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Une naissance attendue...

Missanges
Les jours depuis notre mariage avaient passé lentement ou rapidement selon certaines semaines, mais le temps s’était écoulé ainsi…

Et aujourd’hui, nous en étions là, faisant un constat sur ce temps écoulé, cette vie passée à St Pol.
Kastell, qui avait vu ma naissance, Kastell, cher à mon cœur. Le village que j’aimais tant.
Moi, pas lui !
Lui, mon mari, celui qui, au fil des jours était devenu une partie de moi-même, lui, que je voyais se renfermer jusqu’à ne plus sortir du moulin familial. Nous avions voyagé, afin de changer d’air ! Afin, de ne pas aborder ce sujet délicat. Puis nous avions été pris tous deux par la campagne électorale, puis par le travail Ducal, la défense de rennes. Un tourbillon, qui nous fit oublier la question où du moins l’éviter.

Mais là, la chose se précisait. Il s’était engagé dans l’armée et pas dans celle de notre village, non, dans celle de la ville de Rohan !
Arf ! Il devait donc déménager.
Mais je n’avais rien décidé de mon côté. J’avais le temps ! La seule chose que je voulais, c’était accoucher dans le moulin familial, celui que nous avions remis en état mon père et moi, assistée de mes trois Mamettes.

Nous étions depuis quelques temps déjà, dans la ville de Rennes, lui dans son armée et moi en lance attendant les consignes, défendre ou musarder ! Mes loisirs, s’étaient axés essentiellement sur l’enseignement, entre l’université et l’encyclopédie. Cela se résumait en somme autour d’un livre. Transcrire des biographies ou rechercher des documents afin d’enrichir des feuillets existants et en ce moment avec la venue d’Anton, cela prenait une tournure assez enrichissante.

Cependant, les jours s’étaient écoulés, les mois se succédaient et le jour fatidique se rapprochait. Selon un calcul savant, un débat assez mouvementé entre les ancêtres de Kastell, sur la question des lunes pleines, blanches ou noires. Selon la lune croissante ou décroissante. Ah ! Finalement c’est fou comme on peut voir la lune différemment.
Bref, les Mamettes avaient prévu la naissance de notre enfant courant septembre. Ce fut donc, après avoir assisté au mariage de lavatar et de Alwenna, dans la ville de Vannes que je pris la route afin de me rendre au moulin ou tout devait être assurément prêt. Fermant les yeux, j’imaginai un instant comment devait être le moulin. Les rideaux blancs brodés d’hermine noire de la chambre seraient comme à son accoutumée tirés, afin de voiler la fenêtre, afin de protéger la pièce des rayons de soleil, gardant ainsi la chambre fraîche. Sur la commode un bouquet de fleurs égayerait la pièce. Les livres soigneusement rangés dans des rayonnages occupant un pan du mur.
Et le lit serait prêt !

Cette pensée m’angoissa soudainement, et si tout ne se déroulait pas comme me l’avais annoncé mes Mamettes. Et, lentement un scénario se déroula dans mon esprit passant du meilleur comme au pire…


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Missanges
En ces moments de trouble, j’avais pris la route seule afin de regagner le moulin. Viken était resté dans son armée en défense attendant sa permission. J’avais suivi ses recommandations et attelé Nuage à une charrette, afin de rendre le voyage plus confortable.
Ce n’était pas la première fois que je faisais ce trajet seule, cependant, depuis notre mariage, c’était la première fois que nous étions séparés. J’avais beau me répéter que cela n’était que passager, le temps que son Etat-Major lui accorde sa permission. Mais, toutefois je l’aurais voulu auprès de moi.

Nuage allait au petit trot évitant les trous de la route, faisant attention à ma personne. Je secouais la lanière de cuir usée servant de guide instinctivement, me rassurant sur celle-ci, mais au fond, seul mon cheval commandait l’équipement. Les chevilles enflées par la chaleur et non par autre chose, j’avais ôté mes chausses et mes pieds posés sur le plancher nu de la carriole dansaient selon les imperfections du chemin. Le soleil encore timide semblait jouer à cache-cache avec les nuages.

Lentement, la plaine céda sa place à la forêt de Rohan. De temps en temps, la forme d’une ferme isolée se dessinait dans le lointain, mais le paysage restait vide de toute forme humaine. Petit à petit, le soleil avait écarté les nuages et régnait en maître dans le ciel dardant ses rayons. Le corps d’une bâtisse se profila dans le décor. Lentement elle apparut devenant plus proche au fur et à mesure, que Nuage avançait. La ferme carrée aux pierres grises n’était pas haute. Une moitié se tenait encore debout défiants les vents, l’autre moitié avait cédé sa résistance, écroulée sur elle-même. Quelques ardoises sombres accrochées à des fragments de chevrons semblaient tenir tête à ces vents assaillants venant de tous côtés. Mince guerrière que celle-ci. La nature aura raison un de ces jours, juste une histoire de temps. Des broussailles de lierre grimpaient, recouvraient, lentement ces pierres prenant racine dans les joints érodés de celles-ci.
Nuage ralentit semblant m’intimer l’ordre d’une pause, mais d’un petit coup sec sur les rênes je le fis avancer.

-Oh ! Tu n’es pas encore fatigué et moi non plus. On ne va pas s’arrêter ici tout de même !

De toute façon autant dormir debout que faire une halte dans cette maison aux abords de la forêt de Rohan. Nuage continua sa route secouant sa crinière comme pour rire.

Tssss !



