[8 Novembre 1460]
Des siécles. Bien plus encore avaient semblé s'écouler depuis ce jour où Myléna l'avait quitté. Et toujours aucune nouvelle, aucune piste sérieuse ne permettait à Marcello de savoir avec certitude où elle se trouvait. Dans quelle direction elle était partie. Ou encore, si elle était toujours en vie...Tout ce temps à arpenter les chemins, et à tourner et retourner la même querelle en boucle dans son esprit jusqu'à ne plus savoir discerner la réalité du cauchemar éveillé.
Cette fois, la Bretagne était derrière lui. Avec elle, confié aux bons soins d'une nourrice, Lorenzo, leur fils de deux mois à peine qui débutait sa vie d'une bien étrange façon.
Et lui... lui sans elle, n'était plus qu'une ombre. Rien de plus qu'une silhouette sans visage juchée sur un étalon noir qui avançait au pas d'une ville à l'autre sans savoir s'il ne faisait pas fausse route.
Au matin du 6 Novembre, Marcello avait passé les remparts de Laval, et deux jours durant, avait exploré le moindre recoin, la ruelle la plus isolée, les rives du plus petit lac qu'il avait pû trouver, sans trouver nulle part aucune trace d'elle.
A présent, le crépuscule tombait en ce jour du 8 Novembre, et du haut d'une colline le soldat déboussolé promenait un regard circulaire sur la ville qu'il s'apprêtait à quitter.
C'est alors que ses yeux accrochérent en contrebas les contours de ce qui 'où il se trouvait lui parut de prime abord comme un vague amoncélement de bois patiné par le temps planté sur un amas de feuilles mortes, mais qui à y regarder de plus prés, était en réalité les contours d'une vieille cabane se découpant au devant d'un bouquet d'arbres.
Sa derniére chance, sans doute, que quelqu'un ici réponde à ses questions. Peut-être qu'ici, quelqu'un aurait vu Mylena, ou au moins pourrait lui dire si une étrangère était passé par ici récemment. Mieux encore, peut-être qu'elle s'y trouvait toujours...
Le coeur battant, Marcello s'y dirigea, lentement, et un instant fit stopper son cheval à quelques pas de la bâtisse, partagé entre le désir d'en savoir plus, et la crainte de ne rien apprendre.
Ce fut au moment même où il s'apprêtait à descendre de sa monture qu'un brusque coup de vent fit s'entrouvrir la porte qui, comme subitement tirée d'un sommeil hivernal, se mit alors à se cogner par intermittence contre l'embrasure.
Personne....Non. Bien sûr que non. Myléna n'était pas là. D'ailleurs, la trouver ici n'aurait eu aucun sens: Pourquoi aurait-elle quitté Rohan pour venir se cacher ici, en pleine campagne, qui plus est dans une cabane qui tenait à peine debout, et qui de toute évidence, était déserte depuis des lustres ?
Un profond soupir plus tard, le soldat fit faire demi-tour à son cheval et lentement, prit la direction de la ville suivante. Laval comme les autres avant elle, resterait muette à ses remords.
Il n'avait pas fait deux pas que son attention fut attiré par des éclats de voix et des bruits de grincement de charettes en provenance du sentier.
Devant lui se tenait une véritable colonne mouvante, des dizaines de villageois à l'air affolé, au visage ravagé de panique, qui poussaient leurs enfants à presser le pas comme si le Diable lui même était à leur trousse.
Lorsque le cortége peu ordinaire arriva à sa hauteur, le soldat fit s'arrêter une grosse dame à l'allure de paysanne.
- Qu'avez-vous donc tous à courir ainsi?
Ce qu'il entendit alors était à peine croyable.
- La peste, messire !!! lui répondit-elle avant de s'enfuir à toutes jambes,
la peste a envahi le Mans !!!
A ces mots le coeur du Florentin manqua un battement, en même temps qu'il écarta machinalement la main qui avait touché le bras de la fuyarde.
La peste...ce mot en lui seul qui évoquait les pires images à quiconque l'entendait...Tout s'expliquait à présent: la fuite des villageois. Leur regard affolé qui en disait long sur la frayeur qu'ils ressentaient. Et la cabane désertée également...La peste, évidemment...
Les sourcils froncés et l'angoisse soudain grandissante, Marcello tourna la tête vers l'Ouest, avec à présent une pensée lancinante qui lui torturait l'esprit: quelqu'un avait-il averti Myléna si par hasard elle aussi était passé par ici?
Un regard encore vers la colonne humaine qui ne cessait de noircir le sentier, et fermement le Florentin tira sur les rênes de son cheval qu'il entraîna jusqu'à l'Anjou, au risque de rebrousser chemin s'il s'était trompé, mais espérant de tout son être, que ce faisant il emboîtait le pas à sa déesse évaporée...
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