Elvas, le dix-septième jour du mois de janvier de l'an de Grâce mil quatre cent cinquante neuf
Je suis en exil et en ermitage depuis de nombreux jours, je ne les compte plus. Je vis seul reculé du monde à Elvas au Portugal et ainsi j'évite les ennuis qui se répètent partout où je passais... J'ai pour ma part été traité comme un animal par les autorités Normandes et ma demande d'Appel a été rejeté par un Procureur du nom de Jason et qui est corrompu.
J'ai dû subir ma peine sans pouvoir défendre ma juste cause même auprès des autorités religieuses qui ont aussi peur du pouvoir en place.
J'ai donc parcouru des centaines de lieues en attendant que la mort, par un heureux hasard, puisse s'abattre sur moi mais rien n'y a fait. Je survis, du moins ma carcasse survit. Ma main trouve parfois la force de prendre une plume pour écrire un mot, quelques vers, un pigeon...
J'ai abandonné aussi mon emploi de palefrenier chez les Dames Blanches mais une de leur scribe m'a relancé pour me faire travailler comme journalier dans son domaine près de Dié. Je quitte donc mon trou du fin fond du Portugal et je reprends les chemins vers la France. Je n'ai plus peur de rien, j'avance tête baissée, un jour de plus est me rapproche inexorablement de la fin et, sans la provoquer, je l'attends, je la sens... tout près...
J'évite les halles et les gargotes source de procès, je ne réponds plus aux douaniers, ni aux prévóts, je plie l'échine désormais face à leurs injustices quotidiennes... Je vieillis, je perds la tête parfois, mes jambes se dérobent parfois sous le poids de mon attirail. Je lis le Livre des Vertus que je traine depuis des mois et que je n'avais jamais ouvert. J'ai découvert des passages intéressants qui me divertissent mon esprit trop souvent embrumé. La colère me ronge de l'intérieur et je crois qu'elle aura gâché toute ma vie finalement.
Leiria, le dix-neuvième jour du mois de janvier de l'an de Grâce mil quatre cent cinquante neuf
Je vous écris de Leiria sur la partie Ouest du Portugal au nord de ma position initiale. Mon voyage se passe sans encombre et ce que j'apprécie dans les pays étrangers c'est qu'on ne vous tombe pas dessus d'un oui d'un non pour des considérations administratives.
Je m'attends à un retour houleux en France et j'ai hâte d'aller me réfugier dans l'enceinte du château de mon futur employeur.
Frontière entre le Portugal et l'Espagne, le vingt-sixième jour du mois de janvier de l'an de Grâce mil quatre cent cinquante neuf
Je me trouve à la frontière Lusitano-espagnole et je rejoins bon gré mal gré la frontière française que je devrai atteindre dans pas loin de quinze jours. Mes jambes me soutiennent tous les jours de mieux en mieux mais c'est souvent mon estomac le premier déclencheur de mes maux. Ma fortune et mes réserves personnelles étant dérisoires, je devrai aviser en chemin de la meilleure des méthodes afin de ne pas mourir de faim. Je ne croise pour ainsi dire personne en chemin et je ne vais pas m'en plaindre surtout en ces lieux isolés et que l'on pourrait qualifier de coupe-gorges. Je garde un bon souvenir du Portugal où l'étranger est accueilli à bras ouverts a contrario de nos Duchés qui cultivent la peur de l'autre.
J'ai défendu la ville d'Elvas pendant pas mal de jours et les autorités m'ont félicité en m'honorant et en me remettant une médaille.
Je suis attendu aux portes du domaine d'Authieux chez le Seigneur Raithuge Authieux de la Vallouise près de Dié dans le Dauphiné-Lyonnais. Il m'a proposé un travail de palefrenier comme celui que j'avais chez les Dames Blanches et j'ai accepté ayant pour le moment besoin d'un gîte, d'un couvert et d'une protection solide.
Je me trouve non loin de Valladolid au cur de l'Espagne et ma situation précaire m'amène à mendier sur les chemins pour trouver ma pitance. Les quelques écus ramassés me permettent de survivre au jour le jour. J'ai décidé de rejoindre Barcelone et de suivre la mer vers le nord en longeant les côtes où dit-on les Comtés sont plus riches et peuplés. Voilà qui me changera un peu de la misère qui m'entoure.