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Viken
Les choses s'étaient accélérées tout à coup. Le tourbillon de la vie les avait propulsés dans la vie politique et le hasard fit qu'il lui fallut prendre quelques responsabilités.
Le même hasard qui lui fit prendre conscience que son devoir était de reprendre du service au sein de l'armée. Il était avant tout soldat et tant que ce choix ne remettait pas en cause l'amour qu'ils se portaient sa petite femme et lui, il porterait l'uniforme.
L'Ost avait besoin d'hommes en ces temps tourmentés où la menace se faisait plus visible et présente. Rohan lui tendait les bras au moment même où il se sentait de plus en plus étranger à Kastell.
Ils en avaient longuement discuté, Missanges et lui, pesant le pour et le contre, restant comme à chaque fois à l'écoute l'un de l'autre. Jamais ils n'auraient pris de décision l'un sans l'autre.
La décision fut prise. Et il se retrouva fort rapidement en mission à Rennes, afin de défendre la capitale d'un éventuel envahisseur.

Viken n'aimait pas être séparé de l'amour de sa vie, aussi il se réjouit lorsque qu'elle vint le retrouver quelques temps. Les longues heures d'attente qui accompagnaient généralement les périodes de défense s'en trouvaient plus agréables.
Ils déambulaient main dans la main sur les remparts de Rennes lorsqu'il n'était pas de faction. Parfois même, elle venait le retrouver au poste de garde, lui apportant un petit remontant ou simplement pour le plaisir de le réconforter d'un tendre baiser.
Ils savaient tous les deux qu'elle devrait bientôt reprendre la route du moulin. Les mamettes l'attendaient avec impatience. Déjà, elles avaient envoyé plusieurs pigeons l'intimant de rentrer au plus vite. C'est qu'elles voulaient avoir leur petite près d'elles, pouvoir la couver des yeux et de toutes leurs petites attentions.
Mais pour l'heure, ils profitaient de chaque moment partagé, se projetant dans cet avenir qui se ferait désormais à trois.
Ils étaient heureux, heureux comme jamais de ce nouveau bonheur qui allait venir sceller leur amour jamais démenti.

L'heure du départ était là cependant, Missanges devait rejoindre le moulin où l'attendaient ses anges gardiens en jupons. Viken avait veillé à ce qu'elle ne manque de rien, préparant la charrette afin qu'elle soit la plus confortable possible.
Il s'était occupé de Nuage comme de Fougue, sa propre jument grise qui piaffait dans l'enclos voisin. Il aurait aimé qu'elle ne voyage pas seule, mais comme lui, beaucoup de ses amis avaient pris les armes et se trouvaient éparpillés aux quatre coins de Breizh.
C'est donc la mort dans l'âme qu'il dut se résoudre à voir sa femme chérie prendre la route. Il lui jura d'accourir au plus vite, dès que la permission lui serait donnée d'aller la rejoindre.

Après un long baiser plein de tendresse, retenant à grand peine les larmes qui lui montaient aux yeux, il regarda la charrette s'éloigner, dodelinant au rythme des sabots de Nuage. Déjà, il redoutait chaque minute qui les séparerait l'un de l'autre.

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Missanges
Nuage repris son rythme régulier, le soleil était maintenant au-dessus de nos têtes. Les arbres aux feuilles denses nous faisaient naturellement office de chapeaux nous protégeant ainsi de celui-ci. J’avais hâte de sortir de cette forêt, j’avais hâte d’être à Rohan. Mon estomac commença à émettre un gargouillis continu, signe qu’une petite pause serait la bienvenue. Ma monture sembla toutefois en désaccord filant le train plus vite. Je compris sa raison lorsque apparut derrière quelques arbres un ruisseau. Semblant oublier la charrette il accéléra pour s’abreuver, je dus tirer sur les rênes afin de le faire ralentir.
Sinon c’était trempette !

Tournant sa tête, ses yeux plongèrent dans les miens.

Ben quoi ! Je n’ai pas envie d’un bain maintenant.

Posant les rênes, je me levai afin de descendre. Debout, je me massai les reins endoloris par le voyage lorsqu’un cri retentit, suivit d’un second plus désespéré que le premier. Mon sang se glaça. Une volée de charognards surgit des arbres, les ailes déployées venant soudainement vers nous. La bande se sépara, certains piquèrent vers le sol tandis que d’autres montaient dans les hauteurs des arbres.
Je sentis une goutte de sueur descendre lentement dans mon dos, suivant le creux de ma colonne vertébrale. Puis les oiseaux ayant piqué vers le sol remontèrent rejoignant les autres et disparurent.

Secouée de légers tremblements, voulant me rassurer, j’essayai de dire à ma monture que cela n’était que des volatiles, qu’ils nous avaient juste surpris, mais aucun son ne sortit de ma bouche devenue soudain sèche. Tandis que les battements de mon cœur reprenaient une cadence régulière, j’émis un profond soupir de soulagement.

Le souffle à peine expulsé, je vis un petit mammifère sortir subitement, zigzaguant entre les troncs d’arbres, puis le ciel s’assombrit de nouveau et une masse noire revint prenant en chasse l’animal. Le battement d’ailes des oiseaux couvrit le glapissement de la bête pourchassée. En quelques secondes le lapin se trouva encerclé et une musique macabre commença. Un bruit de claquement de becs s’ouvrant et se refermant se fit entendre remplissant l’air autour de nous. Nuage avait doucement reculé rejoignant la route, se faisant discret. Puis la masse noire tournoya, des cris stridents se firent plus forts, plus aigus, une spirale noire monta dans les airs et disparut. Seule une forme déchiquetée, secouée de temps à autre par des soubresauts nerveux n’ayant plus l’apparence d’un lapin resta au sol.

Je fus soudain prise d’une nausée, ma main chercha les rênes afin de donner l’ordre à Nuage de repartir, lorsque soudain celui-ci enchâssa. Projetée violemment sur le siège de la charrette, je le vis !
La mâchoire ouverte découvrant ses crocs pointus. Il se tenait contre les restes encore chauds du lapin la gueule largement fendue nous regardant.

