Adele_du_niffelheim
Les rêves aussi finissent par s'envoler.
Près de 26 ans qu'elle traine son nom, sa tignasse et sa bouille sur les chemins du royaume. 26 ans qu'elle cherche des branches ou des repères, parce que les familiaux, il y a bien longtemps qu'ils ont disparu. 26 ans qu'elle rencontre et tente de sympathiser avec tout et n'importe quoi, qu'elle tente de nouer des liens, qu'elle s'attache parfois et qu'elle voit disparaître. 26 ans qu'elle trimballe à l'intérieur d'elle même quelque chose que personne n'aura su voir.
Parce qu'elle est comme ça.
Paul peut être commençait à entrevoir un petit quelque chose lorsqu'en se foutant d'elle il lui balançait "en fait t'es une tendre". Mais d'un rire ou d'un mouvement de main elle balayait simplement l'idée. L'affaire était close.
Elle sourit, elle insulte, elle envoie bouler, elle raconte des conneries à tout va. On la dit chieuse, emmerdeuse, vulgaire et tant d'autres choses. On la dit parfois aussi marrante, le cur sur la main, la langue acérée et les idées bien en place quand il s'agit de régler des problèmes ou dépanner l'ami. Sauf que voilà, derrière tout ça il y a autre chose que personne n'a jamais su voir.
Là où on sait pouvoir compter sur elle, elle n'aura jamais trouvé vraiment quelqu'un sur qui s'appuyer. Un mariage raté avec un raté, quelques conquêtes rapides, des amis, certains très chers qui l'ignorent, d'autres qui le savent mais qu'elle n'aura pas voulu pourrir de ce qui lui dégomme le cerveau lentement.
C'est tellement facile de faire semblant. Tellement pratique. Finalement les gens qui l'auront aimée n'auront connu qu'une moitié de ce qu'elle est. Et c'est bien que ça reste comme ça.
Nuit du premier au 2 aout 1459
Elle a sa taverne auberge à Rochechouart, une enseigne marrante, insultante peut être pour certains, mais fidèle à l'image qu'elle a toujours voulu donner d'elle même.
A l'étage il y a sa chambre, son repaire, son nid, son refuge. Qui croirait qu'elle avait surtout besoin de cette petite niche là quand elle a ouvert son bouge ? Entre deux crises de rire ou deux engueulades au rez de chaussée c'est là qu'elle se planque et qu'elle laisse la merde qu'elle a dans la tête resurgir. Il lui faut ça pour pouvoir y retourner ensuite et faire bonne figure.
Elle a séché ses yeux depuis un bon moment déjà et négligemment allongée sur son lit, épuisée, elle regarde par la fenêtre la pâle lueur de la lune qui se reflète sur les toits environnants. Dormir elle ne peut pas. Quelques semaines déjà que dure l'insomnie.
Des semaines aussi que dans sa tête ça se bouscule, ça se précipite. Ce sentiment de sombrer dans la folie dès qu'elle se retrouve seule, ça lui fait peur. Une légère inquiétude au départ, cette façon qu'elle a de ressasser, de se dire que tout est de la merde, que ça ne vaut pas le coup. Et puis il y avait les rires et les sourires dans la foulée. Alors ça passait.
Depuis quelques jours, c'est quasi permanent, cette envie de hurler, de se fracasser la tête dans les murs, de gueuler ou de cogner la donzelle insignifiante qui par ses sous-entendus stupides lui fait comprendre que non, elle n'a plus sa place ici bas. Simplement parce que finalement elle laisse dire et ne relève plus.
Elle a trop joué. Elle ne peut pas revenir en arrière, tenter d'être la gentille brune qu'on vient voir et qui papillonne des yeux quand on lui fait un compliment. Impossible. Elle n'est plus seulement celle qui rigole, raconte des conneries et offre des tournées ou de son temps sans compter. A l'intérieur elle est morte.
Reste à tuer l'enveloppe.
Alors sa décision est prise. Elle sait que Limoges est devenu une place forte, elle ira se jeter dans les premiers défenseurs qu'elle croise et elle finira comme ça. Non qu'elle soit aristotélicienne et qu'elle considère que se planter soi-même une dague dans le ventre soit « le mal ». Mais elle a envie de ressentir cette chose là qui vous fait sourire alors que vous savez que vous allez mourir. Elle a envie d'encourager les types en face de ce mélange de folie et de haine que son regard peut exprimer parfois fugacement, alors qu'elle oublie de se maitriser.