Aux portes de Barcelone, le douze février de l'an de grâce mil quatre cent cinquante neuf,
Mon chemin se poursuit depuis la péninsule lusitanienne jusqu' au cur de la Catalogne en passant par le bel Aragon. Je me trouve aux portes de Barcelone où vous pourriez dire que mes fréquentations sont plus que douteuses.
En effet, mon métier m'amène à rencontrer autant de gens de la Sénéchaussée que d'ordres plus ou moins obscures. Tantôt une tête d'Hydre, tantôt des Crocs rouges viennent apposer leur sceaux distinctifs sur des missives qui me sont adressées. Mes réserves financières et alimentaires étant au ras des pâquerettes, je dois me pencher sur toutes les offres qui me parviennent dans un but de subsistance.
J'ai dû me résoudre afin de ne pas mourir de faim à mendier sur un nud pour obtenir quelques piécettes bienvenues. La générosité des passants ne vaut bien souvent que par l'éclat de ma lame acérée sur leur gorge offerte.
J'ai en fait encore réussi à faire un pied de nez à la grande Dame en noir qui me poursuit depuis déjà tant d'année. Elle ne m'aura pas facilement mais son ombre m'accompagne à chaque pas que je fais. La Catalogne est une province très riche et il serait bon pour moi d'en tirer quelques profits, tout comme les gens qui y gravitent.
Frontière espagnole le dix-septième jour du mois de février de l'an de Grâce mil quatre cent cinquante neuf
Je tente de rejoindre le Dauphiné-Lyonnais par tous les moyens en évitant les champs de batailles autour des routes catalanes. J'ai subi hier l'attaque violente d'une armée régulière, l'armée "IX Companyia d'almogàvers" dirigée par Kharn, entre Barcelone et Vic.
Je me trouvais alors dans un groupe avec lequel je voyageais pour l'occasion et nous avons eu à déplorer un mort et deux blessés. Je crois être le seul à m'en être tiré sans égratignure après avoir bataillé comme un lion enragé.
J'ai donc pu repousser l'assaut mais je suis contraint de rebrousser chemin pour ne pas rencontrer à nouveau cette armée fantoche qui se complait à décimer les voyageurs de passage sur les chemins autour de Barcelone.
Ma seule déception est de ne pas être parvenue à tuer un de mes assaillants directs. Je vais essayer de rallier l'Aragon par le nord-ouest et de rejoindre la frontière par le Béarn. La grande Dame à la faux qui me suit n'aura encore pas eu raison de moi cette fois-ci mais je suppose qu'elle garde bon espoir se rapprochant toujours un peu plus et me faisant sentir son souffle glacial sur ma nuque.
Saint Bertrand de Comminges, le cinquième jour de mars de l'an de Grâce mil quatre cent cinquante neuf.
Après la traversée de la Catalogne par l'ouest, j'ai regagné l'Aragon et j'ai poursuivi ma route vers le nord en franchissant un col des Pyrénées enneigé pour rallier Lourdes dans le Béarn. La chance a bien voulu m'épargner du froid et des embuscades des armées régulières et des bandits de grand chemin. Je connaissais déjà Lourdes pour y avoir fait un séjour il y a plus d'un an et demi et c'est sans doute pourquoi je n'ai pu rencontrer les personnes que j'avais croisé à l'époque à mon grand regret.
Il semblerait que la Mort n'ait point épargné ceux et celles qui ont croisé mon chemin jadis. L'abbé Brottos avec lequel j'avais eu maille à partir est mort ainsi que la délicieuse petite Carotte qui m'avait fait bon accueil.
Je me suis donc résigné à poursuivre ma route vers l'est et l'Armagnac et au cours de ce trajet il m'est arrivé une histoire bien peu ordinaire que je m'empresse de vous narrer ici : lors d'une halte à Tarbes, j'ai rencontré un homme mourant qui a décidé de me léguer tous ses biens, n'ayant aucun héritier et se trouvant dans une solitude désespérée. Il m'a donc offert une bourse contenant 900 écus et en contrepartie m'a juste demandé de remettre son épée et son bouclier à une Damoiselle en procès à Barcelone.