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Missanges
Ne pas paniquer ! Respirer !
Et l’esprit s’emballe, la raison essaye tant bien que mal de tempérer cette soudaine escalade de peur. Des pensées viennent en vrac… ce n’est pas toi qu’il veut… C’est le lapin…Enfin c’était le lapin…Car maintenant…

Maudite carriole ! Elle va nous bloquer !
Où est mon épée…Où est mon épée…Ma main cherche, tâtonne le fourreau, mais chaque fois que mes doigts se posent sur le pommeau, Nuage enchâsse, me projetant tantôt à droite, tantôt à gauche. Soudain ma monture se cabre, frappe l’air de ses sabots intimant au loup solitaire qu’il est le plus fort.

Mais l’animal est agressif, le regard fixe, les babines retroussées, les crocs apparents. Il cherche lui aussi à impressionner, ses poils sont hérissés.
Puis c’est le clash !
Tout se déroula très vite et pourtant les images prirent une lenteur infinie. Dans une détente surprenante, le loup attaqua, je sentis les sabots de Nuage cogner contre la face dégoulinante de bave aux crocs acérés. J’entendis l’écho du cri que j’émis me revenir sans cesse. Je sentis le sang de mes veines exercer une pression contre mes tempes. Les battements de mon cœur se firent plus violents dans ma poitrine. Soudain le crin de mon cheval se tacha de rouge.

Ses sabots se reposèrent au sol faisant trembler la terre, ébranlant la charrette. Mais, sans laisser aux fers le temps de marquer son empreinte au sol, les jambes se relevèrent en avant, claquant la mâchoire de la bête assoiffée de sang, attaquant de nouveau. Le loup projeté dans l’air, hurla puis roula sur le côté. La lutte était inégale, Nuage secouait sa tête, hennissait, mais attelé il ne pouvait rien faire.

Profitant de cet instant, sans calculer les risques voulant sauver ma monture, je sautai de la charrette. La lame de mon épée coulissa de son fourreau, brilla un instant sous le soleil, puis s’enfonça dans la gorge du loup qui reprenait connaissance. Aussi étrange que cela soit, l’acier s’enfonça rapidement et pourtant cela parut une éternité. Tout devint silencieux. Les bruits autour de nous cessèrent. Les oiseaux se turent, le vent retint son souffle, mon cœur s’arrêta de résonner…
Peu à peu, je sentis un nouveau bond dans ma poitrine et ma respiration s’accéléra doucement.
Chaque pulsation de mon cœur cogna avec force contre ma poitrine.
Brusquement une douleur me fit vaciller, portant la main sur mon ventre, je sus instinctivement que c’était le bébé. Une autre douleur plus forte me fit chanceler, m’obligeant à mettre un genou au sol afin de me calmer. Je sentis une chaleur m’envahir, des gouttes de sueur perlèrent sur mon visage.

J’entendis un bruit, tournant la tête, Nuage était là, ruisselant de sang, deux énormes trous dans son poitrail. Sa tête se posa doucement contre mon cou témoignant son amour. Ses naseaux humides et chauds battant la chamade. Nous étions au milieu de nulle part. Je me sentis infiniment petite, infiniment perdue…

Lentement, Nuage se tourna, positionnant la carriole le plus aisément afin que je puisse y remonter. Je sortis la lame du corps allongé de l’animal et dans un ultime effort je montai dans la charrette. Une autre douleur vint tendre mon ventre. Je ne savais où aller.
Soudain, les ailes du moulin familial m’apparurent, puis le visage de mes trois Mamettes surmontés de leurs longues coiffes de dentelle. Je vis le sourire de mon mari, son regard si tendre… Tous, étaient tellement loin et moi j’étais seule. Mes yeux se brouillèrent, je sentis mes joues devenir humides, fragilité de l’être, témoignage du désespoir.

Ce n’était pas ainsi que cela devait se passer, ce n’était pas comme cela que je voyais la naissance de mon enfant. J’avais souhaité, j’avais espéré…
Le corps de la bâtisse dépassée plus tôt me sembla la plus adéquate au vu de la situation. Nuage pris cette direction…

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Viken
La situation était de plus en plus tendue et la présence des soldats au coeur de la capitale plus importante que jamais. S'évertuant à accomplir sa tâche du mieux qu'il pouvait, Viken avait cependant l'esprit ailleurs.
Il savait sa tendre épouse sur les routes et il était inquiet. Missanges avait arpenté ces chemins des dizaines et des dizaines de fois, même sans qu'il soit à ses côtés. Elle avait une parfaite connaissance de Breizh et pourrait trouver dans chaque ville de Bretagne quelqu'un sur qui compter.
Viken savait aussi pouvoir compter sur Nuage. Ce fougeux et fringuant cheval pourraient en remontrer à plus d'un danger. Il connaissait son attachement à Miss et était persuadé qu'il donnerait sa vie pour la protéger si besoin était. Mais tout puissant et valeureux soit il, il n'était qu'un cheval.
Malgré tous les efforts pour se persuader que rien ne pouvait arriver de fâcheux, il était tendu, anxieux de n'être pas aux côtés de son épouse en pareille situation. En cette période de mobilisation générale, il savait à quel point tout pouvait s'emballer avec une fulgurante rapidité.

Assis dans le creux d'un créneau, tout en haut des remparts, il scultait machinalement un bout de bois de la lame de son couteau. De temps à autre, il regardait l'horizon, le plus loin que son regard puisse distinguer. Il n'y verrait bien sûr pas la forme de la charrette ni la haute stature du puissant nuage, pas plus qu'il ne distinguerait la fine silhouette de celle qu'il aimait plus que tout.
Mais ces pensées se dirigeaient inlassablement vers elle, comme s'il pouvait la protéger d'un regard bienveillant.

