Charlemagne_vf
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Laissez-moi.
Supplique éternelle et récurrente de l'Infant détrôné, du fils de Béatrice trépassée. Éloigné, protégé entre les murs d'un atelier de couture le temps de la Transition, Son Altesse s'ennuie...un peu plus qu'au Louvre.
On ne lui laisse pas le loisir de sortir, ne serait-ce que dans le bourg alentour.
Sa nourriture n'est pas celle du Premier Maître d'Hôtel, et le Prince grassouillet a déjà maigri.
Le regard guiséen, en mal de liberté, aime à se poser sur les fenêtre, à scruter l'extérieur.
Le garçon est de faible constitution, il est pâle, et taré à plusieurs égards. Le poids de parents névrosés est héréditaire, et le Fils à l'égo élargi est aussi agoraphobe, sociopathe, et anxieux chronique, cela en nourrissant une terrible et paternelle folie du pouvoir.
Enfermé, il ne supporte guère la geôle dorée dans laquelle il a pour seules compagnies quelques couturières, Madame de Jegun, et la Josselinière.
Fort de son éducation royale, haut de ses six ans, les journées vont au fil des livres qu'il a pour seul plaisir.
Êtres de papiers : seuls personnages dont il aime la présence, bien qu'il en méprise quelques uns, les courtois, les amoureux, et les allégories du peuple.
Bien, Votre Altesse.
Elle était encore là, l'inutile demoiselle qu'il avait congédiée. Elle était partie, enfin.
Le temps des funérailles avait passé, celui du deuil également, et l'on avait élevé une nouvelle gardienne du trône.
Les femmes - puisqu'il n'y avait que cela en ces lieux de parures, outre un étrange éphèbe - murmurent et se taisent sur son passage, comme s'il n'entendait rien. Mais il entend, et il sait que dehors, les choses changent.
Celui qui croyait qu'en dehors de son champ de vision, rien ne bougeait, a compris que les fleuves coulent sans lui, que le vent ne l'attend pas pour souffler, et que la platitude du monde ne cesse pas de déverser ses rivières à sa fin.
Charlemagne, seul dans une sombre pièce, vêtu de noir, approche une fenêtre, un parchemin en main - une poésie épique ou le lais de Marie de France. Il se hisse à son bord, où d'usage l'on écrit, aidé de la lumière, et s'y assied pour ruminer, pour rêver à la gloire passée, pour imaginer le destin futur qu'il attend encore.
Des pas approchent, annonçant une énième interruption de ces instants chéris de solitude. L'on n'aime guère le savoir seul, et les yeux que l'on disait indéfinissables de son père se posent sur l'entrée.
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