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[RP] Ce soir, on vous met le feu

--Antonine
Campagne sémuroise. Une enseigne vermoulue grince au flanc d’une petite auberge miteuse, en bordure d’un chemin de terre. Au rez-de-chaussée brûle une bougie. De l’autre côté des carreaux glauques, une petite pièce encombrée où plusieurs êtres se pressent les uns contre les autres, entre les tonneaux de vinasse et les jambons pendus au plafond. Deux gosses en bas âge dorment, recroquevillés sur un grabat ; une petite fille blonde aux grands yeux peine sur un ouvrage de couture, tout près de la chandelle. Un autre dévore le sein flasque de sa mère, une grande femme sèche aux orbites immenses et à la bouche torve.
Silence.


- On n’a pas idée !

La femme, soudain, s'était mise à grogner à la figure d’un homme brun, aux épaules voûtées et au visage maussade. L'aubergiste n'en parut pas dérangé outre mesure ; la petite couturière, en revanche, eut un mouvement de recul et manqua faire choir la bougie.

- Un écu, c’toujours un écu. Qu’est-ce que ça peut faire ?
- Ce que ça peut faire ? s’étrangla la femme. Qu’est-ce qu’on dira, hein, si y’a du monde qui passe ? Qu’est-ce qu’on dira ? Qu’on a hébergé des bretons parce qu’un écu, c’toujours un écu ?
- Qui veux-tu qui passe ?
- Est-ce qu’on sait ? Des gens… Ils sont pas discrets, ces deux idiots. Ca commence à causer en ville. Paraîtrait même qu’des gens importants sont au courant !
- Tu m’ennuies. Si quelqu’un les veut, qu’y z’y prenne !
- Et quand on t’auras pendu pour trahison et qu’on aura réquisitionné l’auberge, j’fais quoi, moi, d’tes chiards ? J’les jette à l’eau ?

Cette fois, la gosse apeurée heurta la chandelle, la rattrapant in extremis. Sa mère darda vers elle un regard irrité :

- Fais donc attention, nigaude !
- Laisse ! T’vois bien qu’elle y voit plus assez clair pour continuer son ouvrage.

L’aubergiste lécha son pouce et son index pour éteindre la flamme.

- T’façon, on a bien assez gâché comme ça. Aller. Va dormir, Antonine.
- Oui Papa, répondit une petite voix fluette.
- Tu peux pas dire que j’t’aurais pas prév’nu, grommela encore la femme, avant d’aller s’allonger avec son nourrisson.

La petite grimpa sur sa couche près de la fenêtre, et tandis que les propriétaires du Cochon rôti sombraient dans un profond sommeil, son regard se perdit dans les étoiles.
Else
Mêmes étoiles, autre regard.

Elisabeth… vous savez, l’une de « ces deux idiots de Bretons »… contemple le ciel piqué de lumière. Ses prunelles glissent de temps à autre vers la face diaphane et léprosée de la lune, et ses doigts pressent avec angoisse le médaillon à son cou. Craint-elle qu’on vienne l’arracher à ce galetas pour lui faire comprendre que oui, la Bourgogne c’est joli, mais non, pour les vacances , c’est pas la saison, surtout pas quand on a le Ponant quasi tatoué sur le front ? et que « Breizh da viken » peut-être, mais un autre jour ?
P’t’êt’ ben qu’oui, p’t’êt ben qu’non, comme diraient d’autres copains. Mais ce n’est pas aux côtes de Bretagne qu’elle pense ce soir, pas au chant du vent ni aux bocages, ni au chouchen, ni même à sa sœur.


Celle qui l’obsède, celle qui l’obnubile, c’est Alwenna Wolback de Montfort-Laval. Lys. La gosse pour laquelle elle s’est aventurée, diable, dans cette galère. Pour laquelle elle a traversé la moitié du Royaume de France en guerre, oui Monsieur, oui Madame. Et dont elle se demande comment, mon Dieu, comment elle pourra la sauver ; car Elsabeth sent quelque chose de sombre dans cette femme au service de laquelle l'enfant est entrée. Un grain d'intolérable. Une ombre, qui a coup sûr – mais veut-elle bien se l’avouer ? a fasciné sa Lys, comme un écho aux étranges pulsions qui hantent sa petite âme déchirée, et l’a attirée irrésistiblement vers Quiou Deswaard.
« C’est ce que je veux, vraiment », répond-elle toujours, lorsqu’Elsa la questionne. Et Elsa ne rétorque rien. Pour rétorquer, il faudrait oser imaginer l’inacceptable, oser dire, à la face du ciel, ce que son âme de grenouille de bénitier coasse douloureusement : que le mal qui ronge l’enfant qu’elle aime… n’a pas de nom.

Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi l’as-tu abandonnée.
Mais non, n’est-ce pas ? Tu ne l’as pas abandonnée. Je la sauverai. Tu verras. Je la sauverai, et tu m’aideras, hein que tu m'aideras, dis-oui !