Rares sont ceux qui l'ont vu. Les derniers à le voir seront les soldats sur les murailles de Limoge.
Au loin dans une ruelle une silhouette rapide et légère emprunte un chemin qu'elle ne connaitra jamais. Celui d'une porte qui s'ouvre sur une chaumière chaleureuse, avec en ligne de mire le visage de quelqu'un qui n'attendait que vous.
Quand on attendait Adèle, c'était parce qu'on savait qu'elle ouvrirait sa gueule et finirait par faire marrer tout le monde. Ou fuir, ça dépendait des jours. Et puis au final, elle s'est toujours retrouvée seule. Dans sa tête.
Lentement son corps se déplie, difficilement parce qu'engourdi. La fatigue a fini de l'user. Peut être que demain, comme tous les jours depuis son arrivée à Rochechouart, elle ira au verger se planquer dans un arbre pour faire un somme, mais là c'est impossible, il faut qu'elle bouge pour ne pas penser, ne pas... rêver.
Alors elle descend dans la taverne redevenue silencieuse. Le cheveu les nippes et le visage sont défaits mais elle s'en fout. Comme toutes les nuits après avoir bouclé la porte, elle allume quelques chandelles, s'active, apporte des futs, nettoie, astique les tables, s'occupe les mains et l'esprit.
Par instant des flashs pourtant lui traversent l'esprit. Des paroles entendues, des mots qui l'auraient fait se plier en deux de douleur si elle n'avait pas si bien appris à faire semblant avec le sourire. Des boutades amicales certainement, mais profondément blessantes pour elle qui se voyait sombrer dans cette démence douloureuse jour après jour.
Sourire, toujours sourire. Parfois ne pas y arriver. Et se voir alors rejetée. A quoi bon tenter d'expliquer...
C'est la possibilité de réaliser un rêve qui rend la vie intéressante.**
De rêve elle n'a plus.
* Aristote
**Paulo Coelho
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Près de 26 ans qu'elle traine son nom, sa tignasse et sa bouille sur les chemins du royaume. 26 ans qu'elle cherche des branches ou des repères, parce que les familiaux, il y a bien longtemps qu'ils ont disparu. 26 ans qu'elle rencontre et tente de sympathiser avec tout et n'importe quoi, qu'elle tente de nouer des liens, qu'elle s'attache parfois et qu'elle voit disparaître. 26 ans qu'elle trimballe à l'intérieur d'elle même quelque chose que personne n'aura su voir.
Parce qu'elle est comme ça.
Paul peut être commençait à entrevoir un petit quelque chose lorsqu'en se foutant d'elle il lui balançait "en fait t'es une tendre". Mais d'un rire ou d'un mouvement de main elle balayait simplement l'idée. L'affaire était close.
Elle sourit, elle insulte, elle envoie bouler, elle raconte des conneries à tout va. On la dit chieuse, emmerdeuse, vulgaire et tant d'autres choses. On la dit parfois aussi marrante, le cur sur la main, la langue acérée et les idées bien en place quand il s'agit de régler des problèmes ou dépanner l'ami. Sauf que voilà, derrière tout ça il y a autre chose que personne n'a jamais su voir.
Là où on sait pouvoir compter sur elle, elle n'aura jamais trouvé vraiment quelqu'un sur qui s'appuyer. Un mariage raté avec un raté, quelques conquêtes rapides, des amis, certains très chers qui l'ignorent, d'autres qui le savent mais qu'elle n'aura pas voulu pourrir de ce qui lui dégomme le cerveau lentement.
C'est tellement facile de faire semblant. Tellement pratique. Finalement les gens qui l'auront aimée n'auront connu qu'une moitié de ce qu'elle est. Et c'est bien que ça reste comme ça.
Nuit du premier au 2 aout 1459
Elle a sa taverne auberge à Rochechouart, une enseigne marrante, insultante peut être pour certains, mais fidèle à l'image qu'elle a toujours voulu donner d'elle même.
