Shaomye
Fin juillet
Quelques jours que la Lutine était chez les nonnes. Quelques jours qu'elle cherchait une occupation pour ne pas penser à ceux qu'elle avait laissé.
Ce matin un coursier était arrivé et avait exigé de pouvoir lui remettre une lettre en main propre. Les nonnes avaient fini par céder et le courrier avait atterri dans les mains de sa destinataire. Destinataire dont les sourcils s'étaient froncés au fur et à mesure de la lecture. A la fin de la lettre, elle avait soupiré, et répondu derriere le parchemin un simple mot « J'arrive ».
Le coursier repartit, elle avait pris quelques affaires et emprunté deux chevaux aux nonnes, contre la promesse qu'elle serait revenue avant la fin de sa période de retraite et qu'elle n'aurait aucun contact avec aucun de ses proches. Elle qui avait pensé faire un saut au Mans voir son compagnon et les enfants...
Pourtant elle tint sa promesse, et c'est le coeur lourd qu'elle s'éloigna au galop du comté du Maine. En changeant régulièrement de monture et en les laissant se reposer tout aussi régulièrement, elle traversa le royaume en quelques jours; et enfin la foret de Labrit, en Gascogne, fut en vue.
Encore quelques minutes pour retrouver l'ancien sentier, et elle mit pied à terre devant une petite maison qui n'était apparement plus habitée depuis un long moment.
Sa maison, le premier endroit où elle avait commencé à refaire sa vie... Elle l'avait quitté pour vivre avec son époux il y avait longtemps, mais malgré les années la foret n'avait pas encore repris ses droits sur les murs de pierre blonde et le toit en lauze n'avait pas bougé.
Il est vrai que si la jeune femme n'y vivait plus, un autre avait occupé parfois la petite maison.
Sans s'occuper des mauvaises herbes et autres végétaux qui avaient poussé librement, elle se fraya un chemin jusqu'à la maison. Comme elle si attendait, l'intérieur n'avait rien à voir avec le fouillis de l'extérieur: il était clair que la maison était toujours habitée, il ne manquait qu'un feu dans la cheminée!
En attendant son frère adoptif, elle fit un brin de ménage, s'occupa des chevaux, tiens quelqu'un avait construit une écurie derrière la maison, et rentra à l'intérieur.
Shaomye
Le lendemain, en s'occupant des chevaux, la Lutine ruminait les nouvelles alarmantes que son frère lui avait donné.
Le secret qu'ils s'évertuaient à protéger depuis plus de deux ans était menacé. Quelqu'un avait tout découvert.
Il fallait trouver une solution, et c'était à cela que le frère et la sur, non par le sang mais par le cur et les souvenirs d'enfance partagée, avaient passé la nuit, avant de décider à l'aube d'aller se coucher pour trouver une solution à tete reposée.
Il ressortit du débat qu'ils ne pouvaient laisser la vérité éclater sans mettre en danger non seulement celui que leur secret protégeait mais aussi leurs familles respectives et leurs amis, et tous ceux à qui ce secret permettait une vie paisible loin des tumultes des routes.
Shaomye se détestait pour ce qu'ils projetaient de faire, et c'est pour cela qu'ils avaient débattu toute la nuit, l'une étant contre l'idée meme de prendre une vie, et l'autre arguant qu'il n'y avait aucun autre moyen sur pour etre certain que la vérité n'éclaterait pas; elle s'était donc résolu, sachant bien qu'il n'y avait pas d'autres solutions.
Pourtant comme elle aurait aimé en trouver une... D'autant qu'ayant toujours été plus douée que son frère pour les choses dans ce genre, ils avaient convenu que ce serait à elle d'agir, même si lui resterait dans les parages, au cas où. Mais il fallait le faire et elle le ferait.
La journée se passa donc à réfléchir à un moyen rapide et efficace de mettre en uvre la mort d'un homme qui avait eu la mauvaise idée de chercher à savoir qui était un homme de son village...
Shaomye
Deux jours après son arrivée dans la petite maison de Labrit, la Lutine reprit la route. Le cheval qu'elle montait était une brave bête banale achetée à un maquignon de passage. Il fallait etre certain que personne ne repérerait les deux chevaux empruntés aux nonnes. Elle aurait pu prendre le compagnon de son frère, mais avec sa couleur pie, celui était bien trop remarquable, attirant presque immanquablement l'il des passants et leurs commentaires sur sa « drôle de tenue ». Au moins avec sa robe baie unie, le cheval du maquignon ne marquerait pas les esprits...
Le cheval et sa cavalière arrivèrent un peu avant la nuit dans un petit village, et après réflexion la brunette laissa sa monture aux écuries du village, comme n'importe quel voyageur qui voudrait se reposer à l'auberge le temps d'une nuit. C'est d'ailleurs ce qu'elle fit, du moins en apparence.
Le village ne comportant qu'une seule petite auberge, elle n'eut pas de mal à la trouver, et le patron fut ravi de louer une chambre à une cliente dont il était persuadé qu'elle ne ferait pas d'esclandre chez lui. Car, si les femmes se mettent à mettre le bazar dans les auberges, où va t on?
A part la modeste chambre de la brunette, à son grand soulagement, il y avait deux autres chambres, toutes les deux occupées, avait prévenu l'aubergiste. Personne ne ferait attention à une voyageuse de passage ayant réservée pour une nuit ou deux et étant repartie comme elle était arrivée.
La jeune voyageuse passa la fin de soirée dans la salle commune, écoutant les récits des habitués, souriant à leurs plaisanteries et détournant gentiment mais fermement les manuvres de séduction de certains. Elle avait songé avant de partir à remettre à sa main son alliance, mais y avait vite renoncé, ne voulant pas réveiller les fantômes du passé.