Tandis que la Lise remue ses noirs sentiments à l’égard de la Vicomtesse, voici qu’une petite phrase se fraye sournoisement un chemin dans sa mémoire et vient danser sur le devant de son crâne, une petite phrase mystérieuse, lancée quelques heures plus tôt à Lys alors que la Noire débarrassait (enfin ?) le plancher :

« J’ai de funestes joyeusetés à vous révéler. »
Une phrase qui avait mis en alerte les petites cellules grises et avides de Lisbeth. Puis, ne pouvant percer l’énigme, et encline à clore le chapitre Deswaard pour aujourd’hui et le salut de ses nerfs, elle avait oublié. Mais ce soir…


- Gast !

Tu l'as dit, bouffi. T'peux être fière de toi, même.
Blondie frappée par l'évidence à grand coup de batte de baseball se redresse dans son lit, comme si soudain une écharde s'était enfoncée entre ses omoplates, irradiant tout son corps d’un frisson. Sueur. Terreur. Une paume tremblante se pose sur une lettre interceptée quelques jours plus tôt, et tenue secrète. Elle sait ce qui a dû se passer.

Et le moins qu’on puisse dire, c’est "gast".
Voyez comme c'est bien fichu.
Alwenna
[Dans une auberge]

Ce soir, Alwenna n'arriva pas à dormir.
Ce ne fut guère étonnant, quelques heures plus tôt, on lui avait appris que sa mère était morte. Et depuis pas mal de temps.
La nouvelle lui avait été cachée, dissimulée, ce qui, nouvelle annoncée, eut un double effet de peine. Dans la tête brune, tout fut emboité, chaque signe anormal, chaque comportement étrange, tout ce qui échappait un poil à la petite fut réuni, pour ne former qu'un. Elle s'était couchée, la gorge serrée de ne pas pouvoir exprimer sa tristesse, et ne s'était pas endormie. Elle n'avait pas pleuré, et même maintenant, alors qu'elle pouvait lâcher ses larmes, ne le faisait pas. Car l'heure n'était pas à se lamenter sur son sort.
Mais à éprouver une rage folle.
Et devinez envers qui ?

Ces regards nerveux à chaque fois que le Bretonne parlait de sa mère, ces toussotements alors que la Wolback racontait avec rêverie qu'elle deviendrait un jour comme celle qui l'avait éduquée, ces mains crispées quand La Blanche annonçait que ses parents lui manquaient.
Tous ces gestes qu'elle ne comprenait pas, mais dont elle ne se souciait guère.
Ils venaient des deux personnes en qui elle avait le plus confiance.


Tous des menteurs ...

La voix fit sursauter Alwenna.
Habituelle pourtant, ce son qui brûlait sa tête l'effrayait toujours autant, comme une partie de soi, comme un mauvais souvenir.
Ou comme une réalité.


Ils te veulent du mal ... Tout le monde t'en veux ... Mais écoute moi, écoute toi, et ils te respecteront ...

La rage, la folie, la colère, l'envie, la vengeance, sentiments négatifs et néfastes qui envahissaient l'être tout entier d'Alwenna. Les jambes tremblaient de manière incontrôlable, les poings se serraient avec une force inébranlable, la lèvre était mordue par des dents rageuses, et si ils le pouvaient, les cheveux bruns se dresseraient.
Ce n'était pas la peine que sa conscience, Lys l'appelait comme ceci, parle une nouvelle fois. La décision était prise. L'enfant se leva, encore habillée, enfila sa cape et mis ses bottes sans faire aucun bruit, puis s'en alla, le regard vide.


[Pas très loin de l'auberge "Le Cochon Rôti"]

Un bout de bois avait été saisi à un campement, au bout ondulait une flamme, belle flamme que voici. Grande, menaçant de brûler la petite à chaque mouvement. Il faisait nuit depuis longtemps, les passants étaient donc rares, mêmes inexistants, surtout dans ce coin de Sémur, pour ne pas déplaire à l'enfant. Elle avançait, impassible, déterminée, mais son air livide lui faisait défaut. En effet, rien n'allait, tout se précipitait, elle avait souvenir d'un conseil qu'une amie lui avait donné :"Ne jamais réagir sous le coup de l'émotion !", mais c'est ce qu'elle faisait en ce moment même, et pas qu'un peu. La voilà mise à l'épreuve, en défi avec elle même, les paris sont lancés, et elle doit à tout prix gagner.
Elle avance, encore, toujours, pour arriver à une courte distance de la destination.
L'auberge.

Tu y es presque, ne recule pas maintenant.

Un hochement imperceptible de la Wolback, une lueur mauvaise passe dans ses yeux agités, et alors, elle emprunte le chemin qui mène derrière le bâtiment. Le vent commence à souffler, chose rare en cette période estivale, ce qui ne fera pas renoncer la Brune, au contraire, elle accélère le pas, de plus en plus vite, pour ne pas que le souffle éteigne la flamme. Fragile flamme.
Une fenêtre se distingue, un regard brille à travers, Alwenna se cache derrière un arbre. Une enfant. Peut être plus petite, des éclats blondes se détachent même, une tête tournée vers les étoiles. Le temps d'une seconde, le cœur se fend, de la pitié est ressentie, mais sa tête qui cogne l'empêche de réfléchir, et la route se poursuit. Longue route.
Et puis, c'est le moment.