Je dois rejoindre cette personne vers Narbonne dans quelques jours pour accomplir les derniers vux de mon bienfaiteur. Cette mission reste un peu obscure mais les écus offerts valent bien ce service. Il faut à présent que je trouve un endroit où je serai en sécurité et j'ai donc décidé de me rendre à Saint Bertrand de Comminges pour demander l'asile aux Cathares que j'ai côtoyé autrefois.
Leur forteresse sera un rempart contre les autorités administratives qui ne cessent de me harceler au nom du démon Acherpé. Grâce à ce don du ciel, j'ai pu acheter un gilet qui m'est fort utile en altitude pour lutter contre le blizzard et j'ai pu manger à ma faim pour la première fois depuis bien longtemps.
Les gens d'Armagnac sont accueillants pour la plupart et la vie de tous les jours à un goût un peu particulier sur ces terres qui ont connu bien des souffrances au sein de la population dite hérétique par Rome.
Saint Bertrand de Comminges, le quinzième jour du mois de mars de l'an de Grâce mil quatre cent cinquante neuf.
Je ne puis vous donner trop de détails sur le mode de vie des
Cathares car je ne le suis pas moi-même. Je sais juste que je suis bien traité chez eux et qu'ils m'apportent soutien et protection en leur forteresse. L'agitation en Armagnac est assez grande en ce moment.
Le Duché est troublé par des rumeurs d'anéantissements de villages entiers et aussi par un traité de paix religieuse entre l'église Cathare et l'église Aristotélicienne.
L'église de Saint Bertrand a été entièrement détruite par un méchant incendie et je ne puis dire si ce sinistre est lié à ces troubles. Je me tiens en retrait de toute cette agitation, n'ayant encore que quelques jours à passer en ce village.
Narbonne, le cinquième jour d'avril de l'an de grâce mil quatre cent cinquante neuf
Je me trouve à Narbonne sur les bords de la "grande bleue" dont la couleur turquoise me laisse toujours aussi rêveur. Le port me parait assez actif et le trafic de navires y est incessant puisque Narbonne se trouve au carrefour de l'Espagne, l'Italie et la France.
Je vais passer quelques jours dans cette belle cité où la forteresse du Palais des Archevêques domine le village. Rattachée au royaume de France, elle joue désormais, face à l'Espagne, le róle de place forte, clé et garde de la province de Languedoc.
Je dois attendre mon contact pour achever ma mission d'ici quelques jours. En voyant la quantité de navires entrer et sortir du port, j'ai pensé me rendre en Italie où il m'a été proposé un emploi dans une armée avec une solde intéressante.
Du coup une hésitation est venue perturber mes projets qui consistaient à me rendre à Dié puis en Bourgogne pour y saluer quelques amis. J'ai donc écrit à quelques Capitaines de navire pour connaitre leur destination prochaine et j'aviserai en fonction des réponses reçues. Les aléas des voyages sont pour moi monnaie courante.
Barcelone le quatorzième jour du mois d'avril de l' an de Grâce mil quatre cent cinquante neuf
J'ai pour ma part quitté Narbonne pour quelques jours et j'ai rejoint Barcelone par la mer à bord du Nemesis, navire marchand d'un fortuné Messire de l'Empire Germanique. La guerre faisant rage à Girona, village situé en Catalogne entre Narbonne et Barcelone, et dans ses alentours, la personne qui devait me rejoindre ne pouvait reprendre la route craignant pour sa vie.
J'ai dû m'employer à trouver une solution efficace et ce navire est arrivé au port de Narbonne à point nommé. Je me trouve donc dans la capitale catalane où j'ai retrouvé la Damoiselle en question qui embarquera avec moi sur le Nemesis afin de regagner la France.
