Cymoril
Nouvelle aube sur la Guyenne agitée. Et une forme menue traverse les rues endormies et désertes pour gagner la sortie de la ville. Depuis des jours, ou plutôt des nuits, elle les arpente en maugréant, essayant de tempérer le poison de la colère qui sest instillé en elle depuis Montauban, cherchant des yeux limmense silhouette de son invisible associé, son desiderata. Sans fin. Sans but
Le pas lent mais assuré pour séloigner, loin des hommes, parce que cest encore là que cest le plus simple, et parce quil est temps pour elle de reconstituer ses maigres forces. Bure délaissée pour un temps, celui dune chasse, avant de sen retourner entre les murs de sa cellule, au sein de ce couvent désert. Mais il faut tout dabord passer les larges lignes de coupe, laisser derrière elle le bruit des cognées, le verger et les rires des cueilleurs, puis éviter les clairières, par trop fréquentées elles aussi. Marcher, toujours plus loin, suivre les sentes oubliées, les deviner presque tant elles sont invisibles aux yeux des néophytes ou égarés. Senfoncer jusquà ce que tout bruit, tout écho de lactivité humaine ait disparu. Sortir du monde des hommes.
Dans la forêt profonde, lair est plus frais, le sol humide couvert dun épais tapis de feuilles et daiguilles étouffe le bruit de ses pas. Il lui semble par moment que les immenses arbres noirs lobservent alors quelle serpente entre les troncs épais, forcée denjamber à certains endroits des enchevêtrements de racines saillantes. Le calme règne, absolu. Des écureuils au pelage roux sautent parmi les hautes branches, chassés par un couple de geais dont ils viennent de saccager le nid pour dévorer les ufs. Des coussins de mousse recouvrent souches et troncs morts. Partout en abondance buissons daubépines abritant des nids de pies grièches, de framboisiers sauvages, hautes fougères, la vie foisonne, jusquau sol où il suffit de se baisser pour trouver toutes sortes de champignons. Ou simplement chercher les traces de gibier et les suivre. Lorsque parfois se lève le nez, le ciel nest plus quun mince ruban céruléen au travers des épaisses frondaisons.
Un moment plus tard, elle ralentit en entendant des grognements résonner en écho rebondissant sur les larges troncs. Avançant avec prudence sur le sol moussu, la jeune femme aperçoit bientôt, à quelques centaines de pas en léger contrebas, une harde de sangliers aux défenses menaçantes, grognant à qui mieux mieux en fouillant le sol meuble. Dinstinct, la petite noiraude saccroupit pour observer la scène au travers du lacis des branches darbres. Profitant pour plonger sa main dans le sol noir, frais. Ramassant une petite motte pour lécraser entre ses doigts, souriant de sentir la terre humide, riche, avant de la porter à son nez, emplissant ses narines des centaines darômes mêlés du vivant, du scarabée au bois pourri, en passant par les jeunes pousses dherbe.
Cette simple odeur fait remonter le souvenir dune partie de chasse mémorable. Ultime période dinsouciance pure quelle ait connu. Eure qui sévertuait à retirer les collets quelle-même venait de placer, Amolaric coincé dans son arbre sous la menace dun énorme sanglier Les fous rires du soir en dégustant le produit de la chasse, en sirotant simplement un verre de vin entre eux Epoque révolue depuis longtemps que celle où elle riait de tout et de rien. Silencieusement, elle frotte ses mains, autant pour les débarrasser de la terre récoltée que pour sen imprégner un peu plus, sans lâcher la harde des yeux. Elle compte. Laies et marcassins, cherche à repérer la meneuse, le nombre de jeunes mâles
Chose faite, le déplacement est suivi, peut-être des heures durant. Le temps parfois sécoule de façon si étrange quelle ny prend plus garde, trop attentive à son but, guettant le moment propice Celui où la cible quelle sest choisie, une jeune laie de belle taille, se détacherait enfin de la harde, sattarderait à fouiller la terre Plusieurs fois, sa main sest machinalement posée sur son flanc, cherchant le pommeau de son épée, avant quelle ne grimace en se rappelant quelle sen était défaite, comment et pourquoi Lautre se resserrant aussitôt sur la hampe de bois de sa guisarme. Là, cest maintenant quil faut charger. Une bête à poids à peu près équivalent Le pas léger et assuré se déplace sans bruit, se rapprochant encore Même si dans ses tympans résonnent les tambourinements violents de son cur sous lexcitation de la chasse, alors quelle peut déjà presque sentir lodeur musquée de lanimal...
