Erwelyn
Voilà, quelques jours maintenant que la mainoise Corleone future fifille à son papa et j'en passe, avait recouvré connaissance. La crise qui l'avait frappée de plein fouet lors de la cérémonie d'allégeance l'avait laissée sur le carreau. Out. Plus de son, plus d'image, plus de Lynette. A ce qu'on lui avait raconté, les surs avaient eu peur qu'elle trépasse, un prêtre se tenait même prêt à s'occuper des derniers sacrements. Mais elle avait tenu bon, allez savoir pourquoi.
Les ponettes et Ygerne lui avaient aussi raconté les détails dont son cerveau en bouilli ne se rappelait pas, à savoir la scène de la cérémonie d'allégeance à la duchesse bourguignonne. Les accusations, les deux harpies, la nouvelle du régicide. Enfin surtout, le nom de celle par qui la reine était morte. Sa propre tante. Si peu connue, si peu aimée. Celle qui laissait aujourd'hui une trace indélébile.
On lui avait raconté aussi le duel lancé par sa chambrière alors que sa maitresse sombrait, et le refus de la gueuse, sans doute de trouille. Sûrement plus facile de s'en prendre à une femme plus âgée et en pleine crise, que de se défendre contre une fille venant des rues.
Revenue à l'auberge où logeaient les poneys roses, deux missives reçues de son Comté trônaient sur la table de bois, où brulait doucement une chandelle. L'une surtout, l'avait frappée en plein cur. Depuis sa réception, un mot tournait en boucle dans son cerveau saccagé par les crises d'épilepsie à répétition : Evron.
Alors qu'elle pensait s'être enfin détachée de lui, de sa pensée, de son visage qui maintes fois l'avait hantée, voilà qu'un seul nom venait de réveiller en elle tout ce qu'elle avait enfoui. Oh, aujourd'hui ce n'était que forte amitié, bouffée d'affection et doux souvenirs qui venaient la titiller, alors que quelques années auparavant, ça aurait été un amour destructeur. Mais tout de même, ce nom venait faire sonner à ses oreilles l'absence inexpliquée, le manque de nouvelles, la peur de le savoir, de le sentir mort.
Et voilà que son Maine l'appelait à nouveau. Sa suzeraine lui mandait de la rejoindre, de la représenter pour la levée de ban. Comment refuser à celle qui lui avait tant apporté. Comment refuser à ce Comté dont jamais elle ne pourrait se détacher, comme elle l'avait cru il y avait encore peu de temps.
La chandelle se consuma quelque peu avant que la mainoise ne prenne la parole.
Ygerne, apporte-moi du parchemin et une plume je te prie. Et prépares nos bagages, nous partons pour le Maine dès l'aube, ma suzeraine nous attend.
Elle n'avait pas vraiment envie de prendre le temps d'aller chercher les titres de la demoiselle. Aussi, fit-elle ça simplement. Lynette n'avait aucune envie de se justifier, de s'excuser, ou quoi que ce soit d'autre. Elle avait sa conscience pour elle. Mais les deux semaines passées dans ce monastère, dont plusieurs jours dans un sommeil profond suite à sa crise, lui avaient rappelé le pardon et la tempérance. Ah ces surs toujours à pointer du doigt là où ça fait mal.
C'est donc d'un ton tout ponnetesque - ça se dit pas mais tant pis - que Lynette rédigea son courrier. Mi figue, mi raisin. Mi-sérieux, mi-ironique. Ne pas oublier que la demoiselle avait perdu un être cher et qu'elle devait en être toute chamboulée, voire même plus, mais ne pas oublier non plus qu'elle l'avait accusé de tous les maux de la terre pour une obscure raison.
A Della, chambellan de Bourgogne et petit fille de Vaxilart de la Mirandole
De nous, Erwelyn Corleone, dame de Sainct Antoyne de Rochefort et vice chancelière du Maine
L'on m'a conté la fin de notre "entrevue" lors des allégeances à la duchesse de Bourgogne.
Tout d'abord, je vous rassure, vous n'êtes en aucun cas responsable de ma perte de connaissance, voici un mal que je traîne depuis une vilaine chute de remparts mainoise, alors que je défendais la capitale. Oui, oui, ça m'arrive, alors c'est que je ne dois pas être si mauvaise que ça. Aristote a décidé de ne pas me rappeler à lui maintenant, mon heure n'est donc toujours pas venue.