L'endroit idéal pour un agissement de la sorte, car l'auberge est délabrée, elle semble vieille, et est en partie faite de bois, de la paille est répandue autours de la maison, et puis.
Et puis.
On doute. On espère, on regrette, on a des remords, on se demande, on hésite. On pense aux familles innocentes à l'intérieur, on pense à ses amis, qui ont tout de même tout fait pour elle.
Et puis.
On pense à sa mère, à cette odeur particulièrement douce qu'elle dégageait, au apaisante que le bruit de la pluie, à cette présence réconfortante qu'on ne retrouvera plus jamais.
Et on pleure, incertaine. Et puis, aussi surprenant que celui puisse paraître, on chante. Une histoire que Pumae lui chantonnait parfois, le soir, Lys n'en connaissait qu'une partie, mais soudain, cette comptine lui vint à l'esprit.


Ha glevas-te, ha glevas-te
Pezh a lavaras den Doue
D'ar Roue Gralon en Is be ?

"Arabat eo en em barat !
Arabat eo arabadiat !
Goude levenez, kalonad !

Neb a beg e kig ar pesked
Gant ar pesket a vo peget
Ha neb a lonk a vo lonket

Ha neb a ev, ha gwin a vesk,
A evo dour evel ur pesk
Ha neb na oar a gavo desk"


Et enfin, la torche est jetée.
La paille prend feu immédiatement, le crépitement s'étend, grimpe à une vitesse folle sur les murs, et affolée, la petite crie. Peut être trois secondes, ou à une seconde près, car elle se rappelle qu'elle doit fuir, que c'est dangereux. Mais elle ne prendra pas le même chemin, de risque de se faire prendre, alors, elle contourne la maison, suit les flammes qui dansent, qui recouvrent, qui embrassent, et prend par devant, pour s'enfuir dans une forêt. De là, elle observe la fumée qui prend de l'ampleur.
Et a peur.
Très peur.


Bien.
_________________
--Antonine
Sur le bord de l’image, au ras du sol, il y a comme une étoile qui danse, échappée du ciel pour prendre ses aises ; le temps de baisser les yeux pour l’attraper du regard, elle a disparu. Oh, comme c’est dommage. L’enfant n’imagine même pas qu’elle a pu rêver, non, ou que ce puisse être autre chose qu’une étoile. Petite tête mal dégrossie derrière les yeux immenses de sa mère.
Mais tout à coup, dans un éclat strident, la lumière se fait plus forte. La petite se redresse sans bruits et colle son minois de poupée maigre au carreau, bouche ouverte. Et si l’étoile était venue, finalement ?

En silence, elle s’extirpe du drap. Ses jambes nues glissent jusqu’au sol de terre battue et l’entraînent à pas de loup vers la porte. Par bonheur, son père ronfle comme un sonneur et sa mère a le sommeil lourd. Elle se pend à la poignée pour entrouvrir la porte, la serrure claque, elle serre les dents… mais ils ne se réveillent pas.

Dans la grand pièce, il faut plus chaud que de coutume. On devine derrière les carreaux que quelque chose brille, au dehors. Antonine, du haut de ses six ou sept ans, peut-être huit, trottine vers le comptoir et se saisit de la jarre où son père planque la grosse clef de fer. Il dit que ça empêche les mauvaises surprises.
Elle ne sait pas trop pourquoi.
Trésor en main, elle se précipite sur la porte d'entrée. Sur la pointe des pieds, un oeil fermé et la langue tirée, pour mieux viser voyez-vous, elle s'applique à faire entrer la clef dans la serrure. Il faut faire vite... et si l'étoile s'en allait ?

Mais tandis que l'enfant s'adonne à cette tâche compliquée, un craquement d'enfer se fait entendre derrière elle. Elle se retourne en sursaut et la clef s'échappe de sa main, pour aller glisser sous une table.

Là, dos plaqué à la porte, elle observe la porte qui donne sur l'écurie. Par les interstices entre les vieilles planches mangées aux vers, quelque chose étincelle, quelque chose d'immense, qui gronde, qui fume et qui brille, brille... Hésitante, elle approche. Le sol de terre est chaud et doux, agréable sous ses pieds nus.
Elle tremble presque lorsqu'elle pose sa petite main piquée aux aiguilles sur la porte, mais peut-on vraiment manquer l'occasion de voir une étoile ? Papa dit que le soleil, c'est la plus belle chose au monde, un endroit magnifique où tout le monde est heureux. Et les étoiles, c'est comme des petits soleils, pas vrai ? Et Antonine, c'est pas une trouillarde ! Ses frères ont beau dire. C'est peut-être qu'une fille, mais pas une trouillarde.
La gosse prend sa résolution à bras le corps et, d'un mouvement rapide, ouvre la porte à la volée et se jette les yeux fermés dans l'écurie.
La porte claque derrière elle.

Le loquet retombe.
--Boule_d_if
Susurre le vent, bruissant dans les feuillages.
Soudain, un bruit inhabituel. La prairie engourdie de sommeil crisse sous un petit pied aérien. Les oreilles se tendent en arrière, épiant, pour recueillir dans leur coupe l’écho des pas indésirables. Vifs. Rapides. Ils arrivent.