La lame du couteau reprenait alors du service, donnant forme peu à peu à ce qui devait devenir plus tard un petit jouet en bois pour son enfant. Machinalement, il taillait, sculptait un corps, une tête, y donnait une expression de la pointe de la lame avant d'observer le résultat. Devant ses yeux, le petit cochon de bois semblait sourire.
Viken soupira en pensant au bonheur futur qu'il aurait à prendre cet enfant dans ses bras, leur enfant, celui auquel il n'aurait jamais osé rêver auparavant.
Continuant à façonner sans relâche sa petite sculture de bois, il cherchait à s'occuper l'esprit autant que les mains. Les souvenirs défilaient se mêlant à ses visions d'avenir. Un avenir qu'il n'imaginait pas sans sa petite femme et désormais ... sans leur petit bout de chou.
Il sourit instinctivement songeant qu'il ne savait même pas si cet enfant serait un garçon ou une fille. Qu'importe à vrai dire, car il n'avait pas réellement de préférence, il serait heureux d'avoir un fils autant qu'une fille. Cet enfant serait quoiqu'il arrive aimé autant qu'il était attendu.

Jettant un nouveau regard vers l'horizon, il remisa couteau et jouet au fond d'une poche de son mantel. Il resta là un long moment, l'esprit tout entier priant pour sa belle. Il songea aux mamettes. Elles aussi devaient se faire du mauvais sang à savoir leur petite sur la route.
En contrebas des remparts, une cloche tinta indiquant qu'il était l'heure de la relève. Viken vérifia son uniforme et descendit l'étroit escalier de pierre qui menait à la salle de garde. Il savait qu'une longue nuit d'attente l'attendait, une nuit qu'il passerait à songer à sa femme portant son enfant, seule sur les routes imprévisibles de Breizh.

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Missanges
Un mélange d’images et d’émotions revenant sans cesse dans mon esprit, rejouant la scène qui venait de se dérouler, l’esprit l’amplifiant la rendant encore plus terrifiante. La bâtisse se redessina lentement, silhouette étrange aux contours amochés, mal en point, tout comme moi finalement, comme Nuage.

Les sabots de Nuage émirent un son différent de celui qui émanait, feutré, voilé par la poussière de la route. Là, les sabots résonnaient, sur des pavés, puis ce fut les roues de la charrette qui grincèrent à leurs tours. Nuage avait franchi un mur bas à demi enseveli par des ronces, un mur entourant sûrement dans les années fastes l’enceinte de la maison, dévoilant une cour intérieure dallée.

Les pavés se soulevèrent semblant se réveiller sur notre passage, certains se fendirent sous le poids de la carriole. Au milieu de la cour se dressait une fontaine. Une statue émanait de celle-ci, irréelle, mélange d’acier devenu vert gris avec le temps. Une femme nue, un bras tendu semblait défier le ciel de son épée. La lame érodée par le temps s’était lentement raccourcie. Elle me fit soudainement penser à Sainte Nathan, brandissant son épée afin de défendre sa terre. Je sentis un poids dans ma poitrine s’évanouir lentement.

Je n’étais pas au moulin familial, mais j’étais toutefois chez moi en terre bretonne. C’était là, le principal, j’étais en Bretagne !

Nuage s’arrêta devant une entrée qui n’avait plus que le nom pour la désigner. Une entrée aussi large de celle de l’écurie de Kastell. Une porte arrachée par le temps, par les vents, seul les gonds encore scellés témoignaient d’une existence lointaine. Je descendis de la charrette. Ma jambe trembla lorsque mon pied toucha le sol. La fatigue, les nerfs, on eut dit que je venais de faire un Tro Breizh à pied !

Je franchis l’entrée découvrant une immense pièce. Ce fut, le vide qui me surpris. La salle était vide comme dévalisée, laissée là, sans aucun souvenir, pillée de sa mémoire. Une épaisse poussière recouvrant le sol. Aucune empreinte de pas, aucune empreinte, fut –elle animale ou humaine. Rien…
Mon regard balaya la pièce, mon estomac se serra. La raison prit le dessus, faut faire avec Miss…C’est toi qui détiens les ficelles, pas les ficelles qui te tiennent…Oui, fallait faire avec !

Tournant sur moi-même regardant Nuage, je l’appelais doucement. Ma monture entra le poitrail rouge de son sang, soulevant la poussière du sol, lui donnant subitement une vitalité incroyable. Les grains sales se mirent en mouvement, happés subitement par cette intruse présence. De fines particules dansèrent dans l’air, tournoyèrent, éclairées par un rayon de soleil filtrant du toit ouvert. Longuement je flattais Nuage, le caressant, puis le dételais. N’ayant pas la force de retenir les bras de la charrette, ceux-ci se levèrent entraînant le chargement au sol dans un immense fracas. Les tonneaux de prunes roulèrent finissant leur course contre un pan de mur. Ma malle glissa, heurta le sol violemment, les lattes de bois malmenées cédèrent éparpillant son contenu.

Je regardais tout cela, telle une spectatrice impuissante. Nuage libéré, se tourna vers moi, ses yeux soutenant les miens un instant, inclinant sa tête, ses naseaux vinrent mouiller le creux de ma main. Soudain il se rua vers la sortie et disparut. Je criai son nom de toutes mes forces. Sa silhouette s’estompa doucement, puis ne fut qu’un minuscule point dans le lointain.

J’étais seule sans comprendre pourquoi Nuage m’avait abandonnée. Sans volière pour envoyer un pigeon. Seule, isolée des miens.
Prenant les bras de la charrette, les posant sur les tonneaux, afin de la maintenir le plus horizontalement. Je m’allongeai au fond de ce lit improvisé. Dormir…Oublier cette journée…Demain sera un autre jour…Aristote veille sur moi…Aristote veille sur mon bébé…


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Viken
Les jours se suivaient et s'enchainaient dans une étouffante morosité. Viken alternait les tours de garde sur les remparts avec la surveillance des alentours de Rennes, chevauchant sa jument grise au mépris des intempéries.