Ma convalescence m'a cependant permis de réfléchir longuement oui on réfléchit beaucoup au couvent, on ne peut pas faire grand chose d'autre - au pourquoi du comment tant de haine à mon égard. Oh, j'ai bien compris que je portais le nom honnis, mais en ce cas, pourquoi seule moi dans cette pièce ai eu droit à cette scène. Vous auriez pu tout aussi bien passer votre courroux sur Griotte, cousine de la Corleone en question.
Et puis, je me suis dit que vous deviez être une femme intelligente. Bon, pas pendant que vous me criiez dessus, mais en général j'entends. En vouloir à quelqu'un parce qu'il est de la même famille qu'un autre, ce n'est pas logique. Imaginez donc tous les gens qui auraient envie de vous cracher dessus juste parce que vous portez le même nom que votre oncle Flex, ça en ferait un paquet ! Heureusement, il ne le font pas. Ça serait un peu comme moi qui vous vomis dessus, mais en pire parce que ça serait constant.
D'ailleurs, désolée pour votre robe.
Alors la lumière fut ! C'est une métaphore hein, parce que ma chandelle était déjà allumée. Vous avez eu peur que je fasse subir le même sort à votre grand-père bien aimé. C'est tout naturel, j'aurais pensé la même chose à votre place. Sauf que je ne peux pas être à votre place sinon j'épouserais mon propre grand-père, et ça, ça ne se fait pas.
Alors, rassurez-vous, le meurtre de Vaxilart n'est pas dans mes projets futurs. Non, pour l'instant nous songeons surtout tous deux à nous marier, et Aristote verrait ça d'un mauvais il si je pensais dès lors à tuer mon futur époux.
Pour finir, si vous avez lu jusque là, je conçois la tristesse, je conçois la haine envers la meurtrière de la reine, je conçois l'esprit de vengeance. Aristote nous apprend toutefois la tempérance, ce qui permet de comprendre qu'une nièce, n'a pas forcément les même desseins que sa tante. Ni même son caractère. Ni même ses relations avec les pots de fleurs, même si je n'ai toujours pas compris ce que ça voulait dire exactement.
Acceptez, ou non, toute mes condoléances pour la mort de la reine qui devait vous être très chère. J'imagine que je ne vous apprendrais rien en vous disant que ce régicide m'a extrêmement touchée également. Je refuse que l'on me lie, de près ou de loin, à cet horrible acte.
Pour l'heure, je pars vers le Maine, mais nous nous reverrons sûrement, dans les murs d'une ambassade ou à un tout autre endroit.
Erwelyn
Elle se doutait bien que Della allait soit ne pas lui répondre, soit l'envoyer bouler, mais qu'importe. Un droit de réponse, elle avait. Et si la mainoise n'avait pu le prendre sur le champ à cause de cette foutue crise, elle le prenait maintenant, par parchemin interposé. Les deux femmes se recroiseraient bien assez tôt mais pour l'heure, il lui fallait partir pour le Maine, pour son comté.
La deuxième lettre alla à la duchesse, princesse, et sûrement plein d'autres titres dont elle avait oublié le nom, à qui elle n'avait pu présenter ses hommages au bon moment.
A Armoria de Mortain, Duchesse de Bourgogne
De nous, Erwelyn Corleone, vice chancelière du Maine
Par la présente, je tenais à m'excuser de n'avoir pu assister jusqu'au bout à la cérémonie d'allégeance à cause d'une sortie assez mouvementée.
Profitant de ma présence en Bourgogne, j'étais venue pour représenter le Maine, en tant que diplomate de mon Comté, et pour vous présenter mes vux de réussite pour ce nouveau mandat.
Malheureusement, un mal profond qui ne me quitte plus depuis une mauvaise chute est venu me frapper de plein fouet, doublé d'une altercation non prévisible.
Veuillez donc accepter, à défaut d'avoir pu vous les présenter de vive voix, mes hommages et tous mes souhaits de réussite à la tête de votre grand duché.
Faict à Sémur, le ving-cinq août de l'an mil quatre cent cinquante neuf
Voilà, pas la peine non plus d'en faire une tartine et de balancer que deux harpies étaient venues l'agresser en pleine cérémonie. D'autant plus que la princesse était présente, et qu'elle avait bien dû voir ce qui s'était déroulé dans la salle.