Le grand corps musculeux du frison frémit. Boule-d’If se tortille, tirant sur le licou qui l’arrime à une poutre, allonge l’encolure aussi loin qu’il le peut en direction de l’inconnu et retrousse les lippes en un rictus rieur. Puis il semble se tranquilliser.
Ne connaît-il pas la fillette en blanc, celle qui pique les yeux lorsqu’elle court ?
Elle brandit un tison, comme souvent les types, la nuit – pour mieux y voir, paraît-il. Odeur de bois grillé.

Mais.
Crépite la paille, grésille, gémit – la musique du feu s’intensifie, nourrie par les sifflements du vent, et cette fois, c’est la panique. Les sabots martèlent la paille brisée. Un congénère équin se rebiffe derrière, crachant, claquant ses lippes : le péril lui chatouille les narines, lui plus proche encore, car le feu a pris de l’autre côté de la parois de bois.
Quoi faire ?
Les flammes s’insinuent dans la pièce, engloutissent les bottes de foin, titillent les solives. L’homologue tire tant et tant sur son lien qu’une poutre craque.

Le vieux Boule d’If panique. Il sautille, se cambre, et au coin des yeux apparaît une petite silhouette, une petite humaine. Son odeur est masquée par le parfum étourdissant de l’incendie. Vient-elle les sauver ? Il se cambre, malmène la corde qui le retient. Lorsqu’une flamme vient caresser son pied, il pousse un hennissement terrifié. Le premier d’une longue série.
Else
Les brumes qui vous obstruent la gorge, la sueur qui détrempe vos cheveux, le vacarme qui tambourine à vos tympans… Quelque chose dans ce rêve a un goût de plus vrai que nature. Trop vrai.

Les yeux d’Elsa s’ouvrent brusquement sur un plafond noir de fumée. En un éclair, elle s’est arrachée aux vapeurs méphitiques du cauchemar et jetée à bas de son lit, pour affronter un autre cauchemar. En hâte, elle scrute le plafond pour tenter de déceler où ce nuage noir s’infiltre : peine perdue.

- Sem ! appelle-t-elle en resserrant autour de ses épaules le châle qu’elle n’a pas voulu quitter. Dans ce repère mal famé, pas question de prendre ses aises, même pour la nuit. Elle se précipite dans le couloir et pousse un cri, qui perce à peine le tumulte. Les flammes ont gagné l’intérieur et dévorent déjà le plancher incertain de l’étage.
Ses poings s’abattent sur la porte voisine avec violence : toujours pas de réponse. Nausée. En désespoir de cause, elle se jette toute entière contre le battant, un pauvre rang de planches minables, une fois, deux fois, jusqu’à ce qu’il cède en craquant, l’envoyant valdinguer sur le plancher de du gourbi du Sembre.
Vide.

Un grognement de rage, ou d’inquiétude. Où est-il, bon sang ? Elle se redresse, endolorie, et regagne le vestibule. Tousse. L’air souillé est intolérable. Se tenant aux murs, elle se traine péniblement vers l’escalier… de bois, évidemment, qu’elle descend à toute vitesse avant que les flammes ne le gagne.


- Au feu !

Personne. Elle se jette sur la porte, qui ne s’ouvre pas. Les hennissements furieux derrière elle disent assez que le feu s'y est propagé.

- Au feu !
--Josserand
Le Jo', il dormait bien. Ça s'entendait quand il avait l'sommeil profond, et pas qu'un peu. Mais sa femme à côté d'lui n'était pas dérangée, ni ses enfants. Ça l'importait peu de toute façon, sa vie avant tout, il l'avait toujours dit, et chaque jour, il ne cessait de le répéter. Cela aurait pu paraitre égoïste, ça l'était franchement, mais la famille encaissait les crises du paternel, qui étonnement, faisait vivre ses proches. L'idée d'ouvrir l'auberge "Le Cochon Rôti" avait été prometteuse, il y avait mine de rien beaucoup d'étrangers qui n'osaient pas séjourner en Sémur, et qui préféraient rester en recul, pour ne craindre rien. Ici, on mangeait convenablement, on était bien logé, et on n'était pas dérangé.
Pourtant, cette nuit fut perturbée.

D'abord, Josserand n'entendit rien, puis les hennissements se prolongèrent, de plus en plus forts, ce qui lui arracha un grognement et un marmonnement inaudible, puis des cris féminins surgirent.


J'vais tous les brûler, ces étrangers, 'méritent qu'ça à r'mener leurs sales bestioles dans mes 'curies, et à beugler comme des pucelles effarouchées.

Les brûler ? Il aurait pas cru dire si juste. Le barbu se leva, reniflant, et sans faire attention cracha au sol. Son épouse était déjà réveillée, et berçait le bébé qui pleurait.

T'y peux pas l'faire taire ?
L'Seigneur a décidé qu'on dormira pô, pis 'rrête d'geindre, t'es pô mieux non plus.

Les deux se lancèrent de froids regards, puis le père balaya la salle du regard, pour froncer soudainement les sourcils, accompagné d'un air énervé.

