Caché dans un buisson, enveloppé dans une immense cape noire, l'il mauvais et concentré, Grognar, tripotant l'immonde cicatrice qui divisait son visage en une crevasse rosée, observait la scène.
Lorsque la fillette parti en courant, laissant là l'enfant, si seul et si vulnérable, un sourire prédateur se porta à ses lèvres, déformant un peu plus l'ignoble visage du cocher.
Car oui, il était cocher. Enfin.. En théorie.
C'était les termes du contrat que le vieux Vandimion lui avait "proposé", il y a bien longtemps, épée sous la gorge, fouet à la senestre. Depuis, homme de l'ombre, exécuteur des basses besognes et des tâches sordides du "Maître", faisait les quatre volontés d'un homme salement désagréable, définitivement lunatique, foncièrement mauvais.
Paradoxalement, cela lui convenait. Lui plaisait, même. D'ailleurs, autant dire tout de suite qu'il se repaissait de ses crimes et autres forfaits.
Pourtant, il n'était pas si mauvais que cela, au départ, le bougre. Simplement mal né. Ou du moins, très mal né.
Orphelin puant, mendiant kleptomane, voleur professionnel, kidnappeur, braconnier .. Rien qui ne touche directement à la personne humaine. Mais il avait un jour visé trop haut, et plutôt que de se voir les mains coupées par le Vandimion, il avait préféré lui donner ce qu'il lui restait de scrupules, de conscience, d'honneur et d'humanité, si tant est qu'il eut jamais entendu ses mots.
En échange de cela, il reçu une servitude perpétuelle, et la balafre qui lui ornait le visage, car il fallait bien marquer tout de même l'homme qui tentait de voler le "Maître".
Depuis, ses crimes allaient crescendo. Torture, démembrements, viols, assassinats.. C'était monnaie courante. D'ailleurs, il s'y plaisait, là dedans, et se permettait souvent des petits "extras". L'assassinat des femmes et des enfants durait souvent plus longtemps que celui des hommes.. Ses tortures s'allongeaient de semaines en semaines.. Ses délires devenaient fréquents, coutumiers, habituels..
Seule sa servitude importait. Et en même temps, il vouait une haine mortelle au "vieux", mais le craignait, et l'aimait pour les occasions qu'il lui procurait, pour cette folie "permise", "commandée".
Il était la bête, le fauve du "Maître". Rusé comme le renard, furtif comme le loup, puissant comme l'ours. On ne le voyait pas, mais il laissait des traces. C'était Grognar, "chien", pour l'un, "mort" pour l'autre.
Et c'était ce Grognar qui regardait avidement le petit Emeris.
Diable qu'il était mignon .. Tout rose, tout rondouillard, tout en chair et en fraîcheur. Il frémit d'excitation.
Ses yeux minces et sombres ne le quittait pas des yeux. Il huma l'air, pas une odeur de parfum. Les femmes étaient loin. Il ouvrit ses oreilles, pas un bruit, autre que le chant du marmot, faux et dissonant. Les gardes étaient loin. Ils étaient seuls, et lui seul le savait.
Sa langue passa sur ses lèvres, et il tira de sous sa cape un grand sac de jute.
"Qu'il revienne entier, et apte à tout".
Ce furent ses seuls ordres. C'étaient parfait. Il aurait droit à son extra, personne n'en saurait rien. Le môme ne dirait rien, de peur, et quand il serait devenu assez grand pour se venger, lui serait déjà mort.
Sans prévenir, ses jambes se détendirent, et il sauta sur l'enfant, lui assena un violent coup sur le crâne, et sans qu'il eut le temps de comprendre le pourquoi du comment, il se trouvait, inconscient, au fond d'un sac, en route vers sa nouvelle éducation de haine et d'amertume.
Le "Maître" serait content.