petits frisottis sous le chignon qui retenait mollement son opulente chevelure brune. Le teint de la jeune femme s'était éclairci ses derniers temps, et une ombre mauve venait se poser discrètement sous yeux, qui loin de tous portaient la trace de la fatigue, du manque de sommeil et des questions qu'elle ne cessait de se poser.
En cet instant encore, tout tourbillonnait dans sa tête, des semaines qu'elle n'avait plus de nouvelles, des jours et des jours à se plonger dans ses livres pour oublier son absence et plus que tout, son silence.
C'est seule qu'elle avait entrepris son apprentissage d'herboriste, ne pouvant partager avec lui sa joie d'avoir été prise en charge par un maître.
Seule aussi qu'elle avait rangé au fond de son coffre les excellents résultats de ses premiers devoirs à l'université de Belrupt, où chaque jour elle étudiait ardemment pour devenir infirmière.
Heureusement qu'Aude était là, amie précieuse toujours présente. Mais qu'elle amie était elle pour celle ci ? Pas la meilleure en tout cas que celle qui se terrait dans son coin, et n'était même pas assez présente pour elle.
Un soupir souleva la poitrine féminine avant de venir mourir sur ses lèvres. Mel se demanda alors si elle n'avait pas commis une erreur en pensant pouvoir trouver ici ce qui la poussait sans cesse sur les routes.
Hier elle l'avait croisé son preux policier, à peine deux mots échangé, un baiser donnait en pâture, et cette impression si lourde d'être redevenue une étrangère... en fin de compte sa chope avait plus d'importance qu'elle. Elle au moins avait l'honneur de sentir la chaleur de la paume de sa main, le contact amoureux de ses lèvres...
Une perle scintillante vint s'accrocher à ses cils, tandis que ses mains se crispaient sur le bord de pierre du banc. Ne pas pleurer ! Elle se l'était juré, ne jamais plus pleurer pour un homme.
Le seul homme qui mériterait un jour ses larmes serait celui qui l'aimerait suffisamment pour ne jamais vouloir les voir couler...
Une profonde respiration, des paupières qui se ferment sur son regard soudain noyé et quelques minutes plus tard, Mel avait repris un visage impassible.
Nul à présent ne pourrait voir en elle une femme qui doutait... Lentement la colère chassait la tristesse, elle la laissait se répandre en elle, couler avec son sang dans ses veines pour se réchauffer à son feu.
Peu de temps avant, c'était sa présence, son amour, son corps même qui était son âtre, aujourd'hui c'est dans ses sentiments malsains qu'elle cherchait le peu de chaleur capable de la faire réagir.
Il s'éloignait d'elle... Fort bien, elle n'était pas du genre à s'imposer. Qu'il aille chercher ailleurs sa fameuse cuisinière si telle était son intention !
La solitude était une bien vieille compagne, elle saurait s'en accommoder une fois encore.
Quand elle aurait récupéré un peu d'argent, s'il n'était pas revenu vers elle, et bien.... Elle reprendrait son baluchon et repartirait sur les routes, courant après l'impossible, redevenant au fil du temps, celle qui ne faisait que passer et que l'on oubliait en si peu de temps.
Le soleil avait disparu derrière le mur de l'auberge, et la fraîcheur de la soirée qui s'avançait se posait sur ses épaules découvertes. Remontant son châle, Mel quitta le banc... Fut un temps elle l'avait rêver refuge des amoureux, elle se devait de l'oublier pour l'instant. Regagnant la grande salle vide de l'auberge, elle referma la porte sur le jardin et alla allumer une chandelle.
Bientôt il serait temps de rallumer la grande cheminée... Prenant place derrière une des tables où trônait ses manuels d'études, Mel se demanda l'espace d'une seconde si elle serait encore ici quand ce moment là viendrait.
Chassant cette dernière pensée de son esprit, elle ouvrit un de ses livres et comme d'habitude afin de tout oublier se plongea dans ses études.