Où qu'elle est passée c'te gamine ? Ant'nine ? Et voilà, saleté d'p'tiote !

Les hennissements redoublaient.

ET IL A QUOI ENCORE CE PUTAIN D'CHEVAL ?

L'air grognon du Jo' ne disparaissait jamais. Il ouvrit la porte à la volée, celle qui conduisait à l'accueil de l'auberge, à droite se trouvait l'escalier qui menait à l'étage, aux chambres, en face la porte qui nous rendait à l'extérieur, mais barrait ce chemin ...

Bordel de Dieu ...

Un feu. Il venait d'on n'sait où, les murs étaient couverts de flammes ardentes, qui produisaient une odeur désagréable. L'aubergiste resta incrédule, puis se rua dans la chambre.

BORDEL DE DIEU ON NOUS A MIS L'FEU AU CUL ! PREND LE FRIC ET REJOINS MOI DEHORS !

Sa vie avant tout, on vous avait prévenu.
Else
Branle-bas de combat. La petite famille sort en piaillant de la pièce du fond.

Le barbu se rue vers le comptoir, pousse un juron et se met à renverser les pots et les jattes, les uns après les autres, saccageant son auberge à la recherche d’une clef qu’il ne trouve pas. La vaisselle éclate en cadence contre le sol. Près de la porte, un des garçons module des soupirs de détresse. Le nourrisson vagit, sa mère beugle des imprécations qu’il ne serait pas correct de retranscrire ici. La sueur perle sur les fronts, reflétant l’or et le cuivre qui s’élancent sur les murs, mangent l’escalier, rampent sur une poutre du plafond…
Ambiance feu de camp, quoi.

Idée fixe sous les boucles que les flammes font luire : pas question de finir en méchoui.
Dans un bruit cristallin, les carreaux d'une fenêtre volent soudain en éclat. Qui lèverait les yeux verrait la Lise appliquée à défoncer les croisées à coup de tison – toute une affaire, quand on a des biceps de musaraigne.

Enfin...


- Je l’ai, je l’ai !

Bingo jackpot : même joueur joue encore. Un des gamins – pas le chouineur, l'autre – brandit la clef. Alors ils se jettent sur la porte, dans le désordre le plus complet.
Sembrounet
Sem avait été malade comme un chien ces derniers jours à n'avoir point force de se lever. Les tripes et les boyaux pourtant vidés lui donnait l'impression de se tordre dans son ventre comme vrillés par une main maléfique.

La fièvre était là et le grand breton, ou plutôt le breton grand, n'avait qu'un vague souvenir d'Else passée auprès de lui, le faisant boire ou posant une main apaisante sur son front. Elle avait un doux sourire et ses yeux clairs, un air inquiet et comme une expression de grande tendresse ...

Sem en était heureux mais ce matin là, réveillé bien plus frais, il se demandait toujours si c'était lard ou cochon ... rêve ou réalité.

Et puis pas question d'aborder la chose tout à trac avec Else. Il commençait à la connaître. Soit elle va me prendre son air revêche ou pincé, et comme une de ces nobliottes qu'elle connaît elle va m'envoyer sèchement paître, comme à une laquais indiscret. Soit, au contraire, un ton légèrement malicieux ce serait du "moi ? une main, sur vous ? Vous avez rêvé ou déliré mon pauv' Sem." suivi d'un sourire innocent ". Lard ou cochon d'ailleurs ... fait faim aujourd'hui ... et soif aussi
se disait le Sem.

Il partit donc, faire le tour des établissements, de chère point trop maigre et de vin pas très bon, car tout Bourgogne n'est pas Conti pour sûr.

Et c'est tard dans la nuit, les jambes flageolantes de la maladie surement puisque j'ai pas tant bu que ça, retournant à l'auberge qu'il sentit comme une odeur de brûlé et la chaleur qui irradiait d'une maison d'où les flammes dardaient.


M...ince, l'auberge qui brûle et puis l'Ecurie et soudain dégrisé, la stupeur de l'instant passée

Eeeeeeelse ! Nooooooon !

Et Sem se mit à courir aussi vite qu'il le pouvait pestant contre la maladie et le vin, surtout mauvais qui le ralentissaient, il vit avec soulagement la porte s'entrouvrir mais les flammes gagnaient et le quartier, enfin s'agitait et résonnait de cris et de hennissements apeurés.
Else
La porte s’est ouverte à la volée. Tandis que l’aubergiste et sa famille détalent à toutes jambes en direction de Sémur, la blonde s’arrête.

Derrière elle, le vacarme du feu en pleine dévoration.
Au dessus, le ciel d’été –
so still leuchten die Sternen.
Dans les replis de son châle, ses doigts blessés, crispés.
Devant, enfin, courant à perdre haleine… Sem.

Sem ? Sem.
Tiens.
Sem.