Mes projets sont en effet toujours portés vers l'Italie mais je pense me rendre en premier lieu sur la terre de mes ancêtres en Bourgogne pour y rendre visite à des amis perdus de vue depuis déjà longtemps. J'ai presque abandonné tout espoir de retrouver un jour mes trois frères ainés encore vivants et j'ose croire que si il existe un paradis, ils y ont retrouvé mon petit frère Arthur, qu'ils sont allongés dans l'herbe verte et qu'ils sirotent de doux nectars à ma santé.
Vienne, le troisième jour du mois de mai de l'an de Grâce mil quatre cent cinquante neuf
Comme je vous l'avais narré précédemment, je suis allé sauver des griffes des Catalans, la filleule du Duc de Bourgogne, en affrétant un navire autrichien et en effectuant un aller-retour rapide de Narbonne à Barcelone.
J'ai terminé ma mission en donnant à cette jeune fille les biens que je devais lui transmettre et nous avons fait route en groupe armé jusqu'à Montélimar.
J'ai dû faire une halte dans cette cité pour quelques jours et prendre du repos dans un monastère bénédictin. Les lieues que j'avais effectuées les jours précédents m'avaient exténué et je sentais mes forces m'abandonner. J'avais demandé de plus à la filleule du Duc d'intercéder pour moi concernant une éventuelle récompense (voire dédommagement) pour le sauvetage de sa petite protégée.
En guise de réponse, j'ai essuyé un refus de la part du Duc Eusaias, celui-ci prétextant que je n'avais pas à faire cette demande. Comme d'habitude, je m'aperçois que les plus riches sont les plus rats et que tout est bon pour ne point débourser un denier.
Je ne crois pas être le seul en ce monde à réclamer ma part du gâteau et je sais très bien que dans les arcanes du pouvoir, les choses se passent tous les jours ainsi...
Autun, Le dixième jour du mois de mai de l'an de Grâce mil quatre cent cinquante neuf
J'ai, depuis quatre jours maintenant, posé le pied en terres bourguignonnes après avoir traversé le Lyonnais Dauphiné sans heurt. J'ai parcouru les rues désertes de Lyon toute une journée sans y trouver âme qui vive. Je me demande bien ce que peut faire la population de cette capitale à l'intérieur des nombreuses maisons du centre. Je me suis
acquitté bien vite du montant de ma nuit d'hótel et j'ai filé dare-dare vers le nord. Les frontières de la Bourgogne étant fermées, je m'étais préparé à subir l'assaut d'une armée de cinglés, profitant du prétexte pour se repaitre de sang. (Surtout celui des voyageurs en fait!) Il n'en a rien été et j'ai pu rallier Macon sans encombre. J'ai rencontré par hasard mon ami Will et sa belle épouse Yrys et ils m'ont gentiment proposé une place dans leur lance pour aller à Autun. Le voyage par Chalon a été plus sûr pour terminer mon expédition jusqu'à Autun commencée depuis plus d'un an.
Je redécouvre Autun et sa jeune population active et renouvelée. J'y ai retrouvé des anciennes connaissances et étrangement je ne suis pas harcelé par la Prévóté alors que je n'ai ni LP, ni demande de déménagement. Je me dis que ma bonne étoile est toujours au-dessus ma tête car aucun procès n'est effectivement en vue. Je cherche du travail dans la spécialité qui me convient le mieux mais les temps sont durs et je sens déjà que ce n'est point en Bourgogne que je trouverai ce que je veux. A peine revenu je dois déjà penser à reprendre la route plus tót que prévu.
Dijon, le dix neuvième jour du mois de mai de l'an de Grâce mil quatre cent cinquante neuf
Je me trouve à Dijon, capitale de la Grande Bourgogne, et il m'arrive pas mal de déboires depuis que j'en ai franchi les portes de la ville. Je m'étais engagé dans la maréchaussée pour la garde des remparts pour la nuit comme il est de coutume que je le fasse pour gagner ma vie et mon pain journalier. Le lendemain matin, j'ai été fait
prisonnier par la milice et jeté en prison pour la journée pour ne m'être point acquitté de ma nuit d'hótellerie et donc pour une accusation de vagabondage. Oui, il est amusant de constater que l'on peut vagabonder tout en étant le gardien des remparts pour la défense de la ville. La solde qui m'était due par les autorités ne m'ayant pas été reversée (et d'ailleurs toujours point à l'heure où je vous écris), je me suis retrouvé dans un dénuement, certes habituel, mais dont la soudaineté m'a laissé un gout plus que aigre en travers de la gorge.