A l'étage il y a sa chambre, son repaire, son nid, son refuge. Qui croirait qu'elle avait surtout besoin de cette petite niche là quand elle a ouvert son bouge ? Entre deux crises de rire ou deux engueulades au rez de chaussée c'est là qu'elle se planque et qu'elle laisse la merde qu'elle a dans la tête resurgir. Il lui faut ça pour pouvoir y retourner ensuite et faire bonne figure.
Elle a séché ses yeux depuis un bon moment déjà et négligemment allongée sur son lit, épuisée, elle regarde par la fenêtre la pâle lueur de la lune qui se reflète sur les toits environnants. Dormir elle ne peut pas. Quelques semaines déjà que dure l'insomnie.
Des semaines aussi que dans sa tête ça se bouscule, ça se précipite. Ce sentiment de sombrer dans la folie dès qu'elle se retrouve seule, ça lui fait peur. Une légère inquiétude au départ, cette façon qu'elle a de ressasser, de se dire que tout est de la merde, que ça ne vaut pas le coup. Et puis il y avait les rires et les sourires dans la foulée. Alors ça passait.
Depuis quelques jours, c'est quasi permanent, cette envie de hurler, de se fracasser la tête dans les murs, de gueuler ou de cogner la donzelle insignifiante qui par ses sous-entendus stupides lui fait comprendre que non, elle n'a plus sa place ici bas. Simplement parce que finalement elle laisse dire et ne relève plus.
Elle a trop joué. Elle ne peut pas revenir en arrière, tenter d'être la gentille brune qu'on vient voir et qui papillonne des yeux quand on lui fait un compliment. Impossible. Elle n'est plus seulement celle qui rigole, raconte des conneries et offre des tournées ou de son temps sans compter. A l'intérieur elle est morte.
Reste à tuer l'enveloppe.
Alors sa décision est prise. Elle sait que Limoges est devenu une place forte, elle ira se jeter dans les premiers défenseurs qu'elle croise et elle finira comme ça. Non qu'elle soit aristotélicienne et qu'elle considère que se planter soi-même une dague dans le ventre soit « le mal ». Mais elle a envie de ressentir cette chose là qui vous fait sourire alors que vous savez que vous allez mourir. Elle a envie d'encourager les types en face de ce mélange de folie et de haine que son regard peut exprimer parfois fugacement, alors qu'elle oublie de se maitriser.
Rares sont ceux qui l'ont vu. Les derniers à le voir seront les soldats sur les murailles de Limoge.
Au loin dans une ruelle une silhouette rapide et légère emprunte un chemin qu'elle ne connaitra jamais. Celui d'une porte qui s'ouvre sur une chaumière chaleureuse, avec en ligne de mire le visage de quelqu'un qui n'attendait que vous.
Quand on attendait Adèle, c'était parce qu'on savait qu'elle ouvrirait sa gueule et finirait par faire marrer tout le monde. Ou fuir, ça dépendait des jours. Et puis au final, elle s'est toujours retrouvée seule. Dans sa tête.
Lentement son corps se déplie, difficilement parce qu'engourdi. La fatigue a fini de l'user. Peut être que demain, comme tous les jours depuis son arrivée à Rochechouart, elle ira au verger se planquer dans un arbre pour faire un somme, mais là c'est impossible, il faut qu'elle bouge pour ne pas penser, ne pas... rêver.
Alors elle descend dans la taverne redevenue silencieuse. Le cheveu les nippes et le visage sont défaits mais elle s'en fout. Comme toutes les nuits après avoir bouclé la porte, elle allume quelques chandelles, s'active, apporte des futs, nettoie, astique les tables, s'occupe les mains et l'esprit.
Par instant des flashs pourtant lui traversent l'esprit. Des paroles entendues, des mots qui l'auraient fait se plier en deux de douleur si elle n'avait pas si bien appris à faire semblant avec le sourire. Des boutades amicales certainement, mais profondément blessantes pour elle qui se voyait sombrer dans cette démence douloureuse jour après jour.
Sourire, toujours sourire. Parfois ne pas y arriver. Et se voir alors rejetée. A quoi bon tenter d'expliquer...
C'est la possibilité de réaliser un rêve qui rend la vie intéressante.**
De rêve elle n'a plus.
* Aristote
**Paulo Coelho
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