Blanche_
Quinze heures trente.
Blanche, la vingtaine à peine entamée, venait de finir une lettre pour Astaroth, Marquis espagnol, ami qu'elle s'était fait lors des joutes de Castille quelques mois auparavant. Il voulait l'inviter à revenir dans ses Îles, et bien que flattée, la baronne devait répondre par la négative : les caisses, vides, ne permettaient qu'un voyage qu'on lui offrît, ce qu'elle était bien loin de vouloir accepter. Mieux, l'excuse d'une peau trop dorée pour que sa noblesse n'accepte une couleur plus brune lui octroya un sursit jusqu'en automne, ce qu'elle venait, donc, de lui signifier par écrit.
Cachetant de cire le rouleau à la chaleur de ses mains, elle appuya le symbole tacheté d'hermine, jumeau de celui d'Astaroth, et déposa le parchemin à son intendant.
Les tâches de sa journée étaient déjà accomplies. Il fallait dire, cependant, que sa grossesse avancée l'avait contrainte à une réduction drastique de ses devoirs de dame : elle avait délégué à Tiercelin la gestion des granges du village -si vides soient-elles - et à Griet l'ordre de la maison de Donges. Et, l'un parti à pied vers Crossac, l'autre qui courrait des combles aux caves, Blanche n'avait eu qu'à signifier son accord à deux-trois décisions seigneuriales, à se promener lentement pour découvrir le jardin estival autour de la forteresse, et puis à préparer l'arrivée de son hôte.
"Quand pensez-vous qu'il sera là ?" demanda-t'elle à la silhouette dynamique de Griet, en robe brune et tablier blanc, qui s'arrêta dans l’entrebâillement de la porte. La voix de Blanche, fluette, était devenue quoique toujours aussi claire un peu plus imposante ; comme un ordre à chaque phrase. Un ton, seulement, qui ne souffrait aucun désaccord.
"D'ici vêpres, Madame." Et puis la figure blanche s'inclina.
Blanche, prostrée dans son fauteuil de maître, sentit une violence décharge de ses reins à sa cuisse. C'était l'une des douleurs de la grossesse qui brûlait ses muscles de jambes ; quoique bien moins désagréable que les nausées qui l'avaient terrassée des mois durant, la névralgie dorsale lui imposait parfois de se promener ou de s'allonger, selon le temps, pour faire s'alanguir les muscles.
"Nous nous promènerons pendant ce temps !" prévint l'engrossée en se hissant sur ses jambes. L'une, flasque, vint à céder, mais elle avait prit appui sur la table en prévision et ne s'écroula pas.
Ci, ses doigts libres de gants, avec trois bagues d'or à la main droite, deux à la gauche, tremblaient un peu. Ils devinrent rouges alors qu'elle faisait se balancer son mollet sous les pans de sa robes et ses jupons. Enfin, quand répondit la jambe par une flexion docile, elle repartit d'un pas hésitant et gagna le corridor.
"Nous partons en promenade" répéta-t'elle à sa gouvernante qui n'avait pas entendu.
Aussitôt, à l'étage supérieur, des pas lourds accélérèrent et firent pleurer le plancher de la poussière, en pluie fine sur les épaules de Blanche. "Voulez-vous que l'on vous accompagne ?" demanda Griet lorsque les pas se turent.
"Fort bien" accepta Blanche, qui avait rappelé son départ pour l'évident besoin d'un appui. "Tiercelin..."
"L'intendant est à Crossac" rappela la gouvernante en reprenant sa marche lentement. La planche grincèrent, aucune pluie de bois ne vint à couler des chênes de l'étage ; Blanche simplement, pinçait les lèvres en désespoir de n'avoir son conteur des histoires de Crossac sous la main.
"Son fils alors. Je ne me souviens pas de son nom, mais son nom n'a aucune importance. Il n'aura pas besoin de parler pour me donner le bras."
Elle prit un manteau qui couvrait toute sa stature. Mieux, il achevait le camouflage de la robe, et l'élégante disposition des tissus autour de la rondeur de son ventre ; bien qu'avancée dans sa grossesse, le pourtour agencé sans enserrer les flancs laissaient le doute : la protubérance passait pour un embonpoint noble habituel. Par dessus, le manteau d'hermines, bien lourd, cachait ce qui restait pour redonner à la dame de Donges l'allure qu'elle avait deux ans auparavant, au sommet de sa gloire.
"N'oubliez pas de vous taire", accueillit-elle le fils de son intendant, à la stature trop haute. A cette époque, la race des hommes de l'Europe était petite, et Tiercelin fils dépassait l'assemblée de Crossac de la tête et du cou, cou fin et élancé comme celui d'une cigogne.