Enfin, ni très tard ni trop tôt, elle monta se coucher, quand la salle commença à se vider quelque peu. Elle ne comptait pas dormir, car sinon il y avait des chances qu'elle ne se réveille pas avant le matin, mais simplement attendre que chacun soit bien endormi avant de ressortir...
Ne reveillez pas le chat qui dort, car la nuit tous les chats sont gris...
Shaomye
Quand le silence retomba sur l'auberge, et sur le monde en général, la Lutine ressortit sans bruit de sa chambre, ses bottes à la main, et traversa l'auberge jusqu'à la porte d'entrée. Un instant, elle regretta l'absence de Kazan, son chien, à ses cotés, puis elle secoua la tete et haussa les épaules, et son visage prit une expression froide et déterminée
Il lui fallut peu de temps pour convaincre la serrure de céder, puis une fois sortie pour la refermer derrière elle. Avec un léger sourire à la pensée de ce que dirait ses proches si ils connaissaient son talent pour entrer et sortir à sa guise de presque n'importe où, elle remonta la rue à la lueur de la lune et des étoiles jusqu'à la maison que lui avait indiqué son frère, facile à trouver car construite sur deux rues à la fois, chose assez peu courante il faut bien le dire. Par acquis de conscience, elle vérifia tout de même l'adresse, puis s'attaqua à la serrure de la maison, qui ne lui résista pas plus longtemps que ne l'avait fait celle de l'auberge. Pour un peu elle aurait conseillé aux gens du village de changer de fournisseur! Mais elle n'était pas là pour cela, et le fait de n'avoir pas eu grand mal à ouvrir les portes l'arrangeait.
Elle se glissa à l'intérieur, et attendit que ses yeux fussent habitués à la pénombre avant de bouger, tendant l'oreille pour s'assurer qu'elle n'avait pas réveillé l'habitant des lieux et qu'aucun chien ne vivait dans la maison. Elle avait prévu la parade, à tout hasard, mais son frère avait vu juste et il n'y avait pas trace d'un animal.
Une fois récupéré un peu de vision, elle constata qu'elle se trouvait dans une petite cuisine. Décidément, la chance jouait en sa faveur ce soir... Avec des gestes vifs et précis, tout en faisant toujours attention aux bruits de la maison, elle accomplit sa mission. Le plus dur étant de trouver ce dont elle pouvait être sure que sa cible se servirait le lendemain matin. Se fiant à ce qu'elle savait sur l'homme, elle répandit quelques goutes sur et dans le pichet d'eau et quelques autres sur l'unique chaise. Un simple contact suffirait. Mais si il avalait le poison contenu dans l'eau, l'effet serait plus rapide; d'ici à deux jours, il se sentirait fatigué, irait se coucher, et ne se réveillerait pas; si il touchait seulement la chaise ou le pot, les effets seraient identiques, mais plus longs à venir, environ une semaine.
Avant de sortir, la jeune femme s'assura qu'elle n'avait strictement rien dérangé, que tout était absolument à la même place. Pour avoir découvert qui était son voisin, le propriétaire des lieux devait avoir un sens de l'observation très développé, et elle ne voulait pas avoir à recommencer. Méditer la perte d'une vie était déjà assez douloureux sans avoir à le refaire plus que de raisons.
Elle quitta donc les lieux, moins de quelques minutes après être entrée. Elle referma la porte avec soin, et reprit la rue dans le sens inverse à celui prit précédemment.
Shaomye
Le lendemain matin, elle se reveilla tôt malgré son escapade de la nuit, et descendit prendre un petit déjeuner avant de reprendre la route.
Elle n'avait eu aucun mal à retrouver l'auberge, évitant machinalement un groupe qui ressemblait à une troupe de soldats avant qu'ils ne la voient.
Si elle avait connu l'identité de ce groupe, elle serait surement sortie de l'ombre. Mais voila, elle l'ignorait, et par le fait meme ne pouvait savoir que ce groupe était la "garde" de son pere adoptif, les quelques hommes qui l'avaient suivi dans l'exil, les seuls qui auraient du etre au courant du fait que Danael de Beynac était bel et bien en vie.
Le hasard fait parfois mal, ou bien, les choses. Les soldats ne la virent pas et la Lutine continua son chemin, sans savoir que les hommes qu'elle avait évité étaient ceux qui l'avaient vu grandir, enfant heureuse et choyée au milieu d'hommes bourrus mais au bon coeur
Elle n'était pas la seule à etre levée dès potron minet, les occupants d'une des deux autres chambres s'étaient levés avant elle, et s'appretaient déja à repartir quand elle descendit. Curieux, songea t elle, qu'ils aient refusé le premier repas de la journée, pourtant offert par l'aubergiste. Enfin bon, ils faisaient ce qu'ils voulaient, et elle chassa cela de ses pensées pour s'inquieter plutot de la route qu'elle devrait prendre pour rentrer. Tout d'abord, Gasconah, ou Maine directement? Son coeur lui soufflait le Maine mais ce fut la raison qui l'emportat: son frere voudrait un rapport sur les evenements de la nuit. Ensuite, elle rentrerait au couvent, puis filerait rejoindre son compagnon et leurs enfants.
En milieu de matinée elle se remit donc en route, jeune femme solitaire et banale entourée d'autres hommes et femmes solitaires et banals.
Si ce n'est que eux n'avait surement pas empoisonné un homme durant la nuit. Que ne faut il pas faire pour l'amour d'un père, meme adoptif...