* "Dulce est desipere in loco" : il est bon d'oublier quelquefois la sagesse
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Le pas lent mais assuré pour séloigner, loin des hommes, parce que cest encore là que cest le plus simple, et parce quil est temps pour elle de reconstituer ses maigres forces. Bure délaissée pour un temps, celui dune chasse, avant de sen retourner entre les murs de sa cellule, au sein de ce couvent désert. Mais il faut tout dabord passer les larges lignes de coupe, laisser derrière elle le bruit des cognées, le verger et les rires des cueilleurs, puis éviter les clairières, par trop fréquentées elles aussi. Marcher, toujours plus loin, suivre les sentes oubliées, les deviner presque tant elles sont invisibles aux yeux des néophytes ou égarés. Senfoncer jusquà ce que tout bruit, tout écho de lactivité humaine ait disparu. Sortir du monde des hommes.
Dans la forêt profonde, lair est plus frais, le sol humide couvert dun épais tapis de feuilles et daiguilles étouffe le bruit de ses pas. Il lui semble par moment que les immenses arbres noirs lobservent alors quelle serpente entre les troncs épais, forcée denjamber à certains endroits des enchevêtrements de racines saillantes. Le calme règne, absolu. Des écureuils au pelage roux sautent parmi les hautes branches, chassés par un couple de geais dont ils viennent de saccager le nid pour dévorer les ufs. Des coussins de mousse recouvrent souches et troncs morts. Partout en abondance buissons daubépines abritant des nids de pies grièches, de framboisiers sauvages, hautes fougères, la vie foisonne, jusquau sol où il suffit de se baisser pour trouver toutes sortes de champignons. Ou simplement chercher les traces de gibier et les suivre. Lorsque parfois se lève le nez, le ciel nest plus quun mince ruban céruléen au travers des épaisses frondaisons.
Un moment plus tard, elle ralentit en entendant des grognements résonner en écho rebondissant sur les larges troncs. Avançant avec prudence sur le sol moussu, la jeune femme aperçoit bientôt, à quelques centaines de pas en léger contrebas, une harde de sangliers aux défenses menaçantes, grognant à qui mieux mieux en fouillant le sol meuble. Dinstinct, la petite noiraude saccroupit pour observer la scène au travers du lacis des branches darbres. Profitant pour plonger sa main dans le sol noir, frais. Ramassant une petite motte pour lécraser entre ses doigts, souriant de sentir la terre humide, riche, avant de la porter à son nez, emplissant ses narines des centaines darômes mêlés du vivant, du scarabée au bois pourri, en passant par les jeunes pousses dherbe.
Cette simple odeur fait remonter le souvenir dune partie de chasse mémorable. Ultime période dinsouciance pure quelle ait connu. Eure qui sévertuait à retirer les collets quelle-même venait de placer, Amolaric coincé dans son arbre sous la menace dun énorme sanglier Les fous rires du soir en dégustant le produit de la chasse, en sirotant simplement un verre de vin entre eux Epoque révolue depuis longtemps que celle où elle riait de tout et de rien. Silencieusement, elle frotte ses mains, autant pour les débarrasser de la terre récoltée que pour sen imprégner un peu plus, sans lâcher la harde des yeux. Elle compte. Laies et marcassins, cherche à repérer la meneuse, le nombre de jeunes mâles
Chose faite, le déplacement est suivi, peut-être des heures durant. Le temps parfois sécoule de façon si étrange quelle ny prend plus garde, trop attentive à son but, guettant le moment propice Celui où la cible quelle sest choisie, une jeune laie de belle taille, se détacherait enfin de la harde, sattarderait à fouiller la terre Plusieurs fois, sa main sest machinalement posée sur son flanc, cherchant le pommeau de son épée, avant quelle ne grimace en se rappelant quelle sen était défaite, comment et pourquoi Lautre se resserrant aussitôt sur la hampe de bois de sa guisarme. Là, cest maintenant quil faut charger. Une bête à poids à peu près équivalent Le pas léger et assuré se déplace sans bruit, se rapprochant encore Même si dans ses tympans résonnent les tambourinements violents de son cur sous lexcitation de la chasse, alors quelle peut déjà presque sentir lodeur musquée de lanimal...
* "Dulce est desipere in loco" : il est bon d'oublier quelquefois la sagesse
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