Etourdissement. La lucidité de l’état d’alerte refluant, la conscience s’assourdit, les jambes hagardes promènent le corps épuisé, moins pour avancer que pour chercher l’équilibre qu’elle menace sans cesse de perdre. Elle avance à la rencontre Sembre haletant, cherchant son bras du bout des doigts. Pour se raccrocher ? Pour l’arrêter dans sa course ? Il est là. Entier. Solide sous sa paume.
Je la soupçonne fort de chercher une vacherie à balancer, mais son esprit ralenti peine à la concentration, tant et si bien qu’elle abandonne. Oui, je sais, vous êtes déçus. ‘Faut la comprendre : d’jà bien assez compliqué de ranger ses pensées asteure, tandis qu'elle lutte déjà avec les questions que le vent mugit à son oreille. Que s'est-il passé ? Comment le feu a-t-il pris ? Ou était Sem ? Et...


- Et maintenant ?

Bah ch’ais pas. Faites péter les marshmallows ?
--Antonine
D’étoile, point. Que l’écurie. Et dans le rôle du marshmallow blanc, Antonine la Pas-Trouillarde, en chemise, qui regarde le désastre droit dans les yeux.
Et ça pique. Mélange de cendres, de poussière et de désespoir en suspension.

Tandis que sa famille se carapate gentiment, la gosse s’affaisse contre la porte qui lui interdit le retour. Elle tousse et tremble et tousse, et embrasse de son regard globuleux le spectacle d’enfer qui se joue devant elle. Le mur n’est plus qu’un gigantesque brasier, les flammes ont englouti la paille et mordent les pattes des chevaux horrifiés qui se cabrent. La corde d’un des chevaux claque tout à coup : la bête tournoie sur elle-même et part au grand galop, défonçant la porte.
Les yeux de l’enfant s’écarquillent encore, si c’est possible. Elle s’élance… juste à temps pour éviter la poutre enflammée qui s’abat juste à l’endroit où elle se tenait. A quatre pattes, elle crapahute vers la sortie, couinant à chaque fois qu’une étincelle vient lui mordre la main, lécher sa chemise ou chatouiller la plante de ses pieds. Mais le feu a tôt fait de lui barrer la route.

Le Soleil, Nine, c’est pour les gens gentils. Les gens méchants vont sur la Lune, là où il n’y a aucune chaleur.
Et même pas de barbec.

Soudain, l’incendie s’agrippe à sa chemise et lui mord le mollet de ses dents rouges. Elle pousse un cri, saute de côté, droit sur une autre flamme qui lui saute à la tête, plantant ses ongles crochus dans sa tignasse noircie par la cendre. Mal. Peur. Elle se débat. Et elle non plus, n’en finit plus de crier.

Jusqu'à ce qu'elle en finisse tout de même.
Alwenna
C'mieux les pop corns.

C'est vrai que d'ici, le spectacle est distrayant, la bonne odeur de brûlé qui chatouille les narines, la température parfaite, le seul inconvénient c'est les cris qui recouvrent le doux bruit du crépitement des flammes. Alwenna patiente, regarde, observe, elle aimerait partir, sans laisser de traces, mais pas sans avoir vu Elsabeth et Sembrounet sains et saufs. Elle regrette amèrement la situation qu'elle a déclenché, et ainsi cachée derrière un tronc, elle se sent ridicule.
Puis un bruit. Un claquement de porte. Un cri masculin.
Lys qui mine de rien avait tourné la tête, songeuse, se remet à regarder la scène du crime, et aperçoit Sem' hurlant le nom de la blonde. Tout un groupe sort de l'auberge qui commence à s'écrouler, la Bretonne ne reconnaît que ses amis. Légèrement rassurée, elle toussote, et commence à se diriger sur le côté, prenant le soin de rester discrète.

Elle esquissa plusieurs pas, pour se retrouver derrière la maison, là où les murs sûrement plus fragiles étaient tombés. Elle avança, le pas léger, elle n'avait blessé personne, personne n'était mort, juste un bâtiment détruit. Si peu. Les flammes grandissaient, et la Wolback ne semblait pas se rendre compte de l'incendie qu'elle avait allumé, sa démarche était légère. Puis soudain, perça l'air un cri. Rempli de peur, de douleur, de souffrance, et d'autres hurlements suivirent, avec détresse. L'enfant fut stoppée net, elle se retourna, tourna sur elle même, puis sa tête pivota vers sa droite, un coin dévasté, les flammes dansaient, des débris partout sur le sol, et au milieu, une silhouette.
Petite.
Enflammée.
Corps qui s'écroule.
Vision d'horreur.

Sans réfléchir, la brune se précipite, elle ignore le feu, se fraye rapidement un chemin, se protégeant du simple tissus la recouvrant, les bras tendus, elle s'agenouille, ôte sa cape, et avec éteint ce qui consume le pauvre être. Les yeux rencontrent ceux en face des siens, et les larmes brouillent le regard.


Tu as tué une enfant. Bravo. Monstre.
C'est ... C'est ... C'EST TA FAUTE ! Tu m'as obligé !
Et qui suis-je d'après toi ?
Tu ... Tu n'es pas moi !
Et toi, tu deviens folle à croire que des personnes te parlent. Tu es toute seule ici.
Laisse moi !

