Anaon
Alphonse. Comment décrire Alphonse et ce qu'il lui inspire ? " Quelquefois, il y a des sympathies si réelles que, se rencontrant pour la première fois, on semble se retrouver. " Voilà une parole de Musset qui semble tout résumer. Rencontre d'une nuit de février, entre déboires et rires, ils avaient joué de masques fendus dans cette foule de crédules. Cette première impression teintée d'inconnu avait pourtant estampillée du nom de l'Intrigue toutes les futures entrevues qui devaient les réunir. Depuis cette rencontre, bien des échanges se sont succédé, des paroles délivrées, des traits d'humours échangés, et pourtant, il semble que le plus qu'elle ait appris du comptable ait été lors de cette unique et première soirée. Elle ne sait ni ses amours ni ses tourments. Elle ne sait rien de son passé ou de ses projets futurs. Si sa personnalité est une matière complexe qu'elle se plait à saisir, elle ne peut rien affirmer du Pourquoi ou du Comment qui en font la quintessence. On lui manderait de parler d'Alphonse ? Elle aurait dans les faits bien peut à dire, car d'aucun diront que dans le fond, elle ne le connait pas. Et pourtant...
A qui lui demanderait qui il est pour elle, la sicaire aimerait pouvoir répondre avec sincérité : un intime. Ils s'étaient vus nus. Pas de vêtements, mais nus d'âme et de bandages qui voilaient leurs blessures. Cette fameuse nuit de Février. Ils n'avaient été que deux tueurs de chagrins qui se sont reconnus. Deux amputés parmi la foule d'enivrés qui se sont trouvés acolytes. Comme si l'un pouvait voir clairement le sang de l'autre lui couler sur les pieds, sans qu'ils ne puissent pour autant en comprendre la blessure. Qu'avait-il a noyer, Alphonse, ente deux choppes de bière et ses faux-sourires ? Elle ne le sait pas, tout comme lui ne saurait dire ce qui trouait les pensées d'Anaon cette nuit-là comme un vers dans le bois. Ils n'avaient plus les masques, mais ne gardaient que le maquillage coulant d'un reste taiseux de pudeur. Et elle trouve cela bien plus intime, le visage d'un comédien ayant retiré son fard, que le rose d'une cuisse offerte aux pupilles. Un menteur qui s'avoue. Un imposteur qui laisse voir son imposture. Elle avait vu l'éphèbe tenter de diluer le carmin de ses pensées dans la bière et le vin. Il l'a vu, misérable, tentant de retrouver par la poudre la saveur d'un amant. Alors un intime, oui, voilà ce qu'elle ressent. Un intime bien chaste. Mais elle a frôlé la profondeur d'une blessure. Alphonse a vu là où l'Anaon ne laisse jamais rien voir. Alors pour cela, elle lui voue un respect et une estime bien particulière que rien ne pourra jamais venir écailler.
Elle ne pose pas plus de questions maintenant qu'elle n'a pu déjà le faire, préférant déjouer le sibyllin d'une inter-ligne que d'user d'une curiosité bien trop direct. Et elle sait que l'adonis est un joueur bien pareil. Bien que celui qui soit le plus à même de percer ses non-dits se tient ici, aussi, un petit bonhomme assis sur ses genoux.
Les azurites glissent à nouveau sur le petit Antoine cherchant d'un simple sourire à attirer son attention avant d'offrir un regard timide du côté des Novgorods. Le « oui » résonne alors de sens entre les murs de l'église. L'Anaon se demande curieusement si la raison de ce vieux déboire d'Alphonse a pu être causé par la gitane. Elle se plait à l'imaginer. Après tout, un chagrin qui se conclut par un mariage... Une histoire qui finit bien pour une fois. Ce serait quand même pas mal. Les drames éveillent les passions, mais ce ne sont point eux qui tiennent en vie. Ceux qui s'y sont brûlés vous le diront bien.
Instant suspendu. Silencieuse boule d'émotion. Voilà les vux... Au peu de mots livrés par l'époux, la sicaire esquisse un léger sourire en coin. Elle-même en est tellement avare... et quand Axelle avoue l'Essentiel, le sourire se fait plus large. Amusée dans un sens... comprenant aussi qu'ils sont bien là témoins de leur mariage à Eux, sans verni ni façade. Les prunelles ne loupent rien, ni des lèvres mouvantes de la gitane, ni de sa main qui vient couronner celle de l'éphèbe. Ni même cette crispation si subreptice qu'on pourrait la croire inventée.
Et puis ce silence... ému... mais qui dure... Un peu trop... Rien ne perturbe la mercenaire si ce n'est quand elle pose à nouveau le regard sur la main d'Alphonse, ceinte de l'anneau, pour glisser ensuite sur celle de la gitane qui est... Nooooooooon ! Il n'aurait quand même pas oublié ça ?! Petit moment d'expectative gêne. Et l'Anaon se croit alors renvoyée au mariage Katinesque ou durant un moment de panique le monde entier s'est posé la tragique question du «où sont les alliances ?! ». Par réflexe, la mercenaire pivote pour lorgner les portes de l'église qu'elle s'attend à tout moment voir voler en éclat dans un fracas infernal. Mais décidément, non, voir un troupeau de bovins défoncer les portes d'une cathédrale... il n'y a bien qu'en Anjou que l'on puisse être témoin de cela. Remarquez dans le cas présent, ça aurait fait une parfaite diversion pour l'impardonnable oubli du mari ...
C'est soulagée malgré tout de constater que, cette fois-ci, les pierres ne leur tomberont pas sur la tête que la balafrée se tourne à nouveau vers l'autel. Pour constater qu'Alphonse n'aura bien eu droit qu'à une petite sueur froide.
L'honneur est sauf !
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| © Image Avatar : Eve Ventrue | © Image Signature : Cristina Otero | Anaon se prononce "Anaonne" |