En cette matinée bien terne, il regagnait l'écurie pour y seller Fougue. Sa jument l'attendait comme à l'accoutumée, toute impatiente d'aller se défouler. Elle aimait ces longues ballades en pleine nature, répondant sans rechigner à la moindre solicitation de son cavalier. Ce matin, elle semblait nerveuse, étrangement agitée.
Viken l'arnachait en essayant de la calmer par de longues caresses. C'est à ce moment là qu'il remarqua quelques enclos plus loin, la croupe d'un cheval qu'il pensa reconnaitre. Il s'approcha le coeur serré avant de découvrir Nuage, le poitrail en sang.
Il s'enquit de trouver le palefrenier au plus vite et l'interpela.


C'est toi qui a trouvé ce cheval ?

Il est arrivé dans la nuit aux portes de la ville, les gardes me l'ont amené. Il a l'air costaud, il tient encore debout malgré ses blessures.

Et tu le laisses ainsi sans le soigner bougre d'andouille ? Va t'en occuper tout de suite, si tu ne veux pas que je t'inflige les mêmes, espèce d'incapable.
Tu as intérêt à le remettre sur pieds vite fait ou il va t'en coûter, je t'en fais la promesse !


Le palefrenier détala pour s'éxécuter aussitôt, il avait bien vite compris que ce n'était pas le moment de la ramener. Viken n'avait pas pour habitude de s'en prendre ainsi aux gens, mais pour l'heure, il était extrêmement anxieux.
Si Nuage était parvenu ici blessé, qu'en était il de Missanges ? Que lui était il arrivé ? Etait elle seule désormais au beau milieu de nulle part ? Etait ce elle qui lui avait envoyé Nuage ou le cheval était il venu d'instinct ?
Autant de questions qui se bousculaient dans son esprit en plein tourment. Il fallait réfléchir vite, mais ne pas céder à la panique.

En un instant, il remonta à ses quartiers pour y prendre la plume. Il fallait prévenir les mamettes mais sans trop les inquiéter. Cela n'allait pas être facile.


Citation:
Mes petites mamettes,

je crois bien que Miss ne pourra accoucher au moulin, elle va avoir besoin de vous. Prenez la route de Rohan sans attendre, je vous retrouverais en chemin.

Je vous embrasse. Viken


Il n'était pas besoin d'en dire plus, il savait qu'elles allaient acourir au plus vite. Rassemblant ses affaires en hâte, il écrivit une autre missive à destination de ses supérieurs.

Citation:
Mon épouse est en danger sur les chemins de Breizh et sur le point d'accoucher.
Je la rejoins au plus vite afin de m'assurer qu'elle se trouve en sécurité et je reviens dès que possible.

Soldat Viken


Il plia le parchemin qu'il remit à un garde, lui chargeant de transmettre en urgence. Puis il regagna l'écurie. Là, il s'assura que Nuage avait été soigné comme il se doit, avant de relier sa bride à celle de Fougue. Ces deux là s'entendaient à merveille, il savait que sa jument adapterait son rythme à celui de Nuage.
Traversant les rues de Rennes à bride abattue, il en passa les portes en criant "écartez vous", manquant d'écraser quelques gardes au passage. ce n'était plus le temps des usages et convenances, il fallait agir ... et vite.

_________________
--Les_mamettes
[ Au moulin ]



-Ma doué ! Les enfants de Lilith et de Peter sont encore venus dans le jardin !
-Ooooh ! Ils ont labouré toute la terre de leurs pieds.
-Regarde, ils ont coupé mon cordeau, celui que je me sers pour aligner mes semences dans les rangées.

Mahestine faisait les cent pas dans son jardin regardant le désastre qui n’en était pas un, soit dit en passant. Seulement le témoignage d’une jeunesse espiègle en pleine vitalité, une jeunesse facétieuse. Soizig, les mains aux hanches regardait ce chantier en riant aux éclats.
-Ma pauvre Mahestine tu n’as, encore pas tout vu. Regarde ta rangée de poireaux.

Tournant la tête l’aînée des ancêtres devint rouge de colère puis éclata de rire.
-Ma doué ! Je revois leur père dans toutes ces farces.
La rangée de jeunes plants plantait la veille avait été déracinée et retournée. Ceux-ci montraient leurs racines. Les cheveux improvisés ondulaient légèrement sous le vent devenu lui aussi taquin.
-Ma doué ! Je vous le dis, ils vont nous faire mourir ces deux là !

Les yeux brillants de joie, elles discutèrent se remémorant une époque ancienne, chacune racontant les taquineries du père lorsqu’il était lui aussi enfant. Elles revirent ainsi le passé, elles revirent à travers chaque anecdote un peu de leur jeunesse. Un pigeon frôla la tête de Mahestine, faisant dodeliner sa longue coiffe bretonne. Ne s’arrêtant pas pour autant, continuant sa volée, venant se poser sur le rebord d’une des fenêtres du moulin.

-Ben voilà ! Qu’il prendrait ma coiffe pour un perchoir celui-là ! Et en plus, il veut qu’on pique un cent mètres. Encore un pigeon mal dressé !
-C’est le pigeon du mari de la petite. Un pigeon de Viken.
-M’étonnes pas, tiens !
-Et depuis quand, c’est Viken qui écrit ? Et pourquoi c’est pas un pigeon de la petite ?

Relevant jupe et jupons, Mahestine prit la tête sur l’étroit chemin de terre battue du jardin, afin de regagner le moulin. Son cœur battant étrangement la chamade réveillant soudainement son sixième sens. Soizig et Ambroisine suivirent à leur tour la foulée de l’aînée des ancêtres.
Les cent mètres furent avalés rapidement et le pigeon fut dépouillé tout aussi rapidement de sa missive sans aucune tendresse y laissant quelques plumes au passage. Mahestine déroula la missive prenant connaissance de son contenu. A chaque ligne son visage prenait une expression grave, sérieuse.