Elle criait, murmurait, sa voix changeait, les émotions se poursuivaient, puis au dessus de tout ce boucan, elle parvint à entendre des pas. Effrayée, elle se jeta dehors, traversa les danseuses tueuses, flammes ardentes, pour arriver, écroulée, au sol, brûlée à certains endroits, elle se rendit compte qu'elle avait oublié sa cape. Qu'importe. Elle courut pour s'enfuir, honteuse, lâche, en piteux état.
_________________
Else
Lorsque les hurlements ont commencé, la blonde a pâli de deux teintes. Encore quelqu’un ? Impossible, le gourbi n’hébergeait personne d’autre, encore moins d’enfants ! Mais avant qu'elle n'ait eu le temps de réfléchir davantage, un nouveau shoot d’adrénaline a déjà fait redémarrer la machine et Elsa se rue à nouveau dans l'auberge.
...
Bah quoi ? Je viens de vous dire qu'elle n'avait pas eu le temps de réfléchir.

Aussitôt entrée, la fumée la prend à la gorge. Le feu a tant gagné dans la grand salle qu’elle peine à distinguer quoi que ce soit ; le squelette noir de l'escalier se dresse au fond, les tonneaux d’alcool brûlent allègrement, crachant leurs vapeurs entêtantes. Elle s’enveloppe la tête de son châle et avance, guidée par les cris de détresse de l’enfant.

- Tiens bon !

Lentement.

- J'arrive, tiens bon !

Bien trop lentement.
La douleur dans cette voix déchirée la rend folle, et de ne pas pouvoir braver les flammes, se jeter au secours de ce qui appelle. Tout à coup, et comme il fallait s'y attendre : le feu prend à son jupon. Elle tombe sur le sol pour éteindre le tissu. Le temps qu’elle se redresse, c’est à son bras que les flammes s’accrochent. Du côté de l’écurie, car elle le sait maintenant, c'est par là, par là qu'elle a entendu l'enfant... Du côté de l'écurie, les cris ont cessé.
Cessé.
Et les flammes mordent.
Le bras. L’épaule. Elle plaque les mains sur son visage, veut psalmodier une prière, ne reconnait plus le doux ronronnement du credo dans sa gorge.


Un nouveau cri. Un sursaut d’espoir s’enflamme dans sa tête – a-t-elle été entendue ? – avant qu’elle ne se rende compte que c’est de sa propre bouche qu’il s’échappe.

Et alors...
Suspens !
... J'peux avoir du pop corn ?
Sembrounet
Sembrounet arrivant vers l'auberge, vit au milieu des occupants, personnels et hôtes de chambrée qui s'égayaient en hurlant, enveloppée de fumée ... Elle, Else.

Elle venait vers lui, presque hagarde, hormis son regard qui brillait en double éclats bleutés. Elle s'accrocha à son bras, et le breton, grand, l'a sentie à bout de force. Pour la première fois, faible et déroutée. La preuve, elle semblait incapable de reproche.


Sans réfléchir, brièvement, il lui ouvre les bras, l'attire contre lui pour qu'elle se blottisse, au moins un instant. Il pense, un peu naïvement lui transmettre sa force.

... Apaise-toi. Je suis là, Else. Nous allons y arriver. Aies confiance.
Sem ne savait même pas s'il pensait ses mots où s'ils sortaient de ses lèvres en murmure pendant qu'il sentait sa chaleur contre lui et que l'odeur du feu et de fumée qui imprégnait les vêtements et la chevelure de la blonde, lui prenait les narines.

Leur enlacement fut bref et lorsqu'il relâcha Elisabeth. Le regard de sa jeune compagne de voyage est encore un peu trouble et l'éclat des flammes se faisant plus vif, éclaire son visage. Toujours aussi pur mais assombri par la suie, parfois traversées elle-même par les traces des larmes qui ont coulé sur la joue.


- Else ... je suis là ... où est Lys ? Else, faut retourner là-bas ? Allons-y, guidez-moi ! Vous m'entendez ?

Sem ne sait pas même si la Kermorial a eu conscience de leur étreinte mais elle semble avoir entendu sa prière.

Entendu à moitié car, sans un mot et le regard redevenu farouche, Elisabeth se retourne puis à pas lent, peut être de la musique en tête, sans fureur, tranquille souriant à la mitraille des escarbilles, telle la garde impériale, la blonde entre dans la fournaise*, sans même attendre Sembrounet allant à sa suite.

Fournaise il y a bien et l'auberge est ardente et noire un gouffre flamboyant rouge comme une forge*; l'éclat du feu le dispute à l'épaisse fumée. Le Sem qui y pénètre cherchant sa dulcinée, bien tête dure de bretonne qui ne pouvait l'attendre à moins qu'elle n'ait à peine pris garde à lui. Il la voit, bien avancée au milieu d'un mur de flammes flammèches à son jupon et dans sa chevelure en train d'appeler de crier et d'aller, inconscience même vers le porte communiquant à l'écurie, enfin ce qu'il en reste où les hennissements affolé de Boule d'If alternent avec des cris et des pleurs d'enfant.