Il lui fallait maintenant se concentrer sur la levée de ban royal, et sur ce deuxième courrier et cette nouvelle qui allait tout chambouler. Il faudrait ne pas ciller, retenir les larmes qui viendraient sans doute bruler ses yeux, et rester sourde à ce cur qui se serrerait.
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Les ponettes et Ygerne lui avaient aussi raconté les détails dont son cerveau en bouilli ne se rappelait pas, à savoir la scène de la cérémonie d'allégeance à la duchesse bourguignonne. Les accusations, les deux harpies, la nouvelle du régicide. Enfin surtout, le nom de celle par qui la reine était morte. Sa propre tante. Si peu connue, si peu aimée. Celle qui laissait aujourd'hui une trace indélébile.
On lui avait raconté aussi le duel lancé par sa chambrière alors que sa maitresse sombrait, et le refus de la gueuse, sans doute de trouille. Sûrement plus facile de s'en prendre à une femme plus âgée et en pleine crise, que de se défendre contre une fille venant des rues.
Revenue à l'auberge où logeaient les poneys roses, deux missives reçues de son Comté trônaient sur la table de bois, où brulait doucement une chandelle. L'une surtout, l'avait frappée en plein cur. Depuis sa réception, un mot tournait en boucle dans son cerveau saccagé par les crises d'épilepsie à répétition : Evron.
Alors qu'elle pensait s'être enfin détachée de lui, de sa pensée, de son visage qui maintes fois l'avait hantée, voilà qu'un seul nom venait de réveiller en elle tout ce qu'elle avait enfoui. Oh, aujourd'hui ce n'était que forte amitié, bouffée d'affection et doux souvenirs qui venaient la titiller, alors que quelques années auparavant, ça aurait été un amour destructeur. Mais tout de même, ce nom venait faire sonner à ses oreilles l'absence inexpliquée, le manque de nouvelles, la peur de le savoir, de le sentir mort.
Et voilà que son Maine l'appelait à nouveau. Sa suzeraine lui mandait de la rejoindre, de la représenter pour la levée de ban. Comment refuser à celle qui lui avait tant apporté. Comment refuser à ce Comté dont jamais elle ne pourrait se détacher, comme elle l'avait cru il y avait encore peu de temps.
La chandelle se consuma quelque peu avant que la mainoise ne prenne la parole.
Ygerne, apporte-moi du parchemin et une plume je te prie. Et prépares nos bagages, nous partons pour le Maine dès l'aube, ma suzeraine nous attend.
Elle n'avait pas vraiment envie de prendre le temps d'aller chercher les titres de la demoiselle. Aussi, fit-elle ça simplement. Lynette n'avait aucune envie de se justifier, de s'excuser, ou quoi que ce soit d'autre. Elle avait sa conscience pour elle. Mais les deux semaines passées dans ce monastère, dont plusieurs jours dans un sommeil profond suite à sa crise, lui avaient rappelé le pardon et la tempérance. Ah ces surs toujours à pointer du doigt là où ça fait mal.
C'est donc d'un ton tout ponnetesque - ça se dit pas mais tant pis - que Lynette rédigea son courrier. Mi figue, mi raisin. Mi-sérieux, mi-ironique. Ne pas oublier que la demoiselle avait perdu un être cher et qu'elle devait en être toute chamboulée, voire même plus, mais ne pas oublier non plus qu'elle l'avait accusé de tous les maux de la terre pour une obscure raison.
A Della, chambellan de Bourgogne et petit fille de Vaxilart de la Mirandole
De nous, Erwelyn Corleone, dame de Sainct Antoyne de Rochefort et vice chancelière du Maine
L'on m'a conté la fin de notre "entrevue" lors des allégeances à la duchesse de Bourgogne.
Tout d'abord, je vous rassure, vous n'êtes en aucun cas responsable de ma perte de connaissance, voici un mal que je traîne depuis une vilaine chute de remparts mainoise, alors que je défendais la capitale. Oui, oui, ça m'arrive, alors c'est que je ne dois pas être si mauvaise que ça. Aristote a décidé de ne pas me rappeler à lui maintenant, mon heure n'est donc toujours pas venue.
Ma convalescence m'a cependant permis de réfléchir longuement oui on réfléchit beaucoup au couvent, on ne peut pas faire grand chose d'autre - au pourquoi du comment tant de haine à mon égard. Oh, j'ai bien compris que je portais le nom honnis, mais en ce cas, pourquoi seule moi dans cette pièce ai eu droit à cette scène. Vous auriez pu tout aussi bien passer votre courroux sur Griotte, cousine de la Corleone en question.