Après ce qui parut une éternité pour les deux autres mamettes, attendant les nouvelles avec impatience. Mahestine releva la tête les regardant avant de prononcer.
- C’est la petite elle a des ennuis. Viken nous demande de le rejoindre. Il nous donnera de plus amples explications à mesure de l’avancement de notre voyage. C’est qu’il ne s’est pas foulé le poignet pour écrire celui-là. Deux lignes, deux lignes pour nous mettre la trouille.
Missanges
Longtemps après que la dernière lueur de la nuit eut disparu, recroquevillée sur moi-même, j’avais fermé les yeux. La nuit fut longue entrecoupée de rêves et de cauchemars.
Rêves allant au bon lit douillet du moulin entremêlés d’images douces telle la vision des visages que j’aimais tant.
Cauchemars enfouis dans un brouillard parsemé d’ombres me poursuivant sans cesse. Les crocs du loup prenaient une toute autre dimension, effrayante, démesurée. La gorge de Nuage n’en finissait pas se s’épandre, son sang ruisselant sur son poitrail. Si j’avais su…Si, ce mot revenait sans cesse… si…

Ce fut un rayon de soleil filtrant du toit qui vint chatouiller mes paupières chassant doucement les images douces et violentes de mon esprit. Aspirant une bouffée d’air, j’ouvris mes yeux et l’inconfort de la carriole me ramena à la journée précédente.

Renonçant à trouver une position confortable dans ce fond de charrette, j’allongeai mes mains afin de saisir les montants de celle-ci. Mes doigts se refermèrent sur le bois puis lentement je m’assis. Un point douloureux me fit grimacer, j’avais dormi contre mon épée le pommeau sous mes côtes. Glissant lentement contre les lattes de bois, je pris appui sur mes jambes soudainement devenues frêles et je sentis de nouveau une douleur dans mon ventre.

Ce n’était plus les mouvements de mon bébé ressentis ces derniers mois. Ce n’était plus le bébé qui appuyait ou frottait une partie de son corps contre les parois de mon ventre. Non, c’était autre chose, c’était le moment. La fin d’une grossesse et le commencement d’une merveilleuse aventure qui allait agrandir notre couple.

Me dirigeant avec lenteur vers ma malle éparpillée tout en essayant de respirer régulièrement. Je fus subitement prise de panique, je n’avais rien pour accoucher correctement, quelques robes montrant une dentelle délicate, quelques denrées emportées à la va vite afin de me restaurer pendant le voyage, mais rien concrètement pour mettre un enfant au monde.
Mon enfant !
Mon esprit calcula détaillant ce que j’avais sous la main, pouvant m’être utile, lorsque je sentis un liquide s’écouler.


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Philibert
Phil avait repris la route pour aller voir ce bout du monde dont les nonnes lui avaient rebattu les zoreilles, comme si ce devait être pour lui l'plus bel endroit d'la Terre, il admirait l'paysage qui était si changeant dans la région et voyant un bois en prit la direction.
Depuis son plus jeune âge, il aimait se promener en forêt sans savoir d'où lui v'nait c't'attirance. Sa mère........p't'être. Le nonnes n'avaient jamais voulu lui parler d'elle. Ils savait juste qu'elle s'était r'trouvé là à sa naissance et avait disparu, le laissant avec rien d'autre qu'c'prénom : Philibert.
Perdu dans ses pensées, il ne vit pas la masure basse dont il approchait et fut bien surpris ne l'vant les yeux d'l'apercevoir d'un coup. Sa surprise fut grandie quand il vit d'vant elle une carriole qui avait un drôle d'air........curieux, il s'approcha et vit qu'la carriole r'posait sur des tonneaux. S'grattant la tête, il s'dit tout haut :
Ben v'là un drôle d'pays où on pose une carriolle com'ça ! Les gens sont bizarre par ici.
--Les_mamettes


C’est au son des marmites reliées entre-elles, attachées en cascade contre le haut de la charrette que les trois mamettes de Kastell s’étaient mise en route suivant les consignes de Viken. Les casseroles cognant l’une contre l’autre émettaient un son bruyant qu’aucun passant ne pouvait ignorer, se retournant même pour regarder curieusement cette charrette semblant sortir de l’antiquité.

Assises, côte à côte, sur le banc, Mahestine tenait les rênes ignorant les yeux de merlan frits des badauds s’agglutinant sur le bord de la chaussée.

-Tu ne pouvais pas mettre ces fichues casseroles dans une malle !
-Ben, j’ai fais au plus vite. J’ai pensé que Viken nous trouverais plus facilement ainsi !
-Ah ! Ben pour cela, il va nous entendre celui-là ! Laisser la petite seule sur les routes dans son état, c’est sûr que le bruit des casseroles, va l’entendre !

Avec une tête de moins que l’aînée des ancêtres Soizig se redressa sur le siège du chariot et acquiesça de sa tête.

-Pourvu que la petite soit forte. Pourvu qu’elle attende que nous arrivions.
-Ben, à mon avis, elle va pas danser la gavotte ! Et question attendre, je crois pas qu’elle puisse attendre quoique ce soit. J’espère que nous pourrons arriver à temps pour être auprès d’elle.

Soizig regarda l’aînée des ancêtres avec une moue dubitative, mais ne rajouta aucun mot. Ce n’était pas le moment d’énerver Mahestine. Ce fut Ambroisine qui reprit la discussion.

-On a tout pris ? Les tissus, les aiguilles, les lames…
-Hein ! Tu vas aider à accoucher ou tu vas charcuter toi !
-Ben, si cela se passe mal, faut penser au pire tout de même.
-Le pire a déjà commencé va pas en rajouter toi !