Heureusement ou pas, parfois le Sem réfléchit guère ... ramasse d'un bond la blonde incandescente passe comme un éclair à travers les flammes. Jadis, il a vu, lui issu d'une gitane, certains pratiquer l'exercice pour se retrouver au milieu de l'écurie, où le feu n'est guère moins ardent mais où l'espace qu'il a à dévorer et plus large et plus haut. Le mure et le fond de la toiture effondrés laissent un air nouveau pénétrer qui avive le feu mais chasse la fumée. Toussotant et aveugle, le Sem comme en réflexe, a l'esprit de jeter Else, la basculer plutôt, dans le grand abreuvoir encore tout plein d'eau qui sert pour les chevaux et mules qui séjournent. Et lui même s'y plonge, se cheveux grésillant qui sentent le brûlé et ce chaud à la tête.

Vite ! Que faire après ? songe-t-il


Et pourquoi pas des madeleines ?



* Merci à Totor racontant Waterloo pour l'inspiration.
Else
Parce que les madeleines trop cuites, c’pas bon. Même trempées dans de l’eau chaude.

A peine le temps de saisir ce qui se passe : Else sent sa gorge se bloquer convulsivement pour refuser passage à l’eau qui s’infiltre. De l’air, vite… Son corps libéré jaillit hors de l’eau, toussant et crachant, et se raccroche désorienté à la margelle de pierre. L’eau douteuse ruisselle de ses cheveux roussis, sur ses vêtements, sur la peau à vif par endroits.

Sem… C’est la première pensée qui se fait jour dans le chaos de son crâne. Dans un spasme, ses doigts vont à la rencontre du grand breton non moins dégoulinant. Un mot voudrait passer ses lèvres… mais noyé dans une quinte de toux qui l’oblige a s’agripper à nouveau au bord de l’abreuvoir.

Autour, la même calamité. La quatrième.
« Le vent s’embrasa en un bûcher à ciel ouvert. Les nuages rougirent, reflétant les flammes qui baignaient le monde, qui dévoraient tout ce qui avait survécu en un gigantesque brasier. Les infortunés qui avaient survécu aux trois autre calamités hurlèrent de douleur quand le brasier détruisit leurs chairs, ne laissant plus rien de leurs corps » – les mots les plus aisés à retrouver, les plus familiers, ceux avec lesquels elle a grandi et qui se posent d’eux-mêmes sur le spectacle. Rassurants, en un sens. Elle entend presque la voix douce et éraillée de son tuteur les ânonner ; lorsque soudain, une petite masse calcinée attire son regard.
Blanche et noire et rouge. Rouge et noire et blanche. Une copie contrefaite d’enfant abandonnée au milieu des flammes.

Haut-le-cœur. Si elle se penche, vomit le contenu de son estomac... Plaît-il ? Comment ça, « oh ben non, pas les marshmallows quand même ? » Hey ! Voulez-vous vous taire ! 'Voyez pas que la situation est tragique, là !
On reprend...

Le glas : il est trop tard.
Fébrile, elle compulse ses souvenirs à toute vitesse, cherchant dans les pages de sa mémoire s’il n’y a pas, peut-être, un espoir. Bribes :
le froid, le chaud. L’énergie vitale. Transitions douces. Le corps préservé. Le corps préservé, où la vie revient doucement. Je prie pour toi qui n’existes pas à nos côtés, toi mon ami qui n’existe plus sur terre, tu existeras où le Créateur veut que tu sois.
Un regard pour le cadavre calciné.
Nouvelle recherche éperdue, nouvelles bribes :
des flammes hautes comme des cathédrales dévorèrent… mis à bas… dévastaient… englouti, plus aucune trace… Punir et purifier, punir, le sel… Les flammes dévoraient tout… les infortunés qui avaient survécu… douleur… le brasier détruisit leurs chairs, ne laissant plus rien de leurs corps.
Le chaud, le froid.
Ne laissant plus rien de leurs corps.
Regarde donc... Comment veux-tu ? Il est trop tard, Elise. Trop tard à ce point là.

Elle s’extirpe de l’abreuvoir et rampe vers le petit corps inutilisable. Oh, des morts, elle en a déjà vus, pour sûr ! Et de toutes les tailles. Des qu’on enterre, et des qu’on n’enterre pas. Des qui sont revenus, des qui sont pas revenus, des qui auraient mieux fait de revenir si vous voulez son avis, et même des qu’elle n’était pas fâchée de voir aller se geler les miches sur la lune.
Mais des morts qu’elle aurait pu sauver, jamais.
Des morts qui n’auront pas le choix, jamais.
Ca fait beaucoup, surtout pour une orgueilleuse. Et pourtant, on dirait que ce n’est pas encore assez. Hinhin.

Presque par hasard, elle pose les doigts sur le tissu souillé qui repose non loin du cadavre. Doux. Soyeux. Réminiscence : le contact chaud d’une épaule sous ses doigts, et Lys qui lève ses grands yeux bruns vers elle. Lys. Horrifiée, Elsabeth se saisit de la pièce de tissu et la déploie devant elle : aucun doute permis, c’est bien la petite cape immaculée de la Wolback.
La lettre. Les crises. Punir. Purifier. Lys.
Tout s’articule si bien qu’on lui pardonnerait presque de se gourer.

Un dernier cri de désespoir fend l’air, tandis qu’elle serre contre sa poitrine la petite cape blanche.
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