Je suis allé dès la sortie des geóles puantes dans la première taverne de la ville pour y trouver réconfort et cervoises. Il a bien fallu d'ailleurs que je trouve bonne compagnie afin de me payer des tournées me trouvant fauché comme les blés de l'été. Je narrai bien sûr mes aventures à qui voulait les entendre et de chopes en chopes ma colère persistante est devenue teintée d'une ivresse méchante et vengeresse. Je me suis mis alors en tête, malgré les recommandations d'une très bonne amie qui m'en veut énormément à ce jour, d'aller chercher moi-même mon dû à la mairie le soir même. J'étais d'humeur volcanique et plus rien ne pouvait m'arrêter entrainant même dans le sillage de la lave délirante de mes excès, une Damoiselle avide de sensations fortes. C'est donc ainsi que nous nous sommes retrouvés tous les deux devant la belle maison du bourgmestre, moi voulant récupérer ma solde et laver mon honneur et la belle aventurière voulant y trouver cervoise fraiche dans la cave bien gardée du maire. Notre expédition tourna bien sûr à l'échec total, nous trouvant entourés puis repoussés par les nombreux gardes présents et avisés des faits bien avant notre venue. Les déclarations à voix haute et criarde au comptoir n'étaient point avantageux en terme de surprise. Les défenseurs de la mairie ont donc pu fêter une victoire méritée sur deux ivrognes en colère et au final, il n'y aura eu ni blessé, ni dégradation, ni vol. Je reste désormais à Dijon en attendant un éventuel procès sous l'il méfiant (on ne le saurait à moins !) des habitants de la ville.
Le principal pour moi est d'avoir revu ma bonne amie Frim et sa sur Lenada de Valmont, Duchesse de Bourgogne. Je dois admettre cependant que depuis cette nuit agitée, ma colère est redescendue à nouveau vers un flegme tout à fait exemplaire et que j'accepterai ma condamnation avec dignité. Je pense que toute notion d'honneur et de justice par l'épée vient à disparaitre peu à peu et que le peu de valeurs qui me restent soient désuètes dans la nouvelle ère qui semble poindre. L'heure est aux palabres sur des bancs cirés dans des tribunaux surchargés et j'ai du mal à vivre avec ces méthodes nouvelles.
Dijon, le vingt huitième jour du mois de mai de l'an de Grâce mil quatre cent cinquante neuf
La sentence est tombée avant-hier, rendue, pour ne pas dire vomie, par un juge peu concerné des choses du tribunal. Il n'a écouté ni la Procureur en charge de l'accusation, la blâmant même, ni l'Avocate qui me défendait brillamment pourtant. Il a décidé de me mettre une amende de 15 écus, trouvant un moyen issu de la pure sorcellerie pour me ponctionner cette somme que je ne possédais point sur moi et à effectuer une semaine de travail à la mine. La Grande Duchesse de Bourgogne m'a fait le grand honneur et eu la gentillesse de payer mon amende pour ne pas que j'aille en prison le lendemain pour vagabondage dans la Capitale.
Mon amie Frim m'a soutenu de mieux qu'elle a pu et celle-ci envisage un recours en Cour d'Appel pour vice de procédure. J'avoue que tout çà me dépasse un peu mais ce qui est sûr c'est que je ne ferai point ma semaine à la mine. Cependant au milieu de tout ce désordre politico-alcoolo-judiciaire j'ai réussi à avoir un poste de Chef-Maréchal à Dijon pour une solde de 20 écus par jour. Cet emploi va contribuer à compenser mes pertes subies au cours des derniers jours et qui ont mis mes finances à plat...
Dijon, le dix septième jour du mois de juin de l'an de Grâce mil quatre cent cinquante neuf
Je me trouve toujours à Dijon où je côtoie les grands de ce monde et où je mène une vie avec plus ou moins de fortune.