Il essuya son nez, cassé en son bout, et croisé de deux narines qui plongeaient vers sa bouche, si bien qu'on y voyait bourgeonner un buisson de poils noirs d'un coté et de l'autre. Terreux, ses doigts d'un geste habituel firent s'arranger les poils de sa barbe, et en tomber des particules au pied de la porte. Il l'ouvrit, le vent les accueillit tous les deux, elle et sa robe qui se serrait par les bourrasques autour de son ventre adultère, lui qui renifla en faisant entrer vent et poils dans sa respiration.
"Ce sont des aubépines" répéta Blanche au jeune homme. Il ne disait mot, elle l'en gronda. "...et ouvrez la bouche pour autre chose que geindre, fils de Tiercelin de Donges !"
Il l'ouvrit. Lui avoua son nom. Ce premier échange, après pourtant l'avoir soutenue le long de l'escalier, et portée un peu sur les berges des marécages, était très hésitant, osé, avoué comme un tort. Elle ne l'en rabroua point, mais en se penchant vers le sol, jambes pliées avec douleur, elle insista.
"Ce sont des aubépines"
"Elles sont belles", dit-il seulement avec un air benêt. Il sourit, Blanche vit les dents manquantes de son pères, déjà sales, mais toujours en place. Fort mal à l'aise, elle passa une langue sur les siennes et vérifia la douceur de l'ivoire et leur propreté.
Lui, jambes un peu fléchie vers elle, gardait sur son bras la chaleur de son velours de femme. Elle se releva, il l'aida encore.
"Les gens de Crossac plantent tous les ans des genêts. Je me demande bien..." et sans finir sa phrase, elle dressa le nez vers les plants jaunes en parterre à sa forteresse, identiques couleurs de celles qui fleurissaient au village de Crossac.
"Oh il y en a partout, moi je vous l'assure. Même chez Jehan, qui n'est là que depuis dix ans. Tout le monde en met pour sûr !"
"C'est sans doute un souvenir. Sûrement." termina la baronne d'un ton agacé.
Le vent devint plus fort ; ramenant les bruits du marécage, Blanche y perçut des chocs de sabots aux rares pierres qui se trouvaient dans le sable. L'hôte arrivait.
Voyant qu'à sa tenue le ventre était caché, elle resta en bas, dans le jardin, au pied de cette dizaine de mètres de granit qui pointait vers le ciel. Tierrin, fils de Tiercelin, lui serra le bras en murmurant doucement.
La troupe à la grenouille arriva. Marchant telle qu'une malade vers lui, Blanche affaiblie espérait avoir l'air tout à fait normal. A son bras, le jouvenceau ne cessait de répéter. "Aubépine, genêt... en souvenir."
_________________
Blanche, la vingtaine à peine entamée, venait de finir une lettre pour Astaroth, Marquis espagnol, ami qu'elle s'était fait lors des joutes de Castille quelques mois auparavant. Il voulait l'inviter à revenir dans ses Îles, et bien que flattée, la baronne devait répondre par la négative : les caisses, vides, ne permettaient qu'un voyage qu'on lui offrît, ce qu'elle était bien loin de vouloir accepter. Mieux, l'excuse d'une peau trop dorée pour que sa noblesse n'accepte une couleur plus brune lui octroya un sursit jusqu'en automne, ce qu'elle venait, donc, de lui signifier par écrit.
Cachetant de cire le rouleau à la chaleur de ses mains, elle appuya le symbole tacheté d'hermine, jumeau de celui d'Astaroth, et déposa le parchemin à son intendant.
Les tâches de sa journée étaient déjà accomplies. Il fallait dire, cependant, que sa grossesse avancée l'avait contrainte à une réduction drastique de ses devoirs de dame : elle avait délégué à Tiercelin la gestion des granges du village -si vides soient-elles - et à Griet l'ordre de la maison de Donges. Et, l'un parti à pied vers Crossac, l'autre qui courrait des combles aux caves, Blanche n'avait eu qu'à signifier son accord à deux-trois décisions seigneuriales, à se promener lentement pour découvrir le jardin estival autour de la forteresse, et puis à préparer l'arrivée de son hôte.
"Quand pensez-vous qu'il sera là ?" demanda-t'elle à la silhouette dynamique de Griet, en robe brune et tablier blanc, qui s'arrêta dans l’entrebâillement de la porte. La voix de Blanche, fluette, était devenue quoique toujours aussi claire un peu plus imposante ; comme un ordre à chaque phrase. Un ton, seulement, qui ne souffrait aucun désaccord.
"D'ici vêpres, Madame." Et puis la figure blanche s'inclina.
Blanche, prostrée dans son fauteuil de maître, sentit une violence décharge de ses reins à sa cuisse. C'était l'une des douleurs de la grossesse qui brûlait ses muscles de jambes ; quoique bien moins désagréable que les nausées qui l'avaient terrassée des mois durant, la névralgie dorsale lui imposait parfois de se promener ou de s'allonger, selon le temps, pour faire s'alanguir les muscles.
"Nous nous promènerons pendant ce temps !" prévint l'engrossée en se hissant sur ses jambes. L'une, flasque, vint à céder, mais elle avait prit appui sur la table en prévision et ne s'écroula pas.
