Gnia
[Montauban, dans le nid de la Salamandre]
Les nuits rafraichissaient-elles déjà ou bien était-ce cette chaleur à peine découverte qui déjà manquait ?
Si Agnès devait se fier au feu qui lui était monté aux joues - et pas qu'aux joues d'ailleurs - à la lecture de la missive qu'on venait de lui faire porter, visiblement le climat de cette fin d'été semblait rester clément.
Paupières closes sur lesquelles s'impriment quelques fugaces souvenirs réveillés par quelques lignes, elle se demande un instant quelle est la véritable nature de ce manque ravivé, avant de hausser les épaules.
A quoi bon chercher des raisons ?
Citation:Capitaine de notre bateau ivre,
Dire que je n'ai pas ressenti une pointe de soulagement à savoir que, dans tes pérégrinations, tu conserves par devers toi le souvenir de nos navigations incertaines, serait mentir.
J'ai pensé, dans le grand pessimisme qui est le mien, que tu saurai trouver des contrées plus accueillantes à visiter, d'autres ports aux promesses enchanteresses où t'amarrer, tant je suis bien consciente qu'il en existe de bien moins sauvages et accessibles que ce que j'ai à offrir.
Puisses-tu alors te hâter dans ton excursion, tes pas te portant à la mesure de ton imagination.
Car vois-tu, je ne saurai éternellement rester sur notre dernière escale lorsque je sais, qu'une fois encore embarquée, passagère clandestine sur ce bateau au cap inconnu, tu sauras nous mener à bon port.
Jusqu'au suivant.
A.
Un dernier sourire étrange flottant sur les lèvres, elle s'arrache à ses licencieuses pensées.
Il est bien des choses qui peuvent réchauffer des nuits glacées.
Suffit de les trouver et d'en abuser._________________
Gnia
[Escale dans l'errance, la Teste de Buch, port de pêche]
Depuis Agen, rien de ce qu'elle avait fait ou entrepris ne semblait avoir de sens ou de logique. Résultats probables d'un esprit trop sollicité ou perturbé.
Il y avait eu l'échauffourée bordelaise et la retraite forcée en Périgord, le dernier endroit sur terre où elle avait envie passer ne serait-ce qu'un jour. Puis de nouveau la pampa guyennoise, les chemins, le vide, le silence, l'errance autour de La Teste sans se résoudre à y entrer.
Brouiller les pistes, s'embrouiller soi-même.
Enfin, le retour à la civilisation et, comme à chaque fois qu'il lui est donné de contempler la masse liquide de l'océan, cette fixation, cette attirance mâtinée de peur viscérale pour l'eau grise, palpitante de vie et porteuse de mort.
C'est une étrange mélancolie qui l'étreint alors que cette escale au calme devrait lui apporter une pointe de sérénité. Mais que vaut la sérénité face à l'action, mis à part de laisser trop de place à la réflexion ?
Citation:J'ai erré depuis la Cité des Saules jusqu'à l'océan, et c'est à présent le petit port de La Teste de Buch qui se fait le réceptacle d'une attente qui met mon esprit à rude épreuve.
J'oscille à présent de jour comme de nuit entre bouffée d'espoirs insufflés par quelques bonnes nouvelles et sombres pensées qui sont autant de marches vers l'abattement.
Rien qui ne soit finalement autre chose que l'expression de mon caractère changeant.
Rien qui ne puisse être partiellement apaisé par une présence qui se fait absence.
Je ne crois pas que tu sois heureux alors d'être l'oreille bienveillante des errances de mon esprit sombre. Je ne fais guère que déplorer ton absence quand tu proposes de tenter d'y pallier.
J'aurai aimé pouvoir t'apporter de meilleures nouvelles.
Il en est toutefois probablement une qui te réjouira, c'est celle de savoir qu'à l'instant où j'ai couché ces quelques lignes baignées d'une nostalgie malvenue, j'étais encore en vie.
Et de retour dans le giron de l'Eglise Aristotélicienne.
A.
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Gnia
[Il y a le ciel, les oiseaux et la mer... Le soleil, ça dépend des jours.]
"Vous êtes dans un petit port de pêche. C'est sympa, bucolique, mais le ponton ne permet l'amarrage que de quatre bateaux simultanément."
