Edern
Huit mois.
Huit mois d'îles, de ports et de villes perdues. Déserts d'eau et de pierre où la mort le dispute à la prière, marches infinies d'un ailleurs si proche, immobile. Des Hommes, encore. Même au bout du monde, ils se battent toujours pour l'or et la gloire, impuissants à s'abstraire du vacarme de leur propre mêlée. Seules changent la langue de leur mère, celle des poètes et les vibrations des instruments qui déjouent les assauts du silence. Tambours d'Irlande, souffles calédoniens, archets anglais : ennemis le jour, mais unis contre la tombée de la nuit et le lever des solitudes. La plume, enfin. Des mots pour trouver le chemin. Pas un jour n'a passé sans ajouter une ligne au récit d'une vie. Les évènements rebondissent en échos incertains sur les parois d'une Europe en perdition. La guerre est partout, la victoire, nulle part.
Huit mois, et le voilà.
Matelot de fortune sur un navire artésien, du cal aux mains. Écorce de labeur à la surface d'un corps en sueur. Quelques gouttes de sel qui s'en vont rejoindre leurs innombrables compagnes à la faveur d'une brise de terre... le vent est contraire. Il en faudrait plus pour le contrarier. Les embruns ont capturé son esprit vagabond et jouent avec son imagination. L'écume adresse des sourires éphémères au bois qui la fend d'un sillon sans semaille. Va, va, petit bateau. Va t'accrocher à ton beau continent... ou délivre-toi du fardeau humain qui te pèse et chavire à ton bon plaisir. Une voile frissonne, effrayée à l'évocation d'une telle liberté. L'aileron d'un dauphin crève le bouillonnement. À quoi veut-il jouer ? Il disparaît. Les bourrasques s'évanouissent au loin, de l'horizon surgit un ponton.
Bertincourt. L'Artois. La France.
Non, pas la France. Juste l'Alliance...
Les amarres sont lancées, attachées par des mains d'automate aux fragiles cylindres de métal du quai. Est-ce cela, retourner chez soi ? Non. C'est un aller sans retour. Chacun de ses pas laisse une empreinte différente. Cycle n'est pas identité. Sur la route des marcheurs, on ne regarde en arrière que pour compléter ce qui vient devant. On salue aussi les aveugles, ceux qui se risquent à esquiver sans lumière les pièges du hasard. Le noir est la couleur des paupières, sombres papillons battant des ailes contre la traîtrise des apparences enluminées. L'illusion des contours...
Un aller sans retour.
Ses affaires sont rassemblées en vue du départ. L'écritoire en bandoulière, un sac de cuir pour le futile du quotidien. Une tenue de routier et des armes métalliques dont il n'a pas l'utilité, cadeaux des pirates du couchant. Amis brigands... mon encre emplit déjà vos veines, faites couler le sang. La bête s'épuise et crachera bientôt le sien... un cadavre pour une naissance, dit la balance. La prophétie des bas-fonds s'élève vers le ciel. Il est prêt. Il ne lui reste plus qu'à fouler la terre qu'il s'est promise...
Marche, à présent.
Des soldats palabrent avec la maîtresse du navire, lui remettent une missive cachetée. Un pli pour le passager ? De ses sourcils, un froncement. Personne n'est au courant.
Huit mois d'îles, de ports et de villes perdues. Déserts d'eau et de pierre où la mort le dispute à la prière, marches infinies d'un ailleurs si proche, immobile. Des Hommes, encore. Même au bout du monde, ils se battent toujours pour l'or et la gloire, impuissants à s'abstraire du vacarme de leur propre mêlée. Seules changent la langue de leur mère, celle des poètes et les vibrations des instruments qui déjouent les assauts du silence. Tambours d'Irlande, souffles calédoniens, archets anglais : ennemis le jour, mais unis contre la tombée de la nuit et le lever des solitudes. La plume, enfin. Des mots pour trouver le chemin. Pas un jour n'a passé sans ajouter une ligne au récit d'une vie. Les évènements rebondissent en échos incertains sur les parois d'une Europe en perdition. La guerre est partout, la victoire, nulle part.
Huit mois, et le voilà.