Haussant la tête, gonflant ses joues, regardant Soizig, elles surent instinctivement qu’il ne fallait rien rajouter. Mahestine était assez anxieuse comme ça. Ses mains crispées sur les rênes trahissaient son angoisse. Soizig détailla sa sœur aînée à la dérobée constatant une ride de plus sur son visage. Elles étaient toujours ensemble et pourtant elles ne prenaient guère le temps de se regarder de profiter encore et encore des jours qu’ils leur restaient, des jours assurément comptés…
Mahestine, la première de la famille, qui n’avait pas eu d’enfant comme chacune d’entre elles. Cette sœur qui s’était dévouée à ses autres sœurs, puis à Missanges. Cet enfant attendu allait être un peu à toutes. Baissant la tête, elle se surprit de caresser les perles de son chapelet formulant à demi-voix une prière sur chacune d’entre-elles.

St Brieuc était depuis longtemps derrière elles. Au loin, les grands arbres de la forêt de Rohan pointaient leur nez. Un nuage de poussière s’éleva dans l’horizon. Une armée s’avançait. Des hommes et des femmes armés d’arcs et épées assis sur les plus beaux destriers, les croisèrent, les dévisagèrent. Les soldats échangèrent des coups d’œil déconcertés et quelques archers mal à l’aise rengainèrent leur flèches, s’inclinèrent devant les ancêtres. Songeurs se demandant que faisaient trois vieilles sur les routes devenues incertaines depuis la levée de Ban.

Ce fut lorsque le nuage de poussière se dissipa que Nuage, fougue et Viken apparurent. L’attention des mamettes se porta sur la monture de la petite, le poitrail entouré de fines lanières de tissu. Elles hurlèrent en cœur…

-Ma doué ! C’est Viken, et Nuage sans Miss…

-Que c’est –il passé ? Où est la petite ?


Viken
Il avait chevauché jour et nuit, s'accordant malgré tout quelques pauses afin de soulager les chevaux et s'assurer que la blessure de Nuage ne s'aggravait pas. Les toits de Rohan étaient désormais loin derrière eux et les hautes frondaisons de sa forêt s'écartaient de chaque côté d'une route que les hommes s'évertuaient à entretenir au fil des années.
En temps normal, il aurait apprécié ces haltes, en aurait profité pour admirer ce que la nature avait de magique et de mystérieux, transformant cette forêt en une majestueuse et gigantesque cathédrale.
Là, l'heure n'était pas au recueillement ni à la contemplation. Viken profita de la mare qui trônait au beau milieu de la clairière pour abreuver les chevaux. Il connaissait l'endroit et savait que la prochaine occasion de les faire boire se situait à des lieues plus au nord.
Les bêtes soufflaient les naseaux au ras du sol, happant avec gourmandise quelques touffes d'herbe fraiche. Nuage semblait en forme malgré sa blessure, mais était bien plus agité que d'habitude. On sentait dans son attitude la volonté de poursuivre en dépit de la fatigue.

Viken le regardait du coin de l'oeil, il espérait qu'il le mènerait au plus vite vers Missanges. Là, son coeur se serra à nouveau. Il chassa au plus vite les pires idées qui lui traversaient l'esprit. Il ne fallait pas céder à l'angoisse qui le tenaillait et lui ferait perdre toute logique. Garder son sang froid, il fallait rester de ses émotions.
Comme pour s'en convaincre, il se leva et rééquipa à nouveau les chevaux. Au même moment, un groupe de cavaliers en armes déboula dans un grand fracas de sabots et de tintements de métal. Des soldats de l'Ost, comme lui, regagnaient le nord en hâte. Juste le temps d'échanger quelques mots qu'ils étaient déjà repartis, lui ouvrant la route dans un nuage de poussière.
Il profita de l'occasion pour les suivre à distance, s'assurant ainsi une rassurante sécurité. Economisant les forces de Nuage, il ne les vit bientôt plus mais entendait encore au loin le grondement sourd de leur chevauchée. Tous les sens en éveil, Viken les entendit ralentir. Au même moment, il perçut un son étrange, incongru en pareil lieu. Un bruit de féraille, d'objets métalliques qui s'entrechoquent de manière aléatoire mais régulière.
Il ralentit les chevaux essayant de mieux définir l'origine de ce tintamarre. Etrangement, les cavaliers semblaient s'éloigner alors même que le bruit métallique, lui, se rapprochait.
Viken en déduit que celui-ci ne devait pas représenter de danger si les soldats ne s'en souciaient pas.

Il en eu confirmation bien vite lorsqu'au détour d'un virage il vit d'où provenait tout ce tumulte. Les trois mamettes alignées sur le banc de leur antique charrette venaient au devant de lui dans un concert de casseroles et de chaudrons.
Il était si soulagé de les voir qu'il en aurait presque rit. Mais les premiers mots des mamettes, le ramenèrent vite à la réalité.


Que s'est il passé ? Où est la petite ?

Il descendit de cheval pour les rejoindre. Il leur expliqua la situation au mieux, tentant de ne pas trop les affoler, essayant d'éviter leurs vociférations, mais il savait que de toutes façons, c'était peine perdue.
Les trois petites vieilles pointaient déjà sur lui leurs regards lourds de reproches et désapprobation. Son récit, le plus bref possible, était déjà ponctué de "pffff" et de "bah" lui indiquant qu'il devrait répondre de tout cela si jamais il arrivait quelque chose à la petite, "leur" petite.
Malgré tout, Viken essaya d'analyser la situation avec calme, laissant le soin aux mamettes de ronchonner entre elles.
Si Nuage l'avait conduit jusqu'ici, cela voulait dire que les mamettes étaient passées non loin de Missanges sans la voir. Il se garda d'envisager le pire, préférant opter pour l'hypothèse qu'elle avait réussi à trouver refuge quelque part.
Il ne laissa pas le temps de souffler à ces petites vieilles qu'il aimait autant qu'il les craignait. Ce n'était pas le moment qu'elles lui tiennent tête et d'un ton presque autoritaire, il lâcha.


Demi tour !

Joignant le geste à la parole, il fit pivôter la charrette sous les yeux écarquillés des mamettes, avant de remonter sur sa jument. Viken sentait qu'elles auraient aimé avoir des explications mais il ne voulait pas perdre de temps. Aussi il se contenta d'un simple ...

