Il la tuerait, un jour. Ou pas. Elle serait capable de revenir le hanter. Mais n'empêche, un jour, he bien... Elle verrait, hein ! Ah ça ! Elle ferait moins la maline quand elle le verra qui... Qui... oui, bon, le plan n'était pas tout à fait au point et le haussement de sourcil narquois qu'elle lui décochait à chaque fois qu'elle se retournait avait le don de l'énerver un peu plus.
- Anatooooole ! Anatole, il faut absolument qu'on pense à acheter du tissu lavande. C'est acceptable pour le deuil vu que c'est bleu mais ça a une pointe de rose et je pense que pour votre livrée, ce serait charmant. Oh, et Anatole, cessez de souffler comme ça, j'ai l'impression d'avoir un éventail humain derrière moi. En plus vous postillonnez et même si c'est plaisant d'avoir un brumisateur humain, cela ne me semble pas très hygiénique. Oh, Anatole, le vent emporte la jolie feuille que je regardais ! Viiite, courrez ! Elle est sur le purin là bas ! Fichtre, vous empestez. Anatole, ayez l'amabilité de marcher loin de moi. Anatoooole ! Mais enfin vous êtes trop loin ! Comment je fais en cas de besoin ? Je ne vais pas m'égosiller comme une poissonnière ! Ne répondez pas ! Anatole !
Çavait été comme ça depuis leur départ. Pas celui de Sémur, non. Depuis leur premier départ ensemble, quand il avait eu le malheur de la suivre depuis Rochechouart. Et depuis, sa vie n'était qu'enfer, souffrance et rose bonbon. En plus, il ne s'appelait même pas Anatole.
Il tenta de se remettre d'aplomb sur sa monture. Même pas le droit de voyager à pied. Il était écrivain, écrivain particulier, à aucun moment il n'avait tenu à monter sur le premier canasson venu ! Les écrivains voyagent à pied, la plume aux lèvres, ou en carrosse, les pieds en l'air, afin de discourir avec allégresse des bienfaits de mère nature. Pas sur un âne récalcitrant, partis pour...
Une boule lui bloqua la gorge. Partis pour sauver Ygerne. Et récupérer une ponette ensevelie sous du pain, certes, mais principalement pour sauver Ygerne. En tous cas c'était son seul but à lui. Les ponettes, inconscientes, ne vivaient que pour le drame et la haute couture. Mais lui, lui ! Il était là pour veiller sur Ygerne, pauvre jeune fille victime des décisions arbitraires de son employeuse.
Comment allait-elle ? Était-elle seulement vivante ? Qui allait veiller sur elle ?
- Ooooh le joli papillon ! Vous avez pris mon filet à papillons ?
- Non.
- Mais il me le fauuuut ! Pourquoi l'avez-vous oublié ?
- ELLE N'AVAIT RIEN DEMANDE A PERSONNE !
Voilà, c'était sorti tout seul. La brune stoppa son poney et s'appliqua à lui faire faire un demi-tour (spectacle leur valant moults applaudissements sur leur passage) pour venir le fixer.
Il réprima ses larmes et fixa un point immobile sur l'horizon, histoire de ne pas croiser son regard.
- Alors, je sais que vous tenez à la vie des petites bêtes mais mon petit doigt me dit que vous ne parlez pas du papillon, là...
Il maintint le silence afin de ne pas craquer. La ponette le regarda, tête penchée et yeux plissés. Mayday, mayday.
- Alors, évidemment, si on ne vous connaissait pas et qu'on imaginait que vous étiez un l'inverse d'un membre de personnel concentré et entièrement dévoué à sa tâche, on pourrait croire que vous parlez d'Ygerne. Aristote du ciel, nous savons tous les deux que vous êtes avant tout convaincu que votre devoir est de m'accompagner, tout comme le devoir d'Ygerne est d'accompagner Lynette, n'est-ce pas ?
A force de fixer l'horizon sans cligner des yeux, les larmes commençaient à déborder sur ses joues. A cause du vent (et du vent uniquement !) ses lèvres se mirent à trembler.
- Je suis persuadée qu'on s'occupe bien d'elle.
Un hoquet malheureux le secoua. Aristote... il pleurait devant Mahaut, et même pas de douleur physique... Il pleurait pour Ygerne, devant son employeuse-tortionnaire. Elle allait le massacrer.
- Il est hors de question que vous remettiez en question le fonctionnement de la servitude. Nous, les nobles, dominons le monde parce que nous le valons bien. Les gueux nous servent et c'est leur joie, ne l'oubliez pas.
Il ne parvenait plus à retenir ses larmes, cherchant désespérément un mouchoir digne de ce nom et pas un de ces machins en soie et dentelle, incapables de moucher un nez humain (et pour cause, ils ne servaient qu'à être secoués devant une personne évanouie histoire de s'occuper les mains). Ygerne était seule, blessée, mourante, loin de lui. Lui, le seul être capable de s'occuper d'elle !
- Bien, il était important de refixer cela pour l'éternité. Pour l'amour du ciel, mouchez-vous !
Il sexécuta tant bien que mal (bordels de mouchoirs en dentelle) et tenta de reprendre le contrôle de ses épaules qui tressautaient encore, toujours à cause de ce satané vent de Bourgogne.
- Néanmoins, il me paraît inconcevable de voyager sans mon filet à papillons. Vous allez donc retourner à Sémur pour le trouver et quand vous vous apercevrez que je n'en ai pas, vous aurez pour mission d'en acheter un et de le tester pour qu'il soit efficace lors de mon retour. Vous en profiterez pour ranger ma chambre, je n'ai pas eu le temps avant de partir. Oh, et tant que j'y suis, allez donc vous occuper d'Ygerne. Allez, déguerpissez, vous allez me mettre en retard.
Stupéfait, il la vit faire reprendre la route à Petit Tonnerre et le talonner pour qu'il entame un semblant de galop. Rapidement, il se retrouva seul sur la route. Libre. Il était libre de retourner voir Ygerne. Même pas ! Il avait ordre de retourner la voir !
Il repartit au galop, bien décidé à trouver la servante et à la tirer des griffes d'Aristote lui-même.
Il n'y avait qu'une chose qui le sidérait. La brune avait fait preuve de compassion. Il allait devoir le payer un jour ou l'autre. Il secoua la tête pour reprendre ses esprits. Il y penserait plus tard. Pour l'instant, il n'avait qu'une chose en tête : retrouver Ygerne, tel un preux chevalier, mais limousin.
- Taïau !