--Edric
Tapis dans l'ombre d'un des murs épais de l'Hostel Dieu, il observait la scène d'un regard mi-amusé, mi-diabolique et satisfait. Il avait tout vu, depuis le début, depuis l'appel de la jeune femme de compagnie à l'arrivée d'un médicastre, sans doute le "Meleagre" dont elle avait hurlé le nom. Meleagre, un nom qui ne sonnait pas inconnu aux oreilles d'Edric. Oui, ce nom était parvenu dans les dossiers d'un certain service en Bretagne, à l'époque il était Capitaine Royal. Le nom de l'occupante du bureau leur était parvenu aussi. Il y avait quelques années, cette gamine avait déjoué des plans importants, les tentatives d'élimination avaient échoué, elle savait trop bien se défendre ou était trop bien entourée. Là, aux services, on avait appris qu'elle était bien la soeur du Connestable de France qui était proche de la Reine. Le dossier sur celle que les Normands avaient surnommé "La Blanche" était bien ficelé. Ils savaient tout, du lieu où elle vivait, des lieux où elle se rendait, comme ici, et du souci de santé qui l'habitait. La proie avait donc une faille et de taille et il serait facile de l'atteindre, en douceur, ni vu ni connu.
C'est ce que Edric avait fait : tout résidait dans la tisane que prenait cette gosse. Un breuvage qui soit disant la maintenait en vie et qui peu à peu allait lui ôter. Quel sort cruel. Si jeune, si prometteuse et elle ne se rendait compte de rien. De ce qu'il avait entendu, il en était même satisfait, car elle se croyait enceinte.
Si elle savait que sans le savoir, elle s'empoisonnait chaque jour un peu plus.
Il avait suffit de remplacer les herbes de son pot magique pour soigner ce petit coeur fragile, par d'autres herbes, d'un beau mélange de racines et de feuilles de Leucojum vernum et de Colchicum.
La gosse était tellement habituée qu'on lui prépare sa tisane matinale, qu'elle ne prêtait même plus attention, confiance aveugle en sa dame de compagnie, la belle Anne.
Le temps allait faire son oeuvre, du moins, il fallait espérer que cet homme qui était médicastre et apparemment proche d'elle, pense tout comme elle, qu'elle était bien engrossée.
Belle princesse normande, belle Blanche, qui ne verrait point ses rêves se réaliser. Son compagnon ne lui passerait donc ainsi jamais l'anneau au doigt. Le destin était parfois réellement cruel et Edric affichait toujours ce sourire satisfait. Ne restait plus qu'à attendre que le temps fasse son oeuvre. Colchiques dans les prés, fleurissent, fleurissent, Colchiques dans les prés, c'est la fin de la Blonde comme les blés...