Certes mais qu'est ce qu'on s'y faisait chier en attendant qu'une brise marine apporte quelques bonnes nouvelles.
Et après des jours à se languir en regardant la mer et le ciel à s'en faire péter les yeux, tout se bouscula en une journée.
Et notamment quelques oiseaux qui ne se faisaient pas de mauvais augure malgré deux chants discordants.
Une mine grave accueillit celle d'Eusaias qui semblait accélérer brusquement le destin jusqu'à sceller leurs sorts.
Un franc éclat de rire ponctua la lecture de celle de l'Irlandais. Et même un sourire ravi. C'est dire.
Citation:Faquin.
Probablement l'es-tu pour ceux que tu sembles déranger dans la quiétude de leur vie paisible et misérable de village.
Mais songes donc au fait qu'ils ne te voient que sous la forme sous laquelle tu leur apparais. Homme de peu de valeur, mal élevé, méprisable, impertinent.
Et j'espère bien que tu me réserves la primeur de ton autre facette qui tend à masquer cet aspect rustre pour révéler quelque caillou étincelant.
Quant bien même tu ne t'offres, tout comme tes présents, qu'à moitié.
Me crois-tu suffisamment vénale pour penser que je n'aimerai te revoir que pour lier sur mes hanches une ceinture qui soit plus éclatante ?
Fi de tes cailloux, c'est tes mains sur elles que je veux.
Toutefois, rassures-toi, j'apprécie le geste à sa mesure et t'en remercie sincèrement. Tout comme je ne peux nier que l'attention m'a touchée.
Et soit sans crainte, je ne t'abandonne pas à peine l'ascension vers l'hérésie qui est la nôtre entamée, j'escompte bien te mener jusqu'à son sommet, si tant qu'il existe, et ne surtout jamais en redescendre.
Toutefois, il nous faudra redoubler de vigilance dans nos escapades maquisardes car ce retour sur le chemin de la belle Vertu Aristotélicienne commande que je me plie à une échéance qui s'impose de nouveau avec force et qui ne souffre plus d'être reportée.
A ton retour, s'il tarde, je serai mariée.
Gardes toi bien des sots et des fats qui ne voient en toi qu'un faquin et ne te laisse pas happer par les sirènes d'un peuple qui fait mine de t'aimer.
Leurs charmantes attentions ne sauraient décemment égaler celles que je te réserves.
Les miennes ont au moins le mérite de la franchise.
A.
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Gnia
[Après quelques escapades musclées, retour à La Teste]
Après deux nuits à aller observer la beauté des murs de Bordeaux sous la clarté lunaire, il avait été décidé d'aller se prélasser à nouveau à La Teste. Agnès n'avait pas imaginé y retourner à la tête d'une armée battant oriflamme breton et elle-même devenue toulousaine par la grâce de l'annexion.
Et au delà du plaisir de retrouver un grain de sel de baron breton qui occupait fort agréablement ses nuits en l'absence de bras plus désirés, elle eut également le plaisir de trouver missive qui laissait espérer que ses fameux bras tant désirés n'étaient plus aussi éloignés.
Citation:A toi, Irlandais itinérant,
S'il te prenais l'envie, avant d'à nouveau t'évanouir dans la nature, de venir visiter un petit port de pêche répondant au nom étrange de La Teste de Buch, je crois que tu pourrai sans peine orner mes hanches de tes cailloux mais surtout de tes mains.
A défaut de découvrir une ville animée, tu pourras redécouvrir à l'envie une comtesse artésienne devenue toulousaine à la tête d'une armée bretonne.
Avoue que l'exotisme de la chose a de quoi susciter la curiosité.
Il faut bien se raccrocher à la nouveauté puisqu'il devient visible que ma lutte si elle n'est pas loin d'être perdue devient désespérée. Alors, oui, si tu viens à moi, peut-être pourras-tu influer, si ce n'est sur le cours tumultueux que semble prendre ma destinée, au moins sur mon esprit malmené et sa forte propension au pessimisme.
Car si je dois chavirer, je préfère encore que ce soit dans tes bras.
A.
Une fois la lettre partie vers la dernière destination connue où elle pourrait être lue, Agnès eut une petite moue.
Décidément, même son coeur semblait appeler une destinée tumultueuse de tout ses voeux._________________