--Espineux
En ce trente-sixième jour du règne de Natale-le-Muet, nul évènement notable ne se produisit en le Comté. Torpeur comme à l'accoutumée étalait son voile pesant qui touchait un à un tous les habitants du Comté sans exception aucune. Prosternations de la noblesse devant le Comte se poursuivaient, lenteur pareille aurait pu faire croire que cérémonie des allégeances était le point focal, seul et unique réalisation du mandat.
Espineux, chroniqueur, se sentait lui aussi gagné par la lassitude et l'apathie. Effort incommensurable lui était nécessaire pour rédiger sa chronique quotidienne, bien qu'il faillisse certains jours à ce devoir qu'il s'était assigné. Ce jour, il se rendit en le tribunal comtal, fain de s'enquérir des verdicts bienveillants prononcés par la très corrompue Juge Katou. Force lui fut de constater que verdicts à l'amiable, soudoyement du Juge et du Greffier, falsification de preuves et achats de témoins étaient devenus choses du passé.Peuple pouvait danser de joie, justice sous le mandat de Natale-le-Muet avait été réformée en profondeur, pour le bien de tous.
Espineux, chroniqueur, nota pour la postérité et l'édification des générations à venir nouveau fonctionnement du tribunal. Le niais procureur Leyoun siégeait seul face aux accusés que le Prévot Mylène jetait dans le tribunal. Il proférait les accusations, suite à quoi le Prévot Mylène reconduisait invariablement l'accusé à la porte du tribunal, lui demandant d'être sage, et de revenir un jour prochain pour la suite des réjouissances. Accusés ne revenaient jamais, et étaient laissés libres de reproduire méfaits identiques ou variés autant qu'il leur plaisait.
Fut constaté fait prouvé et établi que le Juge Katou ne siégeait plus au tribunal. Dossiers prenaient la poussière sur son bureau, indifférence à ce sujet était des plus complète.
Espineux, chroniqueur, s'enquit auprès des moniales, et ne trouva nul monastère ayant hébergé le Juge Katou ces temps derniers. Espineux, chroniqueur, s'enquit auprès de la douane, et il lui fut répondu que nul n'avait vu le Juge Katou quitter le Comté. Ainsi donc, Justice avait été suspendue depuis un temps inconnu, criminalité augmentait à un rythme extravagant, rumeur circulait parmi les coupe-jarets que tout rien n'était plus puni.
Il fut dit que Natale-le-Muet, Bienheureux, approuvait fort la chose et était fort fier de ses prisons vides et de son tribunal décoratif. Rumeur fut faite qu'intention était de transformer ledit tribunal en salle de bal pour festivités comtales, et que livres de loys seraient alors tous brûlés en un grand bûcher autour duquel danserait le peuple au son des fifres et des tambours. Chacun serait alors libre de voler son prochain, de piller coffres municipaux, de proférer menaces à tout va. Brigands et malfrats respireraient, honnêtes gens trembleraient à chaque pas dans la rue.