Matelot de fortune sur un navire artésien, du cal aux mains. Écorce de labeur à la surface d'un corps en sueur. Quelques gouttes de sel qui s'en vont rejoindre leurs innombrables compagnes à la faveur d'une brise de terre... le vent est contraire. Il en faudrait plus pour le contrarier. Les embruns ont capturé son esprit vagabond et jouent avec son imagination. L'écume adresse des sourires éphémères au bois qui la fend d'un sillon sans semaille. Va, va, petit bateau. Va t'accrocher à ton beau continent... ou délivre-toi du fardeau humain qui te pèse et chavire à ton bon plaisir. Une voile frissonne, effrayée à l'évocation d'une telle liberté. L'aileron d'un dauphin crève le bouillonnement. À quoi veut-il jouer ? Il disparaît. Les bourrasques s'évanouissent au loin, de l'horizon surgit un ponton.
Bertincourt. L'Artois. La France.
Non, pas la France. Juste l'Alliance...
Les amarres sont lancées, attachées par des mains d'automate aux fragiles cylindres de métal du quai. Est-ce cela, retourner chez soi ? Non. C'est un aller sans retour. Chacun de ses pas laisse une empreinte différente. Cycle n'est pas identité. Sur la route des marcheurs, on ne regarde en arrière que pour compléter ce qui vient devant. On salue aussi les aveugles, ceux qui se risquent à esquiver sans lumière les pièges du hasard. Le noir est la couleur des paupières, sombres papillons battant des ailes contre la traîtrise des apparences enluminées. L'illusion des contours...
Un aller sans retour.
Ses affaires sont rassemblées en vue du départ. L'écritoire en bandoulière, un sac de cuir pour le futile du quotidien. Une tenue de routier et des armes métalliques dont il n'a pas l'utilité, cadeaux des pirates du couchant. Amis brigands... mon encre emplit déjà vos veines, faites couler le sang. La bête s'épuise et crachera bientôt le sien... un cadavre pour une naissance, dit la balance. La prophétie des bas-fonds s'élève vers le ciel. Il est prêt. Il ne lui reste plus qu'à fouler la terre qu'il s'est promise...
Marche, à présent.
Des soldats palabrent avec la maîtresse du navire, lui remettent une missive cachetée. Un pli pour le passager ? De ses sourcils, un froncement. Personne n'est au courant.
Citation:
Bonjour,
J'ai autoriser l'accostage du bateau, par contre tant que le prévôt ne m'a pas fait signe je vous demande de reste à bord, ne pas débarquer.
Je vous remercie de respecter cette règle.
Perl
J'ai autoriser l'accostage du bateau, par contre tant que le prévôt ne m'a pas fait signe je vous demande de reste à bord, ne pas débarquer.
Je vous remercie de respecter cette règle.
Perl
Il rit. Une règle à respecter... deux minutes de confinement lui suffisent pour la briser. Sais-tu qui je suis, admirable bureaucratie ? C'est folie que de vouloir arrêter les fous avec du papier. Ils en connaissent la valeur et se rient des formulaires tombés des arbres à fonctionnaires... le parchemin est froissé d'une main, jeté négligemment par-dessus le bastingage. Ouvrir la cage... la sortie a la forme d'une barque suspendue à la poupe, descendue jusqu'au clapotis qui nargue discrètement la rigidité des douaniers. Il filera comme l'océan entre leurs doigts...
Deux rames s'enfoncent doucement dans l'onde.
S'arrêtent au bord d'une cale inoccupée.
Pied à terre.
Puis il déambule dans la cité portuaire, l'oreille coulant familière dans le bruit de lieux pourtant étrangers. Pressé ? Si peu. Une poignée de détails à régler avant de chevaucher vers la Normandie. Cheval, pigeons, provisions. Et surtout... rumeurs de campagne, nouvelles du front. La propagande n'est pas un art aussi facile qu'on le croit. Alors une enseigne parmi d'autres. La porte d'une taverne est poussée sans lenteur ni hâte, à la recherche d'une conversation banale.
Là-bas, cette femme au verre solitaire ne serait-elle pas sa bienfaitrice ?
Main au couvre-chef en salutation de l'intrépide navigatrice.
Capitaine.
Vous permettez ? Je me permets.
Cri strident d'une chaise sur le parquet.
Votre canot est à la carène, je crois qu'il prend l'eau...
Regard en coin aux soudards attablés à proximité. Bouffonnerie en perspective...
Coup de semonce soigneusement détaché dans l'air grisâtre que respire la salle embrumée.
Dites-moi, vous qui connaissez l'Artois... ces messieurs au fond... vous appelez cela des soldats ?