Il y a icelieu des Princesses, des Duchesses, des Nobles à la Toison et une multitude de Conseillers ducaux et municipaux.
Je suis au milieu de cette fourmilière et je prends le temps d'observer ce manège qui fait tourner le monde (et ma tête).
J'avais obtenu après ma condamnation au tribunal, un poste de Chef Maréchal avec une solde de 20 écus par jour mais j'ai été viré par le Prévôt (qui est aussi une femme) car je ne suis pas assez érudit pour garder des murs en pierre gris, l'épée à la main. En effet, on fait passer des tests d'entrée à cette fonction digne d'un examen universitaire et j'ai été incapable d'y répondre.
Je ne voyais d'ailleurs pas trop pourquoi il fallait étudier des livres pour un métier où il suffit juste d'enfoncer sa lame dans la gorge rouge d'un renégat.
J'ai appris aussi que je me trouve sur une liste rouge tenue secrète par l'Organisme de Maitrise et de Contrôle des Frontières. (omcf), dirigé par des suppôts du Démon Acherpé, capables de connaitre votre nom et le contenu de votre bourse quotidiennement par des pratiques ensorcelées.
Me voilà donc à nouveau sans travail et sans le sou et je dois me contenter de ramasser quelques fruits au verger pour subvenir à mes besoins quotidiens.
J'avais aussi postuler comme journaliste à l'AAP et j'avais été admis à l'imprimerie. J'ai écrit quelques articles dont deux ont paru en édition locale. Puis l'éditeur remplaçant de Messire Nicolas de Firenze, Nicolas Emerich s'est mis à m'insulter et à me traiter d'ivrogne. Cet individu mal léché est un piètre homme comparé à son illustre et remarquable prédécesseur qui nous manque à tous.
Cet ersatz d'éditeur prône en public la neutralité des journalistes mais en coulisses il déverse son venin sur la Duchesse de Bourgogne et les Institutions.
J'ai donc cessé de participer à ce grand bal de l'hypocrisie dont l'éditeur infâme tient la baguette d'un orchestre qui joue faux.
Je suis donc à la recherche une nouvelle fois d'un travail lucratif et dans mes cordes en Bourgogne ou d'autres contrées...
Bourges, le trentième jour du mois de juin de l'an de grâce mil quatre cent cinquante neuf
C'est le Berry et son Duc qui ont répondu à ma demande d'emploi. Je me trouve à Bourges en plein conflit armé entre le Duc du Berry, légitimement élu par le peuple, et la Reine Béatrice, bâtarde et usurpatrice du trône.
J'ai rallié pour une solde avantageuse, les armées du Duc et je me prépare à engager le combat contre les sbires de la Reine qui en profitent pour piller le Duché à leur guise et sous le regard bienveillant de la Souveraine.
J'estime nos forces de défense à un contre dix et il est possible que ce combat assez inégal me soit fatal.
Je profite donc de quelques heures de répit dans un bivouac pour rédiger quelques missives à mes amis les plus chers.
La guerre est mon gagne pain mais on ne sait jamais à l'avance son dénouement et je suis bien contraint de faire des adieux avant d'être terrassé par la lame aiguisée d'un ennemi.
Je puis pour autant vous assurer que je me battrai jusqu'à mon dernier souffle et mon dernier membre.
Je ne crains point de mourir et le souvenir des moments passés auprès de mes ami(e)s me réconfortent et me réchauffent au coeur des ténèbres qui vont s'abattre bientôt sur moi.
Ne soyez pas triste (mes ami(e)s), car dites vous que j'ai profité d'une vie bien remplie dont je ne garde aucun regret, seulement les visages dans ma mémoire de ceux et celles avec lesquels j'ai partagé un peu de temps.
L'essence même de la vie d'un soldat est de trouver la mort au bout de son chemin, en l'ayant bien cherché en toute connaissance de cause et effet.
Bourges, le seizième jour du mois de juillet de l'an de grâce mil quatre cent cinquante neuf
Je me trouve dans le Berry, sur les remparts de Bourges pour la défense de la ville qui a subi des assauts répétés et injustes contre le Duc du Berry, déclaré félon du Royaume mais cependant élu par le peuple du Berry.