On suit Nuage.

C'est ainsi que l'étrange équipage reprit la route en direction de St Brieuc. Viken ne quittait pas des yeux le cheval de sa petite femme, observant le moindre signe qui pourrait le guider vers elle. C'était sur cet infime espoir désormais, que tout reposait.
Quelques lieues plus loin, le fier cheval de Missanges bifurqua sur le côté de la route, empruntant un sentier qui n'était plus entretenu depuis bien longtemps. Pourtant, au sol, Viken remarqua les empreintes fraiches de roues de charrettes.
D'instinct, il suivit du regard le chemin jusqu'à apercevoir le toit d'une maison délabrée. Son coeur s'emballa d'un coup, aiguillé par un furieux élan d'espoir. Il éperonna les flancs de Fougue, laissant aux mamettes le soin de les rejoindre, et en quelques galops se retrouva face à une masure en ruine.
Il sauta de cheval avant de courir à l'intérieur du seul bâtiment qui tenait encore debout. Le coeur pris dans un étau, hésitant entre angoisse et joie, il sembla s'arrêter un court instant.
Il passa cependant la porte en hurlant comme pour expulser ce surcroit de peur.


Chérie ?
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--Les_mamettes


-Ben, le voilà qui cause comme il écrit maintenant lui ! Même en plus court !
Demi-tour !
-Il se croit dans son escadron de soldats sûrement !

Râlant et pestant comme à son habitude, Mahestine fulminait à l’encontre de Viken, lui attribuant tous les torts de la situation actuelle. Il fallait bien de toute façon que ceux-ci retombent sur une personne. Alors, autant que se soit lui !

-On suit Nuage !

-Tiens un mot de plus, va y arriver à faire une phrase…

On suit Nuage…On suit Nuage…Ben, en même temps, on va pas suivre le premier pecnot du coin pensa Mahestine, mais énervée comme elle était, elle ne rajouta rien. Finalement tout le monde était suffisamment angoissé comme ça. Nuage obliqua sur un sentier, que seul les corbeaux devaient connaître volant sûrement sur le dos afin de ne pas voir l’état de cette route. Elles furent soulagées cependant d’êtres toutes les trois assises sur le banc de la charrette en hauteur. C’est que leurs guiboles auraient eu du mal à se frayer le passage dans cet endroit recouvert de ronces et d’herbes hautes.

Les roues écrasaient certains brins, osant venir caresser l’essieu, osant venir ralentir la cadence de la carriole. Le temps parut interminable, mais, l’esprit de Mahestine allait bon train. La même question revenait sans cesse. Qu’est - ce qui avait bien pu se passer, pour que la petite soit dans un endroit aussi reculé que celui-là et Nuage bandé…Et l’esprit calculait, formulait…

Toutes ces questions n’en finissaient pas d’empourprer le visage ridé de Mahestine, qui prit une couleur violacée lorsqu’elle découvrit la bâtisse.

-Ma doué ! Ils ont déjà fait péter les baraques ici ! Cette guerre n’annonce rien de bon. Moi je vous le dis ! Mais tout de même s’en prendre aux pierres…
-À mon avis, c’est pas de la faute à la guerre que cette maison est déglinguée , c’est plutôt faute de son entretien, enfin du manque.

L’attelage stoppa derrière le cheval de Viken. Celui en descendit et courut suivant Nuage. Ils s’engouffrèrent par une large porte et disparurent.
Au loin, un homme semblait s’être perdu. Peut être le propriétaire de la bâtisse ou un éternel assoiffé, vu comme son regard reluquait les tonneaux de prune. Une personne qui a bien fait de se perdre un moment sans toutefois déranger le cours de l’histoire.
Jetant un œil amusé sur ses sœurs, Mahestine dit

- Ben, les frangines, on est encore quitte pour descendre de la charrette seule…


Missanges
Le liquide s’écoulait, je savais que la poche des eaux venait de se rompre. Les livres de médecine feuilletés à l’université décrivaient tout cela, des croquis venant illustrer parfois certain écrit. Je savais qu’une infection était possible maintenant. Mais tout autour de moi n’était que poussière. Je cherchais du regard ou je pouvais accoucher.

Un bruit se fit entendre dans la cour suivi d’un autre différent. Reculant sans faire de bruit, mon dos prit appui contre le mur derrière la charrette. L’esprit se remit en mouvement, imaginant encore une fois une quelconque menace. Le dos contre la paroi acculée contre le dernier rempart, je ne pouvais livrer plus aucune bataille.

Silencieuse, retenant mon souffle, essayant de penser à toutes les fois, où, avec Jeny, dans notre enfance, nous avions joué à chat, à se cacher afin que l’une ou l’autre ne soit pas découverte. Je repensais à toutes les fois où nous avions descendu dans la cave de mon père siffler ses bouteilles de prune sans être vues.
Aristote cache-moi.

L’ombre d’une silhouette se découpa par l’ouverture de la porte. Immense, se profilant en longueur dans la pièce éclairée par le soleil venant de la cour. Ma respiration se fit discrète jusqu’à se mettre en pause, en apnée, j’étais soudainement immergée dans la mer de Kastell. Seul mes yeux bougeaient détaillant l’ombre qui s’avançait …
-Chérie !

Prune et chouchen ! Ce fut comme une vague reçue en pleine face. Un soulagement sans fin, faisant retomber la pression des muscles qui doucement s’étaient tétanisés. Mon dos s’écarta peu à peu de son support.
-Je suis là amour…

Sa tête pivota au son de ma voix et mon regard rencontra le sien. Nos yeux se fixèrent, puis ses deux bras m’enserrèrent tandis que ses lèvres parcouraient mon visage. Dans un murmure à peine audible je parvins à dire
-Chéri le bébé arrive.

Un vacarme retentit
- Ma doué, elle est là ! Levant la tête je vis les Mamettes débouler dans la pièce…

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