Un sourire moqueur se dessina sur ses lèvres. Mais elle ne dit rien concernant Ayerin, ce qu'il s'était passé en Languedoc resterait en Languedoc.
Libre à vous de penser ce que vous voulez. Je n'ai jamais pensé être l'héritière spirituelle de ma soeur, c'est elle qui me l'a dit un soir. Mais vous ne savez rien de l'affection qui nous lie de toute façon.
J'ai reproché toutes ces choses à ma mère. Seulement, j'ai pu avoir avec elle une discussion bien plus sereine que celle que j'ai à présent avec vous. Elle a su m'écouter, me comprendre, même si elle n'était pas d'accord avec tout. Elle m'a recueillie quand je suis arrivée à Beaucouzé en pleine nuit lors d'un passage en Anjou. Bien loin de me juger, elle m'a épaulée, elle a su être tendre avec moi et racheter ainsi ces années de mutisme. Et pourtant, c'est elle que j'avais réussi à remplacer. Ce n'était plus elle que j'appelais maman...
Et là, elle craqua. Touchée ! elle avait elle même touché sa corde sensible. Sauvane, sa deuxième mère, celle qui lui avait appris la tendresse, la patience, dont elle gardait encore précieusement chacun des cadeaux qu'elle lui avait fait. Mais elle l'avait reniée, quand elle avait appris le nouveau tournant de sa vie. Quitter les Lunes, elle n'y avait pas vu d'objection étant elle -même libre et indépendante. Mais le reste, les élections, les tentatives de reprise du château d'Anjou, la guerre.. Tout cela, elle n'aimait pas. Au terme d'une lettre assassine, elle avait écrit noir sur blanc que si la jeune fille continuait à vouloir entrer dans l'ordre des Dames blanches, elles seraient amenées à se combattre un jour ou l'autre.
Mais cela, ni sa mère, ni son père, ni personne n'en avait eu connaissance. Et pourtant, c'était probablement la plus grande faille affective qu'elle n'ait jamais eue. Aujourd'hui, Sauvane ne répondait aux lettres qu'elle lui adressait. Pourtant, c'était bien pour Clélia qu'elle avait respiré de nouveau, qu'elle s'était reprise. Et, c'était Clélia qui lui « avait porté le coup fatal » comme elle lui avait écrit.
Alors oui, là, elle n'eut pas envie de défendre son engagement pour les Lunes. Elle voyait que son père était à mille lieux de la comprendre et elle avait décidé de jeter l'éponge. Seule comptait sa mère à présent. Au terme de longs échanges, elle avait appris des choses qu'elle ne soupçonnait pas, qu'elle n'imaginait même pas. Elle avait vu les personnes sous un jour différent, avait compris qu'en entendant qu'une seule partie de l'histoire, elle avait été dupée et qu'elle s'était faite une opinion hâtive sur les choses.
Comment en vouloir à sa mère, piégée dans sa propre famille? Elle avait appris douloureusement également l'attitude de la promise de son frère à l'égard de sa petite soeur Mali et tout cela l'avait fortement ébranlée.
Alors, après avoir péniblement ravalé sa salive et respiré un bon coup, elle continua.
.. et pourtant, je n'ai jamais appelé personne d'autre que vous « Père »... comme quoi...
Vous me parlez de choix, alors même que je n'avais que huit ans. Huit ans! Aujourd'hui, oui, je vais aller retrouver d'anciens Libertad, par envie, par choix, par besoin. Aujourd'hui, vous pouvez dire que je fais le choix de quitter l'Anjou. Même si cela n'est que provisoire.
Et que dire alors lorsque vous ne m'avez pas prévenue du baptême et de l'anoblissement d'Anthony et de Mali, je l'ai su incidemment, quand on m'a informée de ce qu'il était arrivé à ma petite soeur. Est-ce cela une famille? Et ce reproche peut aussi bien s'adresser à ma mère qu'à vous.
Et il y a quelques jours? Vous me proposez, fort gentiment du reste, de venir me chercher à Vendôme pour me soustraire aux menaces de mort qui pèsent sur moi. Je vous ai attendu un puis deux jours. J'ai du m'enfuir par la suite, à force de recevoir des lettres de menaces et d'insultes de la part du procureur ou du prévôt. On m'a agressée sur le chemin, j'en porte encore les traces, regardez, entre deux marques de votre main. Je vous aurais attendu, je n'aurais pas sauvé ma tête, alors ne venez pas me dire que vous êtes un père modèle qui aime sa fille... Ces derniers jours l'ont prouvé, je ne vous ai rien demandé, vous m'avez proposé, j'ai accepté, vous n'êtes pas venu.
Elle jeta un regard à sa mère, un peu honteuse de lui infliger une scène pareille. Mais bon, elle aurait tout le loisir de rattraper le temps perdu auprès d'elle dans les jours, les mois, les années qui allaient venir. Elle voyait enfin ses efforts récompensés par l'énergie qu'elle montrait. Pourtant, la partie n'était pas gagnée d'avance, surtout après l'attaque du château quand il avait été pris par Finam. Elle ne voyait pas souvent sa mère en colère mais ce jour-là, elle l'avait découverte sous un autre jour.
Aujourd'hui, elle la trouvait soucieuse et si elle n'avait pas été là à ce moment, elle aurait probablement laissé tomber cette discussion houleuse pour aller rejoindre ceux avec qui elles correspondaient depuis si longtemps, à Saumur.
Pour elle, elle essayait de se calmer, d'arrondir les angles, de peur qu'elle ne s'en aille à nouveau dans son monastère.