Et puis, je me suis dit que vous deviez être une femme intelligente. Bon, pas pendant que vous me criiez dessus, mais en général j'entends. En vouloir à quelqu'un parce qu'il est de la même famille qu'un autre, ce n'est pas logique. Imaginez donc tous les gens qui auraient envie de vous cracher dessus juste parce que vous portez le même nom que votre oncle Flex, ça en ferait un paquet ! Heureusement, il ne le font pas. Ça serait un peu comme moi qui vous vomis dessus, mais en pire parce que ça serait constant.
D'ailleurs, désolée pour votre robe.
Alors la lumière fut ! C'est une métaphore hein, parce que ma chandelle était déjà allumée. Vous avez eu peur que je fasse subir le même sort à votre grand-père bien aimé. C'est tout naturel, j'aurais pensé la même chose à votre place. Sauf que je ne peux pas être à votre place sinon j'épouserais mon propre grand-père, et ça, ça ne se fait pas.
Alors, rassurez-vous, le meurtre de Vaxilart n'est pas dans mes projets futurs. Non, pour l'instant nous songeons surtout tous deux à nous marier, et Aristote verrait ça d'un mauvais il si je pensais dès lors à tuer mon futur époux.
Pour finir, si vous avez lu jusque là, je conçois la tristesse, je conçois la haine envers la meurtrière de la reine, je conçois l'esprit de vengeance. Aristote nous apprend toutefois la tempérance, ce qui permet de comprendre qu'une nièce, n'a pas forcément les même desseins que sa tante. Ni même son caractère. Ni même ses relations avec les pots de fleurs, même si je n'ai toujours pas compris ce que ça voulait dire exactement.
Acceptez, ou non, toute mes condoléances pour la mort de la reine qui devait vous être très chère. J'imagine que je ne vous apprendrais rien en vous disant que ce régicide m'a extrêmement touchée également. Je refuse que l'on me lie, de près ou de loin, à cet horrible acte.
Pour l'heure, je pars vers le Maine, mais nous nous reverrons sûrement, dans les murs d'une ambassade ou à un tout autre endroit.
Erwelyn
Elle se doutait bien que Della allait soit ne pas lui répondre, soit l'envoyer bouler, mais qu'importe. Un droit de réponse, elle avait. Et si la mainoise n'avait pu le prendre sur le champ à cause de cette foutue crise, elle le prenait maintenant, par parchemin interposé. Les deux femmes se recroiseraient bien assez tôt mais pour l'heure, il lui fallait partir pour le Maine, pour son comté.
La deuxième lettre alla à la duchesse, princesse, et sûrement plein d'autres titres dont elle avait oublié le nom, à qui elle n'avait pu présenter ses hommages au bon moment.
A Armoria de Mortain, Duchesse de Bourgogne
De nous, Erwelyn Corleone, vice chancelière du Maine
Par la présente, je tenais à m'excuser de n'avoir pu assister jusqu'au bout à la cérémonie d'allégeance à cause d'une sortie assez mouvementée.
Profitant de ma présence en Bourgogne, j'étais venue pour représenter le Maine, en tant que diplomate de mon Comté, et pour vous présenter mes vux de réussite pour ce nouveau mandat.
Malheureusement, un mal profond qui ne me quitte plus depuis une mauvaise chute est venu me frapper de plein fouet, doublé d'une altercation non prévisible.
Veuillez donc accepter, à défaut d'avoir pu vous les présenter de vive voix, mes hommages et tous mes souhaits de réussite à la tête de votre grand duché.
Faict à Sémur, le ving-cinq août de l'an mil quatre cent cinquante neuf
Voilà, pas la peine non plus d'en faire une tartine et de balancer que deux harpies étaient venues l'agresser en pleine cérémonie. D'autant plus que la princesse était présente, et qu'elle avait bien dû voir ce qui s'était déroulé dans la salle.
Il lui fallait maintenant se concentrer sur la levée de ban royal, et sur ce deuxième courrier et cette nouvelle qui allait tout chambouler. Il faudrait ne pas ciller, retenir les larmes qui viendraient sans doute bruler ses yeux, et rester sourde à ce cur qui se serrerait.
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