--Compostelle
[Août sachève, la tour divoire vacille ]
- « Jai beau déserter la nuit, je sais bien que les heures auront des yeux de chat.
Le silence voit toujours plus loin que moi.
Dormir encore un peu.
Pour une caresse, un mot, ton rire. »
Maxime ?
Dans la pénombre de la pièce, la voix glacée deffroi ricoche dans le silence, puis un bruissement léger signalant que la carcasse se tourne sur la couche. Frêle bruit, comme le corps en peau de chagrin qui habite lendroit et qui resserre désespérément contre elle les draps comme un amant fait détoffe et de phantasmes imbibés dopium.
Soupir soulagé.
Des mots glissent de ses pétales comme des petites peurs chiffonnées.
Ne mabandonnez pas
Réponse au timbre masculin, doux qui murmure dans un coin de sa calebasse des mots polis par le souvenir. Voix tout droit sortie de ses vieilles boîtes à réminiscences. Connue et entendue delle seule.
Le ton est rassurant.
-Que nenni ma mie, je suis là ne vous inquiétez pas je suis toujours là pour vous ma blondeur.
Torpeur éthylique et thébaïque qui embrume lesprit rongé de folie depuis des années déjà.
Les azurs souvrent et décortiquent les ombres réelles ou imaginaires qui siègent dans les recoins sommeilleux de la chambre. La Compostelle offre à son hôte invisible un sourire bordé de tendresse oubliée. La voix masculine sinsinue en chuchotement dans son chaos internes
-Préparez-vous ma mie, il est temps pour nous de prendre la route.
Les papillons de chairs battent lentement de leurs ailes fragiles, vaine tentative de maintenir la conscience à flot. Le front se plisse, et sourle de perle de sueurs, son souffle agonise dans sa poitrine, le délictueux poison qui palpite dans ses veines loppresse, sabote son système respiratoire, profane ce qui reste de vie, dâme.
Déchéance dans les ténèbres dun être voué à sélever dans la lumière.
Octroyez-moi quelques instants je suis si fatiguée mon ami
Les paupières éclipsent les lueurs qui chancellent dans lobscurité.
Maudit sommeil qui la rattrape, ellipse chronophage vide de songes, où sa non-existence a cours.
Un aperçu de la mort, entre sueur glacée et frisson brûlant le derme.
Une heure peut-être deux se sont écoulées avec pour seul bris au silence, le sifflement dun maigre souffle et les plaintes nébuleuses de létoile déchue dont les poumons sont dans un étau.
La lumière crépusculaire a fait place au noir létal de la nuit complète.
La faible lueur dune lampe éclaire les derniers gestes dune tourangelle en suris.
Demain un autre duché, demain loubli
Une voix interroge labsence :
Maxime ?
-Il nest plus là ! Espèce de gourde.
-Il est parti avec les dernières dilutions de thériaque !
-Jdirais même plus, il est parti depuis quil est mort !
-
-Ben quoi ? Cest vrai non ?
Soupir aiguisé damertume, le salant pique les iris délavés de chagrin.
Taisez-vous, taisez-vous toutes il est toujours avec moi, en moi ! Vous me tuez
-Tu nous tues aussi Fildaïs, à coup dopiacé à coup de vin et de vénéneux chagrins lentement
-Ouais cest ça, tuez-vous toutes ! Moi jvous avertis, jmeurs pas ! Dites les blondasses ? Si vous mourrez toutes ? Je peux hériter du manège enchanté fildaïssien ?
-HUM !
-Ben quoi ? Jme renseigne !
Sur le lit, la Compostelle abandonne couronne, armes et bijoux. Se dépouillant de ses derniers attributs de noblesse. Elle a laissé des instructions à son ancienne suzeraine, claires, en ce qui concerne ses biens.
Dans son bissac, un coffret avec toutes les missives reçues, un collier de coquillages que lui avait offert Enguerrand et quelques étranges pierres données par une herboriste. Quelques vêtements masculins, aux tons sombres, à létoffe éculée. Ses petits paradis artificiels, sous forme de pâtes épaisses et brunâtres ou sous forme de liquide carminée.
Quelques écus, un peu de pain, Fildaïs voyagera léger.
Puis avec soin, elle enveloppe dans du lin, une épée frappée de la licorne, seule souvenir de son défunt licorneux, elle sera solidement harnachée à la selle de sa pouliche.
Un chat dodu, au pelage lilial est furtivement caressé, le royal félin sera du voyage, rappel de son manque de célérité et dune reyne pendue comme une moins que rien.
Lazur englobe la pièce comme pour imprégner sa mémoire de ce souvenir. Les prunelles se heurtent soudain à un oubli.
Sur un perchoir, lautour qui appartenait à lAlesme, celui de leur rencontre.
Perclus de vieillesse, les plumes sabsentent et laissent à découvert des bouts de peau fripée. Les yeux ne voient plus depuis une paire dannées, et cest la blonde qui le nourrit comme une mère le ferait à son tout petit avec de la viande moulinée par ses soins
Trop vieux pour laccompagner
Les vermeilles se pincent, pâlissent alors que la fine hyaline se pose bienveillante sur le sommet de sa tête. Elle cueille loiseau dans la paume de sa main, le cajole un instant en appuyant sa joue contre lui.
Des mots doux, rassurants sont susurrés à lanimal.
Les doigts senveloppent, sinsinuent autour du cou frêle, délicat du rapace.
Un baiser, une étreinte. La dernière elle est létale.
Ça ne dure quune fraction de seconde, une insignifiante seconde où la douce blonde brise dun coup net la vie du volatil.
Un petit craquement suivit dune tête qui sabandonne lourdement entre ses mains.
Les larmes en cascade viennent en silence maculer le visage impavide de la tour divoire.
Cette nuit, elle chevauchera avec le vent, lobscurité comme seule amie.
Cette nuit elle nest plus Fildaïs, trop multiples, trop Hydre.
Cette nuit elle sera éther, chimère on la nommera désormais Compostelle.
*Brigitte Giraud. "La nuit se sauve par la fenêtre"
______________
Chimère et Hydre... Éther en mouvance...[En rouge : ses voix pensionnaires dans sa tête...]