Kartouche
Aux marches occidentales du Limousin. Après Sarlat de peu, loin de Tulle encore. Le magnifique Kartouche sur sa mule. Une dont il ne se séparerait pas ; il faudra la mort de l'une, ou de l'autre.
Autour de lui, trois autres voyageurs, une charrette ou deux, peut-être ; le narrateur ne sait pas. Sa mule suit docilement la tête du petit groupe qui pénètre dans les terres limousines. Son escorte, comme il se plaît à dire. Assemblage hétéroclite de gens d'origines diverses. Petits ou grands, ils n'ont en commun qu'un bout de chemin.
La bourrique avance toute seule, d'un pas lent et mesuré ; c'est un miracle en terre pieuse. L'admirable Kartouche peut ainsi passer le temps du voyage, quand il ne cause pas avec ces compagnons, plongé dans un volumineux codex. De temps en temps, il marmonne, ressasse en son esprit une phrase qui l'interpelle. Plus rarement, il lui arrive de lâcher à une parole du prophète. Il ne s'attend pas à ce qu'on lui réponde, il lui semble seulement que la voix du prophète, ici transcendante, ici transcendée, mérite d'être entendue.
La tête dans le codex, qu'il ouvre au hasard, pour lire quelques feuillets : «Dès quun citoyen semblait sélever au-dessus de tous les autres par sa richesse, par la foule de ses partisans, ou par tout autre avantage politique, lostracisme venait le frapper dun exil plus ou moins long.*»
Il songe, parfois, à voix haute. Mélange d'autosatisfaction et de curiosité intellectuelle.
Mordious, ceci me fait penser à ce qui est arrivé au brave Dragonet en Limousin. Le prophète voyait bien, ce codex est plein de bon sens, ce me semble...
Plus loin : «Si les principes de lostracisme appliqué aux supériorités bien reconnues ne sont pas dénués de toute équité politique, il est certainement préférable que la cité [...] puisse se passer de ce remède.»
Que de justice là-dedans. Il s'agira donc d'empêcher ceux qui sont habiles d'accumuler le pouvoir, et de diluer l'influence de ceux qui en ont trop. Mais peut-on encore limiter le cumul des charges ? L'occupation continue, sur plusieurs mandats, d'un même poste ? Les solutions ne se trouveront guère facilement... Peut-être peut-on simplement espérer qu'il ne surviendra plus en Limousin, avant longtemps, d'homme d'une trop grande supériorité.
Il se laisse bercer par le pas de sa mule, referme son livre, songe , réfléchit. Avant d'ouvrir un autre volume, qu'il a échangé dans les fontes de sa mule avec le premier. Un quart de lieue, peut-être, a passé.
* Note :
Les citations sont d'Aristote, dans La Politique (traduction française de Jules Barthélémy-Saint-Hilaire, 19ème). La Politique d'Aristote a été traduite en français au 14ème siècle déjà, par Oresme. Bref, rien d'incongru, dans un monde profondément aristotélicien, à lire ces textes.
La narration est ouverte, évidemment, à ceux qui croisent ou veulent croiser Kartouche. Ou pas.
Autour de lui, trois autres voyageurs, une charrette ou deux, peut-être ; le narrateur ne sait pas. Sa mule suit docilement la tête du petit groupe qui pénètre dans les terres limousines. Son escorte, comme il se plaît à dire. Assemblage hétéroclite de gens d'origines diverses. Petits ou grands, ils n'ont en commun qu'un bout de chemin.
La bourrique avance toute seule, d'un pas lent et mesuré ; c'est un miracle en terre pieuse. L'admirable Kartouche peut ainsi passer le temps du voyage, quand il ne cause pas avec ces compagnons, plongé dans un volumineux codex. De temps en temps, il marmonne, ressasse en son esprit une phrase qui l'interpelle. Plus rarement, il lui arrive de lâcher à une parole du prophète. Il ne s'attend pas à ce qu'on lui réponde, il lui semble seulement que la voix du prophète, ici transcendante, ici transcendée, mérite d'être entendue.
La tête dans le codex, qu'il ouvre au hasard, pour lire quelques feuillets : «Dès quun citoyen semblait sélever au-dessus de tous les autres par sa richesse, par la foule de ses partisans, ou par tout autre avantage politique, lostracisme venait le frapper dun exil plus ou moins long.*»
Il songe, parfois, à voix haute. Mélange d'autosatisfaction et de curiosité intellectuelle.
Mordious, ceci me fait penser à ce qui est arrivé au brave Dragonet en Limousin. Le prophète voyait bien, ce codex est plein de bon sens, ce me semble...
Plus loin : «Si les principes de lostracisme appliqué aux supériorités bien reconnues ne sont pas dénués de toute équité politique, il est certainement préférable que la cité [...] puisse se passer de ce remède.»
Que de justice là-dedans. Il s'agira donc d'empêcher ceux qui sont habiles d'accumuler le pouvoir, et de diluer l'influence de ceux qui en ont trop. Mais peut-on encore limiter le cumul des charges ? L'occupation continue, sur plusieurs mandats, d'un même poste ? Les solutions ne se trouveront guère facilement... Peut-être peut-on simplement espérer qu'il ne surviendra plus en Limousin, avant longtemps, d'homme d'une trop grande supériorité.
Il se laisse bercer par le pas de sa mule, referme son livre, songe , réfléchit. Avant d'ouvrir un autre volume, qu'il a échangé dans les fontes de sa mule avec le premier. Un quart de lieue, peut-être, a passé.
* Note :
Les citations sont d'Aristote, dans La Politique (traduction française de Jules Barthélémy-Saint-Hilaire, 19ème). La Politique d'Aristote a été traduite en français au 14ème siècle déjà, par Oresme. Bref, rien d'incongru, dans un monde profondément aristotélicien, à lire ces textes.
La narration est ouverte, évidemment, à ceux qui croisent ou veulent croiser Kartouche. Ou pas.