Cistude
- ... d'une obscurité et d'une épaisseur d'encre [...] aucune ombre d'arbre ne tachait le ciel, le pavé se déroulait avec la rectitude d'une jetée, au milieu de l'embrun aveuglant des ténèbres.*
Trois silhouettes se découpaient dans la tristesse de la nuit, voutées sous le souffle large d'un vent glacial qui leur rongeait l'os, la plaine immobile retournée par le piétinement sauvage des bottes cloutées des soldats allant mourir au front, elle, la Terre, si silencieuse, se nourrissait du sang versé. Là, un bouclier fracturé se lamentait péniblement de son sort alors que le corps de son propriétaire, sans vie, pourrissait avec langueur dans les rases herbes. L'odeur de mort attirait charognards et autres énergumènes, comme cette femme blonde délavée à l'allure tyrannique, qui sans vergogne pillait les dernières misères de ces Hommes. La guerre s'éloignait plus à l'ouest, main meurtrière ravageant villes et fermes, et laissait sur son passage famine, désespoir et trace indélébile de cette sombre époque dans les mémoires. Pourfendeurs de la société sortaient des bas-quartiers, libérés, alors que les femmes protégeaient leurs enfants de leur démence. L'or était source de convoitise, le pouvoir mère de toutes les ardeurs. A la folie dont ils sont la raison, adieu Royaume...
Trois silhouettes indolentes dans ce paysage étrange. La première est de celles qui font chavirer les curs, le balancement souple des hanches et la volupté des gestes éveillent les sens, cherche à vous pousser au vice tandis que par mégarde, elle vous noiera dans le flot d'un délice funeste. La deuxième est de celles qui font chavirer la raison, la démarche est chaotique, la noirceur de cette ombre se confond avec les entrailles de la Terre, et elle se meut, fiévreuse, jusqu'à vous pour déposer un souffle glacial contre votre nuque. L'homme est un satyre. Quant à la dernière silhouette, inquiétante et instable, se mouvant dans un monde de cauchemar et d'utopie, elle paraîtra pitoyable à celui qui n'y posera ses yeux qu'un bref instant, si misérable qu'une tortue sans carapace lui semblera plus dangereuse. Et pourtant de ses contours flous se cachent un être de la région des ombres, n'est que folie, elle est la pâleur diaphane qui accompagnera votre repos éternel.
Sans un mot ils avançaient vers l'horizon, là où l'aube pointait enfin. Les pieds ensanglantés de la meneuse la portaient avec difficulté alors que son estomac grondait de faim. Sa langue mouillait de plaisir quand son regard se posait sur les cadavres qui reposaient dans des postures difformes, sur la rase plaine. Elle les narguait pourtant, pauvres misérables morts, regardez où la monarchie vous a mené! leur criait-elle, tandis que ses mains fouillaient leurs poches. Une chaleur furieuse irradiait alors cette silhouette inquiétante et un mince sourire obscène s'étirait sur ses joues noircies... La Cistude, faible, sentait son cur doucement chavirer. Bientôt le trio feront partis des leurs, à l'Antre des Morts, libre comme des oiseaux errant dans un monde qu'ils façonneront eux même. Car même s'ils défendraient la liberté jusqu'à la fin, ils atteindront leur nirvana seulement lorsque leurs esprits quitteront leurs enveloppes charnelles. Qu'il est doux de mourir... qu'il sera paisible d'abandonner tout combat.
Elle les fera mourir oui, de sa propre main, aux yeux du monde entier. Ils avanceraient, les mains devants pour ne pas se heurter, plongés dans une nuit si profonde et renaîtront sur les mers du sud, dans une clarté aveuglante. Là bas, ils seront heureux. Elle délire.
En attendant le coup de grâce, elle les mène dans les fourrées à l'orée du bois pour se protéger du vent, se reposer. D'un geste lent, elle semmitoufle dans une cape de laine rêche, s'avachit contre le tronc sec d'un arbre, elle n'a pas assez de force pour allumer un feu. Lil est soudainement attiré par un tintement or près d'un cadavre, demande d'une voix effacée à Lewisca d'aller voir, de le garder, de l'examiner, d'en tirer un bon prix.
«Reposez vous, il va faire jour.»
- Il n'avait la sensation de limmense horizon plat que par les souffles du vent de mars, des rafales larges comme sur une mer, glacées d'avoir balayé des lieues de marais et de terres nues.*
*extrait de la première page de Germinal, d'Emile Zola
ouvert si vos persos ont croisé nos personnages, ou sur demande.
_________________