Ci, ses doigts libres de gants, avec trois bagues d'or à la main droite, deux à la gauche, tremblaient un peu. Ils devinrent rouges alors qu'elle faisait se balancer son mollet sous les pans de sa robes et ses jupons. Enfin, quand répondit la jambe par une flexion docile, elle repartit d'un pas hésitant et gagna le corridor.
"Nous partons en promenade" répéta-t'elle à sa gouvernante qui n'avait pas entendu.
Aussitôt, à l'étage supérieur, des pas lourds accélérèrent et firent pleurer le plancher de la poussière, en pluie fine sur les épaules de Blanche. "Voulez-vous que l'on vous accompagne ?" demanda Griet lorsque les pas se turent.
"Fort bien" accepta Blanche, qui avait rappelé son départ pour l'évident besoin d'un appui. "Tiercelin..."
"L'intendant est à Crossac" rappela la gouvernante en reprenant sa marche lentement. La planche grincèrent, aucune pluie de bois ne vint à couler des chênes de l'étage ; Blanche simplement, pinçait les lèvres en désespoir de n'avoir son conteur des histoires de Crossac sous la main.
"Son fils alors. Je ne me souviens pas de son nom, mais son nom n'a aucune importance. Il n'aura pas besoin de parler pour me donner le bras."
Elle prit un manteau qui couvrait toute sa stature. Mieux, il achevait le camouflage de la robe, et l'élégante disposition des tissus autour de la rondeur de son ventre ; bien qu'avancée dans sa grossesse, le pourtour agencé sans enserrer les flancs laissaient le doute : la protubérance passait pour un embonpoint noble habituel. Par dessus, le manteau d'hermines, bien lourd, cachait ce qui restait pour redonner à la dame de Donges l'allure qu'elle avait deux ans auparavant, au sommet de sa gloire.
"N'oubliez pas de vous taire", accueillit-elle le fils de son intendant, à la stature trop haute. A cette époque, la race des hommes de l'Europe était petite, et Tiercelin fils dépassait l'assemblée de Crossac de la tête et du cou, cou fin et élancé comme celui d'une cigogne.
Il essuya son nez, cassé en son bout, et croisé de deux narines qui plongeaient vers sa bouche, si bien qu'on y voyait bourgeonner un buisson de poils noirs d'un coté et de l'autre. Terreux, ses doigts d'un geste habituel firent s'arranger les poils de sa barbe, et en tomber des particules au pied de la porte. Il l'ouvrit, le vent les accueillit tous les deux, elle et sa robe qui se serrait par les bourrasques autour de son ventre adultère, lui qui renifla en faisant entrer vent et poils dans sa respiration.
"Ce sont des aubépines" répéta Blanche au jeune homme. Il ne disait mot, elle l'en gronda. "...et ouvrez la bouche pour autre chose que geindre, fils de Tiercelin de Donges !"
Il l'ouvrit. Lui avoua son nom. Ce premier échange, après pourtant l'avoir soutenue le long de l'escalier, et portée un peu sur les berges des marécages, était très hésitant, osé, avoué comme un tort. Elle ne l'en rabroua point, mais en se penchant vers le sol, jambes pliées avec douleur, elle insista.
"Ce sont des aubépines"
"Elles sont belles", dit-il seulement avec un air benêt. Il sourit, Blanche vit les dents manquantes de son pères, déjà sales, mais toujours en place. Fort mal à l'aise, elle passa une langue sur les siennes et vérifia la douceur de l'ivoire et leur propreté.
Lui, jambes un peu fléchie vers elle, gardait sur son bras la chaleur de son velours de femme. Elle se releva, il l'aida encore.
"Les gens de Crossac plantent tous les ans des genêts. Je me demande bien..." et sans finir sa phrase, elle dressa le nez vers les plants jaunes en parterre à sa forteresse, identiques couleurs de celles qui fleurissaient au village de Crossac.
"Oh il y en a partout, moi je vous l'assure. Même chez Jehan, qui n'est là que depuis dix ans. Tout le monde en met pour sûr !"
"C'est sans doute un souvenir. Sûrement." termina la baronne d'un ton agacé.
Le vent devint plus fort ; ramenant les bruits du marécage, Blanche y perçut des chocs de sabots aux rares pierres qui se trouvaient dans le sable. L'hôte arrivait.
Voyant qu'à sa tenue le ventre était caché, elle resta en bas, dans le jardin, au pied de cette dizaine de mètres de granit qui pointait vers le ciel. Tierrin, fils de Tiercelin, lui serra le bras en murmurant doucement.
La troupe à la grenouille arriva. Marchant telle qu'une malade vers lui, Blanche affaiblie espérait avoir l'air tout à fait normal. A son bras, le jouvenceau ne cessait de répéter. "Aubépine, genêt... en souvenir."
_________________