Je me suis donc retrouvé au coeur des combats qui ont fait beaucoup de victimes mais dont j'ai pu me sauver par miracle.
Devant quatre armées de coalition, regroupant des hommes et des femmes partis en croisade pour la Couronne de France, je croyais bien que mes dernières heures avaient sonné. Il n'en a rien été.
J'ai combattu de toutes mes forces contre l'envahisseur qui se dit du coté du Bien alors qu'il est composé jusqu'à son commandement d'anciens brigands.
Il faut croire que la Couronne est morte en même temps que sa Reine.
Je puis vous écrire à présent dans un calme relatif, nos armées ayant repoussé avec bravoure des Tourangeaux avides de pouvoir, des Auvergnats en quête de gloire et toute une bande de routiers et aventuriers que nous avons découpé en rondelles.
Je continue donc de louer mes services à un Duc qui est loyal envers moi et qui respecte ses engagements.
Vous pouvez donc constater que ma vie n'est point de tout repos et que je garde mon armure et mon épée à la main en vue de prochaines et très possibles attaques.
Saint-Aignan, le neuvième jour de septembre de l'an de grâce mil quatre cent cinquante neuf
Je me trouve à Saint-Aignan dans le Berry toujours en plein coeur des conflits qui oppose les Royalistes dont toute une bande de pilleurs ayant rallié la Reine pour l'occasion et les Berrichons pris en étau sur leurs terres.
J'ai combattu de nombreux jours puis, me trouvant soudain touché par une grande fatigue physique, j'ai du prendre une retraite dans un endroit isolé en forêt.
Durant cet ermitage réparateur pour moi les armées du Berry ont été défaites et mes services étant devenus inutiles, j'ai demandé à mon employeur, le Duc George, de solder nos comptes.
Contrairement à beaucoup d'autres il s'est montré plus que généreux avec moi et a honoré sa part du contrat tout comme j'ai honoré la mienne durant le conflit armé.
Je suis donc sorti des combats indemne et je profite à présent d'un repos mérité dans un domaine non loin de Bourges.
Le Berry est pris à la gorge et les manoeuvres sournoises des politiciens de tout bord pullulent et les débats n'en finissent plus pour que chacun se partage la part du gâteau berrichon.
Les Armées Royales traitent souvent les Berrichons de brigands mais leur comportement en terres conquises prouve que le brigandage n'est point seulement affaire berrichonne. Auvergnats, Tourangeaux, Bourguignons (moutons de Panurge) et peuplades du Sud-Ouest se montrent barbares, pilleurs et assassins dès qu'ils le peuvent.
La Reyne semble cautionner ces actes et ne répond même pas à l'appel à la paix lancée par Rome et comme d'accoutumée le peuple crève de faim...
J'ai appris par des amis que mon nom se trouvait sur d'obscures listes qui occultent le fait bien sûr que je suis soldat tout comme les autres et je dois me méfier maintenant des passages sur le Domaine Royal y compris sur mon sol natal.
Vous connaissez mon goût pour la liberté d'aller et venir à ma guise et j'ai donc décidé que ce "listage" serait pour moi un défi.
Les Bourguignons essaieront de me trouer le cuir mais je jure que je ne serai point le seul à faire le grand saut vers le néant.
Vous devez vous dire que mes propos sont toujours durs et provocants mais vous savez bien que ma vie est ainsi faite.
J'y trouve une certaine jubilation mais parfois il me vient à mon pauvre esprit la question qu'un homme d'église m'a posé lors d'un voyage : pourquoi vivons-nous ?
Je passe ma vie à semer le trouble et la mort autour de moi pour engranger de l'or qui ne m'apporte pourtant pas ce que je recherche.
Il y a heureusement des rencontres qui colore des parcelles de vie et qui relance un brin de plaisir dans le morne quotidien d'un soldat rustre et entêté.
La Mort est toujours ma compagne la plus fidèle et je la vois toujours s'affairer autour de moi en oubliant que je suis là.
Je finis donc par me dire que quand je tue je suis en sursis car Elle semble occupée à cueillir mes victimes, me laissant un peu de répit.